Mes Mémoires Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre CXXXI


Lecture de Marion Delorme chez Devéria. – Steeple-chase de directeurs. – Marion Delorme est arrêtée par la censure. – Hugo obtient une audience de Charles X. – Son drame est définitivement interdit. – On lui envoie le brevet d'une pension qu'il refuse. – Il se met à Hernani, et le fait en vingt-cinq jours.

Hugo n'eut pas besoin, comme moi, d'écrire à Nodier, et d'attendre un rendez-vous de Taylor : autant j'étais inconnu avant Henri III, autant Hugo était déjà illustre avant Marion Delorme.
Il indiqua, comme je l'ai dit, une lecture chez Devéria, et invita Taylor à cette lecture, et, avec Taylor, de Vigny, Emile Deschamps, Sainte-Beuve, Soumet, Boulanger, Beauchesne, moi, – toute la pléiade, enfin.
La lecture commença.
Le premier acte de Marion Delorme est un chef-d'oeuvre ; il n'y a rien à y reprendre, à part cette manie qu'a Hugo de faire entrer ses personnages par les fenêtres, au lieu de les faire entrer par les portes, et qui se trahissait là, chez lui, pour la première fois.
Nul coeur n'est plus exempt d'envie que le mien. J'écoutai donc ce premier acte avec une profonde admiration, mêlée, cependant, de quelque tristesse : je sentais que j'étais loin de cette forme-là, que je serais longtemps à y atteindre, si j'y atteignais jamais.
Puis vint le second acte, et successivement les trois derniers. – J'étais près de Taylor.
Au dernier vers de la pièce, il se pencha vers moi.
- Eh bien, me demanda-t-il, que pensez-vous de cela ?
- Je dis que nous sommes tous flambés, si Victor n'a pas fait aujourd'hui sa meilleure pièce.
Puis j'ajoutai :
- Seulement, je crois qu'il l'a faite.
- Et pourquoi croyez-vous cela ?
- Mais parce qu'il y a dans Marion Delorme toutes les qualités de l'homme mûr, et aucune des fautes du jeune homme. Le progrès est impossible à qui débute par une chose complète, ou à peu prés.
Je suis intéressé, ne fût-ce que par amour-propre, à croire que j'avais raison : mon avis est encore aujourd'hui que Marion Delorme est, sinon la meilleure, du moins une des meilleures pièces d'Hugo.
Je le félicitai bien sincèrement, bien consciencieusement. Je n'avais jamais entendu rien de pareils à ces vers de Marion Delorme : j'étais écrasé sous la magnificence de ce style, moi à qui le style manquait surtout. On m'eût demandé dix ans de ma vie en me promettant qu'en échange j'atteindrais, un jour, à cette forme, je n'eusse point hésité, je les eusse donnés à l'instant même !
Une chose m'avait profondément blessé au cinquième acte, c'était que Didier marchât à la mort sans pardonner à Marion. Je suppliai Hugo de substituer à la propre inflexibilité de son caractère quelque chose de plus humain. Sainte-Beuve se joignit à moi, et, à nous deux, nous obtînmes le pardon de la pauvre Marion.
Restait la question de censure.
Personne de nous ne croyait que la commission d'examen laissât passer le caractère de Louis XIII, si admirablement tracé, justement à cause de la perfection des lignes et de la vivacité du coloris.
Il est vrai que l'acte de Louis XIII pouvait s'enlever sans rien ôter de l'intérêt de la pièce, et, plusieurs fois, Crosnier fit cette coupure au théâtre de la Porte-Saint-Martin, sans que le public s'en aperçût. C'était ce que les critiques de petits mots et de petites choses appelaient une superfétation, un hors-d'oeuvre.
Hors-d'oeuvre magnifique ! Superfétation sublime ! – Je donnerais celui de mes drames que l'on voudrait prendre au choix, pour avoir fait le quatrième acte de Marion Delorme.
Au reste, ce fut pendant un temps le défaut dominant de Victor Hugo, de faire des quatrièmes actes qui pouvaient s'enlever comme des tiroirs. Le quatrième acte d'Hernani, où se trouve le gigantesque monologue de Charles Quint, pourrait s'enlever sans faire de tort à la pièce, et il en est de même du quatrième acte de Ruy Blas.
Mais, de ce que ce quatrième acte est inutile à l'ouvrage, s'ensuit-il qu'une fantaisie merveilleuse doive être supprimée ? De ce qu'une femme est belle, est-il absolument nécessaire de jeter ses diamants à l'eau, quand surtout elle en a pour un million ?
Le bruit de la lecture se répandit dans Paris, et ce fut un véritable steeple- chase des directeurs de théâtre à la rue Notre-Dame-des-Champs, pour avoir Marion Delorme.
Harel accourut d'abord ; il entra et, trouvant le manuscrit sous sa main, commença par écrire, à tout hasard, au-dessous du titre de l'ouvrage : « Reçue au théâtre de l'Odéon, le 14 juillet 1829. »
C'était le jour anniversaire de la prise de la Bastille : Harel espérait prendre Marion Delorme de la même façon que nos pères avaient pris la Bataille – par surprise !
Harel fut repoussé avec perte ; mais, comme son nom était sur le manuscrit, il n'en soutint pas moins qu'il y avait prise de possession.
Après Harel, le lendemain ou le surlendemain, on annonça M. Crosnier.
Il fut introduit dans le salon.
Hugo lisait un journal ; il se leva, indiqua de la main un siège à M. Crosnier, qui s'assit.
Hugo s'assit à son tour, et attendit.
Mais M. Crosnier gardait le silence ; ce que voyant Hugo, il reprit son journal – ce que voyant à son tour M. Crosnier, il se décida à parler.
- Monsieur, dit-il s'adressant à Hugo, j'étais venu pour avoir l'honneur de parler à monsieur votre père ; on m'avait dit qu'il était chez lui. Si ce n'était point abuser de votre complaisance, je vous prierais de vouloir bien le faire prévenir que je l'attends.
- Hélas ! monsieur, répondit Hugo, mon père est mort depuis un an, et je présume que c'est à moi que vous voulez parler.
- Je veux parler à M. Victor Hugo.
- C'est moi, monsieur.
Crosnier ne pouvait se figurer que ce petit jeune homme blond et rose, qui semblait un enfant de vingt ans, fût l'homme autour duquel, depuis cinq ou six ans, il se faisait déjà tant de bruit.
Alors, il exposa le but de sa visite.
Il venait demander Marion Delorme pour le théâtre de la Porte-Saint Martin.
Hugo sourit, lui montra la réception d'Harel, que primait la réception convenue du Théâtre-Français.
Crosnier sourit à son tour de ce sourire fin qui lui est particulier ; puis, prenant une plume :
- Monsieur Hugo, dit-il, permettez que j'inscrive ma réception au-dessous de celle de mon confrère.
- Inscrivez ce qu'il vous plaira, monsieur, dit Hugo ; mais je vous ferai observer qu'il y a deux réceptions qui priment la vôtre.
- Peu importe, monsieur, je désire prendre rang. Eh ! mon Dieu, qui sait ? Malgré ces deux réceptions, il se peut que ce soit moi qui joue l'ouvrage.
Et il écrivit au-dessous de la réception d'Harel : « Reçue au théâtre de la Porte-Saint-Martin, le 16 juillet 1829. »
Ce fut étayée d'avance sur cette double réception que Marion Delorme se présenta au Théâtre-Français, et y fut reçue par acclamation et à l'unanimité.
Je me rappelle qu'en sortant, enthousiasmé de cette lecture à laquelle nous avions assisté tous, Emile Deschamps, montrant l'affiche du soir, haussa les épaules, et s'écria avec compassion, à la vue du chef-d'oeuvre de Racine :
- Et ils vont jouer Britannicus !...
Personne de nous aujourd'hui, pas même Emile Deschamps, n'avouerait avoir dit ce mot.
Et, moi, je déclare que nous l'eussions tous dit en 1829, et que plus d'un qui a fait, depuis, ses visites aux trente-neuf académiciens, le lui envia dans le moment.
La pièce fut distribuée et mise à l'étude immédiatement après la réception. Mademoiselle Mars jouait Marion ; Firmin, Didier ; Joanny, Nangis ; Menjaud, Saverny, etc.
Mais, un matin, cette nouvelle terrible se répandit, que la pièce était arrêtée par la censure !
Même chose était arrivée à Henri III. La censure arrête toujours, c'est son état, quitte à lâcher ensuite, si elle a affaire à une oeuvre qui se défende ou à un auteur qui crie.
J'avais crié, et Henri III était sorti sain et sauf de ses griffes, grâce à M. de Martignac, qui était venu à mon secours.
Hugo s'adressa donc à M. de Martignac.
Mais, si bienveillant, si spirituel, si littéraire même que fût ce modèle des ministres présents, passés et futurs, il s'avoua impuissant.
Il s'agissait, non plus d'un Valois, mais d'un Bourbon, non plus d'un prédécesseur, mais d'un aïeul de Charles X.
Charles X pouvait seul prononcer dans cette question de famille.
Hugo résolut de demander une audience à Charles X.
L'audience lui fut accordée.
A cette époque, on n'abordait les rois de France qu'en habit à la française et l'épée au côté. Hugo se décida à grand-peine à ce travestissement ; mais Taylor se chargea de réunir les différentes pièces de l'habillement. Il tenait énormément à Marion Delorme, et, pour que Marion Delorme lui fût rendue, il eût habillé Hugo en Turc ou en Chinois.
Le jour de l'audience arriva. Hugo se rendit à Saint-Cloud. L'antichambre était comble.
Au nombre des personnes qui attendaient, étaient madame du Cayla, qui venait mettre la dernière main au ministère Polignac, et Michaud, de l'Académie, qui partait pour la Palestine. Michaud était lecteur du roi. Il était brodé d'or, à lui tout seul, comme quatre généraux ! C'était, cependant, un homme de beaucoup d'esprit que Michaud.
Hugo était occupé à causer avec lui, quand les deux portes s'ouvrirent et qu'on annonça Son Altesse royale monseigneur le dauphin.
Hugo n'avait jamais vu de près celui pour lequel il avait voulu qu'on haussât l'Arc de triomphe, afin

          Que le gérant de notre gloire
          Pût y passer sans se baisser !

Il vit apparaître quelque chose comme un singe, moins la grâce ; une espèce de momie au visage tourmenté par un tic éternel, qui traversa la salle, répondant à tous les saluts, à tous les souhaits, à tous les hommages, par un grognement sourd dans lequel il était impossible de distinguer un seul mot articulé.
C'était le vainqueur du Trocadéro ! Le pacificateur de l'Espagne !
Il n'en fit pas plus pour madame du Cayla que pour les autres. Peut-être, si quelque courtisan lui eût soufflé qu'il y avait là un grand poète, se fût-il arrêté et eût-il regardé pour voir quelle espèce d'animal c'était.
Aucun courtisan ne prévint monseigneur le dauphin, et monseigneur le dauphin passa sans s'arrêter.
Presque aussitôt, Charles X passa à son tour, avec l'air aussi gracieux et aussi souriant que son fils avait l'air grotesque et rechigné. Il salua madame du Cayla de la voix ; Michaud et Victor, de la main ; les autres, de la tête, et entra dans son salon d'audience.
Une seconde après, on appela madame la comtesse du Cayla.
Sans s'inquiéter depuis quel temps elle attendait, ni si elle était venue avant les autres visiteurs, le dernier des rois chevaliers faisait passer la femme la première.
Madame du Cayla resta une heure environ avec le roi. Ce n'était pas trop pour accoucher d'un ministère qui lui-même, un an plus tard, devait accoucher de la révolution de juillet.
Puis, quand madame du Cayla se fut retirée, on appela le poète. Après s'être souvenu qu'il était le successeur de François Ier, Charles X se rappelait qu'il était le descendant de Louis XIV.
Le poète entra.
Laissons-lui raconter à lui-même cette remarquable entrevue :

          C'était le sept août. – O sombre destinée !
          C'était le premier jour de leur dernière année !
          Seuls, dans un lieu royal, côte à côte marchant,
          Deux hommes, par endroits du coude se touchant,
          Causaient... Grand souvenir qui dans mon coeur se grave !
          Le premier avait l'air fatigué, triste et grave,
          Comme un trop faible front qui porte un lourd projet.
          Une double épaulette à couronne chargeait
          Son uniforme vert à ganse purpurine,
          Et l'Ordre et la Toison faisaient, sur sa poitrine,
          près du large cordon moiré de bleu changeant,
          Deux foyers lumineux, l'un d'or, l'autre d'argent.
          C'était un roi, vieillard à la tête blanchie,
          Penché du poids des ans et de la monarchie !
          L'autre était un jeune homme étranger chez les rois,
          Un poète, un passant, une inutile voix...

          Dans un coin, une table, un fauteuil de velours
          Miraient dans le parquet leurs pieds dorés et lourds;
          Par une porte en vitre, au dehors, l'oeil, en foule,
          Apercevait au loin des armoires de Boule,
          Des vases du Japon, des laques, des émaux
          Et des chandeliers d'or aux immenses rameaux,
          Un salon rouge orné de glaces de Venise,
          Plein de ces bronzes grecs que l'esprit divinise,
          Multipliait sans fin ses lustres de cristal ;
          Et, comme une statue à lames de métal,
          On voyait, casque au front, luire, dans l'encoignure,
          Un garde argent et bleu, d'une fière tournure.
          Or, entre le poète et le vieux roi courbé,
          De quoi s'agissait-il ?

                              D'un pauvre ange tombé
          Dont l'amour refaisait l'âme avec son haleine :
          De Marion, lavée ainsi que Madeleine,
          Qui boitait et traînait son pas estropié,
          La censure, serpent, l'ayant mordue au pied.

          Le poète voulait faire, un soir, apparaître
          Louis-Treize, ce roi sur qui régnait un prêtre ;
          Tout un siècle : marquis, bourreaux, fous, bateleurs :
          Et que la foule vînt, et qu'à travers les pleurs,
          Par moments, dans un drame étincelant et sombre,
          Du pâle cardinal on crût voir passer l'ombre.

          Le vieillard hésitait. - Que sert de mettre à nu
          Louis-Treize, ce roi, chétif et mal venu ?
          A quoi bon remuer un mort dans une tombe ?
          Que veut-on ? où court-on ? sait-on bien où l'on tombe ?
          Tout n'est-il pas déjà croulant de tout côté ?
          Tout ne s'en va-t-il pas dans trop de liberté ?
          N'est-il pas temps plutôt, après quinze ans d'épreuve,
          De relever la digue et d'arrêter le fleuve ?
          Certes, un roi peut reprendre alors qu'il a donné.
          Quant au théâtre, il faut, le trône étant miné,
          Etouffer des deux mains sa flamme trop hardie ;
          Car la foule est le peuple, et d'une comédie
          Peut jaillir l'étincelle aux livides rayons
          Qui met le feu dans l'ombre aux révolutions !
          Puis il niait l'histoire, et, quoi qu'il en puisse être,
          A ce jeune rêveur disputait son ancêtre ;
          L'accueillant bien, d'ailleurs, bon, royal, gracieux,
          Et le questionnant sur ses propres aïeux.

          Tout en laissant aux rois les noms dont on les nomme,
          Le poète luttait fermement, comme un homme
          Epris de liberté, passionné pour l'art,
          Respectueux pourtant pour ce noble vieillard.
          Il disait : « Tout est grave en ce siècle où tout penche.
          L'art, tranquille et puissant veut une allure franche.
          Les rois morts sont sa proie, il faut la lui laisser.
          Il n'est pas ennemi ; pourquoi le courroucer
          Et le livrer, dans l'ombre, à des tortionnaires,
          Lui dont la main fermée est pleine de tonnerres ?
          Cette main, s'il l'ouvrait, redoutable envoyé,
          Sur la France éblouie et le Louvre effrayé,
          On s'épouvanterait – trop tard, – s'il faut le dire, –
          D'y voir subitement tant de foudres reluire !
          Oh ! les tyrans d'en bas nuisent au roi d'en haut.
          Le peuple est toujours là qui prend la muse au mot,
          Quand l'indignation, jusqu'au roi qu'on révère,
          Monte du front pensif de l'artiste sévère !

          Sire, à ce qui chancelle est-on bien appuyé ?
          La censure est un toit mauvais, mal étayé,
          Toujours prêt à tomber sur les noms qu'il abrite.
          Sire, un souffle imprudent, loin de l'éteindre, irrite
          Le foyer, tout à coup terrible et tournoyant,
          Et, d'un art lumineux, fait un art flamboyant,
          D'ailleurs, ne cherchât-on que la splendeur royale,
          Pour cette nation moqueuse mais loyale,
          Au lieu des grands tableaux qu'offrait le grand Louis,
          Roi-soleil fécondant les lis épanouis,
          Qui, tenant sous son sceptre un monde en équilibre,
          Faisait Racine heureux, laissait Molière libre,
          Quel spectacle, grand Dieu ! qu'un groupe de censeurs
          Armés et parlant bas, vils esclaves chasseurs,
          A plat ventre couchés, épiant l'heure où rentre
          Le drame, fier lion, dans l'histoire, son antre ! »

          Ici, voyant vers lui, d'un front plus incliné,
          Se tourner doucement le vieillard étonné,
          Il hasardait plus loin sa pensée inquiète,
          Et, laissant de côté le drame et le poète,
          Attentif, il sondait le dessein vaste et noir
          Qu'au fond de ce roi triste, il venait d'entrevoir.
          - Se pourrait-il ? quelqu'un aurait cette espérance ?
          Briser le droit de tous ! retrancher à la France,
          Comme on ôte un jouet à l'enfant dépité,
          De l'air, de la lumière et de la liberté !
          Le roi ne voudrait pas, lui, roi sage et roi juste !
          Puis, choisissant les mots pour cette oreille auguste,
          Il disait que les temps ont des flots souverains ;
          Que rien, ni ponts hardis, ni canaux souterrains.
          Jamais, excepté Dieu, rien n'arrête et ne dompte
          Le peuple qui grandit ou l'océan qui monte ;
          Que le plus fort vaisseau sombre et se perd souvent,
          Qui veut rompre de front et la vague et le vent,
          Et que, pour s'y briser, dans la lutte insensée,
          On a derrière soi, roche partout dressée,
          Tout son siècle, les moeurs, l'esprit qu'on veut braver,
          Le port même où la nef aurait pu se sauver !...
          Charles-Dix, souriant, répondit : « O poète ! »

          Le soir, tout rayonnant de lumière et de fête,
          Regorgeant de soldats, de princes, de valets,
          Saint-Cloud, joyeux et vert, autour du fier palais
          Dont la Seine, en fuyant, reflète les beaux marbres
          Semblait avec amour presser sa touffe d'arbres ;
          L'Arc de triomphe, orné de victoires d'airain ;
          Le Louvre, étincelant, fleurdelisé, serein,
          Lui répondaient de loin du milieu de la ville ;
          Tout ce royal ensemble avait un air tranquille,
          Et, dans le calme aspect d'un repos solennel,
          Je ne sais quoi de grand qui semblait éternel !

Le lendemain de cette entrevue et de ce refus – car Charles X refusa de laisser jouer Marion Delorme – la pension de Victor Hugo, qui était de deux mille quatre cents francs, fut portée à six mille livres, à titre de dédommagement.
Tout le monde sait que le poète, de son côté, refusa, nous ne dirons pas dédaigneusement, mais dignement, cette augmentation de pension. On a fait beaucoup de bruit, depuis, autour de ce refus. Tels puritains touchent aujourd'hui un traitement de sénateur qui ont reproché au poète d'avoir, après l'interdiction de Marion Delorme par Charles X, gardé sa pension primitive de deux mille quatre cents francs.
Dieu fasse miséricorde à ceux-là ! Ils sont aujourd'hui dans les antichambres de l'Elysée, et le premier poète de France et, par conséquent, du monde, est à Guernesey !
Je demande pardon à Lamartine de faire d'Hugo le premier poète de France et du monde : Hugo est exilé ; Lamartine est trop généreux pour ne point lui céder le pas. Si Lamartine eût été exilé comme Hugo – et je regrette pour sa gloire qu'il ne le soit pas ! – j'eusse dit : « Les deux premiers poètes de France ; les deux premiers poètes du monde ! »
Hugo, en revenant de Saint-Cloud, trouva Taylor qui l'attendait chez lui.
La nouvelle apportée, comme celle du page de madame Malbrouck, était assez mauvaise. Taylor se désespérait.
- Nous n'avons rien dans nos cartons ! répétait-il.
Notez que la Comédie-Française avait dans ses cartons dix pièces de M. Viennet, quatre ou cinq de M. Delrieu, deux ou trois de M. Lemercier – sans compter le Pertinax de M. Arnault, le Julien de M. de Jouy, etc., etc.
C'est là ce que Taylor appelait n'avoir rien dans ses cartons !
- Nous comptions sur Marion Delorme pour notre hiver, disait-il ; notre hiver est perdu !...
Hugo le laissa se lamenter.
- Et quand espériez-vous jouer Marion Delorme ? demanda-t-il.
- Mais au mois de janvier ou de février.
- Ah ! bon ! alors, nous avons de la marge... Eh bien...
Il calcula.
- Nous sommes au 7 août : revenez le 1er octobre.
Taylor revint le 1er octobre.
Hugo prit un manuscrit, et le lui donna.
C'était Hernani.
Hugo avait commencé ce second ouvrage le 17 septembre et l'avait fini le 25 du même mois.
Il avait mis à l'exécuter trois jours de moins que pour Marion Delorme.
Hâtons-nous de dire que, d'avance, les plans de ces deux pièces étaient faits dans la tête du poète.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente