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Chapitre CCXVII


Première représentation de « Robert le Diable » – Véron directeur de l'Opéra. – Son opinion sur la musique de Meyerbeer. – Mon opinion sur l'esprit de Véron. – Mes relations avec lui. – Ses articles et ses Mémoires. – Jugement de Rossini sur « Robert le Diable » – Nourrit prédicateur. – Meyebeer. – Première représentation de « La Fuite de Law », de M. Mennechet. – Première représentation de « Richard Darlington » – Frédérick Lemaître. – Delafosse. – Mademoiselle Noblet.

Entraîné sur les traces d'Escousse et de Lebras, que nous avons suivis de la chute de Pierre III jusqu'au jour de leur mort, c'est-à-dire de la soirée du 28 décembre 1831 à la nuit du 18 février 1832 nous avons passé par-dessus les premières représentations de Richard Darlington et même de Teresa.
Faisons un pas en arrière, et retournons à la soirée du 21 novembre, à une heure du matin, dans la loge de Nourrit, qui venait, grâce à une trappe mal équipée, de faire une chute dans le premier dessous de l'opéra.
On avait donné la première représentation de Robert le Diable.
Ce serait une chose curieuse à écrire que l'histoire de ce grand opéra, qui, à peu près tombé à la première représentation, en compte aujourd'hui plus de quatre cents, et qui se trouve être le doyen de tous les opéras nés et probablement à naître.
D'abord, Véron, qui était passé de la direction de la Revue de Paris à celle de l'opéra, avait, dès la première audition de l'oeuvre de Meyerbeer – en pleine répétition, lors de son entrée au théâtre de la rue Lepeletier – déclaré qu'il trouvait la partition détestable, et qu'il ne la jouerait que contraint et forcé, ou moyennant suffisante indemnité.
Le gouvernement, qui venait de faire, à propos de cette nouvelle direction, un des plus scandaleux traités qui aient jamais existé ; le gouvernement, qui donnait, à cette époque, neuf cent mille francs de subvention à l'opéra, le gouvernement trouva la demande de Véron toute naturelle ; et, convaincu comme lui que la musique de Robert le Diable était d'exécrable musique, donna à son directeur bien-aimé soixante ou quatre-vingt mille francs d'indemnité, pour jouer un ouvrage qui est entré au moins pour un tiers dans les cinquante ou soixante mille francs de rente que Véron possède aujourd'hui.
Cette petite anecdote prouve-t-elle que la tradition de mettre à l'opéra un homme qui ne se connaisse pas en musique remonte à une époque antérieure à la nomination de Nestor Roqueplan, qui, dans ses lettres à Jules Janin, s'est vanté de ne pas savoir la valeur d'une ronde, ni la portée d'un bécarre ? Non, cela prouve que Véron est un spéculateur d'infiniment d'esprit, et que son refus de jouer l'opéra de Meyerbeer était une habile spéculation.
Maintenant, Véron préfère-t-il que nous disions qu'il ne se connaît pas en musique ? Qu'il rectifie notre jugement. On sait avec quel respect nous recevons les rectifications.
Il n'y a qu'un point sur lequel nous n'admettons pas de rectification : c'est sur ce que nous venons de dire de l'esprit de Véron.
Ce que nous consignons ici, nous l'avons répété vingt fois, parlant à sa personne, comme s'exprime une certaine classe de fonctionnaires. Véron est un homme d'esprit, de beaucoup d'esprit même ; et la chose ne serait pas contestée, si Véron n'avait pas le malheur d'être millionnaire.
Nous n'avons jamais été bien liés, Véron et moi ; et jamais, je crois il n'a fait grand cas de mon talent. Directeur de la Revue de Paris il ne m'a jamais demandé un seul article ; directeur de l'opéra, il ne m'a jamais demandé qu'un poème pour Meyerbeer, mais à la condition que je ferais ce poème en collaboration avec Scribe – ce qui m'a brouillé à moitié avec Meyerbeer, et tout à fait avec Scribe. Enfin directeur du Constitutionnel, il n'a traité avec moi que lorsque les succès que j'avais obtenus au Journal des débats, au Siècle et à La Presse, lui eurent en quelque sorte forcé la main.
Notre traité dura trois ans. Pendant ces trois ans, nous eûmes un procès qui dura trois mois ; puis, enfin, nous rompîmes le traité à l'amiable, quand j'avais encore vingt volumes, à peu près, à lui donner, et, au moment de cette rupture, je lui devais six mille francs.
Il fut convenu que je donnerais à Véron douze mille lignes pour ces six mille francs. Quelque temps après, Véron vendit Le Constitutionnel. Au premier journal que Véron créera, il peut tirer sur moi pour douze mille lignes, à douze jours de vue : le treizième jour, il sera fait honneur à signature.
Notre position vis-à-vis de Véron bien établie, nous le répétons, ce sont les millions de Véron qui font tort à la réputation de Véron. Le moyen d'admettre qu'un homme a en même temps de l'argent et de l'esprit ? Impossible !
Mais, me dira-t-on, si Véron est un homme d'esprit, qui donc fait ses articles ? Qui donc fait ses Mémoires ?
Un autre répondrait : « Ce n'est pas lui ; c'est Malitourne. »
Je ne regarde point l'envers de la page : du moment que les articles sont signés Véron, que les Mémoires sont signés Véron, pour moi, les articles et les Mémoires sont de Véron.
Que voulez-vous ! c'est la faiblesse de Véron, de croire qu'il écrit. Pardieu ! s'il n'écrivait pas, sa réputation d'homme d'esprit serait faite, malgré ses millions !
Mais il en résulte que, grâce à ces diables d'articles et à ces démons de Mémoires, on me rit au nez, quand je dis que Véron a de l'esprit. J'ai beau me fâcher, m'emporter, crier, en appeler aux gens qui ont soupé avec lui, bons juges en fait d'esprit, on peut m'en croire, tout le monde me répond – ceux qui n'ont pas soupé avec lui, bien entendu :
- Bon ! vous dites cela parce que vous devez douze mille lignes à M. Véron !
Comme si c'était une raison, parce qu'on doit douze mille lignes à un homme, pour dire que cet homme a de l'esprit ! Ainsi, par exemple, M. Lehodey, du Siècle, dit que je lui dois vingt-quatre mille lignes : à ce compte, il me faudrait dire qu'il a deux fois plus d'esprit que Véron. Eh bien, je ne le dis pas ; je me contente de dire que je ne lui dois pas ces vingt- quatre mille lignes, et que c'est lui, au contraire, qui me doit quelque chose comme trois ou quatre cent mille francs peut-être, mais, à coup sûr, pas moins.
Où diable en étions-nous ?
Ah ! bien ! à la soirée de Robert le Diable.
Après le troisième acte, j'avais rencontré Rossini dans le foyer.
- Eh bien, Rossini, lui avais-je demandé, que pensez-vous de cela ?
- Ce que z'en pense ? avait répondu Rossini.
- Oui, que pensez-vous ?
- Eh bien, ze pense que, si mon meillour ami m'attendait au coin d'oun bois avec oun pistolet, et me mettait ce pistolet sour la gorze en me disant : « Rossini, tou vas faire ton meillour opéra ! » ze le ferais.
- Et si vous n'avez pas un ami assez votre ami pour vous rendre ce service ?
- Ah ! dans ce cas, ce sera fini, et ze vous azoure que ze n'écrirai plous oune note de mousique !
Hélas ! l'ami ne s'est pas trouvé, et Rossini a tenu son serment.
J'avais médité ces paroles de l'illustre maestro pendant le quatrième et le cinquième acte de Robert, et, après le cinquième acte, j'étais passé au théâtre pour demander à Nourrit s'il n'était pas blessé.
Je portais une grande amitié à Nourrit, et, de son côté, Nourrit m'aimait beaucoup. C'était non seulement un artiste éminent que Nourrit, mais encore un charmant homme ; il n'avait qu'un défaut : lorsque vous lui faisiez compliment sur son jeu ou sur sa voix, il vous écoutait mélancoliquement, et vous répondait en vous posant la main sur l'épaule :
- Ah ! mon ami, je n'étais pas né pour être un chanteur ou un comédien !
- Bon ! et pourquoi donc étiez-vous né ?
- J'étais né pour monter, non pas sur un théâtre, mais dans une chaire.
- Dans une chaire ?
- Oui.
- Et que diable auriez-vous fait dans une chaire ?
- J'eusse dirigé l'humanité dans le sentier du progrès... Oh ! vous me jugez mal ; vous ne me connaissez pas sous ma véritable face.
Pauvre Nourrit ! il avait bien tort de vouloir être ou paraître autre chose que ce qu'il était : il était si charmant comme artiste ! si digne si noble, si aimant comme homme privé !
Il avait pris la révolution de 1830 au plus grand sérieux, et, pendant trois mois, il avait paru, tous les deux jours, sur le théâtre de l'opéra en garde national, chantant La Marseillaise, un drapeau à la main.
Par malheur, son patriotisme était plus solide que sa voix, il s'était brisé la voix à cet exercice. C'est parce que cette voix était déjà affaiblie que Meyerbeer avait mis si peu de chant dans le rôle de Robert.
Nourrit était désespéré, non pas de sa chute, mais de celle de la pièce. Comme tout le monde, il croyait l'ouvrage tombé.
Meyerbeer lui-même était assez mélancolique. Nourrit nous présenta l'un à l'autre. C'est de ce soir-là que date notre connaissance.
C'est un homme de beaucoup d'esprit que Meyerbeer ; il a d'abord celui de mettre une immense fortune au profit d'une immense réputation. Seulement, il n'a pas fait sa fortune avec sa réputation, et l'on pourrait presque dire qu'il a fait sa réputation avec sa fortune.
Jamais Meyerbeer – qu'il soit seul ou en société en France ou en Allemagne, à la table de l'hôtel des Princes ou au casino de Spa – jamais Meyerbeer n'est distrait un instant de son but, et son but, c'est le succès. Bien certainement, Meyerbeer se donne plus de mal à faire ses succès qu'à faire ses partitions.
Nous disons cela parce qu'il nous semble qu'il y a double emploi : Meyerbeer pourrait laisser ses partitions faire leur succès elles-mêmes ; nous y gagnerions un opéra sur trois..
J'admire d'autant plus cette qualité de l'homme tenace, que cette qualité me manque entièrement. J'ai toujours laissé les directeurs faire leur ménage et le mien, les jours de première représentation ; et, le lendemain, ma foi ! dise qui voudra du bien, dise qui voudra du mal ! Il y a vingt-cinq ans que je fais du théâtre, vingt-cinq ans que je fais des livres : je défie qu'un seul directeur de journal déclare m'avoir vu dans son bureau, pour lui demander une réclame d'une ligne.
Cette insouciance fait peut-être ma force.
Dans les cinq ou six dernières années qui viennent de s'écouler, une fois mes pièces mises en scène avec tous les soins et toute l'intelligence dont je suis capable, il m'est arrivé souvent de ne pas aller, le soir à une première représentation de moi, et d'attendre, pour en savoir quelque chose, les nouvelles que m'apportaient ceux qui, plus curieux que moi, y avaient assisté.
Mais, du temps de Richard Darlington, je n'avais pas encore atteint à ce haut degré de philosophie.
La pièce, aussitôt achevée, avait été lue à Harel, qui venait d'abandonner la direction de l'Odéon pour prendre celle de la Porte-Saint-Martin ; bien entendu, Harel l'avait reçue d'emblée. Il l'avait mise immédiatement à l'étude ; et, au bout d'un mois de répétitions toutes scrupuleusement suivies par moi, nous étions arrivés au 10 décembre, jour fixé pour la première représentation.
Le Théâtre-Frrançais nous faisait concurrence, et jouait, ce jour-là, La Fuite de Law, de M. Mennechet, ex-lecteur du roi Charles X.
En sa qualité d'ex-lecteur du roi Charles X, Mennechet était royaliste. Je me rappellerai toujours les soupirs qu'il poussa lorsqu'il fut forcé, comme éditeur du Plutarque-français, d'y insérer la biographie de l'empereur Napoléon. S'il n'eût consulté que ses sentiments personnels, il eut bien certainement exclu de sa publication le vainqueur de Marengo, d'Austerlitz et d'Iéna ; mais il n'en était pas tout à fait le maître : Napoléon, après avoir pris Le Caire, Berlin, Vienne et Moscou, avait bien le droit de prendre cinquante ou soixante colonnes du Plutarque français.
Je sais quelque chose de ces soupirs ; car c'est à moi qu'il vint demander cette biographie de Napoléon, et ce fut moi qui la rédigeai.
Malgré cette concurrence du Théâtre-Français, il se faisait un bruit énorme autour de Richard. On savait d'avance que la pièce avait un côté politique d'une haute portée, et la fièvre des esprits faisait, à cette époque, orage de tout. On s'écrasait à la porte pour avoir des billets. Au lever du rideau, la salle semblait près de crouler.
Frédérick était le pilier qui portait toute cette grande machine. Il avait autour de lui mademoiselle Noblet, Delafosse, Doligny et madame ­élie-Paul.
Mais telle était la puissance de ce beau génie dramatique, qu'il avait électrisé tout le monde. Chacun, en quelque sorte, s'était inspiré de lui, et avait, par attouchement, augmenté sa force, sans diminuer celle du grand artiste.
Frédérick était alors dans toute la fougue de son talent. Inégal comme Kean – dont il devait deux ou trois ans plus tard reproduire la personnalité – sublime comme lui, il avait au même degré les qualités, et à un degré inférieur les défauts qu'il a aujourd'hui.
Dans les relations de la vie, c'était le même homme, difficile, insociable, quinteux, que nous retrouvons aujourd'hui. D'ailleurs, homme de bon conseil, s'occupant, dans les améliorations qu'il propose, autant de la pièce que de son rôle, autant de l'auteur que de lui-même.
Il avait été admirable aux répétitions. A la représentation, il fut prodigieux ! Je ne sais pas où il avait étudié ce joueur sur une grande échelle qu'on appelle l'ambitieux – où les hommes de génie étudient ce qu'ils ne peuvent connaître que par le rêve : dans leur coeur.
Près de Frédérick, Doligny fut excellent dans le rôle de Tompson. – C'est au souvenir que j'avais gardé de lui dans ce rôle que le pauvre garçon dut, plus tard, le triste avantage d'être associé à ma mauvaise fortune.
Delafosse, qui jouait Mawbray, eut des moments de véritable supériorité. Un de ces moments-là fut celui où il attend au coin d'un bois, et pendant un effroyable orage, le passage de la chaise de poste dans laquelle Tompson enlève Jenny. Un accident qui pouvait accrocher et faire verser la pièce, à cet endroit, fut paré par sa présence d'esprit. Mawbray doit tuer Tompson d'un coup de feu ; pour plus de sûreté, Delafosse avait pris deux pistolets ; véritables pistolets de théâtre, loués chez un armurier, il ratèrent tous les deux ! Delafosse ne perdit point la tête : il fit semblant de tirer un poignard de sa poche, et tua d'un coup de poing Tompson, à qui il n'avait pu brûler la cervelle.
Mademoiselle Noblet fut charmante de tendresse, d'amour, de dévouement et surtout de poésie. Dans la dernière scène, elle subit à ce point l'influence de Frédérick, qu'elle jeta des cris, non pas de terreur feinte, mais de véritable épouvante. La fable avait pris, pour elle, toutes les proportions de la réalité.
Cette dernière scène était une des choses les plus terribles que j'aie vues au théâtre. Lorsque à Jenny, qui lui demandait : « Qu'allez-vous faire ? », Richard répondit : « Je n'en sais rien ; mais priez Dieu ! » ; un immense frisson courut par toute la salle, et un murmure de crainte, poussé par toutes les poitrines, devint un véritable cri de terreur.
A la fin du second acte, Harel était monté à mon avant-scène. – J'avais la grande avant-scène de droite, et, de cette place, j'assistais à la représentation comme un étranger. – Harel, dis-je, était monté pour me supplier de me nommer avec Dinaux : on sait que c'était le nom que prenaient, au théâtre, Goubaux et Beudin. Je refusai.
Pendant le troisième acte, il remonta, accompagné, cette fois, de mes deux collaborateurs, et muni de trois billets de banque de mille francs chacun.
Goubaux et Beudin, bons et excellents coeurs de frères, venaient m'inviter à me nommer seul. J'avais tout fait, disaient-ils, et mon droit au succès était incontestable.
J'avais tout fait ! - hors de trouver le sujet, hors de trouver les jalons de développement, hors d'exécuter la scène capitale, enfin, entre le roi et Richard, scène que j'avais complètement ratée.
Je les embrassai, et je refusai.
Harel m'offrit les trois mille francs. Il était mal venu : j'avais les larmes aux yeux, et je tenais les mains de mes deux amis dans chacune des miennes.
Je refusai, mais je ne l'embrassai pas.
La toile tomba au milieu d'applaudissements frénétiques. On redemanda Richard ; puis, derrière Richard, Jenny, Tompson, Mawbray, tout le monde.
Je profitai de ce que les spectateurs étaient encore enchaînés à leurs places pour sortir et gagner la porte de communication. Je voulais, à leur rentrée dans les coulisses, recevoir les acteurs dans mes bras.
Dans le corridor, je rencontrai de Musset ; il était très pâle et très impressionné.
- Eh bien, lui demandai-je, qu'y a-t-il donc, cher poète ?
- Il y a que j'étouffe ! me répondit-il.
C'était, à mon avis, le plus bel éloge qu'il pût faire de l'ouvrage : le drame de Richard est, en effet, étouffant.
J'arrivai à temps dans les coulisses pour serrer les mains de tout le monde. Et, cependant, ce n'était plus là l'émotion de la soirée d'Antony ! Le succès avait été aussi grand, mais les artistes étaient bien loin de m'être aussi chers.
Il y a entre mon caractère, mes habitudes, et les habitudes et le caractère de Frédérick, un abîme que trois succès communs n'ont permis ni à l'un ni à l'autre de nous deux de franchir. – Quelle différence avec mon amitié pour Bocage !
Il n'y avait entre mademoiselle Noblet et moi, si jolie et si séduisante que fût mademoiselle Noblet à cette époque, que des relations purement artistiques ; elle m'intéressait comme une jeune et belle personne qui donne des espérances, et voilà tout. – Quelle différence, bon Dieu ! avec le double, le triple sentiment que m'inspirait Dorval, et qui fait qu'aujourd'hui que le plus vif de ces sentiments est éteint depuis vingt ans ; qu'elle-même, depuis quatre ou cinq années, est morte et oubliée de beaucoup de gens qui devraient avoir gardé sa mémoire, et qu'on n'a pas même vus la conduire à sa dernière demeure, son nom se présente, à chaque instant, sous ma plume, de même que son souvenir vient frapper à mon coeur !
Peut-être me dira-t-on que ma joie fut moins grande parce que mon nom restait inconnu, ma personnalité cachée.
A cet endroit, je n'eus pas même l'ombre d'un regret.
Mes deux collaborateurs, j'en réponds, furent plus tristement préoccupés d'être nommés seul que moi de ne pas l'être du tout.
Richard eut un immense succès, et ce fut justice : Richard est tout simplement un excellent drame.
Je demande la permission d'être aussi franc vis-à-vis de moi-même que je le suis vis-à-vis des autres.
Vingt et un jours après la représentation de Richard Darlington, l'année 1831 alla rejoindre ses soeurs dans ce monde inconnu où Villon relègue les vieilles lunes, et cherche, sans les trouver, les neiges d'antan.
L'année, si troublée qu'elle eût été par les émeutes politiques, avait été splendide pour l'art.
J'avais donné trois pièces : – une mauvaise, Napoléon Bonaparte, – une médiocre, Charles VII, – une bonne, Richard Darlington.
Hugo avait fait représenter Marion Delorme, et avait publié Notre-Dame de Paris – c'est-à-dire plus qu'un roman, un livre ! - et son volume des Feuilles d'automne.
Balzac avait édité La Peau de chagrin, une de ses productions les plus crispantes !
Une fois pour toutes, qu'on ne s'en rapporte pas à mes appréciations sur Balzac, et comme homme et comme talent : comme homme, je connaissais peu Balzac, et ce que j'en connaissais ne m'était pas le moins du monde sympathique ; comme talent, sa façon de composer, de créer, de produire était si différente de la mienne que je suis un mauvais juge à son endroit, et que je me récuse moi-même, sentant bien que l'on pourrait justement me récuser.
Au reste, veut-on savoir, sans parler du théâtre de M. Comte et de celui des Funambules, ce qui avait été joué à Paris, du 1er janvier 1809 au 31 décembre 1831 ?
Eh bien, il avait été joué trois mille cinq cent cinquante huit pièces de théâtre, dans lesquelles Scribe était pour 135, – Théaulon, pour 94, – Brazier, pour 93, – Dartois, pour 92, – Mélesville, pour 80, – Dupin, pour 56, – Antier, pour 53, – Dumersan, pour 55, – de Courcy, pour 50. Le monde entier, mis en comparaison, n'en eût pas fourni le quart !
De son côté, la peinture n'était point restée en arrière : Vernet était arrivé à l'apogée de son talent. Delacroix et Delaroche étaient dans la voie ascendante du leur.
Vernet avait exposé... Mais, avant de parler des oeuvres, parlons un peu des hommes.

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