Mes Mémoires Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre LVII


Compte rendu du procès relatif à l'enlèvement des diamants de la reine de Westphalie par le sieur de Maubreuil.

Tribunal de police correctionnelle.
Audience du 17 avril 1817.

« Le sieur de Maubreuil est introduit.
« Placé sur le banc des accusés, il regarde fixement M. de Vatimesnil, procureur du roi, et lui adresse la parole :
« - Monsieur le procureur du roi, dit-il, vous m'avez qualifié d'employé du trésor, c'est faux. Je n'ai jamais été un employé du trésor. Les gazetiers ont profité de votre dernier discours pour répandre sur mon procès un jour odieux. Mais je suis au-dessus de leurs atteintes.
« On essaye d'imposer silence au sieur de Maubreuil ; mais il continue avec plus de force :
« - Vous tous, Français, qui êtes ici présents, je mets mon honneur sous votre sauvegarde. Je puis être empoisonné, assassiné demain.
« Les gendarmes mettent la main sur M. de Maubreuil ; mais il se débarrasse d'eux, et continue :
« - Oui, je dois m'y attendre. On peut me tirer un coup de pistolet dans ma prison ; la police peut m'enlever, me faire disparaître, comme mon cousin, M. de Brosse, qui, au mois de février, avait remis une pétition à la Chambre en ma faveur ; mais je lègue mon honneur aux Français qui sont ici présents. Ecoutez ce que je vais vous dire.
« Ici l'accusé élève la voix.
« - J'ai accepté la mission de tuer l'empereur ; mais je ne l'ai acceptée que pour sauver la vie à lui et à sa famille. Oui, Français, je ne suis pas un misérable voleur, comme on veut vous le faire croire. Français ! je vous appelle tous à mon secours. Non, je ne suis pas un voleur ! non, je ne suis pas un assassin ! J'ai accepté, au contraire, une mission pour sauver la vie à Napoléon et à sa famille. Il est vrai que, dans la première exaltation de mon enthousiasme royaliste, j'ai, le 31 mars, attaché avec beaucoup d'autres la corde au cou de la statue de Napoléon pour la faire descendre de la colonne sur la place Vendôme ; mais, je le reconnais ici publiquement, je servais une cause ingrate. Si j'ai fait du mal en effigie à Napoléon, je lui ai fait du bien en réalité. Non, je ne suis pas un assassin ! Français, c'est mon honneur que je vous lègue. Vous ne serez pas insensibles à mes invocations.
« On essaye de nouveau de faire taire M. de Maubreuil ; mais plus on essaye de le faire taire, plus il élève la voix.
« - J'ai accepté, continue-t-il, une mission pour sauver la vie à Napoléon, à sa famille et à son fils ; il est vrai encore que, séduit, égaré, engagé à le faire, j'ai été assez malheureux pour attacher la croix de la Légion d'honneur à la queue de mon cheval ; je m'en repens amèrement. Je la reprends aujourd'hui, cette croix des braves : la voici à ma boutonnière ; je l'ai bien gagnée ; je l'ai méritée en Espagne.
« Ici, le sieur Maubreuil succombe aux efforts qu'on fait pour éteindre sa voix. Pendant tout le temps qu'a duré son discours, le président et les juges lui ont vainement imposé silence ; vainement le président a crié :
« - Qu'on l'emmène, gendarmes, qu'on l'emmène ! Gendarmes, faites votre devoir !
« Maubreuil s'est débattu, Maubreuil s'est cramponné à la balustrade, et, presque étouffé par les gendarmes, il criait encore :
« - Monsieur le président, je vous respecte infiniment ; mais vous avez beau dire, vous avez beau faire, on voulait assassiner l'empereur, et je n'ai accepté la mission qui me conduit ici que pour le sauver !
« Le bruit, les rumeurs, le scandale étaient grands dans l'auditoire. Beaucoup de Vendéens, parents et amis de l'accusé, qui est allié à la famille La Rochejaquelein, étaient présents. Avant l'introduction de l'accusé, ils avaient cherché à disposer le public en sa faveur, en parlant du mystère qui enveloppait sa mission, et en citant la pureté de son dévouement à la cause royale. Qu'on se figure donc leur désappointement quand ils virent le mode de défense adopté par lui ; leur embarras, en entendant leur client parler d'une manière si opposée aux promesses faites par eux ; leur étourdissement au nom de Napoléon, prononcé avec un certain respect par l'accusé, à une époque où l'on n'appelle plus le vainqueur des Pyramides et de Marengo que Buonaparte ; à ce titre d'empereur, donné à un homme que le roi Louis XVIII, en datant son règne de 1795, déclare n'avoir jamais régné !
« La parole fut donnée à maître Couture, avocat de M. de Maubreuil. Nous ne rapporterons pas son discours, qui fut très long. Il plaida plutôt sur la forme du procès que sur le fond de l'affaire. Il établissait d'abord l'injustice de ce que Maubreuil seul fût encore détenu, tandis que ceux qui avaient agi de concert avec lui, d'Asies, Cotteville et autres, étaient en pleine liberté.
« Il ajoutait que, les caisses ayant été déposées sans vérification chez M. de Vanteaux, il n'a pu être constaté par qui la soustraction des quatre-vingt- mille francs en or a été commise. Il parle de la manière miraculeuse dont une partie des diamants, jetés dans la Seine – par qui ? on n'en sait rien –, a été retrouvée par un nommé Huet, ex-employé de la police, qui, en pêchant à la ligne, a retiré deux peignes de diamants, attachés à son amorce.
« Maître Couture établit encore que l'accusé, auquel on a confié une mission de la plus haute importance, n'est point justiciable des cours ordinaires, et, à cette occasion, maître Couture fait lecture de cinq ordres différents, qui autorisaient M. de Maubreuil à requérir toutes les autorités du royaume.
« Voici la teneur de ces ordres :
« Le premier signé par le général Dupont, ministre de la guerre, ordonne à la force armée de prêter assistance à M. de Maubreuil, de faire droit à toutes ses demandes, et prescrit aux autorités de lui fournir toutes les troupes qu'il demandera, chargé qu'il est d'une mission de la plus haute importance.
« Le second, signé Anglès, ministre de la police, prescrit, à toutes les autorités de police du royaume de France, d'assister M. de Maubreuil dans cette même mission.
« Le troisième, signé Bourrienne, directeur général des postes, ordonne aux maîtres de poste de lui fournir les chevaux qu'il leur demandera, et les rend personnellement responsables du plus léger retard qu'ils lui feraient éprouver.
« Le quatrième, signé du général Sacken, gouverneur de Paris, enjoint aux troupes alliées d'assister M. de Maubreuil.
« Enfin, le cinquième, en langue russe, est adressé aux officiers qui n'entendraient pas la langue française, et qui, par conséquent, ne pourraient obéir aux ordres précédents.
« De là, maître Couture déduit que le conseil du roi peut seul avoir connaissance de la mission de M. de Maubreuil, et doit seul statuer dans la cause.
« Après avoir répondu au plaidoyer de maître Couture, M. le procureur du roi prend de son côté des conclusions tendant à établir l'incompétence du tribunal correctionnel, attendu que les faits dont le sieur Maubreuil est accusé constituent un crime, et non pas un simple délit ; qu'il s'agit d'un vol commis à main armée sur la grande route, et non pas d'un simple abus de confiance.
« Car en vain, dit-il, voudra-t-on alléguer le pouvoir illimité dont l'accusé était revêtu ; aucun pouvoir ne peut autoriser un citoyen à intervertir les lois existantes ; car, si une telle assertion était soutenable, elle le serait naturellement jusqu'au bout, et, dans ce cas, il serait excusable d'avoir commis un assassinat, ou incendié un village.
« Tout au contraire, à notre avis, continue M. de Vatimesnil, Maubreuil, agissant comme envoyé du gouvernement, assume par ce seul titre une plus grande responsabilité sur sa tête, et les lois doivent se revêtir pour lui d'une double sévérité. Aucune mission ne peut l'excuser d'avoir maltraité, sur une grande route, une personne voyageant avec un passeport, et son crime devient encore plus grave quand cette personne est une princesse auguste, sortant d'un sang illustre, alliée de toutes les têtes couronnées de l'Europe, et voyageant sous l'égide du passeport de son illustre cousin l'empereur de Russie, princesse doublement respectable, et par son rang, et par les revers de fortune qu'elle venait d'éprouver.
« Et de quelle indignation ne devons-nous pas être saisis, s'écrie M. le procureur du roi, quand nous entendons le prévenu débiter une fable séditieuse pour se soustraire à l'action de la justice ! Quelle est cette portion de Français à laquelle il s'adresse dans ses invocations, et qu'il appelle à son secours ? Quelle foi peut-on ajouter à une pareille invraisemblance, d'avoir reçu une mission contre une personne voyageant sous la sauvegarde des traités les plus solennels, signés par tous les souverains alliés ? et, s'il avait accepté cette mission, n'est-il pas doublement lâche d'avoir reçu l'argent, et trompé ceux qu'il prétend la lui avoir donnée ? Ne faut-il pas l'assimiler, dès lors, à ces êtres vils que nous avons vus de nos jours, sous le poids d'une accusation quelconque, inventer des conspirations, et dénoncer leurs concitoyens inconnus, dans le seul but d'arrêter ou d'égarer la justice ? »
« Le sieur Maubreuil a écouté tout ce réquisitoire avec une vive impatience, et son avocat n'a pu le calmer qu'en lui passant une plume et du papier qu'il demandait.
« Le discours de M. de Vatimesnil achevé, Maubreuil fait passer au président ce qu'il vient d'écrire, puis se lève et dit :
« - Monsieur le président, comme un homme qui s'attend à être assassiné d'un moment à l'autre, je dépose ce testament politique entre vos mains. Français, ici présents, c'est mon honneur que je vous lègue. Comme un homme prêt à paraître devant Dieu, je jure que, par l'intermédiaire de M. Laborie, M. de Talleyrand m'a fait venir ; que, comme j'étais très ému, on m'a fait prendre un bouillon ; que le prince m'a fait asseoir dans son propre fauteuil ; qu'il m'a offert deux cent mille livres de rente et le titre de duc, si je remplissais bien ma mission ; bien plus, l'empereur Alexandre m'a offert ses propres chevaux ; mais, je le répète, si j'ai accepté la mission qu'on me reproche, c'était pour sauver l'empereur et sa famille.
« Ici, on force de nouveau Maubreuil à se taire, et les gendarmes, en pesant sur ses épaules, le forcent de se rasseoir sur son banc.
« Alors, maître Couture, son avocat, se lève, adresse de nouveau la parole au procureur du roi, et lui demande en grâce de ne pas faire attention aux paroles insensées de son client.
« - Hélas ! s'écrie-t-il, l'homme que vous voyez devant vous, monsieur, ce n'est plus M. de Maubreuil, ce sont les restes, c'est l'ombre de M. de Maubreuil. Une détention de trois ans, pendant lesquels trois cent quatre- vingt-dix jours au secret, sans communiquer avec personne, pas même avec son conseil, a dérangé sa raison. Ce n'est plus qu'un homme en ruine. Par humanité, ne lui tenez pas compte d'un discours qui peut le perdre !
« Les juges, très embarrassés de ce qu'ils venaient d'entendre, quoiqu'ils n'eussent à résoudre que les simples questions de compétence ou de non- compétence de leur tribunal, renvoient le jugement à mardi prochain, 22 avril.
« Ce délai est peut-être pris, assure-t-on dans l'audience, pour recevoir les instructions du château, et agir conformément à ces instructions. »

Audience du 22 avril.

« Maubreuil est amené. A peine sur le banc des accusés, il repousse violemment les gendarmes en s'écriant :
« - Gendarmes, vous n'avez pas le droit de me maltraiter. Vous m'avez fait assez souffrir depuis trois ans que je suis en prison. C'est une scélératesse ! Nous sommes ici devant la justice, et non devant la police ! Qu'on me fusille plutôt sur l'heure, que de me livrer plus longtemps aux tortures auxquelles je suis en butte depuis trois ans ! Non, jamais on n'a vu pareille scélératesse dans les forteresses de la Prusse, dans les cachots de l'Inquisition, sous les plombs de Venise ! on m'isole du monde ; on étouffe mes plaintes ; on défend à mon avocat de faire imprimer et de distribuer ma défense. Je lui témoigne ici, devant vous, toute ma reconnaissance pour son zèle et son dévouement. Seulement, je suis désespéré qu'il n'ait pas voulu baser sa défense sur les moyens que je lui ai donnés, mais il n'a pas osé le faire.
« Ici, on impose de nouveau silence à l'accusé. Alors, le président lit le jugement, par lequel le tribunal de police correctionnelle déclare son incompétence, et renvoie l'accusé devant les assises, attendu que les faits dont il est prévenu, s'ils sont prouvés, constituent un crime, et non pas un simple délit.
« En entendant prononcer le jugement d'incompétence, l'accusé pousse de profonds soupirs ; sa physionomie, altérée par une longue captivité, exprime l'abattement et le désespoir.
« Cependant, il ranime ses forces, et s'écrie :
« - Les Bourbons ont eu le sang de vingt-neuf de mes parents morts pour eux en Vendée et à Quiberon ! Moi aussi, je dois leur être sacrifié à mon tour ! on veut me perdre, on veut étouffer mes gémissements on veut dire que je suis fou ! Ruse infernale ! Non, je ne suis pas fou. non, je n'étais pas fou, alors qu'ils ont eu besoin de moi ! Français, je vous répète ce que je vous ai dit à la dernière audience : c'est le sang de Napoléon qu'on m'a demandé ! Ecrivez-le à Vienne, à Munich, à Pétersbourg. Oui, oui, – repoussant les gendarmes, qui veulent le forcer à se taire, – oui, c'est le sang de Napoléon qu'on m'a demandé !... Monsieur le président, on me fait violence ! monsieur le président, on va me maltraiter ! monsieur le président, on va me mettre des fers aux pieds ! Mais n'importe, jusqu'au dernier moment je crierai : on m'a demandé le sang de Napoléon ! les Bourbons sont des assassins !...
« Ces paroles sont prononcées par l'accusé, tout en se débattant avec les gendarmes ; qui l'emmènent de force. »

Ici s'arrête le récit du sténographe, récit auquel je n'ai pas changé un mot, récit que j'ai là sous les yeux, certifié conforme.
Le 18 décembre suivant, Maubreuil comparaissait devant la cour d'assises de Douai, et parvenait à s'échapper avant le jugement.
Le 6 mai 1818, un arrêt le condamnait, par contumace, à cinq ans de prison, et à cinq cents francs d'amende, comme dépositaire infidèle.
Maubreuil, réfugié en Angleterre, rentra tout exprès pour donner à M. de Talleyrand, sur les marches de l'église de Saint-Denis, pendant la cérémonie funèbre de Louis XVIII, ce terrible soufflet qui le renversa.
- Ah ! quel coup de poing ! s'écria le prince en se relevant.
Qu'on nie maintenant la présence d'esprit de M. de Talleyrand !
M. Dupin n'aurait pas dit mieux.
Cette affaire Maubreuil, si obscure, si étrange, si mystérieuse, fit le plus grand tord aux Bourbons de la Restauration.
Elle fut, pour M. le comte d'Artois et M. de Talleyrand, ce que l'affaire du collier fut pour Marie-Antoinette et le cardinal de Rohan, c'est-à-dire une de ces sources cachées où les révolutions puisent des armes pour l'avenir ; armes d'autant plus dangereuses, d'autant plus terribles, d'autant plus mortelles, que, la plupart du temps, elles sont trempées au poison de la calomnie.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente