Le Collier de la Reine Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre VII
L'alcôve de la reine

Le lendemain, ou plutôt le matin même, car notre dernier chapitre a dû se fermer vers les deux heures de la nuit ; le matin même, disons-nous, le roi Louis XVI, en petit habit violet du matin, sans ordre et sans poudre, et tel qu'il venait de sortir de son lit enfin, heurta aux portes de l'antichambre de la reine.

Une femme de service entrebâilla cette porte, et reconnaissant le roi :

– Sire !... dit-elle.

– La reine ! demanda Louis XVI d'un ton bref.

– Sa Majesté dort, sire.

Le roi fit un geste comme pour éloigner la femme, mais celle-ci ne bougea point.

– Eh bien ! dit le roi, vous bougerez-vous ? Vous voyez bien que je veux passer.

Le roi avait par moments une promptitude de mouvement que ses ennemis appelaient de la brutalité.

– La reine repose, sire, objecta timidement la femme de service.

– Je vous ai dit de me livrer passage, répliqua le roi.

En effet, à ces mots il écarta la femme et passa outre.

Arrivé à la porte même de la chambre à coucher, le roi vit Mme de Misery, première femme de chambre de la reine, qui lisait la messe dans son livre d'heures.

Cette dame se leva dès qu'elle aperçut le roi.

– Sire, dit-elle à voix basse et avec un profond salut, Sa Majesté n'a pas encore appelé.

– Ah ! vraiment, fit le roi d'un air railleur.

– Mais, sire, il n'est guère que six heures et demie, je crois, et jamais Sa Majesté ne sonne avant sept heures.

– Et vous êtes sûre que la reine est dans son lit ? Vous êtes sûre qu'elle dort ?

– Je n'affirmerais pas, sire, que Sa Majesté dort ; mais je suis sûre qu'elle est dans son lit.

– Elle y est ?

– Oui, sire.

Le roi n'y put tenir plus longtemps. Il marcha droit à la porte, tourna le bouton doré avec une précipitation bruyante, et entra.

La chambre de la reine était obscure comme en pleine nuit : volets, rideaux et stores, hermétiquement fermés, y maintenaient les plus épaisses ténèbres.

Une veilleuse, brûlant sur un guéridon dans l'angle le plus éloigné de l'appartement, laissait l'alcôve de la reine entièrement baignée dans l'ombre, et les immenses rideaux de soie blanche à fleurs de lis d'or pendaient à plis ondoyants sur le lit en désordre.

Le roi marcha d'un pas rapide vers le lit.

– Oh ! madame de Misery, s'écria la reine, que vous êtes bruyante, voilà que vous m'avez réveillée.

Le roi s'arrêta, stupéfait.

– Ce n'est point Mme de Misery, murmura-t-il.

– Tiens ! c'est vous, sire, ajouta Marie-Antoinette en se soulevant.

– Bonjour, madame, articula le roi d'un ton aigre-doux.

– Quel bon vent vous amène, sire ? demanda la reine. Madame de Misery ! madame de Misery ! ouvrez donc les fenêtres.

Les femmes entrèrent et, selon l'habitude que leur avait fait prendre la reine, elles ouvrirent à l'instant portes et fenêtres, pour donner passage à l'invasion d'air pur que Marie-Antoinette respirait avec délices en s'éveillant.

– Vous dormez de bon appétit, madame, dit le roi en s'asseyant près du lit, après avoir promené son regard investigateur.

– Oui, sire, j'ai lu tard, et par conséquent, si Votre Majesté ne m'eût point réveillée, je dormirais encore.

– D'où vient qu'hier vous n'avez pas reçu, madame ?

– Reçu qui ? votre frère, M. de Provence ? fit la reine avec une présence d'esprit qui allait au-devant des soupçons du roi.

– Justement oui, mon frère ; il a voulu vous saluer, et on l'a laissé dehors.

– Eh bien ?

– En lui disant que vous étiez absente ?

– Lui a-t-on dit cela ? demanda négligemment la reine. Madame de Misery ! Madame de Misery ?

La première femme de chambre parut à la porte, tenant sur un plateau d'or une quantité de lettres adressées à la reine.

– Sa Majesté m'appelle ? demanda Mme de Misery.

– Oui. Est-ce qu'on a dit hier à M. de Provence que j'étais absente du château ?

Mme de Misery, pour ne pas passer devant le roi, tourna autour de lui et tendit le plateau de lettres à la reine. Elle tenait sous son doigt une de ces lettres dont la reine reconnut l'écriture.

– Répondez au roi madame de Misery, continua Marie-Antoinette avec la même négligence ; dites à Sa Majesté ce que l'on a répondu hier à M. de Provence lorsqu'il s'est présenté à ma porte. Quant à moi, je ne me le rappelle plus.

– Sire dit Mme de Misery, tandis que la reine décachetait la lettre, Mgr le comte de Provence s'est présenté hier pour offrir ses respects à Sa Majesté, et je lui ai répondu que Sa Majesté ne recevait pas.

– Et par quel ordre ?

– Par ordre de la reine.

– Ah ! fit le roi.

Pendant ce temps, la reine avait décacheté la lettre et lu ces deux lignes :

« Vous êtes revenue hier de Paris et rentrée au château à huit heures du soir. Laurent vous a vue. »

Puis, toujours avec le même air de nonchalance, la reine avait décacheté une demi-douzaine de billets, de lettres et de placets, qui gisaient épars sur un édredon.

– Eh bien ! fit-elle en relevant la tête vers le roi.

– Merci, madame, dit celui-ci à la première femme de chambre.

Mme de Misery s'éloigna.

– Pardon, sire, dit la reine, éclairez-moi sur un point.

– Lequel, madame ?

– Est-ce que je suis ou ne suis plus libre de voir M. de Provence ?

– Oh ! parfaitement libre, madame ; mais...

– Mais son esprit me fatigue, que voulez-vous ? d'ailleurs, il ne m'aime pas ; il est vrai que je le lui rends bien. J'attendais sa mauvaise visite et me suis mise au lit à huit heures, afin de ne pas recevoir cette visite. Qu'avez-vous donc, sire ?

– Rien, rien.

– On dirait que vous doutez.

– Mais...

– Mais quoi ?

– Mais je vous croyais hier à Paris.

– à quelle heure ?

– à l'heure à laquelle vous prétendez que vous vous êtes couchée.

– Sans doute, j'y suis allée à Paris. Eh bien ! est-ce que l'on ne revient pas de Paris ?

– Si fait. Le tout dépend de l'heure à laquelle on en revient.

– Ah ! ah ! vous voulez savoir l'heure juste à laquelle je suis revenue de Paris, alors ?

– Mais, oui.

– Rien de plus facile, sire.

La reine appela :

– Madame de Misery !

La femme de chambre reparut.

– Quelle heure était-il quand je revins de Paris, hier, madame de Misery ? demanda la reine.

– à peu près huit heures, Votre Majesté.

– Je ne crois pas, dit le roi ; vous devez vous tromper, madame de Misery ; informez-vous.

La femme de chambre, droite et impassible, se tourna vers la porte.

– Madame Duval ! dit-elle.

– Madame ! répliqua une voix.

– à quelle heure Sa Majesté est-elle rentrée de Paris hier soir ?

– Il pouvait être huit heures, madame, répliqua la deuxième femme de chambre.

– Vous devez vous tromper, madame Duval, dit Mme de Misery.

Mme Duval se pencha vers la fenêtre de l'antichambre et cria :

– Laurent !

– Qu'est-ce que Laurent ? demanda le roi.

– C'est le concierge de la porte par laquelle Sa Majesté est rentrée hier, dit Mme de Misery.

– Laurent ! cria Mme Duval, à quelle heure Sa Majesté la reine est-elle rentrée hier ?

– Vers huit heures, répliqua le concierge du bas de la terrasse.

Le roi baissa la tête.

Mme de Misery congédia Mme Duval, qui congédia Laurent.

Les deux époux demeurèrent seuls.

Louis XVI était honteux et faisait tous ses efforts pour dissimuler cette honte.

Mais la reine, au lieu de triompher de la victoire qu'elle venait de remporter, lui dit froidement :

– Eh bien ! sire, voyons, que désirez-vous savoir encore ?

– Oh ! rien, s'écria le roi en pressant les mains de sa femme, rien !

– Cependant...

– Pardonnez-moi, madame ; je ne sais trop ce qui m'était passé par la tête. Voyez ma joie ; elle est aussi grande que mon repentir. Vous ne m'en voulez point, n'est-ce pas ? Ne boudez plus : foi de gentilhomme ! j'en serais au désespoir.

La reine retira sa main de celle du roi.

– Eh bien ! que faites-vous, madame ? demanda Louis.

– Sire, répondit Marie-Antoinette, une reine de France ne ment pas !

– Eh bien ? demanda le roi étonné.

– Eh bien, sire, moi, je viens de mentir.

– Que voulez-vous dire ?

– Je veux dire que je ne suis pas rentrée hier à huit heures du soir !

Le roi recula surpris.

– Je veux dire, continua la reine avec le même sang-froid, que je suis rentrée ce matin à six heures seulement.

– Madame !

– Et que sans M. le comte d'Artois, qui m'a offert un asile et logée par pitié dans une maison à lui, je restais à la porte comme une mendiante.

– Ah ! vous n'étiez pas rentrée, dit le roi d'un air sombre ; alors, j'avais donc raison ?

– Sire, vous tirez, je vous en demande pardon, de ce que je viens de dire une solution d'arithméticien, mais non une conclusion de galant homme.

– En quoi, madame ?

– En ceci que, pour vous assurer si je rentrais tôt ou tard, vous n'aviez besoin ni de fermer votre porte, ni de donner vos consignes, mais seulement de venir me trouver et de me demander : « à quelle heure êtes-vous rentrée, madame ? »

– Oh ! fit le roi.

– Il ne vous est plus permis de douter, monsieur ; vos espions avaient été trompés ou gagnés, vos portes forcées ou ouvertes, votre appréhension combattue, vos soupçons dissipés. Je vous voyais honteux d'avoir usé de violence envers une femme dans son droit. Je pouvais continuer à jouir de ma victoire. Mais je trouve vos procédés honteux pour un roi, malséants pour un gentilhomme, et je ne veux pas me refuser la satisfaction de vous le dire.

Le roi épousseta son jabot en homme qui médite une réplique.

– Oh ! vous avez beau faire, monsieur, dit la reine en secouant la tête, vous n'arriverez pas à excuser votre conduite envers moi.

– Au contraire, madame, j'y arriverai facilement, répondit le roi. Est-ce que, dans le château, par exemple, une seule personne se doutait que vous ne fussiez pas rentrée ? Eh bien ! si chacun vous savait rentrée, personne n'a pu prendre pour vous ma consigne de la fermeture des portes. Qu'on l'ait attribuée aux dissipations de M. le comte d'Artois ou de tout autre, vous comprenez bien que je ne m'en inquiète pas.

– Après, sire ? interrompit la reine.

– Eh bien ! je me résume, et je dis : si j'ai sauvé envers vous les apparences, madame, j'ai raison, et je vous dis : vous avez tort, vous qui n'en avez pas fait autant envers moi ; et si j'ai voulu tout simplement vous donner une secrète leçon, si la leçon vous profite, ce que je crois, d'après l'irritation que vous me témoignez, eh bien ! j'ai raison encore, et je ne reviens sur rien de ce que j'ai fait.

La reine avait écouté la réponse de son auguste époux en se calmant peu à peu ; non pas qu'elle fût moins irritée, mais elle voulait garder toutes ses forces pour la lutte qui, dans son opinion, au lieu d'être terminée, commençait à peine.

– Fort bien ! dit-elle. Ainsi, vous ne vous excusez pas d'avoir fait languir à la porte de sa demeure, comme vous eussiez pu faire de la première venue, la fille de Marie-Thérèse, votre femme, la mère de vos enfants ? Non, c'est à votre avis une plaisanterie toute royale, pleine de sel attique, dont la moralité d'ailleurs double la valeur. Ainsi, à vos yeux, ce n'est rien qu'une chose toute naturelle que d'avoir forcé la reine de France à passer la nuit dans la petite maison où le comte d'Artois reçoit les demoiselles de l'Opéra et les femmes galantes de votre cour ? Ah ! ce n'est rien, non, un roi plane au-dessus de toutes ces misères, un roi philosophe surtout. Et vous êtes philosophe, vous sire ! Notez bien qu'en ceci M. d'Artois a joué le beau rôle. Notez qu'il m'a rendu un service signalé. Notez que, pour cette fois, j'ai eu à remercier le Ciel que mon beau-frère fût un homme dissipé, puisque sa dissipation a servi de manteau à ma honte, puisque ses vices ont sauvegardé mon honneur.

Le roi rougit et se remua bruyamment sur son fauteuil.

– Oh ! dit la reine, avec un rire amer, je sais bien que vous êtes un roi moral, sire ! Mais avez-vous songé à quel résultat votre morale arrive ? Nul n'a su que je n'étais pas rentrée, dites-vous ? Et vous-même m'avez crue ici ! Direz-vous que M. de Provence, votre instigateur, l'a cru, lui ? Direz-vous que M. d'Artois l'a cru ? Direz-vous que mes femmes, qui, par mon ordre, vous ont menti ce matin, l'ont cru ? Direz-vous que Laurent, acheté par M. le comte d'Artois et moi, l'a cru ? Allez, le roi a toujours raison, mais parfois la reine peut avoir raison aussi. Prenons cette habitude, voulez-vous, sire ? vous de m'envoyer espions et gardes suisses, moi d'acheter vos suisses et vos espions, et je vous le dis, avant un mois, car vous me connaissez et vous savez que je ne me contiendrai pas, eh bien ! avant un mois la majesté du trône et la dignité du mariage, nous additionnerons tout cela ensemble un matin, comme aujourd'hui, par exemple, et nous verrons ce que cela nous coûtera à tous deux.

Il était évident que ces paroles avaient fait un grand effet sur celui à qui elles étaient adressées.

– Vous savez, dit le roi d'une voix altérée, vous savez que je suis sincère, et que j'avoue toujours mes torts. Voulez-vous me prouver, madame, que vous avez raison de partir de Versailles en traîneau, avec des gentilshommes à vous ? Folle troupe qui vous compromet dans les graves circonstances où nous vivons ! Voulez-vous me prouver que vous avez raison de disparaître avec eux dans Paris, comme des masques dans un bal, et de ne plus reparaître que dans la nuit, scandaleusement tard, tandis que ma lampe s'est épuisée au travail et que tout le monde dort ? Vous avez parlé de la dignité du mariage, de la majesté du trône et de votre qualité de mère. Est-ce d'une épouse, est-ce d'une reine, est-ce d'une mère ce que vous avez fait là ?

– Je vais vous répondre en deux mots, monsieur, et, vous le dirai-je d'avance, je vais répondre encore plus dédaigneusement que je n'ai fait jusqu'à présent, car il me semble, en vérité, que certaines parties de votre accusation ne méritent que mon dédain. J'ai quitté Versailles en traîneau pour arriver plus vite à Paris ; je suis sortie avec Mlle de Taverney, dont, Dieu merci ! la réputation est une des plus pures de la cour, et je suis allée à Paris vérifier de moi-même que le roi de France, ce père de la grande famille, ce roi philosophe, ce soutien moral de toutes les consciences, lui qui a nourri les pauvres étrangers, réchauffé les mendiants et mérité l'amour du peuple par sa bienfaisance ; j'ai voulu vérifier, dis-je, que le roi laissait mourir de faim, croupir dans l'oubli, exposé à toutes les attaques du vice et de la misère, quelqu'un de sa famille, en tant que roi : un des descendants enfin d'un des rois qui ont gouverné la France.

– Moi ! fit le roi surpris.

– J'ai monté, continua la reine, dans une espèce de grenier, et j'ai vu, sans feu, sans lumière, sans argent, la petite-fille d'un grand prince ; j'ai donné cent louis à cette victime de l'oubli, de la négligence royale. Et comme je m'étais attardée, en réfléchissant sur le néant de nos grandeurs, car moi aussi parfois je suis philosophe, comme la gelée était rude, et que par la gelée les chevaux marchent mal, et surtout les chevaux de fiacre...

– Les chevaux de fiacre ! s'écria le roi. Vous êtes revenue en fiacre ?

– Oui, sire, dans le n° 107.

– Oh ! oh ! murmura le roi en balançant sa jambe droite croisée sur la gauche, ce qui était chez lui le symptôme d'une vive impatience. En fiacre !

– Oui, et trop heureuse encore d'avoir trouvé ce fiacre, répliqua la reine.

– Madame ! interrompit le roi, vous avez bien agi ; vous avez toujours de nobles aspirations, écloses trop légèrement peut-être ; mais la faute en est à cette chaleur de générosité qui vous distingue.

– Merci, sire, répondit la reine d'un ton railleur.

– Songez bien, continua le roi, que je ne vous ai soupçonnée de rien qui ne fût parfaitement droit et honnête ; la démarche seule, et l'aventureuse allure de la reine, m'ont déplu ; vous avez fait le bien comme toujours ; mais en faisant le bien aux autres, vous avez trouvé le moyen de vous faire du mal à vous. Voilà ce que je vous reproche. Maintenant, j'ai à réparer quelque oubli, j'ai à veiller au sort d'une famille de rois. Je suis prêt : dénoncez-moi ces infortunes, et mes bienfaits ne se feront pas attendre.

– Le nom de Valois, sire, est assez illustre, je pense, pour que vous l'ayez à présent à la mémoire.

– Ah ! s'écria Louis XVI avec un bruyant éclat de rire, je sais maintenant ce qui vous occupe. La petite Valois, n'est-ce pas, une comtesse de... de... Attendez donc...

– De La Motte.

– Précisément, de La Motte ; son mari est gendarme ?

– Oui, sire.

– Et la femme est une intrigante. Oh ! ne vous fâchez pas, elle remue ciel et terre ; elle accable les ministres ; elle harcèle mes tantes ; elle m'écrase moi-même de suppliques, de placets, de preuves généalogiques.

– Eh ! sire, cela prouve qu'elle a jusqu'ici réclamé inutilement, voilà tout.

– Je ne dis pas non !

– Est-elle ou non Valois ?

– Oh ! je crois qu'elle l'est !

– Eh bien ! une pension. Une pension honorable pour elle, un régiment pour son mari, un état enfin pour des rejetons de souche royale.

– Oh ! doucement, doucement, madame. Diable ! comme vous y allez. La petite Valois m'arrachera toujours bien assez de plumes sans que vous vous mettiez à l'aider ; elle a bon bec, la petite Valois, allez !

– Oh ! je ne crains pas pour vous, sire ; vos plumes tiennent fort.

– Une pension honorable, Dieu merci ! Comme vous y allez, madame ! Savez-vous quelle saignée terrible cet hiver a faite à ma cassette ? Un régiment à ce petit gendarme qui a fait la spéculation d'épouser une Valois ! Eh ! je n'en ai plus de régiment à donner, madame, même à ceux qui les paient et qui les méritent. Un état digne des rois dont ils descendent, à ces mendiants ! Allons donc ! quand nous autres rois nous n'avons plus même un état digne des riches particuliers ! M. le duc d'Orléans a envoyé ses chevaux et ses meutes en Angleterre pour les faire vendre, et supprimé les deux tiers de sa maison. J'ai supprimé ma louveterie, moi. M. de Saint-Germain m'a fait réformer ma maison militaire. Nous vivons de privations, tous, grands et petits, ma chère.

– Mais cependant, sire, des Valois ne peuvent mourir de faim !

– Ne m'avez-vous pas dit que vous aviez donné cent louis ?

– La belle aumône !

– C'est royal.

– Donnez-en autant, alors.

– Je m'en garderai bien. Ce que vous avez donné suffit pour nous deux.

– Alors, une petite pension.

– Pas du tout ; rien de fixe. Ces gens-là vous soutireront assez pour eux-mêmes ; ils sont de la famille des rongeurs. Quand j'aurai envie de donner, eh bien ! je donnerai une somme sans précédents, sans obligations pour l'avenir. En un mot, je donnerai quand j'aurai trop d'argent. Cette petite Valois, mais, en vérité, je ne puis vous conter tout ce que je sais sur elle. Votre bon cœur est pris au piège, ma chère Antoinette. J'en demande pardon à votre bon cœur.

Et, en disant ces mots, Louis tendit la main à la reine, qui, cédant à un premier mouvement, l'approcha de ses lèvres.

Puis, tout à coup, la repoussant.

– Vous, dit-elle, vous n'êtes pas bon pour moi. Je vous en veux !

– Vous m'en voulez, dit le roi, vous ! Eh bien ! moi... moi...

– Oh ! oui, dites que vous ne m'en voulez pas, vous qui me faites fermer les portes de Versailles ; vous qui arrivez à six heures et demie du matin dans mes antichambres, qui ouvrez ma porte de force, et qui entrez chez moi en roulant des yeux furibonds.

Le roi se mit à rire.

– Non, dit-il, je ne vous en veux pas.

– Vous ne m'en voulez plus, à la bonne heure !

– Que me donnerez-vous, si je vous prouve que je ne vous en voulais pas, même en venant ici ?

– Voyons d'abord la preuve de ce que vous dites.

– Oh ! c'est bien aisé, répliqua le roi, je l'ai dans ma poche, la preuve.

– Bah ! s'écria la reine avec curiosité en se soulevant sur son séant ; vous avez quelque chose à me donner ?

– J'ai à vous donner vos œufs de Pâques.

– Oh ! réellement, alors vous êtes bien aimable ; mais je ne vous croirai, comprenez-vous bien, que si vous étalez la preuve tout de suite. Oh ! pas de subterfuge. Je parie que vous m'allez encore promettre ?

Alors, avec un sourire plein de bonté, le roi fouilla dans sa poche, en y mettant cette lenteur qui double la convoitise, cette lenteur qui fait trépigner d'impatience l'enfant pour son jouet, l'animal pour sa friandise, la femme pour son cadeau.

Enfin, il finit par tirer de cette poche une boîte de maroquin rouge artistement gaufrée et rehaussée de dorures.

– Un écrin ! dit la reine, ah ! voyons.

Le roi déposa l'écrin sur le lit.

La reine le saisit vivement et l'attira à elle.

à peine eut-elle ouvert la boîte, qu'enivrée, éblouie, elle s'écria :

– Oh ! que c'est beau ! mon Dieu ! que c'est beau !

Le roi sentit comme un frisson de joie qui lui chatouillait le cœur.

– Vous trouvez ? dit-il.

La reine ne pouvait répondre, elle était haletante.

Alors elle tira de l'écrin un collier de diamants si gros, si purs, si lumineux et si habilement assortis, qu'il lui sembla voir courir sur ses belles mains un fleuve de phosphore et de flammes.

Le collier ondulait comme les anneaux d'un serpent dont chaque écaille aurait été un éclair.

– Oh ! c'est magnifique, dit enfin la reine retrouvant la parole, magnifique, répéta-t-elle avec des yeux qui s'animaient, soit au contact de ces diamants splendides, soit parce qu'elle songeait que nulle femme au monde ne pourrait avoir un collier pareil.

– Alors, vous êtes contente ? dit le roi.

– Enthousiasmée, sire. Vous me rendez trop heureuse.

– Vraiment !

– Voyez donc ce premier rang, les diamants sont gros comme des noisettes.

– En effet.

– Et assortis. On ne les distinguerait pas les uns des autres. Comme la gradation des grosseurs est habilement ménagée ! Quelles savantes proportions entre les différences du premier et du second rang, et du second au troisième ! Le joaillier qui a réuni ces diamants et fait ce collier est un artiste.

– Ils sont deux.

– Je parie alors que c'est Bœhmer et Bossange.

– Vous avez deviné.

– En vérité, il n'y a qu'eux pour oser faire des entreprises pareilles. Que c'est beau, sire, que c'est beau !

– Madame, madame, dit le roi, vous payez ce collier beaucoup trop cher, prenez-y garde.

– Oh ! s'écria la reine, oh ! sire.

Et tout à coup son front radieux s'assombrit, se pencha.

Ce changement dans sa physionomie s'opéra si rapide et s'effaça si rapidement encore, que le roi n'eut pas même le temps de le remarquer.

– Voyons, dit-il, laissez-moi un plaisir.

– Lequel ?

– Celui de mettre ce collier à votre cou.

La reine l'arrêta.

– C'est bien cher, n'est-ce pas ? dit-elle tristement.

– Ma foi ! oui, répliqua le roi en riant ; mais je vous l'ai dit, vous venez de le payer plus qu'il ne vaut, et ce n'est qu'à sa place, c'est-à-dire à votre col, qu'il prendra son véritable prix.

Et, en disant ces mots, Louis s'approchait de la reine, tenant de ses deux mains les deux extrémités du magnifique collier, pour le fixer par l'agrafe faite elle-même d'un gros diamant.

– Non, non, dit la reine, pas d'enfantillage. Remettez ce collier dans votre écrin, sire.

Et elle secoua la tête.

– Vous me refusez de le voir le premier sur vous ?

– à Dieu ne plaise que je vous refusasse cette joie, sire, si je prenais le collier ; mais...

– Mais... fit le roi surpris.

– Mais ni vous ni personne, sire, ne verra un collier de ce prix à mon cou.

– Vous ne le porterez pas, madame ?

– Jamais !

– Vous me refusez ?

– Je refuse de me pendre un million, et peut-être un million et demi au cou, car j'estime ce collier quinze cent mille livres, n'est-ce pas ?

– Eh ! je ne dis pas non, répliqua le roi.

– Et je refuse de pendre à mon col un million et demi quand les coffres du roi sont vides, quand le roi est forcé de mesurer ses secours et de dire aux pauvres : « Je n'ai plus d'argent, Dieu vous assiste ! »

– Comment, c'est sérieux ce que vous me dites là ?

– Tenez, sire, M. de Sartine me disait un jour qu'avec quinze cent mille livres on pouvait avoir un vaisseau de ligne, et, en vérité, sire, le roi de France a plus besoin d'un vaisseau de ligne que la reine de France n'a besoin d'un collier.

– Oh ! s'écria le roi, au comble de la joie et les yeux mouillés de larmes, oh ! ce que vous venez de faire là est sublime. Merci, merci !... Antoinette, vous êtes une bonne femme.

Et pour couronner dignement sa démonstration cordiale et bourgeoise, le bon roi jeta ses deux bras au cou de Marie-Antoinette, et l'embrassa.

– Oh ! comme on vous bénira en France, madame, s'écria-t-il, quand on saura le mot que vous venez de dire.

La reine soupira.

– Il est encore temps, dit le roi avec vivacité. Un soupir de regrets !

– Non, sire, un soupir de soulagement ; fermez cet écrin et rendez-le aux joailliers.

– J'avais déjà disposé mes termes de paiements ; l'argent est prêt ; voyons, qu'en ferai-je ? Ne soyez pas si désintéressée, madame.

– Non, j'ai bien réfléchi. Non, bien décidément, sire, je ne veux pas de ce collier ; mais je veux autre chose.

– Diable ! voilà mes seize cents mille livres écornées.

– Seize cents mille livres ? Voyez-vous ! Eh quoi, c'était si cher ?

– Ma foi ! madame, j'ai lâché le mot, je ne m'en dédis pas.

– Rassurez-vous ; ce que je vous demande coûtera moins cher.

– Que me demandez-vous ?

– C'est de me laisser aller à Paris encore une fois.

– Oh ! mais c'est facile, et pas cher surtout.

– Attendez ! attendez !

– Diable !

– à Paris, place Vendôme.

– Diable ! diable !

– Chez M. Mesmer.

Le roi se gratta l'oreille.

– Enfin, dit-il, vous avez refusé une fantaisie de seize cent mille livres ; je puis bien vous passer celle-là. Allez donc chez M. Mesmer ; mais, à mon tour, à une condition.

– Laquelle ?

– Vous vous ferez accompagner d'une princesse du sang.

La reine réfléchit.

– Voulez-vous Mme de Lamballe ? dit-elle.

– Mme de Lamballe, soit.

– C'est dit.

– Je signe.

– Merci.

– Et de ce pas, ajouta le roi, je vais commander mon vaisseau de ligne, et le baptiser Le Collier de la Reine. Vous en serez la marraine, madame ; puis je l'enverrai à La Pérouse.

Le roi baisa la main de sa femme, et sortit de l'appartement tout joyeux.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente