Le Collier de la Reine Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre LXXIII
La lettre et le reçu

Le lendemain de ce jour était le dernier délai du paiement fixé par la reine elle-même aux joailliers Bœhmer et Bossange.

Comme la missive de Sa Majesté leur recommandait la circonspection, ils attendirent que les cinq cent mille livres leur arrivassent.

Et comme chez tous les commerçants, si riches qu'ils soient, c'est une grave affaire qu'une rentrée de cinq cent mille livres, les associés préparèrent un reçu de la plus belle écriture de la maison.

Le reçu resta inutile ; personne ne vint l'échanger contre les cinq cent mille livres.

La nuit se passa fort cruellement pour les joailliers dans l'attente d'un messager presque invraisemblable. Cependant la reine avait des idées extraordinaires ; elle avait besoin de se cacher ; son courrier n'arriverait peut-être qu'après minuit.

L'aube du lendemain détrompa Bœhmer et Bossange de leurs chimères. Bossange prit sa résolution et se rendit à Versailles dans un carrosse au fond duquel l'attendait son associé.

Il demanda d'être introduit auprès de la reine. On lui répondit que s'il n'avait pas de lettre d'audience, il n'entrerait pas.

étonné, inquiet, il insista ; et comme il savait son monde, et comme il avait eu le talent de placer çà et là, dans les antichambres, quelque petite pierre de rebut, on le protégea pour le mettre sur le passage de Sa Majesté lorsqu'elle reviendrait de se promener dans Trianon.

En effet, Marie-Antoinette, toute frémissante encore de cette entrevue avec Charny où elle s'était faite amante sans devenir maîtresse, Marie-Antoinette revenait, le cœur plein de joie et l'esprit tout radieux, lorsqu'elle aperçut la figure un peu contrite et toute respectueuse de Bœhmer.

Elle lui fit un sourire qu'il interpréta de la façon la plus heureuse, et il se hasarda à demander un moment d'audience que la reine lui promit pour deux heures, c'est-à-dire après son dîner. Il alla porter cette excellente nouvelle à Bossange qui attendait dans la voiture, et qui, souffrant d'une fluxion, n'avait pas voulu montrer à la reine une figure disgracieuse.

– Nul doute, se dirent-ils, en commentant les moindres gestes, les moindres mots de Marie-Antoinette, nul doute que Sa Majesté n'ait en son tiroir la somme qu'elle n'aura pu avoir hier ; elle a dit à deux heures, parce que à deux heures elle sera seule.

Et ils se demandèrent, comme les compagnons de la fable, s'ils emporteraient la somme en billets, en or ou en argent.

Deux heures sonnèrent, le joaillier fut à son poste ; on l'introduisit dans le boudoir de Sa Majesté.

– Qu'est-ce encore, Bœhmer, dit la reine du plus loin qu'elle l'aperçut, est-ce que vous voulez me parler bijoux ? Vous avez du malheur, vous savez ?

Bœhmer crut que quelqu'un était caché, que la reine avait peur d'être entendue. Il prit donc un air d'intelligence pour répondre en regardant autour de lui :

– Oui, madame.

– Que cherchez-vous là ? dit la reine surprise. Vous avez quelque secret, hein ?

Il ne répondit rien, un peu suffoqué qu'il était par cette dissimulation.

– Le même secret qu'autrefois ; un joyau à vendre, continua la reine, quelque pièce incomparable ? Oh ! ne vous effrayez pas ainsi : il n'y a personne pour nous entendre.

– Alors... murmura Bœhmer.

– Eh bien ! quoi ?...

– Alors, je puis dire à Sa Majesté...

– Mais dites vite, mon cher Bœhmer.

Le joaillier s'approcha avec un gracieux sourire.

– Je puis dire à Sa Majesté que la reine nous a oubliés hier, dit-il en montrant ses dents un peu jaunes, mais toutes bienveillantes.

– Oubliés ! en quoi ? fit la reine surprise.

– En ce que hier... était le terme...

– Le terme !... quel terme ?

– Oh ! mais, pardon, Votre Majesté, si je me permets... Je sais bien qu'il y a indiscrétion. Peut-être la reine n'est-elle pas préparée. Ce serait un grand malheur : mais, enfin...

– Ah çà ! Bœhmer, s'écria la reine, je ne comprends pas un mot à tout ce que vous me dites. Expliquez-vous donc, mon cher.

– C'est que Votre Majesté a perdu la mémoire. C'est bien naturel, au milieu de tant de préoccupations.

– La mémoire de quoi ? encore un coup.

– C'était hier le premier paiement du collier, dit Bœhmer timidement.

– Vous avez donc vendu votre collier ? fit la reine.

– Mais... dit Bœhmer en la regardant avec stupéfaction, mais il me semble que oui.

– Et ceux à qui vous avez vendu ne vous ont pas payé, mon pauvre Bœhmer ; tant pis. Il faut que ces gens-là fassent comme j'ai fait ; il faut que, ne pouvant acheter le collier, ils vous le rendent en vous laissant les acomptes.

– Plait-il ?... balbutia le joaillier qui chancela comme le voyageur imprudent qui reçoit sur la tête un coup de soleil d'Espagne. Qu'est-ce que Votre Majesté me fait l'honneur de me dire ?

– Je dis, mon pauvre Bœhmer, que si dix acheteurs vous rendent votre collier comme je vous l'ai rendu en vous laissant deux cent mille livres de pot-de-vin, cela vous fera deux millions, plus le collier.

– Votre Majesté... s'écria Bœhmer ruisselant de sueur, dit bien qu'elle m'a rendu le collier ?

– Mais oui, je le dis, répliqua la reine tranquillement. Qu'avez-vous ?

– Quoi ! continua le joaillier, Votre Majesté nie m'avoir acheté le collier ?

– Ah çà ! mais quelle comédie jouons-nous, dit sévèrement la reine. Est-ce que ce maudit collier est destiné à faire toujours perdre la tête à quelqu'un ?

– Mais, reprit Bœhmer, tremblant de tous ses membres, c'est qu'il me semblait avoir entendu de la bouche même de Votre Majesté... qu'elle m'avait rendu, Votre Majesté a dit RENDU le collier de diamants.

La reine regarda Bœhmer en se croisant les bras.

– Heureusement, dit-elle, que j'ai là de quoi vous rafraîchir la mémoire, car vous êtes un homme bien oublieux, monsieur Bœhmer, pour ne rien dire de plus désagréable.

Elle alla droit à son chiffonnier, en tira un papier qu'elle ouvrit, qu'elle parcourut et qu'elle tendit lentement au malheureux Bœhmer.

– Le style est assez clair, dit-elle, je suppose. Et elle s'assit pour mieux regarder le joaillier pendant qu'il lisait.

Le visage de celui-ci exprima d'abord la plus complète incrédulité, puis, par degrés, l'effroi le plus terrible.

– Eh bien ! dit la reine. Vous reconnaissez ce reçu qui atteste en si bonne forme que vous avez repris le collier ; et, à moins que vous n'ayez oublié aussi que vous vous appelez Bœhmer...

– Mais, madame, s'écria Bœhmer étranglant de rage et de frayeur tout ensemble, ce n'est pas moi qui ai signé ce reçu-là.

La reine recula en foudroyant cet homme de ses deux yeux flamboyants.

– Vous niez ! dit-elle.

– Absolument... Dussé-je laisser ici ma liberté, ma vie, je n'ai jamais reçu le collier ; je n'ai jamais signé ce reçu. Le billot serait ici, le bourreau serait là, que je répéterais encore : non, Votre Majesté, ce reçu n'est pas de moi.

– Alors, monsieur, dit la reine en pâlissant légèrement, je vous ai donc volé, moi ; j'ai donc votre collier, moi ?

Bœhmer fouilla dans son portefeuille et en tira une lettre qu'il tendit à son tour à la reine...

– Je ne crois pas, madame, dit-il d'une voix respectueuse, mais altérée par l'émotion, je ne crois pas que si Votre Majesté m'avait voulu rendre le collier, elle eût écrit la reconnaissance que voici.

– Mais, s'écria la reine, qu'est-ce que ce chiffon ? Je n'ai jamais écrit cela, moi ! Est-ce que c'est là mon écriture ?

– C'est signé, dit Bœhmer pulvérisé.

– Marie-Antoinette de France... Vous êtes fou ! Est-ce que je suis de France, moi ? Est-ce que je ne suis pas archiduchesse d'Autriche ? Est-ce qu'il n'est pas absurde que j'aie écrit cela ! Allons donc, monsieur Bœhmer, le piège est trop grossier ; allez-vous-en le dire à vos faussaires.

– à mes faussaires... balbutia le joaillier, qui faillit s'évanouir en entendant ces paroles. Votre Majesté me soupçonne, moi, Bœhmer ?

– Vous me soupçonnez bien, moi, Marie-Antoinette ! dit la reine avec hauteur.

– Mais cette lettre, objecta-t-il encore en désignant le papier qu'elle tenait toujours.

– Et ce reçu, répliqua-t-elle, en lui montrant le papier qu'il n'avait pas quitté.

Bœhmer fut obligé de s'appuyer sur un fauteuil ; le parquet tourbillonnait sous lui. Il aspirait l'air à grands flots, et la couleur pourprée de l'apoplexie remplaçait la livide pâleur de la défaillance.

– Rendez-moi mon reçu, dit la reine, je le tiens pour bon, et reprenez votre lettre signée Antoinette de France ; le premier procureur vous dira ce que cela vaut.

En lui ayant jeté le billet, après avoir arraché le reçu de ses mains, elle tourna le dos et passa dans une pièce voisine, abandonnant à lui seul le malheureux qui n'avait plus une idée, et qui, contre toute étiquette, se laissa tomber dans un fauteuil.

Cependant, après quelques minutes qui servirent à le remettre, il s'élança, tout étourdi, de l'appartement, et vint retrouver Bossange, auquel il raconta l'aventure, de façon à se faire soupçonner fort par son associé.

Mais il répéta si bien et tant de fois son dire, que Bossange commença à arracher sa perruque, tandis que Bœhmer arrachait ses cheveux, ce qui fit, pour les gens qui passaient et dont le regard plongea dans la voiture, le spectacle le plus douloureux et le plus comique à la fois.

Cependant, comme on ne peut passer une journée entière dans un carrosse ; comme, après s'être arraché cheveux ou perruque on trouve le crâne, et que sous le crâne sont ou doivent être les idées, les deux joailliers trouvèrent celle de se réunir pour forcer, s'il était possible, la porte de la reine, et obtenir quelque chose qui ressemblât à une explication.

Ils s'acheminaient donc vers le château, dans un état à faire pitié, lorsqu'ils furent rencontrés par un des officiers de la reine qui les mandait l'un ou l'autre. Qu'on pense de leur joie et de leur empressement à obéir.

Ils furent introduits sans retard.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente