Le Collier de la Reine Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre LXXV
Escrime et diplomatie

Le lendemain entrait à Versailles, vers dix heures, une voiture aux armes de monsieur de Breteuil.

Ceux des lecteurs de ce livre qui se rappellent l'histoire de Balsamo et de Gilbert n'auront pas oublié que monsieur de Breteuil, rival et ennemi personnel de monsieur de Rohan, guettait depuis longtemps toutes les occasions de porter un coup mortel à son ennemi.

La diplomatie est en ceci d'autant supérieure à l'escrime, que, dans cette dernière science, une riposte bonne ou mauvaise doit être fournie en une seconde, tandis que les diplomates ont quinze ans, plus s'il le faut, pour combiner le coup qu'ils rendent et le faire le plus mortel possible.

Monsieur de Breteuil avait fait demander, une heure avant, audience au roi, et il trouva Sa Majesté qui s'habillait pour aller à la messe.

– Un temps superbe, dit Louis XVI tout joyeux, dès que le diplomate entra dans son cabinet ; un vrai temps d'Assomption : voyez donc, il n'y a pas un nuage au ciel.

– Je suis bien désolé, sire, d'apporter un nuage à votre tranquillité, répondit le ministre.

– Allons ! s'écria le roi en renfrognant sa bonne mine, voilà que la journée commence mal ; qu'y a-t-il ?

– Je suis bien embarrassé, sire, pour vous conter cela, d'autant que ce n'est pas, au premier abord, une affaire du ressort de mon ministère. C'est une sorte de vol, et cela regarderait le lieutenant de police.

– Un vol ! fit le roi. Vous êtes garde des Sceaux, et les voleurs finissent toujours par rencontrer la justice. Cela regarde monsieur le garde des Sceaux ; vous l'êtes, parlez.

– Eh bien, sire, voici ce dont il s'agit. Votre Majesté a entendu parler d'un collier de diamants ?

– Celui de monsieur Bœhmer.

– Oui, sire.

– Celui que la reine a refusé ?

– Précisément.

– Refus qui m'a valu un beau vaisseau : le Suffren, dit le roi en se frottant les mains.

– Eh bien ! sire, dit le baron de Breteuil, insensible à tout le mal qu'il allait faire, ce collier a été volé.

_ Ah ! tant pis, tant pis, dit le roi. C'était cher ; mais les diamants sont reconnaissables. Les couper serait perdre le fruit du vol. On les laissera entiers, la police les retrouvera.

– Sire, interrompit le baron de Breteuil, ce n'est pas un vol ordinaire. Il s'y mêle des bruits.

– Des bruits ! que voulez-vous dire ?

– Sire, on prétend que la reine a gardé le collier.

– Comment, gardé ? C'est en ma présence qu'elle l'a refusé, sans même le vouloir regarder. Folies, absurdités, baron ; la reine n'a pas gardé le collier.

– Sire, je ne me suis pas servi du mot propre ; les calomnies sont toujours si aveugles à l'égard des souverains, que l'expression est trop blessante pour les oreilles royales. Le mot gardé...

– Ah çà ! monsieur de Breteuil, dit le roi avec un sourire, on ne dit pas, je suppose, que la reine ait volé le collier de diamants.

– Sire, dit vivement monsieur de Breteuil, on dit que la reine a repris en dessous le marché rompu devant vous par elle ; on dit, et ici je n'ai pas besoin de répéter à Votre Majesté combien mon respect et mon dévouement méprisent ces infâmes suppositions ; on dit donc que les joailliers ont, de Sa Majesté la reine, un reçu attestant qu'elle garde le collier.

Le roi pâlit.

– On dit cela ! répéta-t-il, que ne dit-on pas ? mais cela m'étonne, après tout, s'écria-t-il. La reine aurait acheté en dessous main le collier que je ne la blâmerais point. La reine est une femme, le collier est une pièce rare et merveilleuse.

« Dieu merci ! la reine peut dépenser un million et demi à sa toilette, si elle l'a voulu. Je l'approuverai, elle n'aura eu qu'un tort, celui de me taire son désir. Mais ce n'est pas au roi de se mêler dans cette affaire ; elle regarde le mari. Le mari grondera sa femme s'il veut, ou s'il peut, je ne reconnais à personne le droit d'intervenir, même avec une médisance.

Le baron s'inclina devant ces paroles si nobles et si vigoureuses du roi, Mais Louis XVI n'avait que l'apparence de la fermeté. Un moment après l'avoir manifestée, il redevenait flottant, inquiet.

– Et puis, dit-il, que parlez-vous de vol ?... Vous avez dit vol, ce me semble ?... S'il y avait vol, le collier ne serait point dans les mains de la reine. Soyons logiques.

– Votre Majesté m'a glacé avec sa colère, dit le baron, et je n'ai pu achever.

– Oh ! ma colère !... Moi, en colère !... Pour cela, baron... baron...

Et le bon roi se mit à rire bruyamment.

– Tenez, continuez, et dites-moi tout ; dites-moi même que la reine a vendu le collier à des juifs. Pauvre femme, elle a souvent besoin d'argent, et je ne lui en donne pas toujours.

– Voilà précisément ce que j'allais avoir l'honneur de dire à Votre Majesté. La reine avait fait demander, il y a deux mois, cinq cent mille livres par monsieur de Calonne, et Votre Majesté a refusé de signer.

– C'est vrai.

– Eh bien ! sire, cet argent, dit-on, devait servir à payer le premier quartier des échéances souscrites pour l'achat du collier. La reine n'ayant pas eu d'argent a refusé de payer.

– Eh bien ? dit le roi, intéressé peu à peu, comme il arrive quand au doute succède un commencement de vraisemblance.

– Eh bien, sire, c'est ici que va commencer l'histoire que mon zèle m'ordonne de conter à Votre Majesté.

– Quoi ! vous dites que l'histoire commence ici ; qu'y a-t-il donc, mon Dieu ! s'écria le roi, trahissant ainsi sa perplexité aux yeux du baron, qui dès ce moment garda l'avantage.

– Sire, on dit que la reine s'est adressée à quelqu'un pour avoir de l'argent.

– à qui ? à un juif, n'est-ce pas ?

– Non, sire, pas à un juif.

– Eh mon Dieu ! vous me dites cela d'un air étrange, Breteuil. Allons, bien ! je devine ; une intrigue étrangère : la reine a demandé de l'argent à son frère, à sa famille. Il y a de l'Autriche là-dedans.

On sait combien le roi était susceptible à l'égard de la cour de Vienne.

– Mieux vaudrait, répliqua monsieur de Breteuil.

– Comment ! mieux vaudrait. Mais à qui donc la reine a-t-elle pu demander de l'argent ?

– Sire, je n'ose...

– Vous me surprenez, monsieur, dit le roi en relevant la tête et en reprenant le ton royal. Parlez sur-le-champ, s'il vous plaît, et nommez-moi ce prêteur d'argent.

– Monsieur de Rohan, sire.

– Eh bien ! mais vous ne rougissez pas de me citer monsieur de Rohan, l'homme le plus ruiné de ce royaume !

– Sire... dit monsieur de Breteuil en baissant les yeux.

– Voilà un air qui me déplaît, ajouta le roi ; et vous vous expliquerez tout à l'heure, monsieur le garde des Sceaux.

– Non, sire ; pour rien au monde, attendu que rien au monde ne me forcerait à laisser tomber de mes lèvres un mot compromettant pour l'honneur de mon roi et celui de ma souveraine.

Le roi fronça le sourcil.

– Nous descendons bien bas, monsieur de Breteuil, dit-il ; ce rapport de police est tout imprégné des vapeurs de la sentine d'où il sort.

– Toute calomnie exhale des miasmes mortels, sire, et voilà pourquoi il faut que les rois purifient, et par de grands moyens, s'ils ne veulent pas que leur honneur soit tué par ces poisons, même sur le trône.

– Monsieur de Rohan ! murmura le roi ; mais quelle vraisemblance ?... Le cardinal laisse donc dire ?...

– Votre Majesté se convaincra, sire, que monsieur de Rohan a été en pourparlers avec les joailliers Bœhmer et Bossange ; que l'affaire de la vente a été réglée par lui, qu'il a stipulé et pris des conditions de paiement.

– En vérité ! s'écria le roi tout troublé par la jalousie et la colère.

– C'est un fait que le plus simple interrogatoire prouvera. Je m'y engage envers Votre Majesté.

– Vous dites que vous vous y engagez ?

– Sans réserve, sous ma responsabilité, sire.

Le roi se mit à marcher vivement dans son cabinet.

– Voilà de terribles choses, répétait-il ; et oui, mais dans tout cela je ne vois pas encore ce vol.

– Sire, les joailliers ont un reçu signé, disent-ils, de la reine, et la reine doit avoir le collier.

– Ah ! s'écria le roi, avec une explosion d'espoir ; elle nie ! vous voyez bien qu'elle nie, Breteuil.

– Eh ! sire, ai-je jamais laissé croire à Votre Majesté que je ne savais pas l'innocence de la reine ? Serais-je assez à plaindre pour que Votre Majesté ne vît pas tout le respect, tout l'amour qui sont dans mon cœur pour la plus pure des femmes !

– Vous n'accusez que monsieur de Rohan, alors...

– Mais sire, l'apparence conseille...

– Grave accusation, baron.

– Qui tombera peut-être devant une enquête ; mais l'enquête est indispensable. Songez donc, sire, que la reine prétend n'avoir pas le collier ; que les joailliers prétendent l'avoir vendu à la reine ; que le collier ne se retrouve pas, et que le mot vol a été prononcé dans le peuple, entre le nom de monsieur de Rohan et le nom sacré de la reine.

– Il est vrai, il est vrai, dit le roi tout bouleversé ; vous avez raison, Breteuil ; il faut que toute cette affaire soit éclaircie.

– Absolument, sire.

– Mon Dieu ! qu'est-ce qui passe là-bas dans la galerie ? Est-ce que ce n'est pas monsieur de Rohan qui se rend à la chapelle ?

– Pas encore, sire ; monsieur de Rohan ne peut se rendre à la chapelle. Il n'est pas onze heures, et puis monsieur de Rohan, qui officie aujourd'hui, serait revêtu de ses habits pontificaux. Ce n'est pas lui qui passe. Votre Majesté dispose encore d'une demi-heure.

– Que faire alors ? Lui parler ? Le faire venir ?

– Non, sire ; permettez-moi de donner un conseil à Votre Majesté ; n'ébruitez pas l'affaire avant d'avoir causé avec Sa Majesté la reine.

– Oui, dit le roi, elle me dira la vérité.

– N'en doutons pas un seul instant, sire.

– Voyons, baron, mettez-vous là, et, sans réserve, sans atténuation, dites-moi chaque fait, chaque commentaire.

– J'ai tout détaillé dans ce portefeuille, avec les preuves à l'appui.

– à la besogne alors, attendez que je fasse fermer la porte de mon cabinet ; j'avais deux audiences ce matin, je les remettrai.

Le roi donna ses ordres, et, se rasseyant, jeta un dernier regard par la fenêtre.

– Cette fois, dit-il, c'est bien le cardinal, regardez.

Breteuil se leva, s'approcha de la fenêtre, et derrière le rideau aperçut monsieur de Rohan qui, en grand habit de cardinal et d'archevêque, se dirigeait vers l'appartement qui lui était désigné chaque fois qu'il venait officier solennellement à Versailles.

– Le voici enfin arrivé, s'écria le roi en se levant.

– Tant mieux, dit monsieur de Breteuil, l'explication ne souffrira aucun délai.

Et il se mit à renseigner le roi avec tout le zèle d'un homme qui en veut perdre un autre.

Un art infernal avait réuni dans son portefeuille tout ce qui pouvait accabler le cardinal. Le roi voyait bien s'entasser l'une sur l'autre les preuves de la culpabilité de monsieur de Rohan, mais il se désespérait de ne pas voir arriver assez vite les preuves de l'innocence de la reine.

Il souffrait impatiemment ce supplice depuis un quart d'heure, lorsque tout à coup des cris retentirent dans la galerie voisine.

Le roi prêta l'oreille, Breteuil interrompit sa lecture.

Un officier vint gratter à la porte du cabinet.

– Qu'y a-t-il ? demanda le roi, dont tous les nerfs étaient mis en jeu depuis la révélation de monsieur de Breteuil.

L'officier se présenta.

– Sire, Sa Majesté la reine prie Votre Majesté de vouloir bien passer chez elle.

– Il y a du nouveau, dit le roi en pâlissant.

– Peut-être, dit Breteuil.

– Je vais chez la reine, s'écria le roi. Attendez-nous ici, monsieur de Breteuil.

– Bien, nous touchons au dénouement, murmura le garde des Sceaux.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente