Le Collier de la Reine Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre LXXVIII
L'arrestation

à peine le roi parut-il au seuil du cabinet que la reine l'interpella avec une volubilité extraordinaire.

– Sire, dit-elle, voici monsieur le cardinal de Rohan qui dit des choses bien incroyables ; veuillez donc le prier de vous les répéter.

à ces paroles inattendues, à cette apostrophe soudaine, le cardinal pâlit. En effet, la position était si étrange, que le prélat cessait de comprendre. Pouvait-il répéter à son roi, le prétendu amant, pouvait-il déclarer au mari, le sujet respectueux, tout ce qu'il croyait avoir de droits sur la reine et sur la femme ?

Mais le roi se retournant vers le cardinal, absorbé dans ses réflexions :

– à propos d'un certain collier, n'est-ce pas, monsieur, dit-il, vous avez des choses incroyables à me dire, et moi des choses incroyables à entendre ? Parlez donc, j'écoute.

Monsieur de Rohan prit sur-le-champ son parti : des deux difficultés il choisirait la moindre ; des deux attaques, il subirait la plus honorable pour le roi et la reine ; et si, imprudemment, on le jetait dans le second péril, eh bien ! il en sortirait comme un brave homme et comme un chevalier.

– à propos du collier, oui, sire, murmura-t-il.

– Mais, monsieur, dit le roi, vous avez donc acheté le collier ?

– Sire...

– Oui ou non ?

Le cardinal regarda la reine et ne répondit pas.

– Oui ou non ? répéta-t-elle. La vérité, monsieur, la vérité ; on ne vous demande pas autre chose.

Monsieur de Rohan détourna la tête et ne répliqua point.

– Puisque monsieur de Rohan ne veut pas répondre, répondez, vous, madame, dit le roi ; vous devez savoir quelque chose de tout cela. Avez-vous acheté, oui ou non, ce collier ?

– Non ! dit la reine avec force.

Monsieur de Rohan tressaillit.

– Voici une parole de reine ! s'écria le roi avec solennité ; prenez-y garde, monsieur le cardinal.

Monsieur de Rohan laissa glisser sur ses lèvres un sourire de mépris.

– Vous ne dites rien ? fit le roi.

– De quoi m'accuse-t-on, sire ?

– Les joailliers disent avoir vendu un collier, à vous ou à la reine. Ils montrent un reçu de Sa Majesté.

– Le reçu est faux ! dit la reine.

– Les joailliers, continua le roi, disent qu'à défaut de la reine, ils sont garantis par des engagements que vous avez pris, monsieur le cardinal.

– Je ne refuse pas de payer, sire, dit monsieur de Rohan. Il faut bien que ce soit la vérité, puisque la reine le laisse dire.

Et un second regard, plus méprisant que le premier, termina sa phrase et sa pensée.

La reine frissonna. Ce mépris du cardinal n'était pas pour elle une insulte, puisqu'elle ne la méritait pas, mais ce devait être la vengeance d'un honnête homme, elle s'effraya.

– Monsieur le cardinal, reprit le roi, il ne reste pas moins dans cette affaire un faux qui a compromis la signature de la reine de France.

– Un autre faux, s'écria la reine, et celui-là peut-il être imputé à un gentilhomme, c'est celui qui prétend que les joailliers ont repris le collier.

– Libre à la reine, dit monsieur de Rohan du même ton, de m'attribuer les deux faux ; en avoir fait un, en avoir fabriqué deux, où est la différence ?

La reine faillit éclater d'indignation, le roi la retint d'un geste.

– Prenez garde, dit-il encore au cardinal, vous aggravez votre position, monsieur. Je vous dis : Justifiez-vous, et vous avez l'air d'accuser.

Le cardinal réfléchit un moment ; puis, comme s'il succombait sous le poids de cette mystérieuse calomnie qui étreignait son honneur :

– Me justifier, dit-il, impossible !

– Monsieur, il y a là des gens qui disent qu'un collier leur a été volé ; en proposant de le payer vous avouez que vous êtes coupable.

– Qui le croira ? dit le cardinal avec un superbe dédain.

– Alors, monsieur, si vous ne supposez pas qu'on le croie, on croira donc.

Et un frissonnement de colère bouleversa le visage ordinairement si placide du roi...

– Sire, je ne sais rien de ce qui s'est dit, reprit le cardinal, je ne sais rien de ce qui s'est fait ; tout ce que je puis affirmer, c'est que je n'ai pas eu le collier ; tout ce que je puis affirmer, c'est que les diamants sont au pouvoir de quelqu'un qui devrait se nommer, qui ne le veut pas, et me force ainsi à lui dire cette parole de l'écriture : Le mal retombe sur la tête de celui qui l'a commis.

à ces mots, la reine fit un mouvement pour prendre le bras du roi, qui lui dit :

– Le débat est entre vous et lui, madame. Une dernière fois, avez-vous ce collier ?

– Non ! sur l'honneur de ma mère, sur la vie de mon fils ! répondit la reine.

Le roi, plein de joie après cette déclaration, se tourna vers le cardinal :

– Alors, c'est une affaire entre la justice et vous, monsieur, dit-il ; à moins que vous ne préfériez vous en rapporter à ma clémence.

– La clémence des rois est faite pour les coupables, sire, répondit le cardinal ; je lui préfère la justice des hommes.

– Vous ne voulez rien avouer ?

– Je n'ai rien à dire.

– Mais enfin, monsieur ! s'écria la reine, votre silence laisse mon honneur en jeu !

Le cardinal se tut.

– Eh bien ! moi, je ne me tairai pas, continua la reine ; ce silence me brûle, il atteste une générosité dont je ne veux pas. Apprenez, sire, que tout le crime de monsieur le cardinal n'est pas dans la vente ou dans le vol du collier.

Monsieur de Rohan releva la tête et pâlit.

– Qu'est-ce à dire ? fit le roi inquiet.

– Madame !... murmura le cardinal épouvanté.

– Oh ! nulle raison, nulle crainte, nulle faiblesse ne me fermera la bouche ; j'ai là, dans mon cœur, des motifs qui me pousseraient à crier mon innocence sur une place publique.

– Votre innocence ! dit le roi. Eh ! madame, qui serait assez téméraire ou assez lâche pour obliger Votre Majesté à prononcer ce mot !

– Je vous supplie, madame, dit le cardinal.

– Ah ! vous commencez à trembler. J'avais donc deviné juste ; vos complots aiment l'ombre ! à moi le grand jour ! Sire, sommez monsieur le cardinal de vous dire ce qu'il m'a dit tout à l'heure, ici, à cette place.

– Madame ! madame ! fit monsieur de Rohan, prenez garde ; vous passez les bornes.

– Plaît-il ? fit le roi avec hauteur. Qui donc parle ainsi à la reine ? Ce n'est pas moi, je suppose ?

– Voilà justement, sire, dit Marie-Antoinette. Monsieur le cardinal parle ainsi à la reine, parce qu'il prétend en avoir le droit.

– Vous, monsieur ! murmura le roi devenu livide.

– Lui ! s'écria la reine avec mépris, lui !

– Monsieur le cardinal a des preuves ? reprit le roi en faisant un pas vers le prince.

– Monsieur de Rohan a des lettres, à ce qu'il dit ! fit la reine.

– Voyons, monsieur ! insista le roi.

– Ces lettres ! cria la reine avec emportement, ces lettres !

Le cardinal passa la main sur son front glacé par la sueur, et sembla demander à Dieu comment il avait pu former dans la créature tant d'audace et de perfidie. Mais il se tut.

– Oh ! ce n'est pas tout, poursuivit la reine, qui s'animait peu à peu sous l'influence de sa générosité même, monsieur le cardinal a obtenu des rendez-vous.

– Madame ! par pitié ! fit le roi.

– Par pudeur ! dit le cardinal.

– Enfin ! monsieur, reprit la reine, si vous n'êtes pas le dernier des hommes, si vous tenez quelque chose pour sacré en ce monde, vous avez des preuves, fournissez-les.

Monsieur de Rohan releva lentement la tête et répliqua :

– Non ! madame, je n'en ai pas.

– Vous n'ajouterez pas ce crime aux autres, continua la reine, vous n'entasserez pas sur moi opprobre après opprobre. Vous avez une aide, une complice, un témoin dans tout ceci : nommez-le, ou nommez-la.

– Qui donc ? s'écria le roi.

– Madame de La Motte, sire, fit la reine.

– Ah ! dit le roi, triomphant de voir enfin que ses préventions contre Jeanne se trouvaient justifiées ; allons donc ! Eh bien ! qu'on la voie, cette femme, qu'on l'interroge.

– Ah ! bien oui ! s'écria la reine, elle a disparu. Demandez à monsieur ce qu'il en a fait. Il avait trop d'intérêt à ce qu'elle ne fût pas en cause.

– D'autres l'auront fait disparaître, répliqua le cardinal, qui avaient encore plus intérêt que moi. C'est ce qui fait qu'on ne la retrouvera point.

– Mais, monsieur, puisque vous êtes innocent, dit la reine avec fureur, aidez-nous donc à trouver les coupables.

Mais le cardinal de Rohan, après avoir lancé un dernier regard, tourna le dos et croisa ses bras.

– Monsieur ! dit le roi offensé, vous allez vous rendre à la Bastille.

Le cardinal s'inclina, puis, d'un ton assuré :

– Ainsi vêtu ? dit-il, dans mes habits pontificaux ? devant toute la cour ? Veuillez y réfléchir, sire, le scandale est immense. Il n'en sera que plus lourd pour la tête sur laquelle il retombera.

– Je le veux ainsi, fit le roi fort agité.

– C'est une douleur injuste que vous faites prématurément subir à un prélat, sire, et la torture avant l'accusation, ce n'est pas légal.

– Il faut qu'il en soit ainsi, répondit le roi en ouvrant la porte de la chambre, pour chercher des yeux quelqu'un à qui transmettre son ordre.

Monsieur de Breteuil était là ; ses yeux dévorants avaient deviné dans l'exaltation de la reine, dans l'agitation du roi, dans l'attitude du cardinal, la ruine d'un ennemi.

Le roi n'avait pas achevé de lui parler bas, que le garde des Sceaux, usurpant les fonctions du capitaine des gardes, cria d'une voix éclatante, qui retentit jusqu'au fond des galeries :

– Arrêtez monsieur le cardinal !

Monsieur de Rohan tressaillit. Les murmures qu'il entendit sous les voûtes, l'agitation des courtisans, l'arrivée subite des gardes du corps donnaient à cette scène un caractère de sinistre augure.

Le cardinal passa devant la reine sans la saluer, ce qui fit bouillir le sang de la fière princesse. Il s'inclina très humblement en passant devant le roi, et prit en passant près de monsieur de Breteuil une expression de pitié si habilement nuancée, que le baron dut croire qu'il ne s'était pas assez vengé.

Un lieutenant des gardes s'approcha timidement et sembla demander au cardinal lui-même la confirmation de l'ordre qu'il venait d'entendre.

_ Oui, monsieur, lui dit monsieur de Rohan ; oui, c'est bien moi qui suis arrêté.

– Vous conduirez monsieur à son appartement, en attendant ce que j'aurai décidé pendant la messe, dit le roi au milieu d'un silence de mort.

Le roi demeura seul chez la reine, portes ouvertes, tandis que le cardinal s'éloignait lentement par la galerie, précédé du lieutenant des gardes, le chapeau à la main.

– Madame, dit le roi haletant, parce qu'il s'était contenu à grand-peine, vous savez que cela aboutit à un jugement public, c'est-à-dire à un scandale, sous lequel tombera l'honneur des coupables ?

– Merci ! s'écria la reine en serrant avec effusion les mains du roi, vous avez choisi le seul moyen de me justifier.

– Vous me remerciez.

– De toute mon âme. Vous avez agi en roi ! moi, en reine ! croyez-le bien.

– C'est bien, répondit le roi, comblé d'une vive joie, nous aurons raison enfin de toutes ces bassesses. Quand le serpent aura été une fois pour toutes écrasé par vous et par moi, nous vivrons tranquilles, j'espère.

Il baisa la reine au front et rentra chez lui.

Cependant, à l'extrémité de la galerie, monsieur de Rohan avait trouvé Bœhmer et Bossange à moitié évanouis dans les bras l'un de l'autre.

Puis, à quelque pas de là, le cardinal aperçut son coureur qui, effaré de ce désastre, guettait un regard de son maître.

– Monsieur, dit le cardinal à l'officier qui le guidait, en passant toute cette journée ici, je vais inquiéter bien du monde ; est-ce que je ne puis annoncer chez moi que je suis arrêté ?

– Oh ! monseigneur, pourvu que nul ne vous voie, dit le jeune officier.

Le cardinal remercia ; puis, adressant la parole en allemand à son coureur, il écrivit quelques mots sur une page de son missel, qu'il déchira.

Et derrière l'officier, qui guettait pour ne pas être surpris, le cardinal roula cette feuille et la laissa tomber.

– Je vous suis, monsieur, dit-il à l'officier.

En effet, ils disparurent tous deux.

Le coureur fondit sur ce papier comme un vautour sur sa proie, s'élança hors du château, enfourcha son cheval et s'enfuit vers Paris.

Le cardinal put le voir aux champs, par une des fenêtres de l'escalier qu'il descendait avec son guide.

– Elle me perd, murmura-t-il ; je la sauve ! C'est pour vous, mon roi, que j'agis ; c'est pour vous, mon Dieu ! qui commandez le pardon des injures ; c'est pour vous que je pardonne aux autres... Pardonnez-moi !

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