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Chapitre LIII
Les amies

Pendant que Paris bouillonnait comme l'intérieur d'une fournaise, madame de Monsoreau escortée par son père et deux de ces serviteurs qu'on recrutait alors comme des troupes auxiliaires pour une expédition, s'acheminait vers le château de Méridor, par étapes de dix lieues à la journée.
Elle aussi commençait à goûter cette liberté précieuse aux gens qui ont souffert.
L'azur du ciel et de la campagne, comparé à ce ciel toujours menaçant, suspendu comme un crêpe sur les tours noires de la Bastille, les feuillages déjà verts, les belles routes se perdant comme de longs rubans onduleux dans le fond des bois tout cela lui paraissait frais et jeune, riche et nouveau, comme si réellement elle fût sortie du cercueil où la croyait plongée son père.
Lui, le vieux baron, était rajeuni de vingt ans.
A le voir d'aplomb sur ses étriers, et talonnant le vieux Jarnac, on eût pris le noble seigneur pour un de ces époux barbons qui accompagnent leur jeune fiancée en veillant amoureusement sur elle.
Nous n'entreprendrons pas de décrire ce long voyage.
Il n'eut d'autres incidents que le lever et le coucher du soleil.
Quelquefois impatiente, Diane se jetait à bas de son lit, lorsque la lune argentait les vitres de sa chambre d'hôtellerie, réveillait le baron, secouait le lourd sommeil de ses gens et l'on partait, par un beau clair de lune, pour gagner quelques lieues sur le long chemin que la jeune femme trouvait infini.
Il fallait d'autres fois la voir, en pleine marche, laisser passer devant Jarnac, tout fier de devancer les autres, puis les serviteurs, et demeurer seule en arrière sur un tertre, afin de regarder dans la profondeur de la vallée si quelqu'un ne suivait pas... Et lorsque la vallée était déserte, lorsque Diane n'avait aperçu que les troupeaux épars dans le pâturage, ou le clocher silencieux de quelque bourg dressé au bout de la route, elle revenait plus impatiente que jamais.
Alors son père, qui l'avait suivie du coin de l'oeil, lui disait :
- Ne crains rien, Diane.
- Craindre quoi, mon père ?
- Ne regardes-tu pas si M. de Monsoreau te suit ?
- Ah ! c'est vrai... Oui, je regardais cela, disait la jeune femme avec un nouveau regard en arrière.
Ainsi, de crainte en crainte, d'espoir en déception, Diane arriva, vers la fin du huitième jour, au château de Méridor, et fut reçue au pont-levis par madame de Saint-Luc et son mari, devenus châtelains en l'absence du baron.
Alors commença pour ces quatre personnes une de ces existences comme tout homme en a rêvé en lisant Virgile et Théocrite.
Le baron et Saint-Luc chassaient du matin au soir. Sur les traces de leurs chevaux s'élançaient les piqueurs.
On voyait des avalanches de chiens rouler du haut des collines à la poursuite d'un lièvre ou d'un renard et quand le tonnerre de cette cavalcade furieuse passait dans les bois, Diane et Jeanne, assises l'une auprès de l'autre sur la mousse, à l'ombre de quelque hallier, tressaillaient un moment et reprenaient bientôt leur tendre et mystérieuse conversation.
- Raconte-moi, disait Jeanne, raconte-moi tout ce qui t'est arrivé dans la tombe, car tu étais bien morte pour nous... Vois, l'aubépine en fleurs nous jette ses dernières miettes de neige, et les sureaux envoient leurs parfums enivrants. Un doux soleil se joue aux grandes branches des chênes. Pas un souffle dans l'air, pas un être vivant dans le parc, car les daims se sont enfuis tout à l'heure en sentant trembler la terre, et les renards ont bien vite gagné le terrier... Raconte, petite soeur, raconte.
- Que te disais-je ?
- Tu ne me disais rien. Tu es donc heureuse ?... Oh ! cependant ce bel oeil noyé dans une ombre bleuâtre, cette pâleur nacrée de tes joues, ce vague élan de la paupière, tandis que la bouche essaie un sourire jamais achevé... Diane, tu dois avoir bien des choses à me dire.
- Rien, rien.
- Tu es donc heureuse... avec M. de Monsoreau ?
Diane tressaillit.
- Tu vois bien ! fit Jeanne avec un tendre reproche.
- Avec M. de Monsoreau ! répéta Diane. Pourquoi as-tu prononcé ce nom ? pourquoi viens-tu évoquer ce fantôme au milieu de nos bois, au milieu de nos fleurs, au milieu de notre bonheur ?...
- Bien, je sais maintenant pourquoi tes beaux yeux sont cerclés de bistre, et pourquoi ils se lèvent si souvent vers le ciel ; mais je ne sais pas encore pourquoi ta bouche essaie de sourire.
Diane secoua tristement la tête.
- Tu m'as dit, je crois, continua Jeanne en entourant de son bras blanc et rond les épaules de Diane, tu m'as dit que M. de Bussy t'avait montré beaucoup d'intérêt...
Diane rougit si fort que son oreille, si délicate et si ronde, parut tout à coup enflammée.
- C'est un charmant cavalier que M. de Bussy, dit Jeanne.
Et elle chanta :

          Un beau chercheur de noise,
          C'est le seigneur d'Amboise.

Diane appuya sa tête sur le sein de son amie, et murmura d'une voix plus douce que celle des fauvettes qui chantaient sous la feuillée :

          Tendre, fidèle aussi,
          C'est le brave...

- Bussy !... dis-le donc, acheva Jeanne en appuyant un joyeux baiser sur les yeux de son amie.
- Assez de folies, dit Diane tout à coup. M. de Bussy ne pense plus à Diane de Méridor.
- C'est possible, dit Jeanne, mais je croirais assez qu'il plaît beaucoup à Diane de Monsoreau.
- Ne me dis pas cela.
- Pourquoi ? est-ce que cela te déplaît ?
Diane ne répondit pas.
- Je te dis que M. de Bussy ne songe pas à moi... et il fait bien... Oh ! j'ai été lâche..., murmura la jeune femme.
- Que dis-tu là ?
- Rien, rien.
- Voyons, Diane, tu vas recommencer à pleurer à t'accuser... Toi, lâche ! toi, mon héroïne , tu as été contrainte.
- Je le croyais... je voyais des dangers, des gouffres sous mes pas... A présent, Jeanne, ces dangers me semblent chimériques, ces gouffres un enfant pouvait les franchir d'une enjambée. J'ai été lâche, te dis-je ; oh ! que n'ai-je eu le temps de réfléchir !...
- Tu me parles par énigmes.
- Non, ce n'est pas encore cela, s'écria Diane en se levant dans un désordre extrême. Non, ce n'est pas ma faute, c'est lui, Jeanne, c'est lui qui n'a pas voulu. Je me rappelle la situation qui me semblait terrible ; j'hésitais, je flottais... mon père m'offrait son appui et j'avais peur...lui, lui m'offrait sa protection... mais il ne l'a pas offerte de façon à me convaincre. Le duc d'Anjou était contre lui, le duc d'Anjou s'était ligué avec M. de Monsoreau, diras-tu. Eh bien ! qu'importent le duc d'Anjou et le comte de Monsoreau ! Quand on veut bien une chose, quand on aime bien quelqu'un, oh ! il n'y aurait ni prince ni maître qui me retiendrait. Vois-tu, Jeanne, si une fois j'aimais...
Et Diane, en proie à son exaltation, s'était adossée à un chêne, comme si, l'âme ayant brisé le corps, celui-ci n'eût plus renfermé assez de force pour se soutenir.
- Voyons, calme-toi, chère amie, raisonne...
- Je te dis que nous avons été lâches.
- Nous... Oh ! Diane, de qui parles-tu là ? Ce nous est éloquent, ma Diane chérie...
- Je veux dire mon père et moi ; j'espère que tu n'entends pas autre chose... Mon père est un bon gentilhomme, qui pouvait parler au roi ; moi, je suis fière et ne crains pas un homme quand je le hais... Mais, vois-tu ! le secret de cette lâcheté, le voici : j'ai compris qu'il ne m'aimait pas.
- Tu te mens à toi-même !... s'écria Jeanne ; si tu croyais cela, au point où je te vois, tu irais le lui reprocher à lui-même... Mais tu ne le crois pas, tu sais le contraire, hypocrite, ajouta-t-elle avec une tendre caresse pour son amie.
- Tu es payée pour croire à l'amour, toi, répliqua Diane en reprenant sa place auprès de Jeanne ; toi que M. de Saint-Luc a épousée malgré un roi ! toi qu'il a enlevée du milieu de Paris ; toi qu'on a poursuivie peut-être et qui le payes, par tes caresses, de la proscription et de l'exil !
- Et il se trouve richement payé, dit l'espiègle jeune femme.
- Mais moi, réfléchis un peu et ne sois pas égoïste, moi que ce fougueux jeune homme prétend aimer, moi qui ai fixé les regards de l'indomptable Bussy, cet homme qui ne connaît pas d'obstacles, je me suis mariée publiquement, je me suis offerte aux yeux de toute la cour, et il ne m'a pas regardée ; je me suis confiée à lui dans le cloître de la Gypecienne ; nous étions seuls, il avait Gertrude, le Haudouin, ses deux complices, et moi ! plus complice encore... Oh ! j'y songe, par l'église même, un cheval à la porte, il pouvait m'enlever dans un pan de son manteau ! A ce moment, vois-tu, je le sentais souffrant, désolé à cause de moi ; je voyais ses yeux languissants, sa lèvre pâlie et brûlée par la fièvre. S'il m'avait demandé de mourir pour rendre l'éclat à ses yeux, la fraîcheur à sa lèvre, je serais morte... Eh bien ! je suis partie, et il n'a pas songé à me retenir par un coin de mon voile. Attends, attends encore... Oh ! tu ne sais pas ce que je souffre... Il savait que je quittais Paris, que je revenais à Méridor ; il savait que M. de Monsoreau... tiens, j'en rougis... que M. de Monsoreau n'est pas mon époux ; il savait que je venais seule, et tout le long de la route, chère Jeanne, je me suis retournée, croyant à chaque instant que j'entendais le galop de son cheval derrière nous. Rien ! c'était l'écho du chemin qui parlait ! Je te dis qu'il ne pense pas à moi, et que je ne vaux pas un voyage en Anjou quand il y a tant de femmes belles et courtoises à la cour du roi de France, dont un sourire vaut cent aveux de la provinciale enterrée dans les halliers de Méridor. Comprends-tu maintenant ? Es-tu convaincue ? ai-je raison ? suis-je oubliée, méprisée, ma pauvre Jeanne ?
Elle n'avait pas achevé ces mots que le feuillage du chêne craqua violemment ; une poussière de mousse et de plâtre brisé roula le long du vieux mur, et un homme, bondissant du milieu des lierres et des mûriers sauvages, vint tomber aux pieds de Diane, qui poussa un cri terrible.
Jeanne s'était écartée, elle avait vu et reconnu cet homme.
- Vous voyez bien que me voici, murmura Bussy agenouillé en baisant le bas de la robe de Diane, qu'il tenait respectueusement dans sa main tremblante.
Diane reconnut à son tour la voix, le sourire du comte, et saisie au coeur, hors d'elle-même, suffoquée par ce bonheur inespéré, elle ouvrit ses bras et se laissa tomber, privée de sentiment, sur la poitrine de celui qu'elle venait d'accuser d'indifférence.

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