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Chapitre XLVIII
Où le Comte d'Artois et Christian parlent raison

« Vous dites donc, mon cher Christian, continua le prince, qu'Ingénue est au pouvoir de cet homme ?
- Oui.
- Et qu'il la possède ?
- J'en ai peur.
- Une question !
- Parlez, mon prince.
- Vous aime-t-elle ?
- Monseigneur, je ne sais.
- Comment cela ?
- Non, puisqu'elle a consenti à se marier ; mais, cependant...
- Bon ! vous le croyez ?
- Mon Dieu, monseigneur, Votre Altesse comprend que, quand je regarde ce misérable souillé de crimes qu'il reflète sur son visage, et que je me regarde moi-même, eh bien, je l'avoue, il me paraît probable qu'Ingénue me préfère à son mari.
- Mon cher, il faut vous en assurer, cela est de première nécessité ; si elle vous aime, elle ne sera jamais à cet homme-là.
- Monseigneur !
- Dame ! je comprends, ce n'est point suffisant pour vous.
- Non.
- Il faudrait qu'elle vous appartînt, n'est-ce pas ?
- Hélas ! oui, monseigneur.
- Cela, mon cher, c'est une affaire entre vous et elle, et je ne puis rien vous conseiller à cet égard.
- Est-ce que, demanda en hésitant le jeune homme, est-ce que Votre Altesse royale ne pourrait pas user de son influence pour faire casser le mariage ?
- J'y ai pensé, parbleu ! mais sous quel prétexte ? Réfléchissez y ! Le monde est, à cette heure, aux alliances de vertu ; Ingénue est du peuple, Auger aussi ; le drôle – vous savez cela – se pose comme un transfuge de nos rangs, il fuit notre corruption. Son mariage avec une plébéienne l'a retrempé dans l'esprit public ; si nous attaquons ce mariage, si nous obtenons qu'il soit rompu, je vois d'ici tous les écrivailleurs tremper leur plume dans le venin ! Prenons garde !
- Enfin, monseigneur, cet homme habitera-t-il ou non avec elle ?
- Je vous l'ai dit, allez tout droit vous en informer, mon cher ! Vous devez une explication à cette enfant. Choisissez bien votre temps surtout ; n'allez pas vous trouver dans le domicile conjugal pour fournir au mari le prétexte d'un léger assassinat sous couleur de jalousie. On ne roue plus, on ne pend presque pas, et mon frère parle de supprimer tout à fait la peine de mort ; ce gaillard d'Auger vous tuerait, au grand contentement des patriotes, qui verraient la morale vengée par votre mort. Prenez garde, mon cher ! prenez garde !
- Je vous l'ai dit, monseigneur, il ne me reste d'autre moyen que l'enlèvement.
- Oui, mais vous partez, vous ; et moi, je reste. C'est donc sur moi que tombera l'orage... Après tout, si cela peut vous être utile, laissez-moi sous la gouttière, et ne vous inquiétez de rien.
- Oh ! monseigneur, vous le comprenez, n'est-ce pas ? plutôt mourir de chagrin que de vous causer l'ombre d'un déplaisir !
- Merci !... En vérité, vous me rendez service ; on m'a fait si impopulaire depuis quelque temps, qu'au lieu de servir de bouc émissaire, je crois qu'il me serait fort utile d'en trouver un pour moi-même. Laissez-moi donc à l'écart ; ce sera même très bien joué, je vous le jure. Sorti de cette affaire, je vous serai d'un secours bien plus grand comme allié que comme complice. Comptez sur moi le jour comme la nuit ; guettez une bonne occasion, et, quand elle se présentera, venez me chercher pour que je vous aide à en profiter. Eh ! mon Dieu, il y a tant d'événements dans la vie d'une femme !
- Enfin, monseigneur, une dernière idée : si j'insultais, ou si je me faisais insulter, et que j'appelasse ce coquin en duel, je le tuerais !
- Peuh ! fit le comte ; l'idée, permettez-moi de vous le dire, me paraît médiocre. D'abord, vous, bon gentilhomme, vous va-t-il de provoquer un laquais ? puis ce laquais provoqué acceptera-t-il ? Maintenant, supposons qu'il accepte, ce sera toujours du bruit ; et puis le drôle a déjà pris ses précautions, ou je ne le connais point. Je vous parie, comme dirait M. le duc d'Orléans, que maître Auger, en ce moment-ci, fait assurer sa vie par-devant notaire, et dépose, sous forme de testament, quelque affreux libelle dont nous serions menacés en cas de mort.
- Hélas ! monseigneur, je suis forcé d'avouer que vous avez toujours raison.
- Alors, vous n'avez plus d'idées à me donner ?
- Aucune, monseigneur.
- Cherchez bien !
- Je ne trouve pas.
- Vous ne voyez donc plus absolument rien à faire ?
- Rien.
- Eh bien, à mon tour, je vais voir si je ne serai pas plus heureux que vous.
- Oh ! monseigneur !
- Je n'ai qu'une idée, moi.
- Qu'importe, si elle est bonne ?
- J'espère que vous en serez content.
- Merci !
- Je vous dois bien cela, pardieu !... J'ai failli vous prendre très innocemment cette petite femme ; je vais vous la rendre, voilà tout.
- Ah ! monseigneur que vous y réussissiez ou non, je vous jure une reconnaissance éternelle !
- Bah ! vous êtes à moi, n'est-ce pas ?
- De corps et d'âme, mon prince.
- Un jour ou l'autre, vous me donnerez une portion de votre sang, peut-être tout même ! Eh bien, ce jour-là, vous m'aurez beaucoup trop payé ; prenez des acomptes ! »
Christian, sans prononcer une parole, fit du geste et de la pensée un serment qui éclata sur sa physionomie loyale.
« Oh ! je suis sûr de vous, dit le comte d'Artois en souriant ; maintenant, écoutez-moi. »
Christian redoubla d'attention.
« Vous vous donnez un mal de tous les diables à combiner un enlèvements un divorce, un assassinat, un duel – appelez cela comme vous voudrez – pour arriver à quoi ? A posséder à vous, bien à vous, la petite femme.
- Hé ! c'est vrai, monseigneur.
- Seulement, vous ne vous donnez tant de mal que parce que vous essayez de trouver un moyen vertueux d'ôter cette femme à son mari.
- Oui, le plus vertueux, en effet ; c'est peut-être risible, mais enfin, c'est ainsi.
- Eh bien, analysez... Vous m'avez d'abord parlé d'un enlèvement : ici, vous privez la fille de son père, le père de sa fille. Je ne parle plus du scandale, la question est vidée entre nous. Oh ! ne venez point me dire que le père Rétif s'en ira vivre avec vous ; j'estime que, fît-il cela, ce ne serait pas précisément vertueux de sa part. Vous me direz que cette morale est celle de ses livres, et qu'il pourra bien se croire autorisé à faire ce qu'il écrit ; mais, disons-le, et j'ai là quelques volumes de lui derrière mes placards, cette morale du père Rétif n'est pas la plus pure morale. J'ai lu à peu près tout ce qu'il a fait : c'est un peu moins spirituel que Crébillon fils, mais c'est bien plus déshonnête encore ; vous comprenez que je ne veux pas maltraiter la littérature de notre beau-père. Je dis notre beau-père, vous comprenez, Christian, parce que, moi aussi, j'ai failli épouser sa fille. »
Et cette intarissable gaieté du jeune prince, cette gaieté qui lui conciliait tous les coeurs se donna enfin carrière.
On avait été sérieux trop longtemps.
« Je reprends, dit-il. Vous avez reconnu l'immoralité du premier moyen, qui est l'enlèvement ?
- Hélas ! oui.
- Passons au divorce. Le divorce ou séparation est composé de chicanes, d'avocasseries et de grimoires, sous le nom de mémoires. Vous ferez imprimer un mémoire dans lequel pour blanchir Ingénue, vous salirez son mari ; le mari fera imprimer un mémoire dans lequel, pour se blanchir lui- même, il vous salira ; la femme fera imprimer un mémoire dans lequel elle se salira toute seule, assez pour que jamais un honnête homme ne veuille d'elle. Oh ! c'est forcé !... Là où quatre avocats ont mordu, Christian, il ne reste plus que la gangrène. Est-ce moral, dites-moi, ce moyen légal, qui aboutira à salir tout le monde certainement, et à consolider peut-être les droits de M. Auger sur sa femme ? »
Christian baissa la tête.
Le prince continua.
« Passons au troisième moyen, qui est le duel, dit-il. Eh bien, c'est, à mon avis, le moins raisonnable de tous. Vous appelez cet homme en duel, n'est ce pas ? et, cela, parce que vous êtes sûr de le tuer ! »
Christian fit un mouvement.
Le prince répondit par un signe qui réclamait le silence, et poursuivit :
« J'aime à croire que vous n'agiriez pas ainsi avec l'idée qu'il vous tuerait : lui laisser la libre disposition de sa femme par votre mort, mais, songez-y donc, ce serait énormément absurde ! Donc, vous pensez que vous le tuerez. Eh bien, permettez-moi de vous dire, mon cher – et je ne suis point cagot, Dieu merci ! –, permettez-moi de vous dire que le moyen n'est pas religieux ; mon frère vous ferait poursuivre et trancher la tête pour l'honneur de la morale. Si j'obtenais votre grâce – et vous comprenez que, si vous vous obstinez à ce moyen, tout défectueux qu'il est, je me fais fort de vous obtenir cette grâce par l'entremise de ma soeur la reine – il devient impossible que vous viviez publiquement avec une femme dont vous aurez tué le mari, et qui s'appellera veuve Auger. Ces choses-là ne se font pas. Il faudrait qu'à la mode italienne ou espagnole, vous fissiez occire M. Auger dans une rixe, par quelque gourdin infaillible ; alors, nous qui avons parlé morale tout à l'heure, nous allons parler, maintenant, cas de conscience. Vous ne serez pas poursuivi, c'est vrai ; décapité, c'est vrai ; déshonoré, c'est encore vrai ; mais vous aurez des remords ; vous serez comme Oreste ; vous verrez remuer les rideaux de votre lit, et vous coucherez avec un sabre sous le chevet. Qui sait si, devenant somnambule comme les adeptes de M. Mesmer, vous ne tuerez pas votre maîtresse, une belle nuit, en croyant tuer le fantôme du mort ! Cela s'est vu ! si bien que les médecins m'ont défendu, à moi, par exemple, qui rêve tout haut la nuit, d'avoir jamais une arme sous la main quand je dors... Hein ! que pensez-vous de ma logique, Christian ? Si j'ai eu des torts, il me semble, mon ami, que je les répare furieusement à coups d'éloquence morale et religieuse, et que MM. Fénelon, Bossuet, Fléchier et Bourdaloue sont de bien petits théologiens près de moi.
- Hélas ! ce n'est que trop sensé, monseigneur, tout ce que vous m'avez fait observer là, et vous m'effrayez. Cependant, il me semblait tout à l'heure vous avoir entendu me dire qu'une idée vous étai ; venue.
- Oh ! oui, une excellente idée !
- Eh bien ?...
- Eh bien je ne vous l'ai pas encore dite, voilà tout.
- Mais vous allez me la dire, monseigneur ?
- Parbleu ! suivez bien, je vous prie, mon raisonnement.
- De toutes mes oreilles, monseigneur.
- A force de voir ce qu'il ne faut pas faire, on arrive à deviner la chose faisable. Voici mon idée ; elle se compose de trois parties : 1° Laisser Ingénue à Paris, près de son père...
- Et de son mari, alors ? interrompit vivement le pauvre amoureux.
- Oh ! ne m'interrompez pas ! j'ai déjà tant dévié, que je ne m'y reconnaîtrais plus. Je disais donc : 1° Laisser Ingénue avec son père, dans notre bonne ville de Paris ; 2° Assoupir, étouffer, éteindre tous les bruits que l'on a faits, et que l'on voudrait faire de cette aventure ; ce qui implique la négation de tout procès, demande en séparation, et instance quelconque ; 3° Ménager, comme un trésor précieux, la misérable vie de cet infâme M. Auger... Ne sautez pas ainsi, je m'explique. »
Christian étouffa un soupir de rage.
« Si pareille chose me fût arrivée, reprit le comte, voici ce que j'aurais fait. J'ai quelques maisons par-ci par-là dans Paris : les unes ont des arbres, les autres n'en ont pas ; les unes sont dans les quartiers les plus écartés, les autres dans les quartiers les plus populeux... Ah ! j'oubliais, je me serais assuré, avant toute chose, de l'amour de mademoiselle Ingénue ; je dis mademoiselle, et vous devez m'en savoir gré.
- Monseigneur, est-ce bien sûr ?
- Je tiens le secret de son mari lui-même.
- Ah ! fit le jeune homme respirant.
- Y êtes-vous ?
- Oui, monseigneur.
- Certain d'être aimé d'elle, ce qui ne serait pas difficile, encore moins impossible – je parle de vous, bien entendu –, je lui eusse inspiré un violent désir de se venger de son mari. C'est encore là, si je ne me trompe, la plus aisée des choses du monde : les femmes les plus heureuses ont si naturellement besoin de vengeance, même à l'égard de ceux qui les rendent heureuses, que mademoiselle Ingénue se vengera de son mari avec une rage proportionnée aux supplices que son mari lui fait endurer. Je reviens à mes maisons. Vous choisiriez quelque part une demeure isolée, calme, charmante ; vous y conduiriez Ingénue ; vous vous marieriez avec elle de coeur, en attendant les événements ultérieurs, et vous l'installeriez, pour deux ou trois heures par jour – davantage si elle le voulait – dans le nid que votre mariage se serait choisi. Ici, j'entre dans la plus exquise philosophie ; tâchez de me bien comprendre, mon cher Christian. »
Le jeune homme, qui trouvait tout ce que disait le prince assez logique, redoubla d'attention.
Le prince continua :
« Il arrivera deux choses, alors : ou que vous serez entièrement heureux, ou que vous ne le serez pas. J'écarte la dernière supposition comme impossible et inimaginable, parce que vous avez la jeunesse, l'amour et la patience ; parce que mademoiselle Ingénue n'a rien à vous refuser, et que, vous, de votre côté, vous vous garderez bien de pousser la barbarie jusqu'à lui refuser ce qu'elle vous accorderait. Donc, mon cher Christian, vous serez parfaitement heureux. Vous êtes riche, ou, si vous ne l'êtes pas, vous avez ma bourse à votre disposition. Maintenant, en effet, nous sommes amis : comptez sur moi jusqu'à la concurrence de trois cents louis, dons je vous gratifie annuellement à partir d'aujourd'hui : ce sont des honoraires que vous avez parfaitement gagnés. L'argent rend tout possible en amour : je ne suis pas de ceux qui disent qu'avec de l'argent on achète toutes les femmes ; non, j'ai trop d'expérience pour cela. Mais, quand une fois on a la femme que l'on désire, l'argent est d'une singulière utilité pour la conserver. Ainsi vous faites à Ingénue un intérieur de fée ; vous lui donnez une toilette de duchesse ; elle a, à elle, autour d'elle, tout ce qui peut la rendre heureuse ; vous vous arrangez de façon que vos dons soient entièrement pour elle, que le mari crève de faim et de soif auprès du bien-être de sa femme. Rien de plus aisé : quand Ingénue aura bien dîné avec vous, à votre ménage particulier, elle supportera volontiers toutes les privations du ménage de M. Auger. Celui-ci, voyant qu'il n'a rien de sa femme, et qu'il ne peut la vendre, déguerpira ; il se rendra coupable envers elle de quelque mauvaise action ; alors, sans perdre une minute, nous le ferons, par jugement, coffrer en lieu sûr. Il n'aura rien à reprocher qu'à lui ; c'est sur lui que roulera le procès, s'il y en a un, et ces sortes de jugements ne transpirent pas hors de l'enceinte du prétoire. »
Christian approuva de la tête ; le prince continua.
« Ou bien M. Auger volera, et il en est plus que capable ! Autre procès, autre moyen de l'envoyer par delà les mers, comme grâce. Cependant, vous aurez vécu très heureux avec sa femme, trois ou quatre heures par jour, ce qui suffit à un homme occupé de quelque bonne ou noble oeuvre. Vous aurez rendu heureuse la femme, heureux le père Rétif. Cette femme sera parfaitement à vous, à vous seul, et vous n'aurez de frais d'imagination à dépenser que pour assurer le mystère et l'inviolabilité de vos rendez-vous. J'ai, je vous le répète, des maisons faites pour cela – vous choisirez celle qu'il vous plaira –, une surtout dans laquelle les femmes vont travailler en journée : admirable ressource pour une pauvre ouvrière comme Ingénue, qui ne veut rien recevoir de son mari, et qui, ainsi, ne devra son bien-être qu'à elle-même. J'ouvre une parenthèse pour ma philosophie. Vous êtes heureux, parfaitement heureux, et vous n'avez plus rien à désirer au monde. Est-ce assez joli ? Notez que c'est beaucoup plus moral et moins nuisible à la société que tous vos moyens de tout à l'heure. Donc, vous nagez dans la béatitude, n'est-ce pas ? »
Christian fit un signe qui voulait dire que si, en effet, il en arrivait là, il se trouverait parfaitement heureux.
« Cherchez, continua le prince, choisissez vous-même le lieu, l'heure, et comptez le temps... Combien voulez-vous que cela dure ainsi ?- Ah ! beaucoup, n'est-ce pas ? immensément ! - Eh bien, soit ; je suis généreux, moi, quand il s'agit de mes amis. Vous demandez l'impossible, je vous l'accorde : vous avez un an.
- Oh ! fit Christian, moi qui veux toute la vie !
- Non parlons raison, vous voulez être fou ! Soit, mettons deux ans... Vous avez la rage, et vous entrez en délire ! Mettons trois ans. Voilà trois ans que cela dure ; bien ! Alors, vous commencez à réfléchir. L'âge a marché. Ingénue, toujours Ingénue, c'est bien quelque chose ; mais, enfin, c'est toujours la même chose ! Vous avez dépensé beaucoup d'argent pour rien ; M. Auger s'est donné plusieurs enfants : vous réfléchissez, disons-nous, et la réflexion en amour, c'est la mort de l'amour. L'amour est mort ! vous prenez une année de vos honoraires, vous la donnez à mademoiselle Ingénue, c'est- à-dire à madame Auger ; vous faites des rentes aux enfants de M. Auger, vous retournez chez madame votre mère, et vous épousez une femme que je vous tiens en réserve avec cinq ou six cent mille livres ; vous obtenez un régiment, je vous fais faire une campagne, vous avez la croix de Saint- Louis, et j'érige en marquisat une de vos terres. Comment trouvez-vous que je fasse les romans, moi ? Est-ce que je ne méritais pas d'entrer dans la famille Rétif ? »
Et le prince ponctua toute cette étourdissante folie par un éclat de rire cordial.
Christian sourit et baissa la tête.
« Votre Altesse oublie, dit-il, qu'elle a bien voulu parler à un amoureux, et que les amoureux sont des malades.
- Qui ne veulent pas être guéris. Pardieu ! à qui le dites-vous ? Mais vous croyez que j'ai plaisanté ? Sur ma vie – excepté les trois années, les enfants, la fin de votre épopée aboutissant à un mariage de cinq cent mille livres –, vrai comme je suis gentilhomme, j'ai pensé ce que j'ai dit, et je ferais ce que j'ai pensé, si j'étais à votre place !
- Eh bien, mon prince, s'écria Christian, je vais essayer.
- A la bonne heure... Allez, et que Dieu vous assiste ! – le dieu Cupidon, bien entendu ; car, pour l'autre, peste ! ne jouons pas avec celui-là ! mon grand frère ne plaisante jamais sur ce chapitre. »
Le comte d'Artois reconduisit Christian jusqu'à la porte de son cabinet, lui frappa amicalement sur l'épaule, et rentra chez lui, enchanté de tout ce qu'il venait de conseiller à ce pauvre fou à la façon de Werther, dont il voulait faire un sage à sa façon, à lui.

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1998-2010
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