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Chapitre XXI


Ce mot me plaça tout de suite. Le cardinal alla immédiatement le répéter à la duchesse, qui le vanta, qui le redit, qui le fit redire, tant et si bien qu'il est resté dans tous les anas et qu'on le cite encore après tant d'années. L'autre jour, M. Walpole, qui ne le savait point, en ayant entendu parler, m'écrivit pour en savoir l'histoire ; il me parut drôle d'être obligée de la lui apprendre. Je ne croyais pas que cela en valût la peine ; j'en ai risqué depuis bien d'autres qui étaient mieux et dont on ne se souvient plus. Ce que c'est qu'un mot bien lancé !
Ma bonne fortune m'avait amené un de ces jours devenus rares depuis la mort du feu roi, où madame du Maine donnait une fête ; ce fut presque la dernière avant les événements qui la frappèrent. J'ai toujours supposé, bien qu'on me l'ait constamment nié, que cette fête était un masque pour cacher les choses qui éclatèrent plus tard. La princesse voulait faire croire à la reprise de ses plaisirs, afin de détourner l'attention ; car M. le régent n'avait pas l'habitude de fouiller les consciences, et, sans Dubois, on l'aurait attrapé du matin au soir.
Son Altesse ressuscitait un divertissement déjà donné, mais que je ne connaissais pas, bien entendu, moi qui ne connaissais rien ; ce fut donc du nouveau. Je n'eus pas la sottise de cacher mon admiration et mon plaisir ; j'étais à mon aise, par les éloges, et l'on ne me trouva pas trop provinciale.
Mademoiselle de Launay avait composé les paroles ou plutôt le canevas de cette fête. Les vers étaient de Larnage, de mon cher Larnage ! qui ne se sentait pas de joie et que je regrettais alors de tout mon coeur. Il me semblait sur la route de la fortune et de la puissance. M. du Maine ne lui parlait pas ; mais la duchesse l'appelait fréquemment et s'informait si le programme marcherait, si tout irait bien, si l'on n'aurait pas d'anicroches. Je trouvai qu'elle le lui demandait plus souvent qu'il n'était nécessaire, et je ne vis dans cette insistance qu'une marque d'intérêt.
Madame la duchesse du Maine, – car il faut bien dire ce qu'elle était, puisque j'aurai à parler souvent d'elle. – madame la duchesse du Maine était, on le sait, la petite-fille du grand Condé, que l'amour aveugle de Louis XIV pour ses bâtards fit descendre jusqu'à cette condition si éloignée de sa naissance. Elle n'était pas précisément jolie je parle de sa jeunesse, car, à l'époque où je la connus, elle avait déjà quarante-deux ans ; elle avait de la grâce, de la physionomie, quelque chose de fier et d'impérieux dans la bouche, annonçant très bien son caractère. Excessivement petite, elle en enrageait ; toute sa famille l'était de même ; elle affectait d'en rire, mais le diable n'y perdait rien. Madame du Maine avait beaucoup d'esprit, et de toutes les sortes : du meilleur quelquefois, et du plus commun aussi ; elle se servait de tout cela selon son caprice. Elle passait pour folle, elle ne l'était point ; elle n'était qu'extraordinaire. Elle voulait tout savoir, tout embrasser ; elle se plaçait sur tous les trônes les uns après les autres ; il fallait qu'elle fût la reine partout, et sa cour de Sceaux était plus souveraine que celle du roi. Ambitieuse et tripotière, sans être bonne, elle n'était pas mauvaise ; elle n'eût point fait le mal sans nécessité, pour le plaisir de le faire. Par exemple, elle n'y regardait pas lorsqu'elle y pouvait gagner quelque chose. Elle avait pour M. le duc d'Orléans la plus belle haine qui se puisse voir, et me voulait faire promettre que je ne retournerais plus au Palais-Royal. Heureusement, M. de Saint-Aulaire lui représenta que mon mari avait besoin de mon crédit, et que nous avions notre fortune à faire.
- Allez-y donc, puisqu'il le faut, répliqua la princesse, mais j'espère que vous n'irez pas longtemps.
J'ai compris depuis ce qu'elle entendait par là.
La nuit approchait : on commença la fête par l'illumination des jardins et des pièces d'eau. Ce fut magique. Le souper, dressé dans une salle de verdure où nous étions servis par des faunes et des hamadryades, commença le travestissement. On y avait beaucoup d'esprit ; j'en eus comme les autres. Je ne pouvais pas lever les yeux sans rencontrer ceux de Larnage fixés sur moi comme s'il me voulait dévorer. Il semblait s'étonner fort de mes reparties, et n'osait rien faire que de s'étonner. J'avais grande envie qu'il devint plus hardi, j'en conviens ; je l'y encourageais selon mes petits moyens innocents et naïfs. Il était loin de moi, à table. Après le souper, le divertissement continua, pour ne finir que le matin, suivant le titre de nuit blanche ou de grande nuit, qu'on donnait à ces sortes de fêtes.
Je méditai un coup d'Etat ; c'était de l'avoir près de moi pendant la comédie et la représentation de danse. Il était si timide, il avait si grand-peur qu'on ne le rebutât, qu'il faudrait certainement le lui demander. J'y allai tout droit. Il rougit.
- Ah ! madame, pourquoi faire ? Comment voulez-vous que j'ose m'asseoir à cette place, et qu'y gagnerai-je, sinon un redoublement de malheur ?
- C'est donc un malheur que d'être à côté de moi, que de causer avec moi ?
- C'est le bonheur, madame, c'est le désir de mon coeur, le désir le plus cher ; c'est le rêve de mon ambition ; mais, hélas !...
- Eh bien, hélas ?
- Vous appartenez à un autre, vous m'avez oublié, délaissé ; vous êtes perdue pour moi, et je ne puis plus même me permettre une pensée, dans la crainte de vous offenser.
Pour le bâtard d'un prince, pour le secrétaire d'un grand seigneur, ce pauvre Larnage était bien niais. Le prince et le grand seigneur, il est vrai, étaient deux dévots ; mais qu'importe ! il avait vingt-trois ans à peine, et tout est là.
Il finit cependant par comprendre, par se mettre auprès de moi, par s'établir de façon à montrer sa joie et son bien-être ; il prit des airs de poule au nid, ainsi que le disait Pont de Veyle de madame de Luxembourg dans sa bergère, lorsqu'il lui tombait quelque réputation à déchiqueter. Les autres ne s'occupèrent bientôt plus que du spectacle. Larnage, bien qu'il fut le poète, ne s'occupa que de moi ; moi, je m'occupai du spectacle d'abord et de lui ensuite, et cela, pour être juste, avec la même vivacité et le même plaisir.
Nous vîmes donc le Bon-Goût, réfugié à Sceaux, et présidant aux occupations de madame du Maine. Il conduisit les Grâces, qui dansèrent en dressant une toilette, pendant que leurs suivants chantaient les vers de Larnage sur une musique douce. Ce premier intermède eut beaucoup de succès ; chacun le trouva délicieux. Je fis un compliment à mon ancien maître, qui en devint presque fou de bonheur.
Le second intermède, ce furent les jeux personnifiés, apportant des tables à jouer, avec ce qui était nécessaire aux différents jeux. Ils chantaient et dansaient en même temps et ces flatteries s'adressaient à la princesse, qui les trouvait aussi vraies que judicieuses ; elle en avait l'habitude. Tout cela était représenté par les meilleurs acteurs de l'Opéra.
Enfin le couronnement après les reprises, ce furent les Ris dressant un théâtre, l'ornant de fleurs, de festons, d'astragales, comme dans la tragédie, pour y représenter, non pas une tragédie, mais une pièce de mademoiselle de Launay toujours aidée de Larnage. Mon Dieu ! quels affreux vers ils avaient faits à eux deux ! Le sujet ne prêtait guère. C'était madame du Maine découvrant le carré magique qu'elle avait cherché et qu'elle cherchait encore, sans l'avoir trouvé jusque-là. Il est vrai que, pour dire une belle pensée, on n'y regarde pas de si près, selon la comtesse d'Escarbagnas.
La princesse joua elle-même son rôle, et chacun joua le sien propre. C'était la cour de Sceaux transplantée sur le théâtre, parlant en prose rimée au lieu de prose vulgaire. On y mit une vérité et une gaieté digne d'éloges ; on sauva ainsi l'ennui de la chose. Je parle toujours des autres ou de moi-même au point de vue d'aujourd'hui ; car alors, ce soir-là, je ne pouvais m'ennuyer, j'en étais à mes premières émotions d'amour, et d'amour caché encore !
- Ces vers sont tendres, disais-je à Larnage, la tête un peu perdue.
- Je songeais à vous en les faisant, répondit-il. Ah ! madame, n'aurez-vous pas pitié de moi, et ne vous verrai-je point comme autrefois, ne causerons nous plus par une belle nuit étoilée ?
- Peut-être, monsieur, répliquai-je, poussée par un désir immense d'éprouver quelque chose que j'ignorais.
- Et quand cela ? et quand cela ?
J'allais répondre à cette question, mais je fus interrompue par un incident que je ne prévoyais pas.

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