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Chapitre XXV


La conversation tombait d'inanition, comme nous, après le meurtre de la chocolatière. Je commençais à trouver la partie un peu sérieuse, puisqu'il n'était pas permis d'en rire, lorsqu'on annonça le souper. Nous passâmes pêle-mêle dans une salle plus humide que l'autre, attendu qu'on n'y avait pas fait de feu, et nous nous trouvâmes en face d'une grillade, d'une omelette et d'une salade ; le tout assez copieux pour quatre personnes, et nous étions quinze. L'assaisonnement était un joli petit vin de cabaret tout jaune, qu'une goutte d'eau rendait plat à ne le point boire.
Quant à cela, j'en riais de bon coeur, et il n'y avait point espérance que la pythonisse se montât la tête à ce jus divin. Nous avions la mine d'être venues pour rien. Le repas ne fut pas long, on se leva rassasié des yeux, et l'on se disposa à la grande affaire de la soirée.
Madame la duchesse du Maine, habillée en bourgeoise, escortée du cardinal en tabellion, nous attendait dans l'autre chambre ; elle était méconnaissable sous sa grande coiffe. Mademoiselle de Launay ne la reconnut qu'à la voix, avec sa mauvaise vue. La duchesse me fit un signe d'amitié ; nous nous réunîmes tous les quatre et nous marchâmes derrière notre hôte, derrière l'abbé Lecamus, derrière la comtesse, derrière un abbé de Vérac, transfuge de l'autre camp, et que j'ai toujours soupçonné d'un espionnage intéressé, et nous voilà embarqués dans un chemin à se rompre le cou.
Nous traversâmes d'abord un jeu de paume, bâtiment à moitié détruit, dont le plafond devait nous tomber sur la tête ; de là, nous parcourûmes de sombres détours, des chambres à chausses-trapes, des planchers transparents à donner le vertige, à travers lesquels on apercevait des lumières ; je me pressais contre ma compagne, qui, voyant encore moins que moi, ne savait où on nous conduisait et s'inquiétait pour sa maîtresse.
- Quelle imprudence d'être venue ! me disait-elle tout bas ; si on la reconnaissait, quelles ne seraient pas les suites de tout ceci !
- Mais pourquoi, mademoiselle ? Elle ne fait point de mal ; elle défend le bien de ses enfants, et l'on ne peut la blâmer, bien que le moyen soit extraordinaire.
Mademoiselle de Launay hocha la tête ; elle savait bien, au contraire, qu'il y avait fort à blâmer dans tout ceci. Nous avions la mine d'aller au Sabbat ou dans un coupe-gorge, ou je ne sais dans quoi. C'était une terrible aventure, comme dit don Quichotte.
Enfin nous arrivâmes dans une sorte de galetas, où nous attendait une assemblée digne du lieu. J'ai vu depuis quelque chose de semblable chez les convulsionnaires, ainsi que je vous le dirai en son lieu ; pour cette fois, je n'étais pas aguerrie, et je regardais autour de moi avec une véritable frayeur.
- Mais où sommes-nous, mademoiselle ? Ces gens ne vont-ils pas nous égorger, et qu'allons-nous voir ?
- Nous sommes chez une sorcière. Tous ces gens-ci ont connu M. le duc et ses manoeuvres ; ils savent beaucoup de choses qui importent à Son Altesse, et cette madame Dupuis, inspirée fort souvent, nous dévoilera ses secrets.
- Quoi ! tous ces fantômes importent à Son Altesse et peuvent la servir ?
- Non pas ceux-là ; ce sont des spectateurs, des consultants comme nous. C'est la sorcière, ce sont ses amis, vous allez voir. Madame est comme un malade qui ne se contente pas des médecins, et qui prend encore des empiriques.
Je croyais tout, j'étais si loin de la vérité ! On nous fit ranger autour des murs, on alluma deux lampes fumeuses, qui éclairaient juste assez pour rendre les ténèbres plus effrayantes. Un grand silence se fit ; la Dupuis parut au milieu du cercle, s'assit sur un tabouret bancal, fit mille contorsions de toute espèce, ouvrit la bouche, et il n'en sortit rien du tout.
- Allons ! dit ma compagne, elle n'a pas bu, elle ne parlera point ; c'était bien la peine de venir ici !
La pythie recommença à rouler des yeux, à pousser des cris inarticulés, à se plaindre d'une façon lamentable ; et puis elle finit par baisser la tête et s'endormit, ou du moins elle en eut l'air. Mademoiselle de Launay ne me lâchait point et fixait mon attention à sa manière. Pendant ce temps, je ne voyais point madame du Maine, laquelle employait bien ses instants, à ce que j'ai su, et conspirait gaiement avec ces faux gueux, tous ou envoyés de l'Espagne, ou serviteurs de sa maison, se préparant au coup qui devait éclater plus tard, ou lui rapportant des nouvelles. J'étais là, encore une fois, comme une niaise : on comptait me faire dire ce que j'avais vu, en cas de besoin et mettre à néant les accusations par un témoignage aussi sincère, aussi désintéressé que le mien.
Tout à coup la sibylle se leva comme si un ressort l'eût touchée ; elle se trouva debout en un clin d'oeil.
- Je vois ! je vois ! je vois ! s'écria-t-elle.
- A la bonne heure ! reprit ma voisine.
Nous voilà tous les yeux en l'air, pour chercher ce qu'elle voyait, et n'apercevant qu'une grande vilaine charpente, remplie de toiles d'araignée.
- Je vois une lignée de princes et de rois, je vois des écrits réhabilités, je vois un grand législateur, je vois le fils d'un puissant monarque, magnanime comme son père.
- Ah ! ah ! me dit tout bas mademoiselle de Launay, c'est M. le duc du Maine, qui s'arrangera avec M. le duc et qui lui pardonnera sa faute.
J'ouvrais les yeux écarquillés à n'y plus voir. Je ne comprenais rien à tout cela. je n'avais pas envie de rire ; j'étais mal à mon aise ; je sentais par instinct que j'étais déplacée, qu'il y avait dans toute cette affaire quelque chose d'obscur, Mademoiselle de Launay m'observait et craignait que je n'eusse des soupçons ; elle se mit à plaisanter ; elle avait un charmant esprit et s'en servait à merveille. Je ne l'écoutais qu'à moitié ; Je cherchais le mot de l'énigme ; je n'avais garde de le trouver.
- Mademoiselle, interrompis-je, cette femme-là n'est ni ivre ni inspirée, elle joue un jeu.
- Toutes ces femmes-là en font autant ; c'est leur état ; elles ne feraient point de dupes sans cela.
- Mais comment madame du Maine est-elle si crédule ? comment nous a-t elle envoyées ici ?
- Je vous l'ai dit : elle veut gagner ce procès ; elle fait elle-même un mémoire ; elle cherche des preuves ; on lui a assuré que cette femme, dans ses extases, parlait de M. le duc ; la curiosité s'en est mêlée ; elle a désiré la voir, et voilà tout. Elle a pensé vous procurer un plaisir, et vous y a conduite. Quand vous connaîtrez davantage Son Altesse, cela ne vous étonnera plus.
Cette explication semblait fort naturelle, et je l'accueillis sans difficulté. Mademoiselle de Launay déploya ensuite toutes les séductions de son esprit, toutes ses étincelles, toutes ses paillettes ; je m'amusai fort à l'entendre, et la Dupuis ne m'occupa point. Madame du Maine s'approcha bientôt de nous, et, me touchant l'épaule pour m'empêcher de me lever :
- Vous oubliez où nous sommes, dit-elle, et que l'on ne me connaît point. Nous sommes volées, on nous a conduites à un spectacle bon tout au plus pour des idiots. De Launay, quand toutes ces marionnettes reviendront, ne les recevez plus. En vérité, parce que M. le régent s'occupe de magie, il faut que tout le monde s'en mêle. Allons-nous-en, voulez-vous ?
Nous la suivîmes : elle me semblait ennuyée ; et pourtant, ce qui fut ensuite appelé la conspiration de Cellamare venait de se décider, et l'ambassadeur lui-même était un de ces gueux à figure repoussante et à haillons crasseux qui m'avaient tant déplu.
Voilà comment, sans m'en douter, je fus mêlée à cette grande aventure et comment je servis d'excuse à une conspiration dont je ne me doutais pas.
Nous revînmes à Sceaux, où l'on nous donna à souper. Le lendemain, je fus éveillée de bonne heure par un courrier de madame de Parabère.
Il m'apportait une lettre d'elle, contenant seulement ces mots :

« Vous n'êtes pas encore mon amie, mais vous êtes bonne ; je m'adresse à vous en toute confiance. Partez tout de suite, partez sans retard, venez me retrouver chez moi, j'ai besoin de vous. Il s'agit de la vie ou de la mort : ne vous faites pas attendre. Je n'ai pas, dans tout ce qui m'entoure, une femme à qui je puisse demander ce que j'attends de vous. Si vous me refusez, je suis perdue. »

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