Chapitre XXVII
J'avais promis d'accompagner madame de Parabère, et, d'ailleurs, je dois le dire ; j'en avais autant d'envie qu'elle-même. Je ne me fis donc pas prier pour la suivre. Nous fûmes annoncées par Cauche, le confident intime du Palais-Royal. Le prince nous reçut immédiatement. Dès qu'il m'aperçut, son visage exprima la surprise ; cependant il m'accueillit très bien, et me pria honnêtement de m'asseoir.
- Monseigneur, dit brusquement la marquise, sans s'arrêter aux façons, le comte de Horn est à la Conciergerie.
- Je le sais, il a assassiné un homme rue Quincampoix.
- Dites qu'il a vengé une injure qu'il venait de recevoir.
- Vous êtes mal informée, madame : il a assassiné et volé un usurier porteur de sommes immenses, de moitié avec un aventurier piémontais qui se fait appeler le chevalier de Milhes, et qui est frère d'un écuyer de la princesse de Carignan.
- Monsieur, cela n'est pas vrai, vous le savez et vous le répétez pourtant ! C'est affreux !
- Je dis la vérité.
- Ce n'est pas la vérité, car la vérité, la voici : M. de Horn avait confié beaucoup d'argent à un juif, et il est allé le lui redemander dans un cabaret où il savait le trouver ; le juif a refusé de rendre l'argent. M. de Horn, très violent, l'a accablé d'injures, et cet infâme a porté la main sur lui. Alors, monsieur, il a fait ce qu'eût fait tout bon gentilhomme, ce que vous eussiez fait vous-même, il lui a passé son épée au travers du corps.
- Fable que tout cela ! j'ai le rapport officiel : le comte a avoué, le portefeuille a été retrouvé sur son complice. Cela est signé de cent témoins.
- Que prétendez-vous faire ?
- Les choses auront leur cours, le parlement va informer : on n'assassine pas impunément les sujets du roi.
- Un de vos parents ! un étranger ! un prince ! Vous savez qu'il n'a pas la raison bien saine ; la folie est presque héréditaire dans la famille.
- Je ne l'ai jamais cru fou que de vous, madame, et c'est une folie que nous partageons tous.
- Monsieur, vous allez commettre une mauvaise action, une bassesse indigne de vous ; réfléchissez.
- Vous avez grand soin de ma gloire, madame.
- Et si ces calomnies trouvent créance, si les juges le déclarent coupable ?
- Ils le condamneront.
- Et... à quoi ?
- A mort... sans doute.
La marquise jeta un cri, et, moi, je me sentis pâlir.
- A mort ! ce malheureux jeune homme ! un enfant, un insensé presque ! Ah ! vous ne le laisserez pas mourir, vous ferez grâce.
- Le roi le peut.
- Le roi, c'est vous. Je suis tranquille alors.
- Pourtant je devrais me venger, vos instances même vous trahissent ; vous l'aimez ?
- Et quand je l'aimerais, monseigneur, s'écria-t-elle avec impétuosité, ce serait une raison de plus pour que vous fussiez juste envers lui. Un grand prince tel que vous ne se venge point par une trahison. Vous craignez de répandre le sang, vous ne répandrez pas le sien.
En ce moment, on annonça le duc de Saint-Simon.
- Ah ! s'écria la marquise, courant au-devant de lui, voilà un auxiliaire qui m'arrive !
M. de Saint-Simon la salua gravement, car c'était la gravité, la morgue, la malice en personne. Il ressemblait à ses Mémoires que nous avons lus, et qui sont cependant une des belles choses qu'on ait écrites sur ce siècle. Sévère dans ses moeurs jusqu'à la rudesse, il n'eut jamais d'indulgence pour qui que ce fût, surtout pour la galanterie. Aussi toutes les maîtresses de M. le régent le haïssaient-elles, et il fallait cette grande circonstance pour que madame de Parabère ne lui rendît pas dédain pour dédain.
- Vous venez pour le comte de Horn, dit-elle, n'est-ce pas, monsieur ?
- C'est, en effet, cette malheureuse affaire qui m'amène, madame. Avant de partir pour la Ferté, comme j'en ai l'habitude à cette époque, je viens prendre congé de M. le régent, et lui rappeler les liens de parenté qui existent entre Madame et la maison de Horn.
- Je sais cela.
- Vous ne souffrirez pas, monsieur, que le comte soit déshonoré ; vous m'engagerez votre foi que ni les sollicitations de vos familiers, ni aucune considération personnelle ne vous décideront à fermer les yeux sur ce qui doit arriver. Je ne partirai pas tranquille que je n'aie votre parole d'honneur. Songez que le supplice de ce jeune homme tacherait l'écusson de toutes les grandes maisons de l'Europe, à commencer par la vôtre.
- Nous n'en sommes pas là.
- Le parlement va être saisi, il serait bien capable d'aller jusqu'à la roue.
- La roue ! le comte de Horn sur la roue ! Si M. le régent permettait cette atrocité, il faudrait le mettre au ban de tous les princes !
M. le régent sourit amèrement.
- Je suis charmé de voir comment vous défendez vos amis, madame. Quant à vous, monsieur, partez tranquille, votre protégé a de bons avocats, vous le voyez. D'ailleurs, son innocence sera reconnue, et nous n'aurons tous qu'à nous en féliciter. Ne soupez-vous point avec nous, marquise ? Et vous, madame, ne voulez-vous pas être des nôtres ?
Cette invitation ressemblait à un congé par la manière dont elle était prononcée. Madame de Parabère n'avait nulle envie de l'accepter, et moi encore moins qu'elle.
Nous fîmes, c'est-à-dire je fis la révérence, et nous partîmes. Madame de Parabère n'en prit point la peine et courait déjà. Arrivée chez elle, elle appela une femme bretonne qu'elle avait, et qui l'aimait à se faire pendre pour elle, lui remit vingt-cinq louis, et lui ordonna d'aller les porter au geôlier de la Conciergerie, afin qu'il fît passer un billet au comte de Horn. Elle le rassurait, et lui annonçait que le régent lui avait donné sa parole, et qu'il ne lui serait rien fait de mal. A quoi cet écervelé répondit que cela lui était bien égal, qu'il ne voulait rien d'elle, et qu'elle ne l'aimait plus, puisqu'elle avait pu demander sa grâce à un autre.
Les amoureux sont les plus sottes gens qu'il y ait au monde.
Ce malheureux procès se poursuivit devant le parlement ; on employa tous les moyens possibles, la noblesse se révolutionna, car on n'endurait pas l'idée de le voir condamner. Il avouait le meurtre et se défendait comme un diable de l'assassinat, pendant que le chevalier de Milhes soutenait, au contraire, qu'ils avaient tué le juif ensemble, après l'avoir attiré dans un guet-apens, et que le portefeuille devait être partagé entre eux deux.
Tout cela, aidé peut-être d'influences secrètes, – et que Dieu le pardonne à M. le régent comme à ses dignes conseillers ! – tout cela fit impression sur les juges, et, après débats et délibérations interminables, M. le comte Antoine de Horn et d'Over-Yssche fut condamné au supplice de la roue, comme coupable de vol et d'assassinat.
Ce ne fut qu'un cri d'indignation dans tout Paris. Les grandes maisons de France, parentes ou alliées de l'accusé, avaient d'abord été en corps, au Palais, saluer les juges. Quand la condamnation fut prononcée, il y eut une nouvelle réunion. On rédigea une nouvelle supplique, signée par tout le monde, hommes et femmes, et qui fut présentée officiellement à M. le régent, en son Palais-Royal.
Le matin de ce jour, le prince et la marquise avaient eu un entretien orageux, elle lui avait pourtant arraché une nouvelle promesse : que le comte aurait la vie sauve, à condition qu'elle ne le reverrait jamais, qu'elle n'aurait avec lui aucun rapport, ni direct ni indirect. Dans la journée, le cardinal resta plusieurs heures chez son élève, ou son maître, comme vous voudrez, et quand la députation se présenta, elle le trouva froid et impassible. Toutes leurs prières ne purent obtenir la grâce du comte.
- M. de Horn est fou, dit M. de Créquy.
- C'est un fou furieux, alors, monsieur, dont il est à propos de débarrasser le monde.
- Et la honte, monseigneur, la honte pour toutes nos familles ?
- Je la partagerai avec vous, messieurs.
- Mais il a l'honneur d'être du même sang que Votre Altesse royale ; Madame est proche parente de la maison de Horn.
- Quand j'ai du mauvais sang je le fais tirer, messieurs. La seule de vos demandes à laquelle je puisse faire droit, c'est le genre de mort. Je vous donne ma parole qu'il n'ira point en Grève ; un échafaud dressé dans la cour de la Conciergerie, où il sera décapité, nous épargnera le déshonneur de son supplice. Les lettres de commutation seront adressées demain au procureur général, je vous le promets.
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