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Chapitre XLVI
Ce que voulait la reine

Gilbert revint chez M. de Necker, après avoir vu le roi aussi tranquille qu'il avait vu la reine agitée.
Le roi faisait des périodes, le roi bâtissait des comptes, le roi méditait des réformes aux lois.
Cet homme de bonne volonté, au regard doux et à l'âme droite, dont le coeur lorsqu'il fut faussé le fut par des préjugés inhérents à la condition royale, cet homme s'obstinait à reconquérir des futilités en échange des choses capitales qu'on lui enlevait. Il s'obstinait à percer l'horizon de son regard myope, quand l'abîme était là béant sous pieds. Cet homme inspirait une profonde pitié à Gilbert.
Quant à la reine, il n'en était pas ainsi, et malgré son impassibilité, Gilbert sentait qu'elle était une de ces femmes qu'il faut aimer passionnément ou haïr à la mort.
Rentrée chez elle, Marie-Antoinette sentit comme un poids immense qui venait s'abattre sur son coeur.
Et, en effet, ni comme femme, ni comme reine, elle n'avait rien de solide autour d'elle, rien qui l'aidât à supporter une part de ce fardeau qui l'écrasait.
De quelque côté qu'elle tournât les yeux, il lui semblait voir une hésitation ou un doute.
Les courtisans inquiets pour leur fortune et réalisant.
Les parents et les amis songeant à l'exil.
La femme la plus fière, Andrée, s'éloignant peu de corps et de coeur.
L'homme le plus noble et le plus chéri de tous, Charny, Charny blessé par quelque caprice et en proie au doute.
Cette situation l'inquiétait, elle, l'instinct et la sagacité même.
Comment cet homme pur, comment ce coeur sans alliage avait-il tout à coup changé ?
- Non, il n'a pas encore changé, se disait en soupirant la reine ; il va changer.
Il va changer ! Conviction effrayante pour la femme qui aime avec passion, insupportable pour la femme qui aime avec orgueil.
Or, la reine aimait à la fois Charny avec passion et avec orgueil.
La reine souffrait donc par deux blessures.
Et cependant, au moment où elle était arrivée, au moment où elle venait de s'apercevoir du mal qu'elle avait fait, du tort qu'elle avait eu, il était encore temps de le réparer.
Mais ce n'était pas un esprit souple que celui de cette femme couronnée. Elle ne pouvait se décider à fléchir même dans l'injustice ; peut-être en face d'un indifférent eût-elle montré ou voulu montrer de la grandeur d'âme, et alors peut-être eût-elle demandé pardon.
Mais à celui qu'elle avait honoré d'une affection à la fois si vive et si pure, à celui qu'elle avait daigné faire entrer en participation de ses plus secrètes pensées, la reine ne pensait pas qu'elle dût faire la moindre concession.
Le malheur des reines qui descendent à aimer un sujet, c'est de l'aimer toujours en reines, jamais en femmes.
Celle-ci s'estimait à un si haut prix, qu'elle croyait que rien d'humain ne pouvait payer son amour, pas même le sang, pas même les larmes.
Du moment où elle s'était sentie jalouse d'Andrée, elle avait commencé à diminuer moralement.
Suite de cette infériorité, ses caprices.
Suite de ses caprices, la colère.
Suite enfin de la colère, les mauvaises pensées, qui conduisent après elles les mauvaises actions.
Charny ne se rendait compte en rien de tout ce que nous venons de dire, – mais il était homme, – et il avait compris que Marie-Antoinette était jalouse injustement de sa femme.
De sa femme que lui n'avait jamais regardée.
Rien ne révolte un coeur droit et incapable de trahison comme de voir qu'on le croit capable de trahir.
Rien n'est propre à attirer l'attention sur quelqu'un que la jalousie dont ce quelqu'un est honoré.
Surtout si cette jalousie est injuste.
Alors celui qu'on soupçonne réfléchit.
Il regarde alternativement le coeur jaloux et la personne jalouse.
Plus l'âme du jaloux est grande, plus le danger dans lequel il se jette est grand.
En effet, comment supposer qu'un grand coeur, une intelligence élevée, un orgueil légitime, comment supposer que tout cela s'inquiéterait pour rien ou pour peu de chose ?
Pourquoi la femme belle serait-elle jalouse ? Pourquoi la femme puissante serait-elle jalouse ? Pourquoi la femme spirituelle serait-elle jalouse ? Comment supposer que tout cela s'inquiéterait pour rien ou pour peu de chose ?
Le jaloux n'est rien autre chose que le limier qui dépiste pour autrui les mérites que l'indifférent chasseur n'avait point aperçus en cheminant.
Charny savait que mademoiselle Andrée de Taverney était une ancienne amie de la reine, toujours bien traitée autrefois, toujours préférée. Pourquoi Marie-Antoinette ne l'aimait-elle plus ? Pourquoi Marie-Antoinette en était-elle jalouse ?
Elle avait donc surpris quelque mystérieux secret de beauté que lui, Charny, n'avait pas découvert, sans doute parce qu'il n'avait pas cherché ?
Elle avait donc senti que Charny pouvait regarder cette femme, et qu'elle perdrait, elle, quelque chose à ce que Charny la regardât ?
Ou bien encore, aurait-elle cru s'apercevoir que Charny l'aimât moins, sans qu'aucune cause extérieure eût diminué cet amour ?
Rien de plus fatal aux jaloux que cette connaissance qu'ils donnent à autrui de la température de ce coeur qu'ils tiennent à garder dans sa chaleur la plus intense.
Combien de fois arrive-t-il que l'objet aimé est informé par des reproches sur sa froideur de la froideur qu'il commençait d'éprouver sans s'en rendre compte.
Et quand il voit cela, quand il sent la vérité du reproche, dites, madame, combien de fois avez-vous vu qu'il se laisse ramener, combien de fois rallume-t-il la flamme languissante ?
O maladresse des amants ! Il est vrai que là où il y a beaucoup d'adresse, il n'y a presque jamais assez d'amour.
Marie-Antoinette avait donc appris elle-même à Charny, par ses colères et ses injustices, qu'il avait un peu moins d'amour au fond de son coeur.
Et sitôt qu'il le sut, il chercha la cause en regardant autour de lui, et sous son regard il trouva tout naturellement la cause de la jalousie de la reine.
Andrée, la pauvre Andrée délaissée, épouse sans être femme.
Il plaignit Andrée.
La scène du retour de Paris lui avait découvert ce profond secret de jalousie caché à tous les yeux.
Elle aussi, la reine, elle vit que tout était découvert, et comme elle ne voulait pas fléchir devant Charny, elle employa un autre moyen, qui, à son avis, devait la conduire au même but.
Elle se remit à bien traiter Andrée.
Elle l'admit à toutes ses promenades, à toutes ses veillées ; elle la combla de caresses; elle la rendit l'envie de toutes les autres femmes.
Et Andrée se laissa faire, avec étonnement, mais sans reconnaissance. Elle s'était dit depuis longtemps qu'elle appartenait à la reine, que la reine pouvait faire d'elle ce qu'elle voudrait, et elle se laissait faire.
En revanche, comme il fallait que l'irritation de la femme tombât sur quelqu'un, la reine commença de maltraiter fort Charny. Elle ne lui parlait plus ; elle le rudoyait ; elle affectait de passer des soirées, des jours, des semaines sans remarquer qu'il fût présent.
Seulement, dès qu'il était absent, le coeur de la pauvre femme se gonflait ; ses yeux erraient avec inquiétude, cherchant celui dont ils se détournaient dès qu'ils pouvaient l'apercevoir.
Avait-elle besoin d'un bras, avait-elle un ordre à donner, avait-elle un sourire à perdre, c'était pour le premier venu.
Ce premier venu ne manquait jamais, au reste, d'être un homme beau et distingué.
La reine croyait se guérir de sa blessure en blessant Charny.
Celui-ci souffrait et se taisait. C'était un homme puissant sur lui-même. Pas un mouvement de colère ou d'impatience ne lui échappait pendant ces affreuses tortures.
On vit alors un curieux spectacle, un spectacle qu'il n'est donné qu'aux femmes de fournir et de comprendre.
Andrée sentit tout ce que souffrait son mari, et comme elle l'aimait de cet amour angélique qui n'avait jamais conçu une espérance, elle le plaignit et le lui témoigna.
Il résulta de cette compassion un doux et miséricordieux rapprochement. Elle tenta de consoler Charny, sans lui laisser voir qu'elle comprît ce besoin de consolations qu'il avait.
Et tout cela se faisait avec cette délicatesse qu'on pourrait appeler féminine, attendu que les femmes seules en sont capables.
Marie-Antoinette, qui cherchait à diviser pour régner, s'aperçut qu'elle avait fait fausse route, et qu'elle rapprochait sans le vouloir des âmes qu'elle eût voulu séparer par des moyens bien différents.
Elle eut alors, la pauvre femme, dans le silence et la solitude des nuits, de ces désespoirs effrayants qui doivent donner à Dieu une bien haute idée de ses forces, puisqu'il a créé des êtres assez forts pour supporter de pareilles épreuves.
Aussi la reine eût-elle certainement succombé à tant de maux sans la préoccupation de sa politique. Celui-là ne se plaint pas de la dureté de son lit qui a les membres rompus par la fatigue.
Telles étaient les circonstances dans lesquelles vécut la reine depuis ce retour du roi à Versailles, jusqu'au jour où elle songea sérieusement à reprendre l'exercice absolu de sa puissance.
C'est que, dans son orgueil, elle attribuait à sa décadence comme l'espèce de dépréciation que depuis quelque temps la femme semblait subir.
Pour cet esprit actif, penser c'était agir.
Elle se mit à l'oeuvre sans perdre un moment.
Hélas ! cette oeuvre à laquelle elle se mettait, c'était celle de sa perdition.

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