Le Testament de M. de Chauvelin Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre VI
Le miroir de madame Du Barry

Le marquis, pour obéir au roi, et malgré la répugnance qu'il éprouvait à obéir, se rendit chez la. favorite.
La favorite était dans une joie extrême ; elle dansait comme un enfant, et dès qu'on lui annonça monsieur le marquis de Chauvelin, elle courut à lui, et sans lui donner le temps de dire un seul mot :
- Oh ! mon cher marquis, mon cher marquis, s'écria-t-elle, vous arrivez à merveille ! je suis aujourd'hui la plus heureuse personne du monde ! j'ai eu le plus charmant réveil que l'on puisse avoir ! D'abord Potiers m'a envoyé mon miroir : c'est lui que vous venez voir sans doute, mais il faut attendre le roi. Et puis, comme plusieurs bonheurs viennent toujours ensemble, le fameux carrosse est arrivé, vous savez, le carrosse que me donne monsieur d'Aiguillon.
- Ah ! oui, dit le marquis, le vis-à-vis dont on parle partout ; il vous devait bien cela, madame.
- Oh ! je sais bien qu'on en parle, mon Dieu ! Je sais même ce que l'on en dit.
- Vraiment, vous savez tout !
- Oui, à peu près ; mais, vous comprenez, je m'en moque ! Tenez, voici des vers que j'ai trouvés ce matin même dans les poches du vis-à-vis. Je pouvais faire arrêter le pauvre sellier, mais bah ! ces choses-là, c'était bon pour madame de Pompadour ; je suis trop contente pour me venger, moi. D'ailleurs, les vers ne sont pas mauvais, ce me semble, et si l'on me traitait toujours ainsi, parole d'honneur ! je ne me plaindrais pas.
Et elle présenta les vers à monsieur de Chauvelin.
Monsieur de Chauvelin les prit et les lut :

          Pourquoi ce brillant vis-à-vis ?
          Est-ce le char d'une déesse
          Ou de quelque jeune princesse ?
          S'écriait un badaud surpris.
          Non... de la foule curieuse
          Lui répond un caustique, non,
          C'est le char de la blanchisseuse
          De cet infâme d'Aiguillon !

Et l'insouciante courtisane se mit à rire aux éclats. Puis, elle reprit :
- De cet infâme d'Aiguillon, vous entendez, sa blanchisseuse. Ah, ma foi ! l'auteur a raison, et ce n'est pas trop dire ; sans moi, en vérité, le pauvre duc, malgré la farine dont il s'est couvert à la bataille de... je ne sais jamais les noms de bataille, sans moi le pauvre duc restait d'un noir effroyable. Mais bah ! qu'importe, comme disait mon prédécesseur, monsieur de Mazarin, ils cantent, ils pagheront ; et mon vis-à-vis vaut mieux dans un seul de ses panneaux que toutes les épigrammes qu'on a faites contre moi depuis quatre ans. Je vais vous le montrer. Venez, marquis, suivez-moi.
Et la comtesse, oubliant qu'elle n'était plus Jeanne Vaubermier, et la comtesse, oubliant l'âge du marquis, descendit en chantant les marches d'un escalier dérobé conduisant à une petite cour où se trouvaient ses remises.
- Voyez, dit-elle au marquis tout essoufflé, est-ce assez présentable pour une voiture de blanchisseuse ?
Le marquis resta stupéfait. Rien de plus magnifique et de plus élégant tout à la fois n'avait frappé ses regards. Sur les quatre panneaux principaux on voyait les armes des Du Barry avec le fameux cri de guerre : Boute en avant. Sur chacun des panneaux de côté, on voyait répétée une corbeille garnie d'un lit de roses sur lequel deux colombes se becquetaient tendrement ; le tout en vernis Martin dont le secret est perdu maintenant.
Le carrosse coûtait cinquante-six mille livres.
- Le roi a-t-il vu ce superbe présent, madame la comtesse ? demanda le marquis de Chauvelin.
- Pas encore, mais je suis sûre d'une chose.
- De quelle chose êtes-vous sûre ? Voyons.
- C'est qu'il en sera charmé.
- Euh ! euh !...
- Comment, euh ! euh !
- Oui, j'en doute.
- Vous en doutez ?
- Je gage même qu'il ne vous permettra point de l'accepter.
- Et pourquoi ?
- Parce que vous ne pourriez pas vous en servir.
- Bah ! vraiment, reprit-elle avec ironie. Ah ! vous vous étonnez pour si peu.
- Oui.
- Vous verrez bien autre chose alors, et le miroir d'or donc, et ceci, ajouta t-elle en tirant un papier de sa poche ; mais, pour ceci, vous ne le verrez pas.
- Comme il vous plaira, madame, répondit le marquis en s'inclinant.
- Pourtant, vous êtes, après ce vieux singe de Richelieu, le plus ancien ami du roi ; vous le connaissez bien ; il vous écoute ; vous pourriez m'aider, si vous le vouliez, et alors... Remontons dans mon cabinet, marquis.
- A vos ordres madame.
- Vous êtes bien maussade aujourd'hui. Qu'avez-vous donc ?
- Je suis triste, madame.
- Ah ! tant pis. C'est bête !
Et madame Du Barry, servant de guide au marquis, reprit d'un pas plus grave cet escalier dérobé qu'elle venait de descendre légère et chantant comme un oiseau.
Elle rentra dans son cabinet, monsieur de Chauvelin la suivant toujours ; puis elle en ferma la porte, et se retournant vivement vers le marquis, elle lui dit :
- Voyons, m'aimez-vous, Chauvelin ?
- Vous ne pouvez pas douter de mon respect et de mon dévouement, madame.
- Vous me serviriez envers et contre tous ?
- Excepté contre le roi.
- Dans tous les cas, si vous n'approuvez pas ce que vous allez apprendre, vous resterez neutre.
- Je m'y engage, si vous l'exigez.
- Votre parole.
- Foi de Chauvelin !
- Lisez alors.
Et la comtesse lui remit la pièce la plus singulière, la plus hardie, la plus bouffonne qui jamais ait frappé les yeux d'un gentilhomme. Le marquis n'en comprit point d'abord toute la portée.
C'était une demande adressée au pape pour la cassation de son mariage avec le comte Du Barry, sous prétexte qu'ayant été la maîtresse de son frère, et les canons défendant toute alliance en pareil cas, ce mariage se trouvait nul de toute nécessité ; elle ajoutait que, prévenue, aussitôt la bénédiction nuptiale, du sacrilège qu'elle allait commettre, et dont elle ne s'était pas doutée jusque-là, elle avait été saisie de crainte et que le mariage n'avait point été consommé.
Le marquis relut deux fois cette supplique, et, la rendant à la favorite, il lui demanda ce qu'elle en comptait faire.
- Mais l'envoyer, apparemment, répondit celle-ci avec son effronterie ordinaire.
- A qui ?
- A son adresse.
- Au pape ?
- Au pape.
- Après ?
- Vous ne devinez pas ?
- Non.
- Mon Dieu ! que vous avez la tête dure aujourd'hui !
- C'est possible ; mais le fait est que je ne devine pas.
- Vous avez donc cru que je favorisais sans but madame de Montesson ? Vous avez donc oublié le grand Dauphin et mademoiselle Choin, Louis XIV et madame de Maintenon ? On crie toute la journée au roi d'imiter son illustre aïeul. On n'aura donc rien à dire. Je vaux bien la veuve Scarron, ce me semble ; et je n'ai pas soixante ans par-dessus le marché.
- Oh ! madame, madame, que viens-je d'entendre ! dit monsieur de Chauvelin en pâlissant et en faisant un pas en arrière.
En ce moment, la porte s'ouvrit et ­amore annonça :
- Le roi.
- Le roi ! s'écria madame Du Barry en saisissant la main de monsieur de Chauvelin ; le roi ! pas un mot. Nous reprendrons ce sujet une autre fois.
Le roi entra.
Ses regards se portèrent sur madame Du Barry d'abord et cependant ce fut au marquis le premier qu'il adressa la parole.
- Ah ! Chauvelin, Chauvelin ! s'écria le roi, frappé de l'altération des traits du marquis, est-ce donc pour tout de bon que vous voulez mourir ? En vérité, vous avez l'air d'un spectre, mon ami.
- Mourir ! monsieur de Chauvelin ! mourir ! s'écria la folle jeune femme en riant : ah ! bien oui, je le lui défends. Vous oubliez donc, sire, l'horoscope qu'on lui a tiré, il y a cinq ans, à la foire des Loges de Saint-Germain ?
- Quel horoscope ? demanda le roi.
- Faut-il le répéter ?
- Sans doute.
- Vous ne croyez pas aux horoscopes, j'espère, sire.
- Non, et puis quand j'y croirais, dites toujours.
- Eh bien ! on a prédit à monsieur de Chauvelin qu'il mourrait deux mois avant Votre Majesté.
- Et quel est le sot qui lui a prédit cela ? demanda le roi avec une certaine inquiétude.
- Mais un sorcier fort habile, le même qui m'a prédit à moi...
- Sottises que tout cela, interrompit le roi, avec un mouvement d'impatience bien marquée ; voyons le miroir.
- Alors, sire, il faut passer dans la chambre à côté.
- Passons-y.
- Montrez-nous le chemin, sire ; vous le connaissez : c'est celui de la chambre à coucher de votre très humble servante.
Le roi connaissait effectivement le chemin, et passa le premier.
Le miroir était placé sur la toilette, couvert d'un voile épais, qui tomba à l'ordre du roi, et l'on put admirer un véritable chef-d'oeuvre digne de Benvenuto Cellini. Ce miroir, dont le cadre était en or massif, était surmonté de deux amours en ronde bosse, soutenant une couronne royale, au-dessous de laquelle se trouvait placée naturellement la tête de la personne qui se regardait dans la glace.
- Ah ! voilà qui est magnifique ! s'écria le roi. En vérité, Rotiers s'est surpassé. Je lui en ferai mon compliment. Comtesse, c'est moi qui vous donne ceci, bien entendu.
- Vous me donnez tout ?
- Sans doute, je vous donne tout.
- Glace et cadre ?
- Glace et cadre.
- Même cela ? ajouta la comtesse avec un sourire de sirène qui fit chanceler le marquis, surtout après ce qu'il venait de lire.
La comtesse montrait la couronne royale.
- Ce joujou ? répondit le roi.
La comtesse fit un petit signe de tête.
- Oh ! vous pouvez vous en amuser tant qu'il vous plaira, comtesse, seulement, je vous en préviens, c'est lourd. Ah çà mais ! Chauvelin, vous ne vous dériderez donc pas, même en présence de madame, et en présence de son miroir, ce qui est une double faveur qu'elle vous accorde, puisque vous la voyez deux fois ?
Le madrigal royal fut récompensé par un baiser de la comtesse.
Le marquis ne sourcilla point.
- Que pensez-vous de ce miroir, marquis ? Dites-nous donc votre avis, voyons.
- Pourquoi faire, sire ? demanda le marquis.
- Mais parce que vous êtes homme de bon goût, parbleu !
- J'eusse mieux aimé ne pas le voir.
- Bon ! et à quel propos ?
- Parce qu'au moins j'eusse pu en nier l'existence.
- Qu'est-ce à dire ?
- Sire, la couronne royale est mal placée aux mains des amours, répondit le marquis en s'inclinant profondément.
Madame Du Barry devint pourpre de colère.
Le roi, embarrassé, eut l'air de ne pas comprendre.
- Comment donc, au contraire, ces amours sont délicieux, reprit Louis XV ; ils tiennent cette couronne avec une grâce non pareille. Voyez leurs petits bras, comme ils s'arrondissent ; ne dirait-on pas qu'ils portent une guirlande de fleurs ?
- C'est là leur véritable emploi, sire ; les amours ne sont bons qu'à cela.
- Les amours sont bons à tout, monsieur de Chauvelin, dit la comtesse ; vous n'en doutiez pas autrefois ; mais, à votre âge, on ne se rappelle plus ces choses-là.
- Sans doute, et c'est aux jeunes gens de mon espèce qu'il convient de s'en souvenir, dit le roi en riant. Enfin, soit, le miroir ne vous plaît pas ?
- Ce n'est pas le miroir, sire.
- Mais quoi donc alors ? serait-ce le charmant visage qui s'y reflète ? Diable ! vous êtes difficile, marquis.
- Personne ne rend au contraire un hommage plus réel à la beauté de madame.
- Mais, demanda madame Du Barry impatientée, si ce n'est ni le miroir, ni le visage qu'il reflète, qu'est-ce donc alors ? dites.
- C'est la place qu'il occupe.
- Ne fait-il pas au contraire à merveille sur cette toilette qui, comme lui, est un cadeau de Sa Majesté ?
- Il serait mieux ailleurs.
- Mais où donc cela ? car enfin vous m'impatientez avec cet air qu'on ne vous a jamais vu.
- Chez madame la Dauphine, madame ?
- Comment !
- Oui, la couronne fleurdelisée ne peut être portée que par celle qui a été, qui est ou qui sera reine de France.
Les yeux de madame Du Barry lancèrent des éclairs.
Le roi fit une moue terrible.
Puis il se leva en disant :
- Vous avez raison, marquis de Chauvelin ; votre esprit est malade ; allez- vous en vous reposer à Grosbois, puisque vous vous trouvez si mal parmi nous ; allez, marquis, allez.
Monsieur de Chauvelin fit un profond salut pour toute réponse, sortit du cabinet à reculons, ainsi qu'il eût fait dans les grands appartements de Versailles, et, observant strictement l'étiquette qui défend de saluer personne devant le roi, il disparut sans même avoir regardé la comtesse.
La comtesse se mordait les ongles de fureur ; le roi voulut la calmer.
- Ce pauvre Chauvelin, dit-il, il aura eu un songe comme j'en ai eu un. En vérité, tous ces esprits forts succombent au premier coup quand l'ange noir les touche de son aile. Chauvelin a dix ans de moins que moi, et j'ai encore la prétention de valoir mieux que lui.
- Oh ! oui, sire, vous valez mieux que tout le monde. Vous êtes plus spirituel que vos ministres et plus jeune que vos enfants.
Le roi s'épanouit à ce dernier compliment, qu'il s'efforça de mériter, malgré l'avis de Lamartinière.

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