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Chapitre IX
Vénus et Psyché

Le lendemain de son message à Grosbois, le premier mot de Louis XV fut pour demander le marquis de Chauvelin et son premier regard pour chercher s'il était là.
Le marquis était arrivé dans la nuit, et se trouvait au petit lever.
- A la bonne heure, dit le roi, vous voilà, marquis ; mon Dieu ! que votre absence a donc été longue !
- Sire, c'est la première, et ce sera la dernière ; si je vous quitte maintenant, ce sera pour toujours... Mais le roi est bien bon de trouver mon absence longue. Je ne suis resté que vingt-quatre heures loin de lui.
- Vous croyez, cher ami ; en ce cas, c'est cette diable de prédiction qui me corne aux oreilles ; de sorte que, ne vous voyant pas à votre poste ordinaire, je me suis figuré que vous étiez mort, et vous mort, vous comprenez ?..
- Parfaitement, sire.
- Mais ne parlons plus de cela. Vous voilà, c'est l'essentiel. Il est vrai que la comtesse nous garde un peu rancune ; à vous, pour lui avoir dit ce que vous lui avez dit ; à moi, pour vous avoir rappelé après un pareil outrage ; mais ne prenez nul souci de cette mauvaise humeur, le temps arrange tout et le roi aidera le temps.
- Merci, sire.
- Voyons ; qu'avez-vous fait pendant votre exil ?
- Imaginez-vous, sire, que j'ai failli me convertir.
- Je comprends, vous commencez à vous repentir d'avoir chanté les sept péchés mortels.
- Oh ! si je n'avais fait que les chanter !
- Mon cousin de Conti m'en parlait encore hier, et il en était ravi.
- Sire, j'étais jeune alors, et les impromptus me semblaient faciles. J'étais là, à l'Ile-Adam, seul avec sept femmes charmantes. Monsieur le prince de Conti chassait ; moi, je restais au château, et je leur fis.. des vers. Ah ! c'était un beau et bon temps, sire.
- Marquis, me prenez-vous pour votre confesseur, et est-ce là votre repentir ?
- Mon confesseur, ah ! oui, Votre Majesté a raison, j'avais justement donné rendez-vous pour ce matin à un camaldule de Grosbois.
- Oh ! le pauvre homme, quelle occasion de s'instruire il a manqué là ! Lui eussiez-vous tout dit, Chauvelin ?
- Tout absolument, sire.
- Alors ! La science eût été longue.
- Eh ! mon Dieu ! sire, outre mes péchés à moi, j'ai tant de péchés aux autres sur ma conscience, j'en ai tant surtout à...
- A moi, n'est-ce pas ? Ceux-là, Chauvelin, je vous dispense de les avouer ; on ne confesse que soi.
- Cependant, sire, le péché est terriblement épidémique à la cour. Je ne fais que d'arriver, et déjà l'on m'a parlé d'une aventure étrange..
- Une aventure, Chauvelin, et sur le compte de qui l'a-t-on mise, cette aventure ?
- Et sur le compte de qui met-on les bonnes aventures, sire ?
- Parbleu ! ce doit être sur le mien.
- Ou bien sur celui de...
- Ou bien sur celui de la comtesse Du Barry, n'est-ce pas ?
- Vous avez deviné, sire.
- Comment ! la comtesse Du Barry a péché ? Peste ! dites-moi cela, Chauvelin.
- Je ne dis pas précisément que l'aventure soit un péché par elle-même, je dis qu'elle m'est revenue à l'esprit à propos de péchés.
- Voyons, marquis, quelle est cette aventure ? contez-moi cela tout de suite.
- Tout de suite, sire ?
- Oui. Vous savez, les rois n'aiment pas attendre.
- Peste ! sire, c'est grave.
- Bah ! Aurait-elle eu encore quelque contestation avec ma petite bru ?
- Sire, je ne dis pas non.
- Ah ! la comtesse finira par se brouiller avec la dauphine, et alors, ma foi !...
- Sire, je crois que madame la comtesse est à cette heure toute brouillée.
- Avec la dauphine ?
- Non ; mais avec une autre petite bru à vous.
- Avec la comtesse de Provence ?
- Justement.
- Bon ! me voilà dans de beaux draps ? Voyons, Chauvelin...
- Sire ?
- Et c'est la comtesse de Provence qui se plaint ?
- On dit que oui.
- Alors le comte de Provence va faire des vers abominables sur cette pauvre comtesse. Elle n'a qu'à se bien tenir, elle sera flagellée de bonne façon.
- Sire, ce sera tout simplement un prêté pour un rendu.
- Plaît-il ?
- Figurez-vous que madame la marquise de Rosen...
- Cette charmante petite brune, amie de la comtesse de Provence ?
- Oui, que Votre Majesté a beaucoup regardée depuis un mois.
- Oh ! on m'en a grondé assez en certain lieu, marquis ! eh bien ?
- Qui vous a grondé, sire ?
- Pardieu ! la comtesse.
- Eh bien ! sire, la comtesse vous a grondé, vous, c'est bien ; mais, de l'autre côté, elle a mieux fait que de gronder.
- Expliquez-vous, marquis ; vous m'effrayez.
- Dame ! sire, effrayez-vous ; je ne vous en empêche pas.
- Comment, c'est donc grave ?
- Très grave.
- Parlez.
- Il paraît que...
- Que ?
- Voyez-vous, sire, c'est plus difficile à dire que cela n'a été difficile à faire.
- Vous m'effrayez réellement, marquis. Jusqu'ici, j'ai cru que vous plaisantiez. Mais s'il y a une gravité réelle, voyons, parlons sérieusement.
En ce moment le duc de Richelieu entra.
- Du nouveau ! sire, dit-il avec un sourire à la fois gracieux et inquiet ; gracieux parce qu'il s'agissait de plaire au monarque : inquiet, parce qu'il s'agissait de combattre la faveur de ce favori rappelé à Versailles après un jour d'exil.
- Du nouveau ! et d'où vient ce nouveau, mon cher duc ? demanda le roi.
Le roi regarda autour de lui et vit le marquis de Chauvelin riant sous cape.
- Tu ris, sans coeur, lui dit-il.
- Sire, l'orage va crever ; je vois cela aux airs tristes de monsieur de Richelieu.
- Vous vous trompez, marquis ; j'ai annoncé du nouveau, c'est vrai ; mais je ne me charge pas de le dire.
- Mais, enfin, comment le saurais-je ce nouveau ?
- Un page de madame de Provence est dans votre antichambre avec une lettre de sa maîtresse ; que Votre Majesté donne ses ordres.
- Oh ! oh ! dit le roi, qui n'aurait pas été fâché de tout faire retomber sur monsieur ou madame de Provence qu'il n'aimait point, depuis quand les fils ou les femmes des fils de France écrivent-ils au roi au lieu de se présenter à son lever ?
- Sire, probablement la lettre donne à Votre Majesté la raison de ce manque d'étiquette.
- Duc, prenez cette lettre, et donnez-la-moi.
Le duc s'inclina, sortit et rentra une seconde après, la lettre à la main.
Puis la remettant au roi :
- Sire, dit-il, n'oubliez pas que je suis l'ami de madame Du Barry, et que d'avance je me constitue son avocat.
Le roi regarda Richelieu, ouvrit la lettre, et fronça visiblement le sourcil en parcourant les détails qu'elle contenait.
- Oh ! murmura-t-il, pour cette fois, c'est trop fort ; et vous vous êtes chargé d'une mauvaise cause, duc. En vérité, madame Du Barry est folle.
Puis, se retournant vers les officiers :
- Qu'on se présente à l'instant même, de ma part, chez madame de Rosen ; que l'on prenne de ses nouvelles, et qu'on lui dise que je la recevrai immédiatement après mon lever, avant d'aller à la messe. Pauvre marquise ! chère petite femme !
Chacun se regarda. Un nouvel astre se levait-il à l'horizon de la faveur ?
Rien de plus possible, en somme. La marquise était une jeune et jolie femme. Nommée depuis un an dame pour accompagner madame de Provence, elle s'était liée avec la favorite, se trouvait dans tous ses particuliers, où le roi l'avait vue souvent. Mais, sur les observations de la princesse, qui se trouvait blessée de cette intimité, elle cessa tout à coup ses relations, ce dont madame Du Barry s'était montrée fort contrariée.
Voilà ce que la cour en savait.
Cette lettre, dont tout le monde ignorait le contenu, avait eu une grande influence sur le roi ; il parut soucieux pendant tout le reste du lever, adressa à peine la parole à quelques familiers, pressa les étiquettes et congédia ses entrées plus tôt qu'à l'ordinaire, après avoir enjoint à monsieur de Chauvelin de ne pas s'éloigner.
La cérémonie du lever terminée, tout le monde sortit, et comme on prévint Sa Majesté que madame de Rosen attendait, il donna l'ordre de l'introduire.
Madame de Rosen fit une entrée des plus pathétiques ; elle était tout en larmes et vint s'agenouiller devant le roi.
Le roi la releva.
- Pardonnez-moi, sire, dit-elle, d'avoir usé d'une auguste influence pour parvenir jusqu'à Votre Majesté ; mais en vérité, j'étais si désespérée...
- Oh ! je vous pardonne de grand coeur, madame, et, je sais gré à mon petit-fils de vous avoir fait ouvrir une porte qui, à partir de ce moment, vous reste tout ouverte. Mais venons au fait... à la chose principale.
La marquise baissa les yeux.
- Je suis pressé, continua le roi ; on m'attend pour la messe. Ce que vous m'écrivez est-il bien vrai ? La comtesse se serait-elle en effet permis de vous... ?
- Oh ! vous m'en voyez rouge de honte, sire. Je viens demander justice au roi. Jamais femme de qualité n'a été traitée de la sorte.
- Quoi ! vraiment, demanda le roi, souriant malgré lui, traitée comme une enfant désobéissante, sans en rien rabattre ?
- Oui, sire, par quatre femmes de chambre, en sa présence, dans son boudoir, répondit la jeune femme en baissant les yeux.
- Peste ! reprit le roi, auquel ce détail fit naître une foule d'idées, la comtesse ne s'est pas vantée de ce projet-là. Puis avec l'oeil d'un satyre : Et comment cela s'est-il passé ? dites-moi marquise.
- Sire, reprit la pauvre femme, de plus en plus rougissante, elle m'a invitée à déjeuner. Je me suis excusée sur mon peu de liberté, sur mon service qui m'appelle dès huit heures du matin chez Son Altesse royale ; elle m'a fait répondre de venir à sept, qu'elle ne me retiendrait pas longtemps ; et en effet, sire, j'en sors depuis une demi-heure.
- Vous pouvez être tranquille, madame, je m'expliquerai avec la comtesse, et justice vous sera rendue ; mais, dans votre propre intérêt, je vous engage à ne pas trop ébruiter l'aventure ; que votre mari surtout n'en sache rien. Les maris sont bégueules en diable sur ces choses-là.
- Oh ! le roi doit bien penser, que, pour mon compte, je saurai me taire ; mais mon ennemie ; mais la comtesse, je suis bien sûre que déjà elle s'est vantée à ses plus intimes de ce qu'elle vient de faire ; et demain toute la cour saura... Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! que je suis malheureuse !
Et la marquise cacha sa tête dans ses mains, au risque d'étendre son rouge avec ses larmes.
- Rassurez-vous, marquise, dit le roi ; la cour ne saurait avoir un plus joli jouet que vous. Et si l'on en parle ce sera par envie, comme autrefois dans l'Olympe on parla de la même aventure arrivée à Psyché. J'en sais parmi nos collets-montés qui ne s'en consoleraient pas si facilement que vous pouvez vous en consoler ; vous, marquise, vous n'aviez rien à y perdre.
La marquise fit une révérence et rougit plus encore, si la chose était possible.
Le roi regardait cette rougeur et dévorait ces larmes.
- Voyons, dit-il, retournez chez vous, essuyez ces jolis yeux ; ce soir, au jeu, nous arrangerons tout cela, c'est moi qui vous le promets.
Et avec cette galanterie et cette bonne façon particulières à sa race, le roi reconduisit la jeune femme jusqu'à la porte, où il fallut traverser la foule des courtisans, étonnés et intrigués au possible.
Le duc d'Ayen, capitaine des gardes du corps de service, s'approcha du roi et s'inclina devant lui en silence pour attendre ses ordres.
- A la messe, duc d'Ayen, à la messe, maintenant que j'ai fini mon métier de confesseur, dit le roi.
- Une aussi jolie pénitente ne peut avoir commis que de jolis péchés, sire.
- Hélas ! la pauvre enfant ! ce ne sont pas les siens qu'elle expie, poursuivit le roi, en marchant le long de la grande galerie pour se rendre à la chapelle.
Le duc d'Ayen le suivait à un pas en arrière, assez près pour l'entendre et lui répondre, mais sans se trouver sur la même ligne, suivant l'étiquette.
- On serait heureux d'être son complice, même pour un crime, crime d'amour, bien entendu, sire.
- Son péché, c'est celui de la comtesse.
- Oh ! pour ceux-là, le roi les sait tous.
- Sans doute, cette bonne comtesse, on la calomnie. Elle est extravagante, folle même, comme dans l'occasion dont il s'agit, et pour laquelle je la tancerai, mais elle a un coeur excellent ; on aura beau m'en dire du mal, je ne le croirai pas. Parbleu ! je sais bien que je ne suis pas son premier amant et que, dans ses bonnes grâces, je succède à Radix de Sainte-Foy.
- Oui, sire, riposta le duc, avec sa malice ordinaire, enveloppée sous les formes les plus exquises, comme Votre Majesté a succédé à Pharamond.
Le roi, malgré tout son esprit, n'était pas de force contre ce rude joûteur, à moins de se fâcher. Il en sentit le ridicule, et fit semblant de ne pas comprendre. Il se hâta d'adresser la parole à un chevalier de Saint-Louis qu'il trouva sur son passage. Louis XV était débonnaire et facile ; il passait beaucoup de licences à ses familiers, et pourvu qu'on l'amusât, il faisait bon marché du reste. Le duc d'Ayen, surtout, était en possession de dire tout ce qu'il avait la fantaisie de raconter. Madame Du Barry toute puissante, n'avait jamais songé à le combattre ; son nom, sa position, son esprit, d'abord, lui semblaient inattaquables.
Pendant la messe, le roi eut des distractions : il songeait à la tempête qu'amènerait la nouvelle frasque de madame Du Barry, si elle arrivait aux oreilles de monsieur le dauphin. Ce prince avait justement, la veille, tancé la comtesse, qui, malgré lui, avait fait avoir au vicomte Du Barry, son neveu, une place d'écuyer dans sa maison.
- Qu'il ne s'approche pas de moi, avait dit le dauphin ou je le fais chasser par mes gens.
Certes, ces dispositions n'annonçaient pas d'indulgence pour la plaisanterie grossière que s'était permise la comtesse. Louis XV sortit donc de la chapelle assez embarrassé.
Avant de se rendre au conseil, il passa chez madame la dauphine ; il la trouva merveilleusement ajustée, et coiffée d'un bec de diamants admirablement monté.
- Vous avez là, madame, un magnifique bijou, dit le roi.
- Vous trouvez, sire ? Comment Votre Majesté ne le connaît-elle pas ?
- Moi ?
- Sans doute, puisque Votre Majesté a donné l'ordre qu'on l'apportât chez moi.
- Je ne sais ce que vous voulez dire.
- Cependant, c'est un fait très facile à éclaircir. Hier, un bijoutier est venu au château de Versailles avec ce joyau fleurdelisé et orné de la couronne de France, commandé par Votre Majesté. Puisque Dieu nous a enlevé la reine, j'avais seule le droit, a-t-il cru, de porter cette parure. C'est donc à moi qu'il l'a offerte, d'après vos ordres et selon votre intention, sans doute.
Le roi rougit et ne répondit rien.
- Voilà encore qui est de mauvais augure, pensa-t-il. La comtesse avait bien à faire de me donner un nouvel embarras, avec sa sotte histoire de la marquise. Viendrez-vous ce soir au jeu, madame ? poursuivit-il tout haut.
- Si Votre Majesté me l'ordonne.
- Ordonner à vous, ma fille ! Je vous en prie, vous me ferez plaisir.
Madame la dauphine s'inclina froidement. Le roi vit qu'il ne parviendrait pas à la dérider ; il prétexta un conseil et sortit.
- Mes enfants ne m'aiment pas, dit-il au duc d'Ayen, qui ne l'avait pas quitté.
- Le roi est dans l'erreur. Je puis assurer à Votre Majesté qu'elle est au moins aussi chérie de ses augustes enfants qu'elle les aime elle-même.
Louis XV comprit l'épigramme et ne le montra point. C'était de sa part un parti pris. Il eût fallu exiler le duc d'Ayen dix fois par jour, et le roi, d'après l'ennui que lui avait causé l'absence de monsieur de Chauvelin, comprenait mieux que jamais combien la présence des courtisans préférés lui était indispensable.
- Bah ! disait-il, ils auront beau me chatouiller, ils ne m'écorcheront pas. Cela durera autant que moi, et mon successeur s'en tirera comme il pourra.
Etrange insouciance, dont le malheureux Louis XVI devait porter si fatalement la peine !

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