Olympe de Clèves Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre XXIX
Où l'abbé manque de devenir réellement fou.

L'abbé s'était montré atterré à l'arrivée de Bannière : ses yeux myopes avaient vu suffisamment l'altération de ce visage et la tempête qui allait en résulter.
Il n'eut pas le temps d'expliquer ses paroles.
- Monsieur l'abbé, dit Bannière, qui pouvait à peine articuler, tant la colère l'avait pris à la gorge avec sa main de fer, vous souvient-il qu'une fois déjà je vous ai brisé une guitare sur les épaules ?
L'abbé grinça des dents à ce souvenir.
- Oui, n'est-ce pas ? continua Bannière, et pourtant vous n'étiez coupable que d'avoir fait entendre à madame de la musique plus ou moins mauvaise.
- Monsieur !...
- Calmez-vous, ou plutôt réservez votre colère ; je vais lui donner l'occasion de sortir tout à l'heure. Cette fois, monsieur l'abbé, ce n'est plus de la musique que vous avez forcé Olympe d'entendre, c'est une insulte.
- Une insulte ?
- Oui, bien réelle, bien complète ; une véritable insulte. Oh ! j'ai tout entendu.
L'abbé mit son poing sur sa hanche, comme un cavalier.
- Voilà ce que c'est, dit-il, que d'écouter aux portes.
- Madame sait bien, répondit Bannière, que je n'écoutais pas à la porte, puisque j'étais allé au théâtre pour lui rendre compte de la façon dont la Catalane jouerait un nouveau rôle. Revenu plus tôt que je ne croyais moi- même, j'ai entendu des éclats de voix, et malgré moi j'ai assisté à l'offre que vous avez osé faire à madame.
- Je ne m'offense pas pour si peu, mon ami, dit Olympe, qui voyait la colère monter au front de l'abbé, et qui savait que le meilleur moyen pour une femme de défendre celui qu'elle aime, c'est de se ranger franchement de son côté, manoeuvre qui déconcerte toujours l'ennemi.
- Vous ne vous offensez point, Olympe, dit Bannière, parce que vous êtes la perfection en personne ; mais je m'offense, moi, je prends l'insulte pour moi, et je déclare à monsieur l'abbé que deux fois le caractère dont il est revêtu lui a épargné mes violences ; seulement je ne répondrais pas d'une troisième fois, et, pour lui épargner un si grand malheur, et à moi un si grand regret, je prie monsieur l'abbé de ne plus se présenter à mon domicile.
L'abbé sentit alors son prétendu avantage. Il était trop cruellement humilié pour ne point perdre entièrement la tête ; il se figura que cette femme, dont il croyait bien fermement avoir acquis la tendresse, n'oserait se tourner contre lui de peur qu'il ne la compromit en la démasquant.
Cette idée n'était pas généreuse ; elle perdit le pauvre abbé.
- Madame, dit-il, monsieur Bannière parle de son domicile. Est-ce que vous n'êtes pas aussi chez vous, ici ?
- Si fait, monsieur, répliqua Olympe.
- Madame, est-ce que déjà banni une fois de cette maison par les emportements et le mauvais goût de monsieur Bannière, est-ce que je n'y ai point été rappelé par vous même ? Dites, je vous prie.
Bannière ouvrit des yeux effarés. Il lui sembla qu'il allait apprendre quelque mauvaise nouvelle pour son amour.
Ces deux hommes étaient réellement suspendus aux lèvres de la femme qui les dominait tous deux.
Olympe sourit, car elle vit le piège, et elle commença de moins estimer l'abbé. Alors, s'adressant à lui :
- Il est vrai, monsieur, répliqua-t-elle sans embarras, que je vous ai cru un galant homme ; il est vrai que j'ai déploré de voir votre amitié, un peu exigeante mais honorable, exposée à se changer en une haine que la grandeur de votre position eût faite un malheur pour moi ; il est vrai enfin que j'ai commis la faute, ayant le coeur trop bien placé, de m'intéresser à vos susceptibilités, de vous excuser pour vos étourderies, et de vous rouvrir, enfin ma maison, dont monsieur Bannière vous avait à bon droit éconduit.
- La faute, madame ! s'écria l'abbé, qui se croyait assez triomphant pour pointiller sur les mots et faire marchander la rédaction des excuses qu'il attendait.
- J'ai dit la faute, répéta Olympe, et j'ajouterai, la faute impardonnable, puisque je ne me la pardonnerai jamais.
- Concluez, fit avec une impatience incivile l'abbé, qui espérait sur la conclusion.
- Eh bien ! monsieur, dit Olympe en fronçant le sourcil, je conclus en vous priant d'obtempérer aux desseins de monsieur Bannière, qui est maître de céans.
- Notez que monsieur Bannière me congédie.
- Précisément.
- Et que, par conséquent, vous me congédiez aussi, vous, ajouta l'abbé blafard de colère.
- Moi plus que lui encore, ajouta Olympe.
- Madame ! s'écria d'Hoirac, s'apprêtant à appuyer ce Tu quoque d'un Quos ego.
Et il fit un pas offensif du côté de la porte.
Mais là il trouva la coiffeuse embusquée, qui lui mit la main sur la bouche et le tira avec un zèle dont Olympe fut touchée, mais qui parut un peu louche à Bannière.
Malgré cette main compressive, l'abbé voulait parler.
- Mais taisez-vous donc, triple aveugle ! lui glissa la coiffeuse à l'oreille, ou vous vous perdez à jamais.
- Je veux m'expliquer, que diable ! fit l'abbé se débattant.
- Eh ! vous vous expliquerez plus tard.
- Là-bas, alors ?
- Là-bas.
D'Hoirac, assommé, étourdi, abattu, se laissa mettre à la porte en tournant sur lui-même comme Arlequin surpris chez Isabelle.
Puis, tout le long de la route et pendant tout le temps qu'il mit à regagner son domicile :
- Parbleu ! grommelait-il entre ses dents, celui qui comprendra cette femme, je lui donne cent mille écus et un brevet de devin.
Cependant, Olympe, fière d'avoir si bien agi, une fois la porte refermée derrière l'abbé, vint pour embrasser Bannière.
Mais Bannière la repoussa.
Puis, se jetant dans son fauteuil :
- Allons ! dit-il, c'est assez douter et, par conséquent assez souffrir, il faut que cela finisse.
- Mais c'est fini, ce me semble, dit Olympe.
- Bien au contraire ! s'écria Bannière, car il se commence quelque chose à quoi toutes les puissances du monde ne me feront point donner la main.
- Quoi donc ?
- Olympe !
- Eh bien ?
- Eh bien ! vous avez rappelé cet abbé que j'avais chassé, moi.
- Je l'ai avoué.
- Quand vous y avez été contrainte, quand vous n'avez pas pu vous en dispenser.
- Me soupçonnez-vous, par hasard ?
- Quand je vous soupçonnerais, madame ! Il s'est dit ici, ce me semble, des paroles qui m'en donnent le droit.
- Que s'est-il donc dit ? Répétez ces paroles.
- Il s'est dit ici, madame, tandis que j'écoutais sans être vu, il s'est dit que vous aviez reçu des présents de monsieur l'abbé d'Hoirac.
- On peut le rappeler et lui faire dire quels sont les présents que j'ai reçus.
- Inutile.
- Pourquoi inutile ?
- Pourquoi ? parce que j'aime encore mieux le doute que la certitude ! dit Bannière avec un geste de désespoir.
- Ah ! vous aimez mieux le doute, vous ! dit Olympe avec une voix pleine de sarcasme ; merci, vous êtes bien bon !
- Ah ! fit Bannière, je ne suis pas comme lui, ni comme vous, moi ; je ne suis pas un patricien habitué à compter sur autrui, je ne suis pas Vénus habituée à être adorée.
- Je ne vous comprends plus. Que voulez-vous dire ?
- Je veux dire que je n'ai point passé d'un prince à un autre prince.
- Prenez garde, monsieur Bannière, dit Olympe avec une fierté de reine, car, à votre tour, vous allez m'insulter !
- Oui, vous avez raison, Olympe, oui, je suis monsieur Bannière ; oui, je suis la poussière qu'on peut anéantir d'un souffle ; oui, je suis le criminel ; oui, je suis l'échappé du couvent d'Avignon, le fugitif qu'un mandat du proviseur Mordon peut faire jeter dans un cul de basse-fosse, comme vagabond, sacrilège et apostat. Oh ! ne m'insultez pas non plus, moi chétif, moi abandonné, moi qui ai ou n'avais au monde que votre amour ! Oh ! ne me reniez pas, car sans vous, vous savez bien que je suis perdu, vous savez bien que j'irai me rendre à ceux qui me cherchent, vous savez bien que sans vous j'irai me jeter dans les bras de la mort, ma seule et dernière amante, qui, elle au moins, ne me trompera point !
- Taisez-vous, malheureux ! s'écria Olympe en se levant vivement et en appuyant sa main sur la bouche de Bannière. Mais si l'on vous entendait ! Etes-vous donc insensé de crier de la sorte !
Et Olympe courut à la porte, qu'elle ouvrit pour voir si personne n'avait été à portée d'entendre cette funeste révélation.
Mais Olympe ne vit personne ; seulement une porte se ferma au bas de l'escalier. Olympe montra de l’inquiétude, et voulut s'informer.
- Ne prenez pas ce soin, dit Bannière. Vous n'avez qu'un moyen de me sauver.
- Lequel ?
- Eh, mon Dieu ! c'est de me dire que vous m'aimez.
- Vous n'avez qu'un moyen de vous faire aimer, vous, c'est de ne douter jamais.
- Laissez-moi vous dire la vérité, alors.
- Dites.
- Ne vous offensez point, car vos yeux courroucés sont des flammes qui allument le désespoir dans mon coeur.
- Soyez tranquille, je ne m'offenserai point ; parlez, vite.
- Eh bien ! cet homme qui a marchandé votre amour, il dit en avoir reçu l'aveu.
- Oui, il l'a dit ; mais il ment.
- Jurez-le moi.
- Sur quoi ?
- Sur quelque chose de bien sacré, sur quelque chose à quoi vous croyiez.
- Je vous jure qu'il ment, dit Olympe, sur l'honneur de ma mère !
- Mais pourquoi donc alors disait-il cela, supposant que vous étiez seule avec lui ? Pourquoi jouait-il cette comédie avec vous, avec lui-même ?
- Je ne sais.
- Oh ! il y a certain mystère là-dessous que quelqu'un pourrait nous éclaircir.
- Qui cela ?
- Questionnez votre coiffeuse.
- Elle ?
- Oui, une femme capable de tout.
- Vous croyez ?
- C'est moi qui vous le dis. Une amie de la Catalane, votre mortelle ennemie. Vous l'aviez chassée, cette femme.
- C'est vrai.
- Pourquoi l'avez-vous reprise, alors ?
- Que sais-je ! Pourquoi fait-on le mal en croyant faire le bien ? Mais vous voyez là des choses que je ne veux pas même soupçonner, moi ; c'est une fatigue inutile. L'abbé est dehors, qu'il y reste. La coiffeuse est chez moi, voulez-vous qu'on l'en chasse !
- Je ne me refuse pas à cette satisfaction.
Olympe sonna.
Le laquais parut.
- La coiffeuse ? demanda Olympe.
- Madame, elle vient de sortir à l'instant, répondit le laquais.
- N'est-ce pas elle qui a fermé la porte de l'escalier ?
- Oui, madame.
- D'où sortait-elle ?
- Mais je crois qu'elle sortait de chez madame.
Olympe et Bannière échangèrent un regard inquiet.
- Allez, dit Olympe au laquais.
- Elle écoutait, dit Bannière quand le valet fut sorti.
- Bon ! et à quel propos eût-elle écouté ?
- Notre querelle.
- Hélas ! nous nous querellons assez souvent pour que cela n'intéresse plus personne, répondit Olympe ; mais il n'importe, la coiffeuse sera hors d'ici ce soir, puisque vous le voulez.
- Non ! non ! je ne veux plus rien, plus rien absolument ! Je suis fou d'amour, voyez-vous, fou d'être pauvre, fou de vous être à charge. Je donnerais ma vie pour un an à cent mille livres.
- Ne jouez donc plus alors, puisque vous perdez toujours. Entassez l'argent que vous avez perdu déjà et celui que vous allez perdre encore, et ainsi, mon Dieu ! vous aurez bien mieux que cette somme de cent mille livres : vous aurez la tranquillité de l'esprit conquise par la certitude de mon amour ; et alors vous serez riche, car c'est moi qui vous devrai le bonheur.
Et en disant ces mots, Olympe embrassa si tendrement Bannière, que l'abbé, s'il eût été là, en fût certainement mort de male rage.

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