Olympe de Clèves Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre XXX
Où il est démontré que la coiffeuse avait parfaitement entendu.

Mais l'abbé ne pouvait pas voir ; il courait de toute la force de ses petites jambes.
De son côté aussi, la coiffeuse courait de toute la force des siennes, et elle arriva chez la Catalane essoufflée, ahurie.
Celle-ci fit un bond en arrière en l'apercevant.
- Tout est perdu ! dit la coiffeuse.
La Catalane bondit.
- Et comment cela ? demanda-t-elle.
- Ce Bannière a jeté l'abbé dehors.
- Eh bien ! après ?
- Après ?
- Oui.
- Il est impossible que d'un moment à l'autre, il n'y ait pas une explication définitive et claire entre Olympe et l'abbé.
- Jamais ! si nous le voulons bien.
- Et comment cela, s'il vous plaît ?
- C'est tout simple : l'abbé n'a qu'un moyen d'être détrompé, c'est de me voir à la lumière quand je double Olympe à la petite maison. Ce moyen, s'il a des doutes, il peut l'employer, et alors nous serons réellement perdues. Que dès à présent nous convenions de ne plus recevoir l'abbé à la petite maison : plus de traces, on ne découvrira jamais rien. Olympe aura beau se débattre, nier, tempêter, d'Hoirac ne croira pas qu'elle soit innocente.
- Oui, mais il me mettra en jeu, moi, dit la coiffeuse. Il me prendra à partie, il en appellera à mon témoignage, et il faudra que je témoigne.
- Eh bien ! tu témoigneras, et c'est ce qui perdra Olympe.
- Oui, et comment ?
- Pécaïre ! la belle difficulté ! tu soutiendras que c'est pour Olympe que tu as loué la maison ; tu soutiendras qu'Olympe s'y est rendue, et l'on te croira, attendu que l'on croit toujours aux scandales, surtout de la part des comédiennes.
La coiffeuse secoua la tête.
- Nous nous y brûlerons, dit-elle.
- Bah ! est-ce que tu as confié notre secret à quelqu'un ?
- Moi, jamais !
- Est-ce que tu as peur d'Olympe ?
- Non, mais j'ai peur de Bannière.
- Et que veux-tu qu'il te fasse ?
- Bannière, il me tuera !
- Eh ! non, je l'amadouerai. Je lui paraîtrai une Minerve, du moment où il croira Olympe coupable.
- Il me tuera ! vous dis-je, et vous avec moi.
- Bah ! nous nous ferons défendre par l'abbé.
- Il tuera aussi l'abbé.
- Vraiment !
- Oh ! vous ne le connaissez pas, dit la coiffeuse d'un air rêveur.
- Mais c'est donc un enragé que ce Bannière ?
- Eh ! oui.
- Cher garçon !
- Ecoutez-moi, dit la coiffeuse ; il ne s'agit plus ici de plaisanter. Vous avez voulu satisfaire un caprice et vous donner le plaisir de voler un amant à Olympe C'était bien là votre intention, n'est-ce pas ?
- Certes.
- Vous ne lui aurez volé que l'abbé.
- Pourquoi cela ?
- C'est écrit, Bannière ne trompera point Olympe.
- Encore une fois, pourquoi ?
- Parce que si vous ne perdez pas cet homme, je le perdrai, moi.
- Qu'appelles-tu perdre ?
- Eh bien ! supposez une chose.
- Laquelle ?
- C'est que je sache sur lui un secret assez compromettant pour le faire disparaître.
- Oh ! oh ! a-t-il volé au jeu ?
- Mieux que cela.
- Dis vite.
- Non pas, vous tenez trop à lui. Je ferai mes affaires moi-même.
- Comment, tu perdrais ce garçon ?
- Mais immédiatement : attendu que si je ne l'ai pas perdu ce soir, demain il m'aura tordu le cou, ce à quoi je m'oppose.
- Tu t'effraies à tort.
- Laissez-moi vous dire la marche des événements. A l'heure qu'il est, ou je ne suis qu'une sotte, ou Olympe et Bannière sont réconciliés. Demain, l'abbé sera réconcilié avec Bannière. Les hommes sont toujours ainsi : on les croit à gorge coupée, ils en sont aux embrassades.
- C'est assez vrai.
- Donc, Bannière et l'abbé réconciliés je serai sacrifiée ; l'abbé est riche et puissant, il me fera jeter à l'hôpital.
- Ce sera assez juste.
- Vous, pendant ce temps, vous aurez empoché les bénéfices. Sans compter que, moi étant à l'hôpital, vous trouverez aussi à vous réconcilier avec Bannière. Les femmes sont toutes comme cela : on les croit amies, elles sont amantes.
- Mais, en vérité, je ne te croyais pas si moraliste. Descendrais-tu de monsieur de La Rochefoucauld, par hasard ?
- Non, mais en attendant j'ai inventé autre chose pour n'être pas tout à fait victime, et à l'accomplissement de cette autre chose vous m'aiderez, s'il vous plaît.
- Voyons.
- Vous m'y aiderez ou je la ferai moi-même.
- Expose tes volontés, ma fille, expose.
- L'abbé va venir chez la fausse Olympe.
- Ah ! ah ! tu ne me dis pas cela, et je suis en déshabillé.
- Vous ferez toilette. Il va venir furieux de ce que vous l'avez laissé chasser par Bannière.
- Je le calmerai.
- Voilà onze heures qui sonnent ; il viendra à onze heures et demie.
- Tu crois.
- J'en suis sûre.
- Peste ! nous n'avons que le temps tout juste. Aide-moi à m'habiller, alors.
- Venez, venez ; passons dans votre cabinet et écoutez-moi. Vous allez apprendre le secret d'avoir, dans trois heures, vous, deux mille louis de plus, moi, dans trois, un Bannière de moins.
Et toutes deux entrèrent dans le cabinet, dont la porte se referma sur elles, étouffant leurs petits complots et leurs immondes calculs sur la bourse et l'honneur de leurs ennemis.

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