Olympe de Clèves Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre XXXV
L'engagement.

Bannière, le lendemain, était bien effectivement sur la paille et dans l'ombre, quand un guichetier lui vint annoncer qu'une visite se présentait pour lui.
Nous ne saurions exprimer à quel point d'exaspération la solitude et l'oubli de tous avaient monté Bannière.
C'était un de ces prisonniers nerveux qui délirent en huit jours et meurent en six semaines, plus usés que d'autres en soixante années.
Il avait déjà passé par tous les degrés d'espoir, de découragement et de désespoir, que les autres ne franchissent jamais avant le jugement, et l'arrêt et la torture.
Ses plus cruelles souffrances, c'étaient le soupçon et la jalousie.
Il soupçonnait Olympe de l'avoir fait jeter en prison.
Il la soupçonnait d'avoir donné rendez-vous au colonel des dragons.
De plus il avait entendu dire, pendant le reste du trajet qu'il avait fait avec les archers, que ce colonel était monsieur de Mailly.
On juge de sa colère et de sa défiance.
Telles étaient ses impressions quand on lui annonça la visite d'Olympe.
Il bondit vers elle dès qu'il l'aperçut, avec un sentiment, il faut le dire, de joie folle, qui fut tempérée aussitôt par celui de sa dignité personnelle et aussi par l'air glacial dont Olympe s'était armée à son arrivée.
- Ah ! dit Bannière, vous voilà enfin !
- Ne m'attendiez-vous pas ?
- Je ne croyais pas, mademoiselle, que vous auriez le courage, après m'avoir précipité dans l'abîme, de venir m'insulter.
- Ne faisons point de phrases inutiles, monsieur Bannière. Vous jouez de malheur en ce monde.
- Oh ! vous m'aidez bien à perdre la partie !
- Que voulez-vous dire ?
- N'est-ce pas à vous que je dois d'être en prison ?
- Si vous me reprochez de m'avoir aimée et d'avoir déserté pour moi votre profession, vous dites vrai, je suis la cause de votre emprisonnement.
- Ce n'est pas ce que je veux dire : je veux dire que je vous aimais et que vous m'avez dénoncé.
- Oh ! une lâcheté semblable, vous savez bien que j'en suis incapable.
- En est-il aussi incapable ce colonel de dragons qui vous cherchait hier au soir, et qui vous a trouvée sans doute ?
Olympe pâlit ; bien qu'elle s'attendit à ce coup, elle sentait bien qu'il n'y avait pas de bonne défense pour elle.
- Vous avez vu monsieur de Mailly, n'est-ce pas ? fit-elle d'un ton où perçait la pitié.
Bannière prit cette douleur pour du regret ou de la crainte.
- Eh bien ! dit-il, vous voilà convaincue. Il est bien avéré maintenant que vous et cet ancien amant vous avez comploté ma perte.
- Si peu, monsieur Bannière, que je suis venue de la part de monsieur de Mailly vous apporter la liberté.
- La liberté ! à moi ! s'écria le jeune homme stupéfait.
- Vous êtes sous le coup d'une réclamation des jésuites, vous leur appartenez ; eh bien ! monsieur de Mailly a imaginé de vous faire signer un engagement dans ses dragons. De cette façon, vous appartenez au roi, qui vous réclamera, lui aussi ; et saura bien vous reprendre.
- C'est généreux ! dit Bannière avec ironie.
- Vous avez tort de parler d'une bonne action avec ce ton sarcastique. Monsieur de Mailly était le maître de ne pas vous faire cet avantage.
- Ah ! vous le défendez contre moi ! vous le trouvez plus noble que vous ne me trouvez malheureux.
- Votre malheur, monsieur Bannière, vous l'avez bien mérité, dit gravement Olympe ; mais ce n'est pas le moment de récriminer. Cet engagement qui vous sauve des jésuites, c'est-à-dire de la réclusion éternelle et de l'état ecclésiastique, auquel vous êtes peu propre, cet engagement, le voici en blanc voulez-vous le signer ?
- Avant tout, dites-moi ce que vous allez faire de moi, car il y a dans vos paroles un air de résolution qui m'étonne. Expliquez-moi...
- Rien, avant que vous n'ayez signé ce papier.
- Il m'est impossible cependant de recevoir une grâce d'un homme que peut-être vous aimez encore.
- Cela ne vous importe point, monsieur Bannière ; signez d'abord.
- Quel intérêt avez-vous donc à vouloir m'engager ainsi ?
- Celui de vous sauver, celui de vous prouver que je n'ai pas aidé à votre incarcération, puisque je viens vous ouvrir les portes. Signez !
Bannière prit la plume que lui tendait Olympe ; elle avait tout préparé. Il signa sans lire l'engagement libérateur.
Elle plia le papier après avoir séché la signature, et le serra dans son portefeuille.
- Maintenant, dit-il en baisant la main d'Olympe, dites-moi que vous m'aimez toujours.
Mais elle, sans répondre,
- Avec cet engagement, dit-elle, monsieur de Mailly vous réclamera dès ce matin. Vous serez libre aujourd'hui, à quatre heures du soir, le temps bien juste de faire les démarches et de remplir les formalités indispensables.
- Vous ne m'avez pas répondu, Olympe, interrompit Bannière tendrement ; je vous avais demandé si vous m'aimiez toujours.
- Ne vous inquiétez pas si vous éprouvez quelque retard, monsieur, poursuivit mademoiselle de Clèves du même ton. L'official lâchera difficilement sa proie, mais monsieur de Mailly est décidé à agir d'autorité.
- Olympe ! interrompit Bannière encore une fois avec plus de force.
- J'ai même pensé, continua celle-ci, sans paraître remarquer combien le prisonnier brûlait de nouer un autre entretien, que vous devez craindre ici de manquer de secours et d'appui. Je vous ai apporté de l'argent, pour qu'à votre sortie vous repreniez sur le champ l'aplomb et le maintien nécessaire à un soldat.
- Voyons, Olympe, dit Bannière poussé à bout, vous ne voulez donc pas me répondre ? Je vous ai demandé si vous m'aimiez toujours.
- Je ne voulais pas vous répondre, en effet, monsieur Bannière.
- Mais je le veux, moi, que vous me répondiez !
- Alors, je vous dirai ma pensée. Non, monsieur Bannière, je ne vous aime plus.
- Vous ne m'aimez plus ! s'écria Bannière épouvanté des paroles d'Olympe et du ton surtout avec lequel ces paroles avaient été prononcées.
- Non ! répéta-t-elle.
- Mais pourquoi ? balbutia le malheureux.
- Parce que vous avez usé brin à brin le fil doré de cet amour, parce que, avant de l'user, vous en avez terni, souillé, effacé les couleurs, et que chez une femme l'illusion est ce qui conserve avant tout l'amour. Or, vous m'avez trompée, puis raillée, puis maltraitée ; je n'ai plus gardé d'illusion, partant plus d'amour.
- Olympe ! s'écria Bannière en se jetant à ses pieds, je vous jure que je ne vous ai jamais trompée !
- Je ne vous crois pas !
- Olympe, je vous jure par ma vie et par la vôtre, que je n'ai jamais donné votre bague à la Catalane.
- Je ne vous crois pas.
- Ecoutez, Olympe, puisque je vais être libre, puisque je vais agir, c'est bien facile. Si la Catalane est, ou a été ma maîtresse, c'est par un sentiment quelconque, n'est-ce pas ? c'est par caprice, par envie, ou par faiblesse. Elle m'a provoqué ou je l'ai suppliée. Dans tous les cas, son amour-propre est engagé à ne pas mentir. Je vous demande de venir avec moi chez elle, et elle racontera ce qui s'est passé entre nous ; si elle dit que j'ai été son amant, si elle dit que je lui ai donné votre bague, faites tout ce que vous voudrez. Tuez-moi, non, faites plus, quittez-moi !
L'infortuné prononça ces mots avec tant de force et de naturel ; il y mit tant d'âme et tant d'amour, il se roulait aux pieds d'Olympe avec tant de désespoir profond et d'angoisses mortelles, que celle-ci fut émue ; elle le laissa voir.
- Comment voudriez-vous, continua-t-il, que j'eusse aimé, fût-ce un moment, une autre femme, puisque vous êtes tout dans ma vie, puisque vous êtes tout mon coeur ! Une infidélité des sens.... mon Dieu ! vous la pardonnerez, je vous la pardonnerais, moi ! Oh ! voyez si je vous aime. Tenez ! vous viendriez me dire que monsieur de Mailly est revenu, qu'il vous a suppliée, qu'il vous a persuadée, que vous avez été faible ! Olympe ! je suis bien malheureux, je suis bien lâche ! j'ai un bien vil et bien misérable amour ! je vous pardonnerais si vous me disiez que vous m'aimez encore !
Olympe sentit que les battements de son coeur s'arrêtaient ; elle craignit de chanceler, de faiblir, de laisser sa main dans les baisers de cet homme, auquel l'amour éloquent et vrai donnait tant de force irrésistible.
Il ne lui restait que la violence, la brutalité, pour se sauver. Elle puisa dans son coeur cette fermeté farouche que savent y trouver les femmes qui n'aiment plus ou qui croient ne plus aimer.
- Eh bien ! dit-elle, vous m'épargnerez de vous dire ce que je voulais vous cacher. Monsieur de Mailly est revenu, il a supplié, il m'a persuadée, j'ai été faible, et je ne m'appartiens plus.
A mesure qu'elle parlait, on voyait le sang se retirer des joues, des lèvres, du cou de Bannière, et affluer en grondant vers son coeur.
Il apparut effrayant et glacé à la femme qui le faisait trembler naguère.
- Ah ! Olympe ! Olympe ! balbutia-t-il.
Et ce tremblement secoua tous ses membres, et ses jambes se dérobaient sous lui.
D'agenouillé qu'il était, il tomba assis, puis se renversa, et fût tombé tout de son long s'il n'eût rencontré l'escabeau de bois, seul siège des prisonniers de l'official.
Elle gardait un silence morne.... Lui, cherchait à rappeler la vie qui le fuyait.
- Vous ne serez pas inflexible, dit-il enfin avec effort, pour un crime que je n'ai pas commis, puisque moi je ne le suis pas pour la faute que vous avez avouée. Je vous pardonne, Olympe ; rendez-moi votre amour, vous devez cela, n'est-ce pas ? à une lâcheté.
- Bannière, dit-elle d'une voix sourde, si je ne vous avais pas cru coupable, jamais je n'eusse manqué à la foi que je vous avais jurée.... Ne m'interrompez pas. Vous vous repentez, je le vois bien, vous sentez à présent ce que je suis, mais il est trop tard.
Bannière la regarda d'un air hébété.
- Désormais, Bannière, continua-t-elle en s'enhardissant, nous serons séparés ; laissez-moi vous dire que si vous l'aviez voulu, j'eusse été votre fidèle pour l'éternité.
- Oh ! mon Dieu ! murmura-t-il comme la veille quand il aperçut monsieur de Mailly.
- Ne m'interrompez plus, monsieur Bannière ; je vous l'ai dit, je ne m'appartiens plus. Vivez, travaillez, oubliez, ce qui vous sera facile, et songez que des deux lots qui nous sont échus, le vôtre est le meilleur. Aujourd'hui, vous regrettez ; qui sait si demain je ne regretterai pas, moi ?
Après ces paroles, qui témoignaient de la tendresse et de la générosité de son coeur, Olympe fit un pas vers la porte.
Bannière, en la voyant partir, fit un bond ou plutôt commença ce bond.
- Non, dit-il, ce n'est pas la peine ! Elle n'est pas coquette. Quand elle dit qu'elle n'aime plus, c'est qu'elle n'aime plus.
Il retomba prosterné. Ce mot est mesquinement défini dans notre langue, où il signifie incliné. Chez ceux qui l'ont créé, il signifie écrasé, presque à terre.
Olympe s'approcha de lui, et le voyant dans cet état, voisin de la stupide démence, elle lui tendit la main ; il ne le remarqua pas.
Elle lui glissa dans les doigts la bourse pleine d'or qu'elle avait apportée ; il ne témoigna pas qu'il s'en aperçût.
Alors elle recommença de se diriger vers la porte, et il ne fit pas un mouvement pour l'en empêcher.
Un serrement de coeur affreux s'empara d'elle ; l'oeil fixé sur ce pauvre jeune homme qu'elle abandonnait, elle se sentait pourtant attirée par ses devoirs et par la loyauté.
Peut-être un mot de Bannière, une larme, un soupir, peut-être un geste, eussent-ils provoqué sa dernière marque de sensibilité et de souvenir, mais l'homme était mort et ne demandait plus qu'on s'occupât de lui.
Olympe se fit ouvrir la porte de la prison et sortit, plus effrayée que jamais, plus prompte que l'éclair, redoutant, quand une fois elle fut dehors, que la réaction ne se fit, qu'un cri du malheureux, un appel à l'ancienne amante, un ébranlement des portes inflexibles, ne vinssent jusqu'à son oreille lui reprocher sa résolution et faire chanceler son courage.
Rien ! elle n'entendit rien que le froissement du papier sur lequel Bannière avait signé son engagement comme dragon, et dont les angles se révoltaient contre la soie épaisse de sa robe.

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