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Chapitre XXXVII
Comment Bannière, en rendant visite à la Catalane, trouva la coiffeuse chez elle, et de ce qui s'en suivit.

Mais, nous le savons, Bannière ne sortait point pour examiner purement et simplement le gréement de la porte de la caserne.
Bannière sortait pour aller d'abord chez la Catalane lui reprendre son rubis, et savoir d'elle comment ce rubis se trouvait en sa possession.
Bannière avait fort ragé et fort dissimulé depuis le matin, nous l'avons dit : sa première idée avait été de tout risquer pour être libre, et avoir le coeur net de ce terrible incident qui venait de jeter dans sa vie l'effroyable trouble auquel il était en proie ; mais il avait réfléchi et avait rongé son frein pendant les deux heures qu'avaient duré sa toilette et sa leçon d'exercice.
Tout cela, comme on le comprend bien, n'avait fait qu'augmenter son exaspération contre la cause de tant de douleurs.
Aussi, dès qu'il eut tourné l'angle de la caserne, prit-il sa course vers le grand théâtre, dans les environs duquel demeurait la Catalane.
Cependant, si pressé qu'il fût, il s'arrêta chez un armurier pour y acheter un pistolet, de la poudre et des balles.
L'achat lui coûta deux louis, qu'il prit sur les cent louis que contenait la bourse que lui avait remise Olympe, et dont en y réfléchissant il s'était bien gardé de faire fi, dans la prévision de son utilité.
Le pistolet acheté, bourré, chargé, Bannière le mit dans sa poche et reprit sa course vers la maison de la Catalane.
Ce n'était pas un simple moyen de menace que le pistolet, une simple arme d'intimidation, non, plus l'instant de l'entrevue avec cette femme approchait, plus Bannière, les lèvres serrées et le front pâlissant, était décidé à tirer d'elle la preuve de son innocence, et, en cas de refus, à lui brûler la cervelle.
Cette détermination ne lui donnait pas l'air tendre lorsqu'il frappa à la porte de la Catalane.
Ce fut la coiffeuse qui vint lui ouvrir.
Comme il présumait bien que la créature n'était point étrangère à tout ce qui s'était passé, il ne fut point fâché que le hasard le servît à souhait en réunissant les deux femmes.
En l'apercevant, la coiffeuse recula de deux pas, ce qui donna toute facilité à Bannière pour pénétrer dans l'allée.
Bannière, entré, ferma la porte aux verrous derrière lui.
- Jésus Dieu ! s'écria la coiffeuse, que nous veut ce dragon ?
Bannière comprit qu'il ne s'agissait point d'effaroucher son monde, et, grimaçant un sourire :
- Eh quoi ! chère dame, lui dit-il, vous ne me reconnaissez point !
- Ah ! mon Dieu ! c'est monsieur Bannière, exclama la coiffeuse, tiens, tiens, tiens, je ne vous reconnaissais pas.
- Comment ! vous ne reconnaissez pas vos amis ? dit Bannière en donnant la plus grande douceur possible à sa voix.
- Et puis vous aviez l'air féroce.
- C'est le costume qui me donne cet air-là. Mais dis un peu, ma fille.
- Quoi ? monsieur Bannière.
- La Catalane est-elle à la maison ?
- Eh mais oui ! Oh ! elle va être bien contente.
- De quoi ?
- De vous voir donc. Elle en tient toujours pour vous, bel insensible.
- Allons donc, dit Bannière, tu te gausses de moi, Nanon.
- Non, parole d'honneur ! D'ailleurs, ajouta-t-elle avec son cynique sourire vous pouvez vous en assurer, pas plus tard que tout de suite.
- Eh bien ! peut-être allons-nous voir, coiffeuse de mon coeur ; conduis moi seulement chez elle.
- Mais vous savez bien où elle est, elle est dans le boudoir.
Depuis ses relations avec l'abbé d'Hoirac, la Catalane avait un boudoir.
- N'importe ! conduis-moi toujours, répondit Bannière. La coiffeuse n'y voyait pas d'inconvénient ; elle précéda Bannière, montant devant lui les degrés de l'escalier sombre.
Tout à coup, la lumière se fit dans le corridor. La coiffeuse venait d'ouvrir la porte du boudoir, et, à travers l'entrebâillement de cette porte, Bannière apercevait la Catalane, voluptueusement étendue sur ce meuble dont les indiscrétions firent la renommée de Crébillon fils.
- Dites donc, madame, fit la coiffeuse, c'est monsieur Bannière.
Bannière entra derrière la coiffeuse, ferma la porte du boudoir à la clef, comme il avait fermé celle de la rue au verrou.
- Monsieur Bannière, où cela ? dit la Catalane, qui ne reconnaissait pas plus Bannière sous son nouveau costume que n'avait fait la coiffeuse.
- Mais ici, en soldat. Voyez donc comme cela lui va bien ; seulement, je trouve que cela lui donne l'air terrible.
En ce moment, Bannière achevait son opération, et, ayant mis pour plus grande sûreté la clef du boudoir dans sa poche, se retournait vers la Catalane.
Il n'était plus pâle, il était livide.
La Catalane fut épouvantée de l'expression de ses yeux.
- Oh ! oui, l'air terrible en effet, dit-elle en se relevant. Qu'avez-vous donc, monsieur Bannière ? Bannière marcha vers elle les sourcils froncés, l'haleine sifflante entre ses dents serrées.
Puis, sans répondre à la question.
- Votre main, dit-il.
La Catalane leva lentement sa main droite en murmurant avec épouvante :
- Mon Dieu ! mon Dieu ! que voulez-vous ?
Bannière prit par le poignet la main de la Catalane, examina les unes après les autres les bagues dont ses doigts étaient chargés.
Le rubis de M. de Mailly n’était point à cette main-là.
- L'autre, dit-il.
- Jésus ! il est fou, murmura la coiffeuse.
Bannière prit la main gauche comme il avait pris la main droite, par le poignet, et, à peine eut-il jeté les yeux dessus que ses étincelèrent.
Il avait en effet reconnu le rubis qu'il avait vendu au juif Jacob.
- Oh ! s'écria-t-il, c'est vrai, le voilà !
- Quoi ? demanda la Catalane toute tremblante.
Mais il était dit que Bannière ne répondrait à ses questions que par des questions.
- Où avez-vous volé ce rubis ? demanda-t-il.
- Comment ! volé ! s'écria la Catalane en prenant un air indigné.
- Où avez-vous volé ce rubis ? vous dis-je, répéta Bannière en frappant du pied.
Et en l'interrogeant il lui serrait tellement le poignet que la pauvre femme poussa un gémissement.
- Au secours ! cria la coiffeuse, au secours ! on nous assassine !
Bannière tourna la tête par-dessus son épaule, et, sans lâcher la main de la Catalane,
- Ah çà ! nous allons un peu nous taire là-bas, dit-il.
Mais comme l'accent avec lequel il prononçait ces paroles n'était rien moins que rassurant, au lieu de se taire, la coiffeuse redoubla de cris et de gestes désespérés.
Bannière quitta le poignet de la Catalane, bondit jusqu'à la coiffeuse, la prit de la main gauche par le cou, et, tout en la ramenant vers la Catalane, tira de sa poche le pistolet dont il dirigea le canon vers la poitrine de celle-ci.
- Voyons, dit-il avec une effroyable résolution, je n'ai pas de temps à perdre en lamentations et en jérémiades. Cette bague, d'où vient-elle ? qui vous l'a donnée ? parlez, ou je vous tue.
La Catalane comprit qu'elle était suspendue par un cheveu au-dessus de la tombe.
- L'abbé d'Hoirac, dit-elle.
- Vous êtes donc la maîtresse de l'abbé d'Hoirac ?
- Mais...
- Vous êtes donc la maîtresse de l'abbé d'Hoirac ?
- Oui.
- C'est bien. Vous allez d'abord me rendre la bague.
- Mais...
- Vous allez d'abord me rendre la bague.
- La voilà.
- Et puis, maintenant, vous allez m'écrire que vous êtes la maîtresse de l'abbé d'Hoirac, et que c'est lui qui vous a donné cette bague.
- Mais...
- Mille tonnerres !
- J'écrirai tout ce que vous voudrez, s'écria la Catalane tombant à genoux, tant elle était effrayée de l'expression du visage de Bannière.
Pendant ce temps, la coiffeuse, dont Bannière ne s'était plus occupé que pour lui serrer le cou avec une fureur croissante, au fur et à mesure que les refus de la Catalane exaltaient cette fureur, la coiffeuse se tordait à la main de Bannière comme un serpent aux serres d'un aigle.
Bannière s'aperçut enfin que s'il ne la lâchait pas il allait l'étrangler.
D'ailleurs, il avait besoin d'aller chercher une plume, de l'encre et du papier, pour faire écrire à la Catalane sa déclaration.
Il desserra un peu l'écrou de ses doigts.
- Oh ! lâchez-moi, oh ! lâchez-moi, murmura la coiffeuse d'une voix étouffée.
- Et si je vous lâche, dit Bannière, serons-nous bien sage et nous tairons nous ?
- Je ne soufflerai pas le mot, dit la coiffeuse.
- C'est bien, dit Bannière.
Et il laissa aller la coiffeuse, qui tomba étendue tout de son long sur le parquet, en criant miséricorde.
Puis il alla droit à un petit guéridon qu'il avait avisé, et sur lequel, comme dans la prévision de sa visite, étaient préparés une plume, de l'encre et du papier.
Il apporta le tout devant la Catalane.
- Ecrivez, dit-il.
Celle-ci n'avait plus aucune velléité de résistance ; mais sa main tremblait tellement qu'il lui fallut quelques secondes pour se remettre.
- Allons, dit Bannière, calmons-nous, j'attendrai.
Et en effet, il attendit en faisant jouer le ressort de son pistolet, qu'il armait et désarmait avec un bruit sinistre et menaçant.
Ce bruit eut pour la Catalane un résultat plus efficace que tous les sels et toutes les eaux de mélisse de la terre.
Elle prit la plume, et regardant Bannière :
- Voyons, dictez, dit-elle, j'écrirai.
- Non pas, dit Bannière, vous prétendriez peut être que je vous ai influencé. Ecrivez vous-même ; seulement, soyez vraie, claire et précise.
La Catalane écrivit :
« Je déclare, comme étant la vérité pure, que la bague en rubis que je remets à monsieur Bannière ne m'a jamais été donnée par monsieur Bannière, mais bien par l'abbé d'Hoirac, mon amant. »
- Bon, dit Bannière, qui suivait l'écriture des yeux au fur et à mesure qu'elle naissait sur le papier ; bon, signez maintenant.
La Catalane signa en poussant un soupir.
- La bague, à présent, dit Bannière.
La Catalane poussa un plus gros soupir encore ; mais il n'y avait pas à marchander : elle rendit la bague.
Bannière examina le bijou pour voir si c'était bien le même rubis, et, l'ayant parfaitement reconnu, le passa à son petit doigt.
- Et maintenant, dit-il, comme je ne suis pas un voleur, et qu'il n'entre point dans mes intentions de vous faire un tort matériel, tenez, dit-il.
Et, prenant dans sa poche une poignée de louis, il les jeta à la figure de la Catalane, et s'élança hors du boudoir.
Cependant, à la porte il s'arrêta ; il craignait que l'une ou l'autre des deux femmes ne se précipitât à la fenêtre pour appeler la garde et le faire arrêter lorsqu'il sortirait.
Mais elles ramassaient les louis jetés par Bannière et auxquels la coiffeuse, à moitié étranglée, prétendait avoir des droits aussi incontestables que la Catalane, à moitié morte de frayeur.
Bannière, voyant qu'il n'avait rien à craindre de ce côté-là, se jeta par les degrés, gagna la rue, et se mit à courir de toute la vitesse de ses jambes dans la direction de la rue Montyon, où, comme on se le rappelle, demeurait Olympe.

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