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Chapitre XXXVIII
Comment Bannière sortit du régiment des dragons de Mailly.

Bannière arriva tout essoufflé devant la maison si bien connue de ses yeux et de son coeur, et où il avait passé de si doux et de si terribles instants.
Tout était fermé, à l'exception d'une seule fenêtre au premier.
Cette fenêtre, c'était celle de la chambre d'Olympe.
Bannière se sentit oppressé à la vue de cette maison, qui eût eu l'air d'un tombeau, sans cette seule fenêtre ouverte indiquant que toute vie n'y était point encore éteinte.
Bannière s'élança sur le marteau de la porte, et frappa à coups redoublés.
Il crut d'abord que personne ne répondrait ; son impatience changeait pour lui les secondes en minutes, et les minutes en heures.
Enfin, il entendit un pas qui s'avançait avec inquiétude.
Il frappa de nouveau, car il crut remarquer quelqu'hésitation dans ce pas.
- Qui est là, demanda une voix de femme.
- Moi, Claire, moi.
- Qui, vous ?
- Moi, Bannière. Ne me reconnais-tu donc pas ?
- Oh ! monsieur Bannière, que venez-vous faire ici ? demanda mademoiselle Claire à travers la porte.
- Comment, ce que je viens faire ici.
- Oui, je vous le demande.
- Mais je rentre ; mais je viens voir Olympe ; mais je viens lui prouver qu'elle m'avait soupçonné à tort ; je viens lui dire que je l'aime toujours.
- Mais, monsieur Bannière, mademoiselle Olympe n'est plus ici.
- Olympe n'est plus ici !
- Non, monsieur Bannière, elle est partie.
- Partie pour où ?
- Pour Paris.
- Quand cela ?
- Cette nuit, à deux heures.
- Avec qui ? demanda Bannière pâlissant.
- Avec monsieur de Mailly.
Bannière jeta un cri comme si un poinçon venait de lui traverser le coeur.
Puis, sentant qu'il allait tomber, il se tint au marteau de la porte.
Mais presqu'aussitôt une idée lui vint à l'esprit.
- Ce n'est pas vrai ! dit-il.
- Comment, ce n'est pas vrai ! s'écria mademoiselle Claire, toute blessée que l'on pût douter de sa véracité.
- Olympe est là !
- Je vous jure que non.
- Elle ne veut pas me revoir et t'a fait la leçon.
- Monsieur Bannière, aussi vrai qu'il n'y a qu'un Dieu au ciel !
- Je te dis que tu mens ! s'écria Bannière.
- Oh ! par exemple, dit la femme de chambre, moi, mentir ! Eh bien ! entrez, monsieur Bannière, et voyez vous-même.
Sur quoi, mademoiselle Claire, certaine de son fait, ouvrit majestueusement la porte et livra passage au dragon.
Cette facilité à l'introduire dans la maison, après cette longue discussion à travers la porte, prouva à Bannière qu'il n'y avait plus d'espoir pour lui.
Mais il n'en pénétra pas moins dans la maison, morne et brisé ; il voulait, non plus revoir Olympe, car il comprenait bien qu'elle n'était plus là, mais revoir au moins l'appartement qu'elle avait habité.
Hélas ! il était facile de reconnaître qu'en effet la jeune femme était partie.
A chaque pas Bannière rencontrait la trace de ce départ précipité.
Le salon était encombré de caisses que mademoiselle Claire était occupée à bourrer de robes.
Bannière passa du salon dans la chambre à coucher.
Il étouffait.
La chambre à coucher avait encore cette odeur douce et âcre à la fois de la femme jeune et élégante ; elle avait enfin ce parfum à l'aide duquel la Catalane était parvenue à tromper l'abbé d'Hoirac.
Ce parfum, Bannière le connaissait si bien, lui ! Il s'en était enivré tant de fois dans les bras de celle dont il était séparé pour toujours !
Il tomba à genoux devant le lit intact, prit dans ses bras l'oreiller garni de dentelles où Olympe avait l'habitude de reposer sa tête, et le couvrit de baisers.
Des sanglots s'échappaient, nous ne dirons point de sa poitrine, mais de son coeur, mêlés de soupirs, de cris, de sons inarticulés.
Claire regardait cette grande douleur avec compassion, les femmes sont femmes, c'est à dire non pas miséricordieuses aux maux qu'elles nous font souffrir elles-mêmes, pour ces maux-là elles sont impitoyables, mais aux maux que nous font souffrir les autres femmes.
On se rappelle d'ailleurs que mademoiselle Claire avait autrefois trouvé Bannière très beau garçon.
Or, une douleur bien vraie, une douleur d'amour surtout, embellit toujours un homme aux yeux d'une femme.
- Oh ! monsieur Bannière, dit-elle, il ne faut pas vous désoler ainsi. Au bout du compte, mademoiselle Olympe n'est pas morte.
- Claire, ma chère Claire, s'écria le dragon, tiré hors de l'enfer par cette voix consolatrice, oh ! tu es bonne, toi ; tu me diras où elle est, n'est-ce pas ? afin que je puisse la suivre, afin que je puisse la rejoindre.
- Ce serait avec bien du plaisir, monsieur, mais je ne sais pas moi-même où est mademoiselle.
- Comment, tu ne sais pas où elle est ?
- Non.
- Mais puisque tu fais ses malles.
- C'est vrai ; mais je dois attendre une lettre d'elle pour savoir où les lui adresser.
- Et cette lettre, quand doit-elle venir ?
- Je l'ignore.
- Mais enfin, tu sais si elle est partie pour Paris ou pour Marseille ?
- Oh ! pour Paris, monsieur, j'en suis sûre.
- Tu en es sûre, ma bonne Claire ?
- Oui.
- Et comment cela ?
- Parce qu'en partant monsieur de Mailly a dit au postillon : Route de Paris, par le Nivernais.
- Monsieur de Mailly ! s'écria Bannière. Oh ! c'est donc bien vrai qu'il était avec elle.
- Quant à cela, monsieur Bannière, je ne saurais vous le cacher.
- Mon Dieu, mon Dieu ! Claire, que faire, que devenir ?
- Il me semble que ce n'est point à moi de donner des conseils à un beau garçon résolu et amoureux comme vous, monsieur Bannière.
- Oh ! si je savais où avoir de ses nouvelles, seulement.
- Mais vous en aurez toujours à l'hôtel de Mailly.
- Tu as raison, Claire, à l'hôtel de Mailly je saurai toujours où est Olympe ; et, d'ailleurs, en suivant monsieur de Mailly... Oh ! Claire, Claire, mon enfant, tu me sauves la vie.
Et dans sa joie, il fouilla à sa poche, prit une pincée de louis, les mit dans la main de Claire, baisa encore l'oreiller à pleins bras et à pleines lèvres, et s'élança hors de la maison en souriant.
- Oh ! mon Dieu ! que j'étais bête ! en effet, à l'hôtel de Mailly je saurai tout.
Seulement, il y avait cent vingt lieues de la rue Montyon à l'hôtel de Mailly.
Comment Bannière ferait-il ces cent vingt lieues ?
Il paraît que cela n'inquiétait aucunement le dragon ; car il prit, d'un pas rapide et d'un visage presque tranquille, le chemin de la caserne.
Il arriva au moment où l'exercice du cheval allait commencer.
Le brigadier-instructeur attendait, mordant sa moustache et tenant une longue chambrière à la main.
Il avait bonne envie de grogner, selon son habitude ; mais, en jetant un coup d'oeil oblique sur l'horloge, il vit que Bannière était d'une minute en avance au lieu d'être d'une minute en retard.
Il n'y avait moyen de rien dire.
- Voyons, dit le brigadier, s'adressant à Bannière, arrive ici, camarade.
- Me voilà, brigadier.
- As-tu déjà monté à cheval ?
- Jamais.
- Tant mieux, dit le brigadier, cela fait que tu n'as pas de mauvais principes.
Pourquoi Bannière, que nous avons vu assez bon cavalier, répondait-il qu'il n'avait jamais monté à cheval ?
Sans doute parce qu'il avait ses raisons pour mentir. Bannière n'avait pas de ces scrupules qui embarrassaient éternellement la vie de Champmeslé, et dans lesquels à chaque instant il trébuchait les pieds pris.
Les chevaux étaient là.
- Amenez le trotteur d'abord, dit le brigadier.
Puis se retournant vers Bannière.
- Tu comprends, camarade, dit-il, tu vas monter d'abord le trotteur, puis le coureur, puis le sauteur.
- Et pourquoi ne commençons-nous pas tout de suite par le coureur, dit Bannière, qui semblait pressé.
- Ah ! mais, dit le brigadier, parce qu'il faut aller au trot avant d'aller au galop.
- C'est juste, dit Bannière. Alors le coureur, celui que vous appelez le coureur, il galope à plaisir ?
- Il va comme le vent.
- Et longtemps ?
- En le ménageant, on peut faire avec lui vingt lieues en quatre heures.
- Diable ! fit Bannière, il faut bien se tenir, brigadier, pour monter un pareil cheval ?
- Oh ! cela ne fait rien, dit le brigadier, dès que le cavalier est tombé, il s'arrête.
- C'est bien agréable, répondit Bannière. Eh bien ! brigadier, voyons le trotteur.
- Ah çà ! tu es bien pressé, camarade.
- Voyez-vous, brigadier, c'est que je déteste autant les offices des jésuites que j'adore l'exercice militaire.
- Allons, allons, dit le brigadier, je vois que j'avais des préventions sur ton compte, et qu'avec du temps et de la bonne volonté, on fera quelque chose de toi.
- Dame ! faut espérer, dit Bannière.
Le brigadier fit un signe, on amena le trotteur ; le brigadier montra à Bannière comment on rassemblait les rênes ; comment on empoignait la crinière avec la main gauche, et comment, en trois élans, on devait se trouver en selle.
Nous disons on devait se trouver, parce qu'au bout de trois élans, Bannière ne se trouva point en selle du tout.
Bannière s'était enlevé ; mais après avoir un instant appuyé le ventre sur la selle, agité inutilement le bras droit et la jambe droite, à peu près comme fait un nageur qui nage à la sangle sèche, il était retombé à terre au milieu des éclats de rire de ses camarades.
- Recommençons cela, dit gravement le brigadier.
Bannière recommença, et cette fois fut plus heureux. Au bout de quelques minutes d'efforts violents, il retomba enfin en selle.
- C'est mieux, dit le brigadier, mais recommençons pour que ce soit tout à fait bien.
- Recommençons, dit Bannière avec courage ; car je suis comme vous, brigadier, parole d'honneur ! j'y mets de l'amour-propre.
Les camarades, qui regardaient donner la leçon, se mirent à rire.
- Silence, dit le brigadier. Il y a de la bonne volonté au moins dans ce pauvre garçon, ajouta-t-il, et peut-être bien que je ne pourrais pas en dire autant de tout le monde.
Bannière fit donc une troisième tentative, au milieu du plus profond silence, et cette fois, disons-le, il en vint assez proprement à son honneur.
- Ah ! fit-il triomphalement lorsqu'il fut en selle, m'y voilà, brigadier.
- Très bien, dragon, répondit celui-ci ; maintenant, tournez la pointe de la botte en dedans, sentez la selle avec les genoux ; les genoux, dragon, c'est le point d'appui du cavalier ; y es-tu, mon enfant ?
- Je crois que oui, brigadier, répondit Bannière.
- Eh bien alors, houp !
Et il allongea un coup de chambrière au trotteur, qui, justifiant le nom dont il était baptisé, partit à l'instant même au grand trot.
Quoique Bannière, comme nous l'avons dit, fût assez bon cavalier, le trot du cheval sur lequel il était monté avait l'avantage d'être si dur, que l'on pouvait à chaque pas qu'il faisait, et si l'on était placé dans la ligne, voir le ciel entre les cuisses et la selle du cavalier.
Bannière eut un moment l'idée de monter à l'anglaise, c'est-à-dire en pesant sur les étriers, mais il réfléchit que c'était se trahir, et il se laissa secouer comme un sac de noix, penchant tantôt à droite et tantôt à gauche.
Mais il réfléchit que s'il se livrait à un balancement trop exagéré, on remettrait peut-être au lendemain la leçon de galop ; et comme il avait hâte de passer du trotteur au coureur, il reprit peu à peu son équilibre et finit par trotter assez convenablement pour mériter les encouragements de son brigadier, lequel prononça enfin les paroles tant attendues par Bannière :
- Très bien ; le coureur, maintenant.
Bannière allait d'un seul bond sauter en bas de son cheval, mais il songea que ce serait une imprudence non moins condamnable que celle à laquelle il venait déjà d'échapper, et il se laissa glisser aussi maladroitement que possible en bas de sa monture.
- Oh ! oh ! dit le brigadier, perdant quelque peu de sa considération pour Bannière, la prochaine fois, l'ami, il faudra mettre pied à terre un peu mieux que cela.
- Voulez-vous que je recommence, brigadier ? dit Bannière de sa voix la plus soumise.
- Non, ce n'est point la peine ; nous verrons cela demain. Le coureur.
On amena le coureur. C'était un beau cheval de sang, avec des jambes comme des fuseaux, et des jarrets d'acier.
Il allongea sa tète fine et intelligente vers Bannière, sembla le flairer et hennit.
- Bon, murmura Bannière, bon, tout à l'heure je te ferai hennir, moi.
- Allons, allons, dit le brigadier, ne perdons pas de temps ; à cheval, et voyons si tu monteras mieux sur celui-ci que tu n'es descendu de l'autre ?
- Oh ! brigadier, dit Bannière, monter, ce n'est rien, vous allez voir.
En effet, Bannière, au troisième élan, se trouva régulièrement en selle.
- Pas mal, dit le brigadier.
- Dites donc, brigadier, dit Bannière, qui paraissait encouragé par l'éloge, pas trop vite pour la première fois, n'est-ce pas ; je n'ai jamais été au galop.
Le brigadier se mit à rire, et fouetta le cheval assez doucement pour que l'on pût remarquer qu'il avait égard à la recommandation de Bannière.
Cependant, malgré cette modération du brigadier, le cheval, poussé peut être par un coup d'éperon invisible, partit à fond de train.
- Eh ! brigadier, brigadier ! cria Bannière, que fait donc votre cheval ? Arrêtez, je vais tomber. Brigadier, brigadier ! votre cheval s'emporte ! holà, holà, holà !
Et Bannière, sans lâcher la bride, s'accrocha à la crinière de sa monture, qui, après avoir fait au milieu des rires de tous les dragons le tour de la cour intérieure, se lança par la porte et enfila la grande route, comme s'il fallait plus d'espace à sa soif de vitesse et de rapidité.
Le brigadier et les soldats, toujours riants, coururent a la porte et virent de loin Bannière cramponné à son cheval et criant d'une voix lamentable :
- Brigadier, à moi ! au secours !... Je vais tomber ! holà, holà, holà !
Cela dura jusqu'à ce que le cheval eût disparu à l'angle de la route ; alors le cavalier lâcha la crinière, rassembla les rênes, et, penché comme Hyppolite sur le cou de son cheval, fit entendre un petit sifflement, qui, accompagné du jeu des éperons, redoubla encore la vitesse de sa monture.
Pendant ce temps-là, le brigadier et les soldats riaient à se tordre.
Ils étaient complètement dupes de la ruse de Bannière. Bannière n'avait pas été pour rien jésuite pendant dix ans et comédien pendant quinze mois.

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