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Chapitre XLIX
Monsieur de Mailly fait fausse route.

Au lieu de remarquer cette mélancolie d'Olympe et d'en scruter la véritable cause en la cherchant dans le cercle d'idées nouvelles ou anciennes qui tourmentent d'ordinaire les femmes, monsieur de Mailly, comme tous les jaloux, se laissa emporter par ses préoccupations à lui-même.
Il prit un air charmant, et, s'approchant d'elle le jarret tendu et le sourire sur les lèvres :
- Ma chère Olympe, lui dit-il, vous avez eu ce soir un succès colossal.
- Vous croyez ? dit Olympe en essuyant son rouge.
- C'est qu'aussi, chère belle, vous avez joué à ravir.
- Ah ! dit-elle nonchalamment, tant mieux.
- Savez-vous, continua Mailly, que vous faites parler de vous ?
- Vraiment ? reprit Olympe du même ton, et cela vous fait plaisir ?
- Mais non, au contraire.
- Comment, au contraire ! pourquoi au contraire ?
- Parce que la chose n'a rien d'agréable pour moi.
- Comment ! il n'y a rien d'agréable pour vous à ce que j'aie du talent et à ce qu'on le dise ?
- Non, sans doute.
- Ah ! cela demande explication, par exemple.
- L'explication est bien facile à donner.
- Donnez-la.
- Si l'on était jaloux, par exemple ?
- Eh bien ! on aurait tort.
- Peut-être aurait-on tort, reprit coquettement Mailly, mais on n'en souffrirait pas moins.
- On souffrirait ?
- Et cruellement.
- Oui, mais vous n'êtes pas jaloux, vous ?
- Je ne sais trop.
- Bah ! de quoi seriez-vous jaloux ?
- Eh ! mon Dieu ! je sais que vous m'aimez, dit le comte avec cet aplomb effrayant qui dénote toujours un manque absolu d'équilibre.
Olympe se détourna et fit à sa glace une espèce de mine qui, chez une femme moins bien élevée, eût pu passer pour une grimace.
Le comte avait à s'occuper de bien autre chose ; aussi ne vit-il ni Olympe, ni la glace, ni la mine.
- Quoi qu'il en soit, continua-t-il, je ne suis pas complètement rassuré.
- Et que faut-il faire, comte, pour vous rassurer tout à fait ?
- Ah ! ma bonne Olympe, des choses que malheureusement vous ne ferez pas.
- Oh ! je puis faire bien des choses, dit-elle.
- Mais non pas des choses que vous ayez déjà refusé de faire.
- La femme est capricieuse, dit Olympe.
- De sorte que je ne dois pas perdre tout espoir ?
- Vous conviendrez, mon cher comte, que je ne saurais vous répondre avant de savoir de quoi il s'agit. Est-ce une ou plusieurs choses que vous désirez ?
- Quand on désire avec vous, Olympe, ce n'est point la peine de désirer pour peu.
- Eh bien ! donc, commencez.
- Par où voulez-vous que je commence ?
- Par la chose la plus importante ou la plus difficile parmi les choses que vous désirez. Abordez le taureau par les cornes, comme on dit.
- Eh bien ! ma chère Olympe, voulez-vous me rendre le plus heureux des hommes ?
- Je ne demande pas mieux.
- Quittez le théâtre.
Olympe leva la tête.
Il y avait dans son regard un flamboiement retenu qui fit frissonner le comte.
- Quoi ! dit-elle, vous me venez chercher à Lyon avec un ordre de début, vous m'amenez à Paris pour me faire débuter ; je débute, j'ai du succès, et vous me demandez de quitter la scène le soir même de mon début ! Si je faisais cela, je serais folle ; si vous me le faisiez faire, vous seriez fou. Mais hors la scène, je m'ennuierais et je vous ennuierais ; ce serait à périr tous deux. Croyez-moi, n'insistez pas là-dessus, vous y perdriez trop, et moi aussi.
Monsieur de Mailly voulut insister.
- Mais, chère Olympe, dit-il, vous savez que ce n'est point la première fois.
- Justement ; je sais que ce n'est pas la première fois que vous me demandez cela, et je sais aussi par conséquent que ce n'est point la première fois que je vous refuse. Eh bien ! je vous prie que ce soit la dernière, mon cher comte.
- Cependant...
- Oh ! brisons, dit-elle ; insister là-dessus, monsieur, ce serait une preuve que vous avez trop peu d'estime pour moi.
- Hélas ! chère Olympe, les occasions au théâtre sont si fréquentes !
- Les occasions de quoi ?
- Mais, fit monsieur de Mailly, atterré par le sang-froid avec lequel Olympe lui posait cette étrange question, mais les occasions d'être aimée et d'aimer.
- Ce n'est pas pour moi, je présume, que vous dites ce que vous venez de dire, comte.
Et elle attacha sur monsieur de Mailly ce clair, ce terrible regard bleu qui perce les coeurs comme une lame d'inflexible acier.
Il était hautain d'ordinaire, et en outre il avait ce soir-là un mauvais levain dans le coeur, le cher comte !
D'ailleurs, sa mauvaise étoile le poussait.
- Ma chère, dit-il, permettez-moi de protester contre vos grands airs.
- Pourquoi cela ?
- Parce que, par malheur pour moi, ce ne serait pas la première fois que vous auriez trouvé une de ces occasions-là.
- Je crois que vous perdez le sens, monsieur le comte, dit Olympe. Cette occasion-là, n'est-ce pas monsieur Bannière que vous la nommez ?
- Mais oui.
- Eh bien ! cette occasion, c'est vous qui l'avez faite, et c'est moi qui l'ai prise.
- Enfin, ma bonne amie, c'est un malheur auquel je ne voudrais pas que vous fussiez exposée désormais.
- Vous vous méprenez encore, monsieur le comte ; monsieur Bannière n'est point un malheur pour moi ; c'est, au contraire, assurément moi qui fus un malheur pour monsieur Bannière.
Le comte vit que la conversation prenait la tournure d'un duel.
Il s'arrêta, mais il était trop tard.
La blessure, pareille à celle des guêpes, s'envenimait peu à peu dans l'épiderme délicat d'Olympe.
- Vous ne voulez pas me faire ce sacrifice ? dit le comte.
- Non, monsieur !
- Encore une fois ?
- Non !
- Si je vous priais, si je vous suppliais.
- Ce serait chose inutile.
Il soupira.
- Eh ! mon Dieu ! ajouta-t-il, je vous déclare que je, n'ai pas la moindre inquiétude : je vous sais la plus noble des femmes ; mais si votre âme est noble, votre coeur est capable de recevoir des impressions.
- Assurément.
Ce mot fit frémir monsieur de Mailly.
- Eh bien ! dit-il, voilà ce que je redoute.
- Oh ! dit-elle, quand cela viendra, soyez sûr que je vous en avertirai.
Nouveau coup pour le pauvre amant.
- Savez-vous que c'est très loyal, mais en même temps très peu agréable, ce que vous venez de me promettre là, chère Olympe, dit monsieur de Mailly en minaudant ; car enfin vous admettez un changement.
- Il faut tout admettre, dit paisiblement Olympe.
- Comment, tout admettre ! même votre changement ?
- Connaissez-vous quelque chose d'immuable en ce monde ?
- J'admets donc. Eh bien ! je dis qu'il est fâcheux que vous ne me donniez pas la faculté de combattre mes mauvaises chances.
- Je vous les donnerai toutes, monsieur, répondit Olympe, hormis celle que vous me demandez.
- Ainsi, s'écria vivement monsieur de Mailly, hormis le théâtre, vous m'abandonnez tout ?
- Tout.
- Merci. Je commence.
- Que faites-vous ?
- Je fais un bloc de vos bijoux que votre femme de chambre allait prendre.
- Eh bien ! pourquoi ?
- Je vais les donner à mon laquais, qui les portera...
- Où donc ?
- A ma petite maison de la rue Grange-Batelière.
- A votre petite maison ?
- Où je vous supplie de venir vous installer dès ce soir. Olympe ouvrit ses beaux grands yeux étonnés.
- Mais l'appartement que j'avais loué ? dit-elle.
- Il serait bientôt envahi par la foule des admirateurs que vous venez de vous faire, tandis que, pour venir chez moi, on réfléchira.
- Ainsi, vous me condamnez à la prison ?
- Presque.
Elle se tut un moment.
- Vous hésitez, s'écria le comte. Ah ! Olympe !
- Dame ! la prison ! dit-elle.
- Vous aviez dit : Tout !
- Mais la prison !
- On dorera la cage, ma belle recluse ; on tâchera que la liberté soit le bien que vous regrettiez le moins.
- La liberté ! murmura Olympe avec un soupir.
- On dirait que vous y tenez.
- Si j'y tiens ! fit-elle avec explosion.
- Allons, madame, dit le comte, il y a des mauvais jours, et je suis dans un de ces jours-là.
- Que voulez-vous dire ?
- Je veux dire que j'ai du malheur ce soir, car je découvre en vous une froideur que je n'avais peut-être pas le droit de soupçonner.
Olympe, qui était tombée dans une profonde rêverie, parut en sortir tout à coup, et secouant la tête :
- Voyons, dit-elle, ne discutons pas, cela me fatigue. Vous me demandez de quitter le théâtre ?
- Oh ! non, non, je n'ose.
- Tout au moins vous me demandez de quitter le monde, n'est-ce pas.
- Je vous supplie au moins de me suivre à ma petite maison, que vous connaissez, et de vous y installer avec vos femmes.
- Eh bien ! c'est convenu, dit Olympe en se levant, Je pars pour la petite maison.
- Cependant, réfléchissez, reprit le comte.
- Réfléchir ! que je réfléchisse ! Ne me parlez pas de cela, comte. Convenu, vous dis-je ; mais c'est justement à la condition que je ne réfléchirai pas.
- Je ne vous prends pas en traître, Olympe. Si je vous demande de venir habiter là, c'est que je veux vous y cacher.
- Convenu.
- C'est que je veux choisir les gens que vous pourrez y recevoir.
- Convenu, toujours convenu. Comte, vous plaît-il que je ne sorte jamais ? Comte, vous plaît-il que je ne voie personne ? Parlez, ordonnez, ou plutôt non, ne parlez pas, je saurai deviner.
- Olympe, vous m'enchantez et vous m'épouvantez en même temps.
- C'est bien ! c'est bien ! Votre bras, comte, et partons.
Le comte, transporté, fit monter Olympe dans sa voiture, qui attendait à la sortie des acteurs, et ordonna de toucher à sa petite maison de la Grange Batelière.
Olympe ne dit plus un mot ; elle regarda sans les voir les précieux objets dont elle était entourée, et qui, dès ce moment, lui dit monsieur de Mailly, devenaient sa propriété ; puis elle se mit à table pour souper et ne soupa point, sourit quand le comte lui parla, mais ne parvint jamais à rire. Enfin elle monta fièvre sur fièvre pour se maintenir dans une apparente amabilité, jusqu'à ce que monsieur de Mailly eût pris congé d'elle.
Après quoi, se voyant seule, elle se laissa tomber dans un fauteuil près du feu en disant :
- Oh ! comme je m'ennuie !
Epouvantable mot, dont les hommes ne sentent jamais la portée que lorsqu'il a atteint son but et produit ses résultats.
Quant à monsieur de Mailly, il rentra, bien heureux d'avoir amené Olympe à divorcer avec le bruit et le monde. Il ne se doutait point, le malheureux ! de l'ennemi mortel avec lequel il la laissait aux prises dans sa maison de la Grange-Batelière.
- Enfin, disait-il, la bataille a été rude, mais la victoire est à moi, je l'ai là sous la main. Le roi ne la verra plus qu'au théâtre, et encore, s'il l'y voit trop, je l'empêcherai bien de jouer ; mes amis de la chambre m'y aideront.
Malheureux monsieur de Mailly ! il était entré jusqu'aux genoux dans cette ornière de l'amour où s'était aux trois quarts noyé le pauvre Bannière.

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