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Chapitre II
Un orfèvre au seizième siècle

Puisque nous avons fait le portrait et que nous avons prononcé le nom de Benvenuto Cellini, que le lecteur nous permette, afin qu'il puisse entrer plus avant dans le sujet tout artistique que nous traitons, une petite digression sur cet homme étrange qui depuis deux mois habitait la France, et qui est destiné, comme on s'en doute bien, à devenir un des personnages principaux de cette histoire.
Mais auparavant disons ce que c'était qu'un orfèvre au seizième siècle.
Il y a à Florence un pont qu'on appelle le Pont-Vieux, et qui est encore aujourd'hui tout chargé de maisons : ces maisons étaient des boutiques d'orfèvrerie.
Mais pas d'orfèvrerie comme nous l'entendons de nos jours : l'orfèvrerie aujourd'hui est un métier ; autrefois l'orfèvrerie était un art.
Aussi rien n'était merveilleux comme ces boutiques ou plutôt comme les objets qui les garnissaient : c'étaient des coupes d'onyx arrondies, autour desquelles rampaient des queues de dragons, tandis que les têtes et les corps de ces animaux fantastiques, se dressant en face l'un de l'autre, étendaient leurs ailes azurées tout étoilées d'or, et, la gueule ouverte comme des chimères, se menaçaient avec leurs yeux de rubis. C'étaient des aiguières d'agate au pied desquelles s'enroulait un feston de lierre qui, remontant en forme d'anse, s'arrondissait bien au-dessus de son orifice, cachant au milieu de ses feuilles d'émeraude quelque merveilleux oiseau des tropiques tout habillé d'émail, et qui semblait vivre et prêt à chanter. C'étaient des urnes de lapis-lazuli dans lesquelles se penchaient, comme pour boire, deux lézards si habilement ciselés qu'on eût cru voir les reflets changeants de leur cuirasse d'or, et qu'on eût pu penser qu'au moindre bruit ils allaient fuir et se réfugier dans quelque gerçure de la muraille. C'étaient encore des calices, des ostensoirs, des médailles de bronze, d'argent, d'or ; tout cela émaillé de pierres précieuses, comme si, à cette époque, les rubis, les topazes, les escarboucles et les diamants, se trouvaient en fouillant le sable des rivières, ou en soulevant la poussière des chemins ; c'étaient enfin des nymphes, des naïades, des dieux, des déesses, tout un Olympe resplendissant, mêlé à des crucifix, à des croix, à des calvaires ; des Mater dolorosa et des Vénus, des Christs et des Apollons, des Jupiters lançant la foudre, et des Jéhovahs créant le monde ; et tout cela, non seulement habilement exécuté, mais poétiquement conçu, non seulement admirable comme bijoux à orner le boudoir d'une femme, mais splendide comme chefs-d'oeuvre à immortaliser le règne d'un roi ou le génie d'une nation.
Il est vrai que les orfèvres de cette époque se nommaient Donatello Ghiberti, Guirlandajo, et Benvenuto Cellini.
Or, Benvenuto Cellini a raconté lui-même, dans des mémoires plus curieux que les plus curieux romans, cette vie aventurière des artistes du quinzième et du seizième siècle, quand Titien peignait la cuirasse sur le dos, et que Michel-Ange sculptait l'épée au côté, quand Masaccio et le Dominiquin mouraient du poison, et quand Cosme Ier s'enfermait pour retrouver la trempe d'un acier qui pût tailler le porphyre.
Nous ne prendrons donc pour faire connaître cet homme qu'un épisode de sa vie : celui qui le conduisit en France.
Benvenuto était à Rome, où le pape Clément VII l'avait fait appeler, et il travaillait avec passion au beau calice que Sa Sainteté lui avait commandé ; mais comme il voulait mettre tous ses soins à ce précieux ouvrage, il n'avançait que bien lentement. Or, Benvenuto, comme on le pense bien, avait force envieux, tant à cause des belles commandes qu'il recevait des ducs, des rois et des papes, qu'à cause du grand talent avec lequel il exécutait ces commandes. Il en résultait qu'un de ses confrères nommé Pompeo, qui n'avait rien à faire qu'à calomnier, lui, profitait de ces retards pour le desservir tant qu'il pouvait près du pape, et cela tous les jours, sans trêve, sans relâche, tantôt tout bas, tantôt tout haut, assurant qu'il n'en finirait jamais, et que comme il était accablé de besogne, il exécutait d'autres travaux, au détriment de ceux commandés par Sa Sainteté.
Il dit et fit tant, ce digne Pompeo, qu'un jour en le voyant entrer dans sa boutique Benvenuto Cellini jugea tout de suite à son air riant qu'il était porteur d'une mauvaise nouvelle.
- Eh bien ! mon cher confrère, dit-il, je viens vous soulager d'une lourde obligation : Sa Sainteté a bien vu que si vous tardiez tant à lui livrer son calice, ce n'était pas faute de zèle, mais faute de temps. Elle a pensé en conséquence qu'il fallait débarrasser vos journées de quelque soin important, et de son propre mouvement elle vous retire la charge de graveur de la Monnaie. C'est neuf pauvres ducats d'or que vous aurez par mois de moins, mais une heure par jour que vous aurez de plus.
Benvenuto Cellini se sentit une sourde et furieuse envie de jeter le railleur par la fenêtre, mais il se contint, et Pompeo, ne voyant bouger aucun muscle de son visage, crut que le coup n'avait pas porté.
- En outre, continua-t-il, et je ne sais pourquoi, malgré tout ce que j'ai pu dire en votre faveur, Sa Sainteté vous redemande son calice tout de suite, et dans l'état où il est. J'ai vraiment peur, mon cher Benvenuto, et je vous préviens de cela en ami, qu'elle n'ait l'intention de le faire achever par quelque autre.
- Oh ! pour cela, non ! s'écria l'orfèvre, se redressant cette fois comme un homme piqué par un serpent. Mon calice est à moi comme l'office de la Monnaie est au pape. Sa Sainteté n'a d'autre droit que d'exiger les cinq cents écus qu'elle m'a fait payer d'avance, et je ferai de mon travail ce que bon me semblera.
- Prenez garde, mon maître, dit Pompeo, car peut-être la prison est-elle au bout de ce refus.
- Monsieur Pompeo, vous êtes un âne, répondit Benvenuto Cellini.
Pompeo sortit furieux.
Le lendemain, deux camerieri du saint-père vinrent trouver Benvenuto Cellini.
- Le pape nous mande vers toi, dit l'un d'eux, afin que tu nous remettes le calice ou que nous te conduisions en prison.
- Messeigneurs, répondit Benvenuto, un homme comme moi ne méritait pas moins que des archers comme vous. Menez-moi en prison, me voilà. Mais, je vous en préviens, cela n'avancera point d'un coup de burin le calice du pape.
Et Benvenuto s'en alla avec eux chez le gouverneur, qui, ayant sans doute reçu ses instructions d'avance, l'invita à se mettre à table avec lui. Pendant tout le dîner le gouverneur engagea Benvenuto par toutes les raisons possibles à contenter le pape en lui portant son travail, lui affirmant au reste que s'il faisait cette soumission, Clément VII, tout violent et entêté qu'il était, s'apaiserait de cette seule soumission ; mais Benvenuto répondit qu'il avait déjà montré six fois au saint-père son calice commencé, et que c'était tout ce que l'exigence pontificale pouvait demander de lui ; que d'ailleurs il connaissait Sa Sainteté, qu'il n'y avait pas à s'y fier, et qu'elle pourrait bien profiter de ce qu'elle le tenait à sa disposition pour lui reprendre son calice et le donner à finir à quelque imbécile qui le gâterait. En revanche il déclara de nouveau qu'il était prêt à rendre au pape les cinq cents écus qu'il lui avait avancés.
Cela dit, Benvenuto ne répondit plus à toutes les instances du gouverneur qu'en vantant son cuisinier et en exaltant ses vins.
Après le dîner, tous ses compatriotes, tous ses amis les plus chers, tous ses apprentis conduits par Ascanio, vinrent le supplier de ne pas courir à sa ruine en tenant tête à Clément VII ; mais Benvenuto Cellini répondit que depuis longtemps il désirait constater cette grande vérité, qu'un orfèvre pouvait être plus entêté qu'un pape ; qu'en conséquence, comme l'occasion s'en présentait aussi belle qu'il la pouvait désirer, il ne la laisserait point échapper de peur qu'elle ne se présentât plus.
Ses compatriotes se retirèrent en haussant les épaules, ses amis en déclarant qu'il était fou, et Ascanio en pleurant.
Heureusement Pompeo n'oubliait pas Cellini, et pendant ce temps il disait au pape :
- Très saint-père, laissez faire votre serviteur, je vais envoyer dire à cet entêté que, puisqu'il le veut absolument, il ait à faire remettre chez moi les cinq cents écus, et comme c'est un gaspilleur et un dépensier qui n'aura pas cette somme à sa disposition, il sera bien forcé de me remettre le calice.
Clément VII trouva le moyen excellent, et répondit à Pompeo d'agir comme il l'entendrait. En conséquence, le même soir, et comme on allait conduire Benvenuto Cellini à la chambre qui lui était destinée, un cameriere se présenta disant à l'orfèvre que Sa Sainteté acceptait son ultimatum et désirait avoir à l'instant même les cinq cents écus ou le calice.
Benvenuto répondit qu'on n'avait qu'à le ramener à sa boutique et qu'il donnerait les cinq cents écus.
Quatre Suisses reconduisirent chez lui Benvenuto, suivi du cameriere. Arrivé dans sa chambre à coucher, Benvenuto tira une clef de sa poche, ouvrit une petite armoire en fer pratiquée dans le mur, plongea sa main dans un grand sac, en tira les cinq cents écus, et les ayant donnés au cameriere, il le mit à la porte lui et les quatre Suisses.
Ceux-ci reçurent même, il faut le dire à la louange de Benvenuto Cellini, quatre écus pour la peine qu'ils avaient prise, et ils se retirèrent en lui baisant les mains, il faut le dire à la louange des Suisses.
Le cameriere retourna aussitôt près du saint-père et lui remit les cinq cents écus, sur quoi Sa Sainteté désespérée entra dans une grande colère et se mit à injurier Pompeo.
- Va trouver toi-même mon grand ciseleur à sa boutique, animal, lui dit-il ; fais-lui toutes les caresses dont ton ignorante bêtise est capable, et dis-lui que s'il consent à me faire mon calice, je lui donnerai toutes les facilités qu'il me demandera.
- Mais, Votre Sainteté, dit Pompeo, ne serait-il pas temps demain matin ?
- Il est déjà trop tard ce soir, imbécile, et je ne veux pas que Benvenuto s'endorme sur sa rancune ; fais donc à l'instant ce que j'ordonne, et que demain à mon lever j'aie une bonne réponse.
Le Pompeo sortit donc du Vatican l'oreille basse, et s'en vint à la boutique de Benvenuto : elle était fermée.
Il regarda à travers le trou de la serrure, à travers les fentes de la porte, passa en revue toutes les fenêtres pour voir s'il n'y en avait pas quelqu'une d'illuminée ; mais voyant que tout était sombre, il se hasarda à frapper une seconde fois plus fort que la première, puis enfin une troisième fois plus fort encore que la seconde.
Alors une croisée du premier étage s'ouvrit et Benvenuto parut en chemise et son arquebuse à la main.
- Qui va là ? demanda Benvenuto.
- Moi, répondit le messager.
- Qui, toi ? reprit l'orfèvre, qui avait parfaitement reconnu son homme.
- Moi, Pompeo.
- Tu mens, dit Benvenuto, je connais parfaitement Pompeo, et c'est un trop grand lâche pour se hasarder à cette heure dans les rues de Rome.
- Mais, mon cher Cellini, je vous jure...
- Tais-toi ; tu es un brigand qui a pris le nom de ce pauvre diable pour te faire ouvrir ma porte et pour me voler.
- Maître Benvenuto, je veux mourir...
- Dis encore un mot, s'écria Benvenuto en abaissant l'arquebuse dans la direction de son interlocuteur, et ce souhait sera exaucé.
Pompeo s'enfuit à toutes jambes en criant au meurtre, et disparut à l'angle de la plus prochaine rue.
Quand il eut disparu, Benvenuto referma sa fenêtre, raccrocha son arquebuse à son clou, et se recoucha en riant dans sa barbe de la peur qu'il avait faite au pauvre Pompeo.
Le lendemain, au moment où il descendait dans sa boutique, ouverte déjà depuis une heure par ses apprentis, Benvenuto Cellini aperçut de l'autre côté de la rue Pompeo, qui, depuis le point du jour en faction, attendait qu'il descendît.
En apercevant Cellini, Pompeo lui fit de la main le geste le plus tendrement amical qu'il ait jamais fait à personne.
- Ah ! fit Cellini, c'est vous, mon cher Pompeo. Ma foi ! j'ai manqué cette nuit faire payer cher à un drôle l'insolence qu'il avait eue de prendre votre nom.
- Vraiment, dit Pompeo en s'efforçant de sourire et en s'approchant peu à peu de sa boutique, et comment cela ?
Benvenuto raconta alors au messager de Sa Sainteté ce qui s'était passé ; mais comme dans le dialogue nocturne son ami Benvenuto l'avait traité de lâche, il n'osa avouer que c'était à lui en personne que Benvenuto avait eu affaire. Puis, ce récit achevé, Cellini demanda à Pompeo quelle heureuse circonstance lui valait si matin l'honneur de son aimable visite.
Alors Pompeo s'acquitta, mais dans d'autres termes, bien entendu, de la commission dont Clément VII l'avait chargé près de son orfèvre.
A mesure qu'il parlait, la figure de Benvenuto Cellini s'épanouissait. Clément VII cédait donc. L'orfèvre avait été plus entêté que le pape ; puis, quand il eut fini son discours :
- Répondez à Sa Sainteté, dit Benvenuto, que je serai heureux de lui obéir et de faire tout au monde pour regagner ses bonnes grâces que j'ai perdues, non par ma faute, mais par la méchanceté des envieux. Quant à vous, monsieur Pompeo, comme le pape ne manque pas de domestiques, je vous engage, dans votre intérêt, à me faire envoyer à l'avenir un autre valet que vous ; pour votre santé, monsieur Pompeo, ne vous mêlez plus de ce qui me regarde ; par pitié pour vous, ne vous rencontrez jamais sur mon chemin, et, pour le salut de mon âme, priez Dieu, Pompeo, que je ne sois pas votre César.
Pompeo ne demanda point son reste et s'en alla reporter à Clément VII la réponse de Benvenuto Cellini, en supprimant toutefois la péroraison.
A quelque temps de là, pour se raccommoder tout à fait avec Benvenuto, Clément VII lui commanda sa médaille. Benvenuto la lui frappa en bronze, en argent et en or, puis il la lui porta. Le pape en fut si émerveillé qu'il s'écria dans son admiration que jamais les anciens n'avaient fait une si belle médaille.
- Eh bien ! Votre Sainteté, dit Benvenuto, si cependant je n'avais pas montré un peu de fermeté, nous serions brouillés tout à fait à cette heure : car jamais je ne vous eusse pardonné, et vous eussiez perdu un serviteur dévoué. Voyez-vous très Saint-Père, continua Benvenuto en manière d'avis, Votre Sainteté ne ferait pas mal de se rappeler quelquefois l'opinion de certaines gens d'un gros bon sens, qui disent qu'il faut saigner sept fois avant de couper une, et vous feriez bien aussi de vous laisser un peu moins aisément duper par les méchantes langues, les envieux et les calomniateurs ; cela soit dit pour votre gouverne, et n'en parlons plus, très Saint-Père.
Ce fut ainsi que Benvenuto pardonna à Clément VII, ce qu'il n'eût certainement pas fait s'il l'eût moins aimé ; mais en qualité de compatriote il était fort attaché à lui.
Aussi sa désolation fut grande lorsque, quelque mois après l'aventure que nous venons de raconter, le pape mourut presque subitement. Cet homme de fer fondit en larmes à cette nouvelle, et pendant huit jours il pleura comme un enfant.
Au reste, cette mort fut doublement funeste au pauvre Benvenuto Cellini, car le jour même où l'on ensevelit le pape, il rencontra Pompeo qu'il n'avait pas vu depuis le moment où il l'avait invité à lui épargner sa trop fréquente présence.
Il faut dire que depuis les menaces de Benvenuto Cellini, le malheureux Pompeo n'osait plus sortir qu'accompagné de douze hommes bien armés à qui il donnait la même solde que le pape donnait à sa garde suisse, si bien que chaque promenade par la ville lui coûtait deux ou trois écus ; et encore au milieu de ses douze sbires tremblait-il de rencontrer Benvenuto Cellini, sachant que si quelque rixe suivait cette rencontre et qu'il arrivât malheur à Benvenuto, le pape, qui au fond aimait fort son orfèvre, lui ferait un mauvais parti ; mais Clément VII, comme nous l'avons dit, venait de mourir, et cette mort rendait quelque hardiesse à Pompeo.
Benvenuto était allé à Saint-Pierre baiser les pieds du pape décédé, et comme il revenait par la rue dei Banchi, accompagné d'Ascanio et de Pagolo, il se trouva face à face avec Pompeo et ses douze hommes. A l'apparition de son ennemi, Pompeo devint très pâle ; mais regardant autour de lui et se voyant bien environné, tandis que Benvenuto n'avait avec lui que deux enfants, il reprit courage, et s'arrêtant, il fit à Benvenuto un salut ironique de la tête, tandis que de sa main droite il jouait avec le manche de son poignard.
A la vue de cette troupe qui menaçait son maître, Ascanio porta la main à son épée, tandis que Pagolo faisait semblant de regarder autre chose : mais Benvenuto ne voulait pas exposer son élève chéri à une lutte si inégale. Il lui mit la main sur la sienne, et repoussant au fourreau l'épée d'Ascanio à demi tirée, il continua son chemin comme s'il n'avait rien vu, ou comme si ce qu'il avait vu ne l'avait aucunement blessé. Ascanio ne reconnaissait pas là son maître, mais comme son maître se retirait, il se retira avec lui.
Pompeo, triomphant, fit une profonde salutation à Benvenuto, et continua son chemin toujours environné de ses sbires, qui imitèrent ses bravades.
Benvenuto se mordait, en dedans, les lèvres jusqu'au sang, mais au-dehors il avait l'air de sourire. C'était à n'y plus rien comprendre pour quiconque connaissait le caractère irascible de l'illustre orfèvre.
Mais à peine eut-il fait cent pas que, se trouvant en face de la boutique d'un de ses confrères, il entra chez lui sous prétexte de voir un vase antique qu'on venait de retrouver dans les tombeaux étrusques de Corneto, ordonnant à ses deux élèves de suivre leur chemin, et leur promettant de les rejoindre dans quelques minutes à la boutique.
Comme on le comprend bien, ce n'était qu'un prétexte pour éloigner Ascanio, car à peine eut-il pensé que le jeune homme et son compagnon, dont il s'inquiétait moins attendu qu'il était sûr que son courage ne l'emporterait pas trop loin, avaient tourné l'angle de la rue, que, reposant le vase sur la planche où il l'avait trouvé, il s'élança hors de la maison.
En trois bonds Benvenuto fut dans la rue où il avait rencontré Pompeo ; mais Pompeo n'y était plus : heureusement ou plutôt malheureusement c'était chose remarquable que cet homme entouré de ses douze sbires ; aussi, lorsque Benvenuto demanda où il était passé, la première personne à laquelle il s'adressa lui montra-t-elle le chemin qu'il avait pris, et, comme un limier remis en voie, Benvenuto se lança sur sa trace.
Pompeo s'était arrêté à la porte d'un pharmacien, au coin de la Chiavica, et il racontait au digne apothicaire les prouesses auxquelles il venait de se livrer à l'endroit de Benvenuto Cellini, lorsque tout à coup il vit apparaître celui-ci à l'angle de la rue, l'oeil ardent et la sueur sur le front.
Benvenuto jeta un cri de joie en l'apercevant, et Pompeo coupa court au milieu de sa phrase.
Il était évident qu'il allait se passer quelque chose de terrible.
Les bravis se rangèrent autour de Pompeo et tirèrent leurs épées.
C'était quelque chose d'insensé à un homme que d'attaquer treize hommes, mais Benvenuto était, comme nous l'avons dit, une de ces natures léonines qui ne comptent pas leurs ennemis. Il tira, contre ces treize épées qui le menaçaient, un petit poignard aigu qu'il portait toujours à sa ceinture, s'élança au milieu de cette troupe, ramassant avec un de ses bras deux ou trois épées, renversant de l'autre un ou deux hommes, si bien qu'il arriva du coup jusqu'à Pompeo, qu'il saisit au collet : mais aussitôt le groupe se referma sur lui.
Alors on ne vit plus rien qu'une mêlée confuse de laquelle sortaient des cris, et au-dessus de laquelle s'agitaient des épées. Pendant un instant ce groupe vivant roula par terre, informe et désordonné, puis un homme se releva en jetant un cri de victoire, et d'un violent effort, comme il était entré dans le groupe il en sortit, tout sanglant lui-même, mais secouant triomphalement son poignard ensanglanté : c'était Benvenuto Cellini.
Un autre resta couché sur le pavé se roulant dans les convulsions de l'agonie. Il avait reçu deux coups de poignard, l'un au-dessous de l'oreille, l'autre derrière la clavicule, au bas du cou, dans l'intervalle du sternum à l'épaule. Au bout de quelques secondes il était mort ; c'était Pompeo.
Un autre que Benvenuto après avoir fait un pareil coup se serait sauvé à toutes jambes, mais Benvenuto fit passer son poignard dans sa main gauche, tira son épée de sa main droite, et attendit résolument les douze sbires.
Mais les sbires n'avaient plus rien à faire à Benvenuto. Celui qui les payait était mort et par conséquent ne pouvait plus les payer. Ils se sauvèrent comme un troupeau de lièvres effarouchés, laissant le cadavre de Pompeo.
En ce moment Ascanio parut et s'élança dans les bras de son maître ; il n'avait pas été dupe du vase étrusque, il était revenu sur ses pas ; mais si vite qu'il fût accouru, il était encore arrivé quelques secondes trop tard.

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