Les compagnons de Jéhu Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre XLVII
Une reconnaissance

Le même jour, usant de la permission qui lui avait été accordée la veille, sir John se présenta entre midi et une heure chez mademoiselle de Montrevel.

Tout se passa, comme l'avait désiré Morgan. Sir John fut reçu comme un ami de la famille, lord Tanlay fut reçu comme un prétendant dont la recherche honorait.

Amélie n'opposa aux désirs de son frère et de sa mère, aux ordres du premier consul, que l'état de sa santé ; c'était demander du temps. Lord Tanlay s'inclina ; il obtenait autant qu'il avait espéré obtenir, il était agréé.

Cependant il comprit que sa présence trop prolongée à Bourg serait inconvenante, Amélie se trouvant éloignée, toujours par ce prétexte de santé, de sa mère et de son frère.

En conséquence, il annonça à Amélie une seconde visite pour le lendemain et son départ pour la même soirée.

Il attendrait, pour la revoir, ou qu'Amélie vînt à Paris, ou que madame de Montrevel revînt à Bourg. Cette seconde circonstance était la plus probable, Amélie disant qu'elle avait besoin du printemps et de l'air natal pour aider au retour de sa santé.

Grâce à la délicatesse parfaite de sir John, les désirs d'Amélie et de Morgan étaient accomplis, les deux amants avaient devant eux du temps et de la solitude.

Michel sut ces détails de Charlotte, et Roland les sut de Michel.

Roland résolut de laisser partir sir John avant de rien tenter.

Mais cela ne l'empêcha point de lever un dernier doute.

La nuit venue, il prit un costume de chasseur, jeta sur ce costume la blouse de Michel, abrita son visage sous un large chapeau, passa une paire de pistolets dans le ceinturon de son couteau de chasse, caché comme ses pistolets sous sa blouse, et se hasarda sur la route des Noires-Fontaines à Bourg.

Il s'arrêta à la caserne de gendarmerie et demanda à parler au capitaine.

Le capitaine était dans sa chambre ; Roland monta et se fit reconnaître ; puis, comme il n'était que huit heures du soir et qu'il pouvait être reconnu par quelque passant, il éteignit la lampe.

Les deux hommes restèrent dans l'obscurité.

Le capitaine savait déjà ce qui s'était passé, trois jours auparavant, sur la route de Lyon, et, certain que Roland n'avait pas été tué, il s'attendait à sa visite.

à son grand étonnement, Roland ne venait lui demander qu'une seule chose, ou plutôt que deux choses : la clef de l'église de Bourg et une pince.

Le capitaine lui remit les deux objets demandés et offrit à Roland de l'accompagner dans son excursion ; mais Roland refusa : il était évident qu'il avait été trahi par quelqu'un lors de son expédition de la Maison-Blanche ; il ne voulait pas s'exposer à un second échec.

Aussi recommanda-t-il au capitaine de ne parler à personne de sa présence et d'attendre son retour, quand même ce retour tarderait d'une heure ou deux.

Le capitaine s'y engagea.

Roland, sa clef à la main droite, sa pince à la main gauche, gagna sans bruit la porte latérale de l'église, l'ouvrit, la referma et se trouva en face de la muraille de fourrage.

Il écouta : le plus profond silence régnait dans l'église solitaire.

Il rappela ses souvenirs de jeunesse, s'orienta, mit la clef dans sa poche, et escalada la muraille de foin, qui avait une quinzaine de pieds de haut, et formait une espèce de plate-forme ; puis, comme on descend d'un rempart au moyen d'un talus, par une espèce de talus il se laissa glisser jusqu'au sol, tout pavé de dalles mortuaires.

Le chœur était vide, grâce au jubé qui le protégeait d'un côté, et grâce aux murailles qui l'enceignaient à droite et à gauche.

La porte du jubé était ouverte : Roland pénétra donc sans difficulté dans le chœur.

Il se trouva en face du monument de Philibert le Beau.

à la tête du prince se trouvait une grande dalle carrée : c'était celle par laquelle on descendait dans les caveaux souterrains.

Roland connaissait ce passage ; car, arrivé près de la dalle, il s'agenouilla, cherchant avec sa main la jointure de la pierre.

Il la trouva, se releva, introduisit la pince dans la rainure et souleva la dalle.

D'une main, il la soutint au-dessus de sa tête, tandis qu'il descendait dans le caveau.

Puis lentement il la laissa retomber.

On eût dit que, volontairement, le visiteur nocturne se séparait du monde des vivants et descendait dans le monde des morts.

Et ce qui devait paraître étrange à celui qui voit dans le jour et dans les ténèbres, sur la terre comme dessous, c'était l'impassibilité de cet homme qui côtoyait les morts pour découvrir les vivants, et qui, malgré l'obscurité, la solitude, le silence, ne frissonnait même pas au contact des marbres funèbres.

Il alla, tâtonnant au milieu des tombes, jusqu'à ce qu'il eût reconnu la grille qui donnait dans le souterrain.

Il explora la serrure ; elle était fermée au pêne seulement. Il introduisit l'extrémité de sa pince entre le pêne et la gâche, et poussa légèrement.

La grille s'ouvrit.

Il tira la porte, mais sans la fermer, afin de pouvoir revenir sur ses pas, et dressa la pince dans son angle.

Puis, l'oreille tendue, la pupille dilatée, tous les sens surexcités par le désir d'entendre, le besoin de respirer, l'impossibilité de voir, il s'avança lentement, un pistolet tout armé d'une main, et s'appuyant, de l'autre, à la paroi de la muraille.

Il marcha ainsi un quart d'heure.

Quelques gouttes d'eau glacée, en filtrant à travers la voûte du souterrain et en tombant sur ses mains et sur ses épaules, lui avaient appris qu'il passait au-dessous de la Reyssouse.

Au bout de ce quart d'heure de marche, il trouva la porte qui communiquait du souterrain dans la carrière. Il fit halte un instant ; il respirait plus librement, en outre, il lui semblait entendre des bruits lointains, et voir voltiger sur les piliers de pierre qui soutenaient la voûte comme des lueurs de feux follets.

On eût pu croire, en ne distinguant que la forme de ce sombre écouteur, que c'était de l'hésitation, mais, si l'on eût pu voir sa physionomie, on eût compris que c'était de l'espérance.

Il se remit en chemin, se dirigeant vers les lueurs qu'il avait cru apercevoir, vers ce bruit qu'il avait cru entendre.

à mesure qu'il approchait, le bruit arrivait à lui plus distinct, la lumière lui apparaissait plus vive.

Il était évident que la carrière était habitée ; par qui ? Il n'en savait rien encore ; mais il allait le savoir.

Il n'était plus qu'à dix pas du carrefour de granit que nous avons signalé à notre première descente dans la grotte de Ceyzeriat. Il se colla contre la muraille, s'avançant imperceptible-ment ; on eût dit, au milieu de l'obscurité, un bas-relief mobile.

Enfin, sa tête arriva à dépasser un angle, et son regard plongea sur ce que l'on pouvait appeler le camp des compagnons de Jéhu.

Ils étaient douze ou quinze occupés à souper.

Il prit à Roland une folle envie : c'était de se précipiter au milieu de tous ces hommes, de les attaquer seul, et de combattre jusqu'à la mort.

Mais il comprima ce désir insensé, releva sa tête avec la même lenteur qu'il l'avait avancée, et, les yeux pleins de lumière, le cœur plein de joie, sans avoir été entendu, sans avoir été soupçonné, il revint sur ses pas, reprenant le chemin qu'il venait de faire.

Ainsi, tout lui était expliqué : l'abandon de la chartreuse de Seillon, la disparition de M. de Valensolle, les faux braconniers placés aux environs de l'ouverture de la grotte de Ceyzeriat.

Cette fois, il allait donc prendre sa vengeance, et la prendre terrible, la prendre mortelle.

Mortelle, car, de même qu'il soupçonnait qu'on l'avait épargné, il allait ordonner d'épargner les autres ; seulement, lui, on l'avait épargné pour la vie ; les autres, on allait les épargner pour la mort.

à la moitié du retour à peu près, il lui sembla entendre du bruit derrière lui ; il se retourna et crut voir le rayonnement d'une lumière.

Il doubla le pas ; une fois la porte dépassée, il n'y avait plus à s'égarer : ce n'était plus une carrière aux mille détours, c'était une voûte étroite, rigide, aboutissant à une grille funéraire.

Au bout de dix minutes, il passait de nouveau sous la rivière ; une ou deux minutes après, il touchait la grille du bout de sa main étendue.

Il prit sa pince où il l'avait laissée, entra dans le caveau, tira la grille après lui, la referma doucement et sans bruit, guidé par les tombeaux retrouva l'escalier, poussa la dalle avec sa tête et se retrouva sur le sol des vivants.

Là, relativement, il faisait jour.

Il sortit du chœur, repoussa la porte du jubé afin de la remettre dans le même état où il l'avait trouvée, escalada le talus, traversa la plate-forme et redescendit de l'autre côté.

Il avait conservé la clef ; il ouvrit la porte et se trouva dehors.

Le capitaine de gendarmerie l'attendait ; il conféra quelques instants avec lui, puis tous deux sortirent ensemble.

Tous deux rentrèrent à Bourg par le chemin de ronde pour ne pas être vus, prirent la porte des halles, la rue de la Révolution, la rue de la Liberté, la rue d'Espagne, devenue la rue Simonneau. Puis Roland s'enfonça dans un des angles de la rue du Greffe et attendit.

Le capitaine de gendarmerie continua seul son chemin.

Il allait rue des Ursules, devenue depuis sept ans la rue des Casernes ; c'était là que le chef de brigade des dragons avait son logement, et il venait de se mettre au lit au moment où le capitaine entra dans sa chambre ; celui-ci lui dit deux mots tout bas, et en hâte le chef de brigade s'habilla et sortit.

Au moment où le chef de brigade des dragons et le capitaine de gendarmerie apparaissaient sur la place, une ombre se détachait de la muraille et s'approchait d'eux.

Cette ombre, c'était Roland.

Les trois hommes restèrent en conférence dix minutes, Roland donnant des ordres, les deux autres l'écoutant et l'approuvant.

Puis ils se séparèrent.

Le chef de brigade rentra chez lui ; Roland et le capitaine de gendarmerie, par la rue de l'étoile, les degrés des Jacobins et la rue du Bourgneuf, regagnèrent le chemin de ronde, puis, en diagonale, ils allèrent rejoindre la route de Pont-d'Ain.

Roland laissa, en passant, le capitaine de gendarmerie à la caserne et continua son chemin.

Vingt minutes après, pour ne pas réveiller Amélie, au lieu de sonner à la grille, il frappait au volet de Michel ; Michel ouvrit le volet, et, d'un seul bond, Roland – dévoré de cette fièvre qui s'emparait de lui lorsqu'il courait ou même rêvait tout simplement quelque danger – sautait dans le pavillon.

Il n'eût point réveillé Amélie, eût-il sonné à la porte, car Amélie ne dormait point.

Charlotte, qui, elle aussi, de son côté, arrivait de la ville sous prétexte d'aller voir son père, mais, en réalité pour faire parvenir une lettre à Morgan, avait trouvé Morgan et rapportait la réponse à sa maîtresse.

Amélie lisait cette réponse ; elle était conçue en ces termes :

« Amour à moi !

« Oui, tout va bien de ton côté, car tu es l'ange, mais j'ai bien peur que tout n'aille mal du mien, moi qui suis le démon.

« Il faut absolument que je te voie, que je te presse dans mes bras, que je te serre contre mon cœur ; je ne sais quel pressentiment plane au-dessus de moi, je suis triste à mourir.

« Envoie demain Charlotte s'assurer que sir John est bien parti ; puis, lorsque tu auras acquis la certitude de ce départ, fais le signal accoutumé.

« Ne t'effraye point, ne me parle point de la neige, ne me dis pas que l'on verra mes pas.

« Ce n'est pas moi, cette fois, qui irai à toi, c'est toi qui viendras à moi ; comprends-tu bien ? tu peux te promener dans le parc, personne n'ira suivre la trace de tes pas.

« Tu te couvriras de ton châle le plus chaud, de tes fourrures les plus épaisses ; puis, dans la barque amarrée sous les saules, nous passerons une heure en changeant de rôle. D'habitude, je te dis mes espérances et tu me dis tes craintes ; demain, mon adorée Amélie, c'est toi qui me diras tes espérances et moi qui te dirai mes craintes.

« Seulement, aussitôt le signal fait, descends ; je t'attendrai à Montagnac, et, de Montagnac à la Reyssouse, il n'y a pas, pour moi qui t'aime, cinq minutes de chemin.

« Au revoir, ma pauvre Amélie ! si tu ne m'eusses pas rencontré, tu eusses été heureuse entre les heureuses.

« La fatalité m'a mis sur ton chemin, et j'ai, j'en ai bien peur, fait de toi une martyre.

« Ton CHARLES.

« à demain, n'est-ce pas ? à moins d'obstacle surhumain. »

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente