Robin Hood, le prince des voleurs Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre XX


Cinq années s'écoulèrent.

La bande de Robin Hood, confortablement établie dans la forêt, y vivant en sécurité, quoique son existence fût connue des Normands, ses ennemis naturels. Elle s'était d'abord nourrie des produits de la chasse ; mais cette ressource, à la longue, aurait pu devenir insuffisante, ce qui avait obligé Robin Hood à pourvoir d'une manière plus certaine aux besoins de sa troupe.

En conséquence, après avoir fait garder les routes qui traversent en tous sens la forêt de Sherwood, il avait prélevé un impôt sur le passage des voyageurs. Cet impôt, quelquefois exorbitant si l'étranger surpris par la bande était un grand seigneur, se réduisait à fort peu de chose dans le cas contraire. Du reste, ces extorsions journalières n'avaient point les apparences du vol ; elles étaient faites avec autant de bonne grâce que de courtoisie.

Voici de quelle manière les hommes de Robin Hood arrêtaient les voyageurs :

– Sir étranger, disaient-ils en ôtant avec politesse la toque qui couvrait leur tête, notre chef, Robin Hood, attend Votre Seigneurie pour commencer son repas.

Cette invitation, qui ne pouvait être refusée, était donc accueillie avec un semblant de reconnaissance.

Conduit, toujours courtoisement, en présence de Robin Hood, l'étranger se mettait à table avec son hôte, mangeait bien, buvait mieux encore, et apprenait au dessert le chiffre de la dépense qui avait été faite en son honneur. Il va sans dire que ce chiffre était proportionné à la valeur financière de l'étranger. S'il se trouvait pourvu d'argent, il payait ; s'il n'avait sur lui qu'une somme insuffisante, il donnait le nom et l'adresse de sa famille, et l'on réclamait à celle-ci une forte rançon. Dans ce dernier cas, le voyageur, tout en restant prisonnier, était si bien traité qu'il attendait sans éprouver le moindre mécontentement l'heure de sa mise en liberté. Le plaisir de dîner avec Robin Hood coûtait très cher aux Normands, néanmoins on ne se plaignait jamais d'y avoir été contraint.

Deux ou trois fois une compagnie de soldats fut envoyée contre les forestiers ; mais, toujours honteusement vaincue, elle en arriva à déclarer que la bande de Robin Hood était invincible. Si les grands seigneurs étaient largement dépouillés, en revanche les pauvres gens, saxons ou normands, recevaient un cordial accueil. En l'absence de Tuck, on se permettait quelquefois d'arrêter un moine ; s'il consentait de bonne grâce à dire une messe pour la bande, il était généreusement récompensé.

Notre vieil ami Tuck se trouvait trop heureux en si joyeuse compagnie pour avoir eu un seul instant l'idée de se séparer d'elle. Il s'était fait construire un petit ermitage dans les environs de la cave, et il vivait plantureusement des meilleurs produits de la forêt. Il buvait toujours, le digne frère, du vin lorsqu'il avait le bonheur d'en rencontrer quelques bouteilles, de l'ale forte à défaut de vin, et de l'eau pure, hélas ! lorsque l'inconstante fortune lui retirait ses faveurs. Mais il va sans dire que le pauvre Gilles faisait alors une laide grimace, et qu'il déclarait fade et nauséabonde l'eau limpide du ruisseau. Le temps n'avait point apporté d'amélioration dans le caractère du brave moine. C'était toujours le même homme, hâbleur, bruyant, fanfaron et prêt à la riposte. Il suivait la bande dans ses excursions à travers la forêt, et c'était plaisir de rencontrer les gais compagnons aux visages riants, à la parole animée, qui, même en arrêtant les voyageurs, ne perdaient rien de leur aimable humeur. Ils se montraient à tous si visiblement heureux, si enchantés de leur manière de vivre, que la voix publique les nomma amicalement « les joyeux hommes de la forêt ».

Depuis près de cinq ans personne n'avait entendu parler d'Allan Clare ni de lady Christabel ; on savait seulement que le baron Fitz-Alwine avait suivi Henri II en Normandie.

Quant au pauvre Will l'écarlate, il avait été enrôlé dans une compagnie.

Halbert, qui avait épousé Grâce May, habitait avec sa femme la petite ville de Nottingham, et il était déjà père d'une charmante fille de trois ans.

Maude, la jolie Maude, comme disait le gentil William, faisait toujours partie de la famille Gamwell, qui, nous l'avons dit, s'était secrètement retirée dans une propriété du Yorkshire.

Le vieux baronnet avait trouvé auprès de sa femme et de ses enfants l'oubli de son malheur ; il avait repris des forces, et sa florissante santé lui promettait une longue vie.

Les fils de sir Guy s'étaient faits les compagnons de Robin Hood, et ils vivaient avec lui dans la verte forêt.

Un grand changement s'était opéré dans la personne de notre héros : il avait grandi ; ses membres étaient devenus forts ; la beauté délicate de ses traits avait, sans perdre son exquise distinction, pris les formes de la virilité. âgé de vingt-cinq ans, Robin Hood paraissait avoir atteint sa trentième année ; ses grands yeux noirs pétillaient d'audace ; ses cheveux aux boucles soyeuses encadraient un front pur et à peine bruni par les caresses du soleil ; sa bouche et ses moustaches d'un noir de jais donnaient à sa charmante figure une expression sérieuse ; mais l'apparente sévérité de la physionomie n'ôtait rien à l'aimable enjouement de son caractère. Robin Hood, qui excitait au plus haut point l'admiration des femmes, n'en paraissait ni fier ni flatté, son cœur appartenait à Marianne. Il aimait la jeune fille aussi tendrement que dans le passé, et lui rendait de fréquentes visites au château de sir Guy. Le mutuel amour des deux jeunes gens était connu de la famille Gamwell, et on attendait pour conclure leur mariage le retour d'Allan ou la nouvelle de sa mort.

Au nombre des hôtes amicalement accueillis à Barnsdale (nom de la propriété du baronnet saxon) se trouvait un jeune homme qui adorait Marianne. Ce jeune homme, proche voisin de sir Guy (le parc de son château touchait aux limites de Barnsdale), était depuis quelques mois à peine de retour de Jérusalem, où il avait suivi une croisade, appartenant à l'ordre des Templiers.

Sir Hubert de Boissy était chevalier, et par conséquent voué au célibat.

Un matin, au retour d'une promenade faite à cheval dans les environs, sir Hubert aperçut Marianne à une fenêtre du château de son voisin. Il la trouva belle, désira la revoir et s'informa qui elle était. On le lui apprit. Aussitôt il se présenta à la porte du baronnet, s'annonça comme un voisin de bonne compagnie, offrit son amitié au vieillard et essaya de gagner sa confiance. C'était une conquête fort difficile à faire ; le vieux Saxon, qui détestait les Normands, se tint sur la réserve et accueillit avec une extrême froideur les avances du seigneur de Boissy. Fort peu découragé par ce premier échec, le chevalier revint à la charge. Alors, conseillé par la prudence, sir Guy se montra plus traitable. Quelques jours après cette seconde entrevue, Hubert rendit une visite aux dames de Gamwell, et, une fois admis au cercle de la famille, il se montra si franc, si affectueux, si aimable, que sir Guy, auquel il racontait de merveilleuses histoires, vit s'évanouir peu à peu le sentiment de méfiance que lui avait inspiré le seul aspect du Normand.

Les visites d'Hubert se multiplièrent, et il se conduisit avec tant d'adresse qu'il gagna complètement, sinon la confiance, du moins l'estime et l'amitié du vieillard, pour lequel il devint un très agréable compagnon. Galant avec les jeunes filles sans importunité, il partageait également entre elles ses prévenances et ses attentions. Il était donc impossible de se plaindre de son assiduité, elle paraissait être tout amicale ; Marianne la jugea ainsi, car il ne lui vint pas à la pensée d'en fait part à Robin. Cependant la jeune fille avait à redouter une rencontre fortuite entre les deux hommes dans le salon du château, et cette rencontre pouvait conduire Robin Hood à commettre quelque imprudence, car il était fort à présumer que le fougueux jeune homme ne pourrait voir d'un œil tranquille l'intimité d'un Saxon avec un ennemi de sa race.

Hubert de Boissy était un de ces hommes qui, sans posséder de grandes qualités physiques, ou morales, ont le talent de plaire aux femmes et de s'en faire aimer. La souplesse de son caractère ayant toujours laissé croire à la bonté de son cœur, il avait eu dans le monde de véritables succès. Cet inexplicable engouement donna au jeune homme beaucoup de fatuité et une dose d'impudence qui ne lui permettait pas de supposer un refus sérieux de la part d'une femme honorée de son attention.

Les règles de l'ordre auquel appartenait Hubert, en lui interdisant le mariage, le soumettaient aux devoirs d'une vie chaste ; mais, à vrai dire, la plupart des templiers imitaient la conduite d'Hubert, qui, habitué au luxe d'une fortune princière, vivait dans le monde et menait l'existence d'un jeune homme entièrement libre de disposer de son cœur, de sa fortune et de ses loisirs.

Le premier regard qu'il obtint de l'innocente Marianne fit naître dans le cœur du chevalier une vive passion, et cette passion dissimulée à tous les yeux, ignorée de celle qui en était l'objet, devint un supplice pour Hubert. Tenu à distance par le froid maintien de la jeune fille, exaspéré par son dédaigneux mépris pour les usurpateurs normands, il se prit pour Marianne d'un amour haineux mêlé à la fois de désir et d'exécration.

Le chevalier avait assez de finesse et d'expérience pour comprendre que, à part le bon sir Guy, toute la famille supportait douloureusement sa présence. Il se sentait lui-même fort mal à l'aise auprès de ceux qu'il nommait ses amis, et contre lesquels il méditait lâchement une cruelle vengeance.

En dépit de la généreuse bonté de son caractère, il arrivait souvent au vieux baronnet de laisser paraître son mépris pour les Normands et de les qualifier d'épithètes injurieuses. Hubert contenait la rage que lui faisaient éprouver ces mortelles insultes ; il souriait d'un air indulgent, et poussait quelquefois la duplicité jusqu'à feindre de partager les opinions de son hôte, mais toutefois après avoir essayé de les combattre afin d'inspirer pour lui-même un sentiment de miséricorde et de sympathie.

Hubert possédait une remarquable intelligence, il jugeait vite et bien lorsque l'intérêt de ses passions exigeait une grande rapidité de coup d'œil. Il lui avait donc par conséquent été facile, dès la première entrevue qui l'avait mis à même de juger sir Guy, de s'apercevoir que le bon vieillard était un homme simple, franc, sincère et incapable de supposer chez les autres les mauvaises pensées qu'il n'avait pas lui-même.

Deux mois après la première visite d'Hubert au château, il s'y trouva traité en apparence comme l'est un véritable ami.

Winifred et Barbara, les deux filles du baronnet, se montraient poliment gracieuses envers le Normand ; mais il n'en était pas de même de la part de Marianne, qui se méfiait instinctivement de la fausse bonhomie du chevalier.

Hubert avait appris le prochain mariage de Marianne, mais il lui avait été impossible de découvrir le nom de son futur époux.

Un esprit moins ardent que ne l'était celui du chevalier eût reculé devant la glaciale réserve de Marianne ; mais, à vrai dire, Hubert obéissait plutôt à un sentiment de vengeance qu'à l'entraînement irrésistible d'un véritable amour. Il attendait l'heure propice à une soudaine déclaration ; il se proposait de tomber aux genoux de la jeune fille et de lui avouer d'un ton humble l'ardente tendresse qu'il ressentait pour elle. Mais, tout en guettant avec une patiente persévérance le moment de se trouver en tête à tête avec Marianne, Hubert essayait de surprendre le secret de son amour, se promettant bien, s'il y parvenait, de briser sous ses pieds ce dangereux obstacle.

Interrogés par les valets d'Hubert, les vassaux de sir Guy donnèrent sur le fiancé de Marianne de faux renseignements ; ils le baptisèrent d'un nom de fantaisie, et le chevalier, en dépit de ses ruses et de ses adroites investigations, resta sur ce fait dans la plus complète ignorance.

Néanmoins il réussit à savoir que le futur époux de Marianne était saxon, jeune et d'une beauté remarquable ; il apprit encore qu'on entourait de mystère les visites qu'il faisait au château. Le chevalier se mit en embuscade afin de surprendre l'arrivée de son rival et de le tuer au passage ; mais cette bienveillante intention fut déjouée, le jeune homme attendu ne vint pas.

Les choses en étaient là, Hubert n'avait pas encore révélé ni l'emportement de sa passion pour Marianne, ni la haine qu'il ressentait pour toute la famille, lorsque la fête d'un village situé à quelque distance du château y appela tous les membres de la famille Gamwell. Hubert sollicita la permission d'accompagner les dames, et cette permission lui fut gracieusement accordée.

Winifred, Maude et Barbara se promettaient un grand plaisir de cette petite excursion ; mais Marianne, qui attendait la visite de Robin Hood, prétexta un violent mal de tête pour avoir la liberté de rester seule au château.

La famille partit, les vassaux endimanchés la suivirent, et, à l'exception d'un homme de garde et de deux femmes de service, tous les habitants du logis s'éloignèrent de Barnsdale.

Restée seule, Marianne monta dans sa chambre, fit une jolie toilette, et se plaça auprès d'une fenêtre, d'où elle pouvait plonger sur les différentes routes qui venaient aboutir au château. à chaque instant, elle croyait entendre le son mélodieux du cor aérien, appel qui lui annonçait l'approche du bien-aimé. Alors sa charmante tête se penchait à demi, ses yeux pensifs brillaient d'un rapide éclat, ses lèvres sérieuses prononçaient un nom, et tout son être palpitait de joie, d'anxiété et d'attente. Mais le son ne s'était pas fait attendre, mais la silhouette entrevue n'avait pas allongé sa forme élégante sur le sable doré du chemin, et Marianne, ne voyant rien avec ses yeux, regardait en elle-même pour voir avec son cœur.

L'attente fut longue, et bientôt elle devint douloureuse. Marianne fouilla l'horizon, pénétra la profondeur des allées du parc, écouta tous les bruits, et, déçue dans son ardente espérance, elle se mit tristement à pleurer.

Assiste dans un fauteuil et la tête appuyée sur une de ses mains, elle se livrait avec abandon à son naïf désespoir, lorsqu'un léger bruit lui fit lever les yeux.

Hubert était devant elle.

Marianne jeta un cri et voulut fuir.

– Pourquoi cette frayeur, miss ? me prenez-vous pour un fils de Satan ? Vive Dieu ! je croyais avoir le droit de supposer que ma présence dans la chambre d'une femme ne pouvait être pour elle un épouvantail.

– Excusez-moi, messire, balbutia Marianne d'une voix tremblante ; je ne vous ai pas entendu ouvrir la porte. J'étais seule... et...

– Vous me paraissez avoir une grande passion pour la solitude, charmante Marianne, et lorsqu'il arrive à un ami de vous surprendre dans votre retraite, vous lui montrez un visage aussi mécontent que s'il avait eu la maladresse d'interrompre une causerie amoureuse.

Marianne, un instant dominée par l'effroi, reprit bientôt le calme habituel à sa tranquille nature. Elle releva fièrement la tête, et d'un pas ferme se dirigea vers la porte. Le chevalier de Boissy l'arrêta au passage.

– Mademoiselle, dit-il, je désire causer avec vous ; faites-moi le plaisir de m'accorder quelques instants. Je pensais en vérité que ma visite serait mieux accueillie.

– Votre visite, messire, répondit dédaigneusement la jeune fille, est aussi désagréable qu'elle a été inattendue.

– Vraiment ! s'écria Hubert, j'en suis fort peiné ; mais que voulez-vous, mademoiselle, il faut savoir subir ce que l'on ne peut empêcher.

– Si vous êtes gentilhomme, vous connaissez les usages du monde, sir Hubert ; il doit donc me suffire de vous inviter à me laisser seule.

– Je suis gentilhomme, ma belle enfant, répondit le chevalier d'une voix railleuse ; mais j'aime tellement la bonne société qu'il me faut une raison plus forte qu'un simple désir pour me décider à la quitter.

– Vous manquez à toutes les lois de la galanterie chevaleresque, messire, répondit Marianne. Veuillez alors me permettre de vous laisser dans un endroit où vous êtes venu sans être appelé ni désiré.

– Mademoiselle, reprit insolemment Hubert, je trouve bon aujourd'hui d'oublier la politesse en toute chose, et si mon intention n'est pas de me retirer, elle n'est pas non plus de vous laisser sortir. J'ai eu l'honneur de vous dire que je désirais causer avec vous, et comme les occasions d'un tête-à-tête sont aussi rares que votre beauté, il serait mal à moi de ne pas mettre à profit celle que j'ai conquise en prétextant à votre exemple une forte migraine. Veuillez donc m'écouter. Depuis longtemps je vous aime.

– Assez, messire, interrompit Marianne, il ne m'est pas permis d'en entendre davantage.

– Je vous aime, reprit Hubert.

– Oh ! s'écria Marianne, si le baronnet se trouvait auprès de moi, vous n'oseriez me parler ainsi.

– évidemment, répondit le jeune homme avec insolence. (Une pâleur livide couvrit les joues de la pauvre enfant.) Vous avez de l'esprit et de l'intelligence, continua Hubert, il est donc inutile que je perde mon temps à vous combler de niaises flatteries. Cette manière d'agir aurait certainement une heureuse influence sur la jeune fille vaine et coquette ; mis vis-à-vis de vous elle serait oiseuse et de mauvais ton. Vous êtes fort belle, et je vous aime ; vous le voyez, je vais droit au but ; voulez-vous me rendre une petite partie de mon affection ?

– Jamais ! répondit fermement Marianne.

– Voilà un mot qu'il serait prudent de ne point prononcer lorsqu'il arrive à une jeune fille de se trouver seule avec un homme fort épris de sa beauté.

– ô mon Dieu ! mon Dieu ! s'écria Marianne en joignant les mains.

– Voulez-vous être ma femme ? Si vous y consentez, vous serez une des plus grandes dames du Yorkshire.

– Malheureux ! s'exclama la jeune fille, vous mentez honteusement aux serments que vous avez faits. Vous m'offrez une main qui n'est pas libre ; vous appartenez à l'ordre des Templiers, et le sacrement du mariage vous est interdit.

– Je puis être relevé de mes vœux, reprit le chevalier, et, si vous acceptez mon nom, rien ne pourra s'opposer à notre bonheur. Je vous le jure sur l'immortalité de mon âme, Marianne, vous serez heureuse ; je vous aime de toutes les forces de mon cœur, je serai votre esclave, je n'aurai d'autre pensée que celle de vous rendre la plus enviée des femmes. Marianne, répondez-moi ; ne pleurez pas ainsi ; voulez-vous me permettre d'espérer votre amour ?

– Jamais ! jamais ! jamais !

– Encore ce mot ! Marianne, ajouta Hubert d'un ton mielleux. N'agissez pas à la légère, réfléchissez avant de répondre. Je suis riche, je possède les plus beaux domaines de la Normandie, de nombreux vassaux ; ils seront vos valets, ils verront en vous la femme bien-aimée de leur seigneur, et vous serez l'idole de toute la contrée. Je couvrirai vos cheveux de perles fines, je vous comblerai des dons les plus précieux. Marianne, Marianne, je vous le jure, vous serez heureuse avec moi.

– Ne jurez pas, messire, car vous manqueriez à ce nouveau serment comme vous avez manqué à celui qui vous engage avec le ciel.

– Non, Marianne, j'y serai fidèle.

– Je veux bien ajouter foi à vos paroles, messire, reprit la jeune fille d'un ton plus conciliant ; mais je ne puis répondre aux désirs qu'elles expriment : mon cœur ne m'appartient pas.

– On me l'avait dit et je ne pouvais le croire, tellement cette pensée m'était odieuse. Est-ce vrai ? est-ce bien vrai ?

– C'est vrai, messire, répondit Marianne en rougissant.

– Eh bien ! soit ! je respecterai le secret de votre cœur si vous m'accordez quelquefois une parole bienveillante, si vous me dites que je puis espérer le titre de votre ami. Je vous aimerai si tendrement, Marianne, je vous serai si dévoué !

– Je ne veux point d'ami, messire, et je ne saurais reconnaître des droits à une affection qu'il m'est impossible de partager. Celui qui occupe mes pensées possède les seules richesses dont je puisse ambitionner la conquête : un noble cœur, un esprit chevaleresque et un caractère loyal. Je lui serai éternellement fidèle, éternellement attachée.

– Marianne, ne me jetez pas dans le désespoir, j'y perdrais ma raison. Je désire rester calme et me tenir vis-à-vis de vous dans les limites du respect ; mais si vous me traitez encore avec autant de dureté, il me sera difficile de dompter ma colère. Marianne, écoutez-moi ; vous n'êtes pas aimée aussi passionnément que je vous aime par cet homme qui peut vivre séparé de vous. ô Marianne, soyez à moi ! Quelle est votre existence ici ? L'isolement au milieu d'une famille étrangère. Sir Guy n'est pas votre père, Winifred et Barbara ne sont pas vos sœurs. Le sang normand, je le sais, coule dans vos veines, et le dédain que vous me témoignez est un écho de la reconnaissance qui vous attache à ces Saxons. Venez, ma belle Marianne, venez avec moi, je vous ferai une vie de luxe, de plaisir et de fêtes.

Un dédaigneux sourire entr'ouvrit les lèvres de Marianne.

– Messire, dit-elle, veuillez vous retirer, les offres que vous me faites ne méritent même pas la politesse d'un refus. J'ai eu l'honneur de vous dire que j'étais fiancée à un noble Saxon.

– Alors vous repoussez, vous dédaignez mes offres, orgueilleuse jeune fille ? demanda Hubert d'une voix altérée.

– Oui, messire.

– Vous mettez en doute la sincérité de mes paroles ?

– Non, sir chevalier, et je vous remercie de vos bonnes intentions ; mais, je vous en prie une dernière fois, laissez-moi seule ; votre présence dans mon appartement me cause une peine très vive.

Pour toute réponse, le chevalier prit un siège et l'approcha de celui qu'occupait Marianne.

La jeune fille se leva, et, debout au milieu de la chambre, elle attendit le front calme et les yeux baissés le départ d'Hubert.

– Revenez auprès de moi, dit-il après un instant de silence, je ne veux point vous faire de mal, je veux obtenir une promesse qui, sans vous obliger à rompre votre mariage avec le mystérieux inconnu que vous aimez si tendrement, me donnera la force de supporter le souvenir de vos dédains. Je prie alors que j'ai le droit d'exiger, Marianne, ajouta Hubert en s'avançant vers la jeune fille qui, sans apparente précipitation, mais d'un pas ferme, se dirigea vers la porte. Cette est fermée, miss Marianne, et vos jolies mains se meurtriraient inutilement contre la serrure. Je suis homme de précaution, ma belle enfant ; il n'y a personne au château, et s'il vous prenait fantaisie d'appeler du secours, mes gens qui sont apostés à quelques pas de Barnsdale prendraient vos cris pour un ordre d'amener au bas du perron d'excellents chevaux tous sellés, et qui, bon gré, mal gré, vous emporteraient loin d'ici.

– Messire, dit Marianne d'une voix pleine de sanglots, ayez pitié de moi ; vous me demandez des choses qu'il m'est impossible de vous accorder, et la violence ne pourra rien sur mon cœur. Laissez-moi partir ; vous le voyez, je ne crie pas, je n'appelle personne. Je vous estime assez pour croire que vos menaces d'enlèvement n'ont rien de sérieux ; vous êtes un homme d'honneur, et vous ne sauriez même avoir la pensée de commettre une action aussi lâche. Sir Guy vous aime, sir Guy a pour vous de l'estime, de la considération, auriez-vous le courage de mentir aussi cruellement à la généreuse amitié que vous avez fait naître ? Songez-y, toute la famille Gamwell serait au désespoir ; moi-même je... je me tuerais, chevalier.

En achevant ces mots, Marianne fondit en larmes.

– J'ai juré que vous seriez à moi.

– Vous avez fait là un serment insensé, messire, et si jamais votre cœur a battu d'amour pour une femme, songez dans quelle douloureuse situation elle se trouverait si, étant aimée de vous, un homme voulait l'obliger à renier cet amour. Vous avez peut-être une sœur, messire, pensez à elle ; moi j'ai un frère, et il ne survivrait pas à mon déshonneur.

– Vous serez ma femme, Marianne, ma femme chérie et respectée ; venez avec moi.

– Non, messire, non, jamais !

Hubert, qui s'était doucement rapproché de Marianne, voulut l'entourer de ses bras. La jeune fille échappa à cette odieuse étreinte, et, s'élançant à l'extrémité de la chambre, elle cria d'une voix retentissante :

– Au secours ! au secours !

Hubert, peu effrayé d'un appel qu'il savait devoir être sans effet, se prit cruellement à sourire, et parvint à saisir les mains de la jeune fille. Mais au moment où il tentait d'attirer Marianne à lui, par un geste rapide comme la pensée, la jeune fille arracha un poignard suspendu à la ceinture d'Hubert, et s'élança vers la fenêtre restée ouverte. La pauvre enfant tout éperdue allait se frapper ou se précipiter, lorsque le son d'un cor jeta ses notes harmonieuses dans le silence de la plaine. Marianne, à demi renversée sur la balustrade de la fenêtre, tressaillit faiblement ; puis elle releva la tête, et, la main toujours armée, l'ouïe tendue, le sein palpitant, elle écouta. Le son, d'abord vague et indistinct, se fit peu à peu clairement entendre, puis il éclata en fanfare joyeuses. Hubert, subjugué par le charme de cette mélodie inattendue, n'avait fait aucun mouvement offensif vers la jeune fille, mais lorsque le son du cor eut cessé de se faire entendre, il chercha à l'éloigner de la fenêtre.

– Au secours ! Robin, au secours ! cria Marianne d'une voix vibrante ; au secours ! vite, vite, Robin, mon cher Robin, c'est le ciel qui vous envoie !

Hubert, foudroyé de surprise en entendant prononcer ce nom redoutable, essaya d'étouffer les cris de Marianne ; mais la jeune fille se débattit avec une énergie et une force extraordinaires.

Tout à coup le nom de Marianne retentit au-dehors, le bruit d'une lutte succéda à cet appel ; puis la porte de l'appartement où se trouvait la jeune fille vola en éclats, et Robin Hood parut sur le seuil.

Sans jeter un cri, sans dire un mot, Robin bondit sur le chevalier, le saisit à la gorge et le jeta aux pieds de Marianne.

– Misérable ! dit le jeune homme en mettant son genou sur la poitrine d'Hubert, tu cherches à violenter une femme.

Marianne tomba en pleurant dans les bras de son fiancé.

– Soyez béni, cher Robin, dit-elle ; vous m'avez sauvé plus que la vie, vous m'avez sauvé l'honneur.

– Ma chère Marianne, répondit le jeune homme, je ne demande jamais à Dieu d'autre grâce que celle de me trouver auprès de vous à l'heure du danger. La sainte Providence a guidé mes pas, qu'elle soit glorifiée. Calmez-vous, vous me raconterez tout à l'heure ce qui s'est passé avant ma bienheureuse venue. Quant à vous, impudent coquin, continua Robin Hood en se retournant vers le chevalier qui venait de se relever, éloignez-vous ; je respecte trop profondément la notre jeune fille que vous avez eu l'audace d'insulter pour me permettre de vous frapper devant elle. Sortez...

Nous n'essayerons pas de dépeindre la rage du misérable séducteur, elle tenait de la folie. Ses yeux lancèrent sur le jeune couple un regard chargé de haine ; il grommela quelques mots indistincts, et, désarmé, raillé, insulté, honni, il gagna la porte, descendit en chancelant l'escalier qu'il avait franchi avec tant de joie, et s'éloigna du château. Robin Hood tenait Marianne pressée contre sa poitrine et la pauvre jeune fille continuait de pleurer, tout en essayant de témoigner à son sauveur toute la joie que lui donnait sa présence.

– Marianne, chère bien-aimée Marianne, disait Robin d'une voix attendrie, vous n'avez plus rien à craindre, je suis avec vous. Allons, levez vers moi ce charmant visage ; je désire lui voir une expression tranquille et souriante. Marianne essaya d'obéir à la tendre prière de son ami ; mais elle ne put prononcer un seul mot, tant son émotion était grande.

– Quel est ce jeune homme, mon amie ? demanda Robin après un silence, et en faisant asseoir à ses côtés la jeune fille encore tremblante.

– Un seigneur normand dont les propriétés avoisinent Barnsdale, répondit craintivement la jeune fille.

– Un Normand ! s'écria Robin. Comment se peut-il faire que mon oncle reçoive dans sa maison un homme qui appartient à cette race maudite ?

– Mon cher Robin, reprit Marianne, sir Guy, vous le savez, est un vieillard prudent et sage ; ne jugez pas sa conduite sous l'influence du sentiment de colère qui vous anime en ce moment. S'il a reçu les visites du chevalier Hubert de Boissy, croyez bien qu'une raison sérieuse lui en a fait une obligation. Autant que vous, peut-être plus encore, sir Guy déteste les Normands. Outre la raison de prudence qui a obligé votre oncle à accueillir les avances du chevalier, il y a encore la ruse, l'adresse, la mielleuse fourberie avec laquelle il est parvenu à s'insinuer dans les bonnes grâces de toute la famille. Sir Hubert se montrait si respectueux, si humble et si dévoué que tout le monde s'est laissé prendre à l'apparente loyauté de son caractère.

– Et vous, Marianne ?

– Moi, répondit la jeune fille, je ne le jugeais pas ; mais je trouvais dans son regard quelque chose de faux qui devait repousser la confiance.

– Comment est-il parvenu à s'introduire dans votre appartement ?

– Je ne sais. Je pleurais, parce que... Et la jeune fille rougit en baissant les yeux.

– Parce que ? interrogea tendrement Robin.

– Parce que vous ne veniez pas, dit Marianne avec un doux sourire.

– Chère bien-aimée !...

– Un léger bruit ayant attiré mon attention, je relevai la tête et je vis le chevalier. Il avait quitté sir Guy à l'aide de quelque prétexte, éloigné sans doute les femmes de service, et fait garder par ses gens les abords de la maison.

– Je sais cela, interrompit Robin ; j'ai renversé deux hommes qui avaient voulu me fermer le passage.

– ô cher Robin, vous m'avez sauvée ! Sans vous j'étais morte ; j'allais me frapper lorsque j'ai entendu le son de votre cor.

– Où se trouve la demeure de ce misérable ? demanda Robin les dents serrées.

– à quelques pas d'ici, répondit la jeune fille en conduisant Robin du côté de la fenêtre. Venez, ajouta-t-elle ; voyez-vous ce bâtiment dont la toiture domine les arbres du parc ? Eh bien ! c'est le château du seigneur de Boissy.

– Merci, chère Marianne ; mais ne parlons plus de cet homme, je souffre à l'idée seule que ses mains infâmes ont pu toucher vos mains. Parlons de nous, de nos amis ; j'ai de bonnes nouvelles à vous donner, chère Marianne, des nouvelles qui vous rendront bien heureuse.

– Hélas ! Robin, reprit tristement la jeune fille, je suis si peu habituée à la joie que je ne puis croire même à l'espérance d'un heureux événement.

– Et vous avez tort, mon amie. Voyons, oubliez ce qui vient de se passer, et tâchez de deviner le secret de mes bonnes nouvelles.

– ô cher Robin ! s'écria la jeune fille, vos paroles me font pressentir un bonheur inespéré. Vous avez reçu votre grâce, n'est-ce pas ? vous êtes libre, vous n'êtes plus obligé de fuir le regard des hommes ?

– Non, Marianne, non, je suis toujours un pauvre proscrit ; je ne voulais pas parler de moi.

– Alors c'est de mon frère, de mon cher Allan ? Où est-il, Robin ? quand viendra-t-il me voir ?

– Il viendra bientôt, je l'espère, répondit Robin ; j'ai reçu de ses nouvelles par un homme qui s'est associé à ma bande. Cet homme, fait prisonnier par les Normands à l'époque fatale de notre rencontre avec les croisés dans la forêt de Sherwood, fut contraint d'entrer au service du baron Fitz-Alwine. Le baron est arrivé hier avec lady Christabel à son château de Nottingham. Naturellement le Saxon fait soldat est revenu avec lui, et sa première pensée a été de s'unir à nous. Il m'a donc appris qu'Allan Clare tenait un rang distingué dans l'armée du roi de France, et qu'il était sur le point d'obtenir un congé pour venir passer quelques mois en Angleterre.

– Voilà en vérité une heureuse nouvelle, cher Robin, s'écria Marianne ; comme toujours vous êtes le bon ange de votre pauvre amie. Allan vous aime déjà beaucoup, mais combien il vous aimera plus encore lorsque je lui aurai dit à quel point vous avez été généreux et bon pour celle qui, sans l'appui de votre protectrice tendresse, serait morte d'ennui, de chagrin et d'inquiétude.

– Chère Marianne, répondit le jeune homme, vous direz à Allan que j'ai fait tout mon possible pour vous aider à supporter patiemment la douleur de son absence ; vous lui direz que j'ai été pour vous un frère tendre et dévoué.

– Un frère ! ah ! plus qu'un frère, dit doucement Marianne.

– Chère bien-aimée, murmura Robin en pressant la jeune fille sur son cœur, dites-lui que je vous aime passionnément et que toute ma vie vous appartient.

Le tendre tête-à-tête des deux jeunes gens se prolongea longtemps, et s'il arriva à Robin de presser trop vivement contre les siennes les mains de sa belle fiancée, cette affectueuse caresse eut la chaste réserve d'un amour respectueux.

Le lendemain, au point du jour, Robin Hood monta à cheval, et, sans avertir personne de ce départ précipité, il gagna en toute hâte la forêt de Sherwood. Par ses ordres une cinquantaine d'hommes, placés sous le commandement de Petit-Jean, se rendirent à Barnsdale, et, cachés dans les environs du village, ils y attendirent les dernières instructions de leur jeune chef.

Le soir même, Robin Hood conduisit ses hommes dans un petit bois qui faisait face au château d'Hubert de Boissy, et leur raconta en peu de mots l'infâme conduite du chevalier normand.

– J'ai appris, ajouta Robin, qu'Hubert de Boissy se préparait à prendre une revanche terrible ; il a réuni ses vassaux, qui sont au nombre de quarante, et cette nuit il doit faire une descente sur le château de notre cher parent et ami sir Guy de Gamwell ; il se propose d'incendier les bâtiments, de tuer les hommes et d'enlever les femmes. Eh bien ! mes garçons, il a compté sans nous ; nous défendrons l'approche de Barnsdale ; la victoire ne peut être mise en doute. Adresse et courage, et en avant !

– En avant ! crièrent avec enthousiasme les joyeux hommes de la forêt.

Aux premières ténèbres de la nuit, les portes du château d'Hubert donnèrent passage à une troupe d'hommes qui prit à pas muets le chemin de Barnsdale. Mais à peine eut-elle franchi les limites de la propriété du Normand, qu'un cri de guerre passa au-dessus de sa tête et la glaça de terreur. Hubert s'élança au milieu de ses hommes, et, les encourageant de la voix et du geste, il se précipita du côté où s'était fait entendre cette menaçante clameur. Aussitôt les forestiers sortirent du bois et fondirent sur la petite troupe.

La bataille violemment engagée allait devenir sanglante, lorsque Robin Hood se rencontra face à face avec le chevalier de Boissy.

Le combat fut terrible. Hubert se défendit vaillamment ; mais Robin Hood, dont les forces étaient triplées par la colère, fit des prodiges de valeur et enfonça son épée jusqu'à la garde dans le cœur du chevalier normand.

Les vassaux demandèrent quartier, et Robin fut généreux ; son ennemi mort, il donna l'ordre d'arrêter le combat. Le château de Boissy fut livré aux flammes, et le seigneur de ce magnifique domaine pendu à un arbre du chemin.

Marianne était vengée.

FIN

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