Robin Hood le proscrit Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre X


Le shérif de Nottingham (nous parlons de lord Fitz Alwine, d'heureuse mémoire) ayant appris que Robin Hood et une partie de ses hommes se trouvaient dans le Yorkshire, crut qu'il lui serait possible, avec l'aide d'une forte troupe de ses vaillants soldats, de débarrasser la forêt de Sherwood des bandits qui, séparés de leur chef, devaient être dans l'impossibilité de se défendre. Tout en projetant cette adroite expédition, lord Fitz Alwine se promettait de faire surveiller les abords du vieux bois, afin d'arrêter Robin au moment de son retour. Les héros du baron n'étaient point, on le sait, des héros de courage ; aussi le baron fit-il venir de Londres une troupe de braves et les dressa lui-même à la chasse qu'ils allaient tenter contre les proscrits.

Les joyeux hommes connaissaient tant de monde à Nottingham qu'ils furent avertis du sort que leur préparait la bienveillance du baron avant même que celui-ci eût fixé le jour qui devait éclairer la sanglante bataille.

Ce laps de temps donna aux forestiers le loisir de se mettre sur la défensive et de se préparer à recevoir les troupes du grand shérif.

Fortement surexcités par l'appât d'une riche récompense, les hommes du baron marchèrent à l'attaque avec un air de bravoure indomptable. Mais à peine eurent-ils pénétré sous bois qu'ils reçurent une volée de flèches si terrible que la moitié de leurs rangs joncha le sol de cadavres.

à cette première volée succéda une seconde, plus vive, plus pressée, plus meurtrière ; chaque flèche atteignait son but et les tireurs restaient invisibles.

Après avoir jeté l'épouvante et la confusion dans le corps ennemi, les forestiers s'élancèrent hors de leurs cachettes en jetant de grands cris, et terrassèrent tous ceux qui essayaient de résister à leur puissante étreinte.

Alors une panique effroyable dispersa la troupe, et dans un état de désordre indescriptible, elle regagna le château de Nottingham.

Il n'y eut pas un seul des joyeux hommes de blessé dans cet étrange combat, et vers le soir, reposés de leurs fatigues, frais et dispos comme ils l'étaient avant l'attaque, ils réunirent sur des brancards les corps des soldats tués, et allèrent les déposer aux portes extérieures du château de lord Fitz Alwine.

Furieux et désespéré, le baron passa la nuit à gémir sur son malheur ; il accusa ses hommes, il se dit abandonné de son saint patron, il s'en prit à tout le monde du mauvais succès de ses armes et se proclama un chef vaillant, mais victime du mauvais vouloir de ses subordonnés.

Le lendemain de ce triste jour, lord Fitz Alwine reçut la visite d'un Normand de ses amis, qui vint le soir accompagné d'une cinquantaine d'hommes. Le baron lui raconta sa pitoyable mésaventure, en ajoutant, sans doute pour motiver ses éternelles défaites, que la bande de Robin Hood était invisible.

– Mon cher baron, répondit tranquillement sir Guy de Gisborne (c'était le nom du visiteur), Robin Hood serait-il le diable en personne que, s'il me prenait fantaisie de lui arracher ses cornes, je les lui arracherais.

– Des paroles ne sont pas des faits, mon ami, répondit aigrement le vieux seigneur, et il est très facile de dire : Si je voulais, je ferais ceci, je ferais cela ; je vous mets au défi de vous emparer de Robin Hood.

– Si mon plaisir était de le prendre, répondit le Normand avec nonchalance, je n'aurais pas besoin d'y être excité. Je me sens assez fort pour dompter un lion, et après tout, votre Robin Hood n'est rien de plus qu'un homme ; un homme habile, je l'admets, mais non un personnage diabolique et insaisissable.

– Vous en direz ce que vous voudrez, sir Guy, ajouta le baron visiblement décidé à pousser le Normand à tenter une entreprise contre Robin Hood ; mais il n'existe pas, en Angleterre un homme qui soit capable, paysan, soldat ou grand seigneur, de courber devant lui la tête de cet héroïque outlaw. Il ne craint rien, il n'a peur de rien ; une armée tout entière ne l'intimiderait pas.

Sir Guy de Gisborne sourit avec dédain.

– Je ne doute pas le moins du monde, dit-il, de la vaillance de ce brave proscrit ; mais avouez, baron, que jusqu'à présent Robin Hood n'a eu à combattre que des fantômes.

– Comment ! s'écria le baron cruellement blessé dans son amour-propre de général en chef.

– Eh ! oui, des fantômes, je le répète, mon vieil ami. Vos soldats sont pétris, non de chair et d'os, mais de boue et de lait. Qui a vu de pareils drôles ? Ils fuient devant les flèches des outlaws, et le nom seul de Robin Hood leur donne le frisson. Oh ! si j'étais à votre place !

– Que feriez-vous ? demanda avidement le baron.

– Je ferais pendre Robin Hood.

– Ce n'est ni le désir ni la bonne volonté qui me manquent à cet égard-là, répondit le baron d'un air sombre.

– Je m'en aperçois bien, baron : c'est le pouvoir. Eh bien ! il est fort heureux pour votre ennemi qu'il ne se soit jamais trouvé face à face avec moi.

– Ah ! ah ! s'écria le baron en riant, vous lui auriez passé votre lance au travers du corps, n'est-ce pas ? Vous m'amusez beaucoup, mon ami, avec toutes vos fanfaronnades. Laissez donc, vous trembleriez de la tête aux pieds si je vous disais seulement : Voilà Robin Hood !

Le Normand bondit sur son siège.

– Sachez bien, dit-il d'une voix furieuse, que je n'ai peur ni des hommes, ni du diable, ni de qui que ce soit au monde, et, à mon tour, je vous mets au défi de me placer dans une situation au-dessus de mon courage. Puisque le nom de Robin Hood a servi de point de départ à notre entretien, je vous demande comme une faveur de me mettre sur les traces de cet homme, qu'il vous plaît de croire invincible parce que vous n'avez pu le vaincre ; je me fais fort de le saisir, de lui couper les oreilles et de le pendre par le pied, ni plus ni moins qu'un pourceau. Dans quel endroit peut-on rencontrer cet homme puissant ?

– Dans la forêt de Barnsdale.

– à quelle distance cette forêt se trouve-t-elle de Nottingham ?

– Deux jours de marche peuvent nous y conduire par des chemins détournés, et comme je serais désolé, mon cher sir Guy, qu'il vous arrivât malheur par ma faute, si vous voulez bien le permettre, je joindrai mes hommes aux vôtres, et nous irons de compagnie à la recherche de ce coquin. J'ai appris de bonne source que pour le moment il se trouve séparé de la meilleure partie de ses hommes ; il nous sera donc facile, si nous agissons avec prudence, de cerner le repaire de ces bandits, de nous emparer de leur chef, et d'abandonner la troupe à la juste vengeance de nos soldats. Les miens ont grandement souffert dans la forêt de Sherwood, et ils seront fort heureux de prendre une éclatante revanche.

– J'accepte de grand cœur votre offre obligeante, mon cher ami, répliqua le Normand ; car elle me donnera la satisfaction de vous prouver que Robin Hood n'est ni un diable ni un homme invisible, et afin, non seulement d'égaliser la partie entre ce proscrit et moi, mais encore de vous montrer que je n'ai pas l'intention d'agir en dessous main, je vais prendre un costume de yeoman, et je combattrai corps à corps avec Robin Hood.

Le baron dissimula le plaisir que lui causait l'orgueilleuse réponse de son hôte, et hasarda d'un ton craintif et affectueux quelques timides observations sur le danger qu'allait courir son excellent ami, sur l'imprudence d'un déguisement qui allait le mettre en contact direct avec un homme renommé pour son adresse et sa force de corps.

Le Normand, tout gonflé de vaniteuse confiance en lui-même, arrêta court les fausses doléances du baron, et celui-ci courut avec une prestesse remarquable pour son âge, donner l'ordre à sa troupe de se mettre sous les armes.

Une heure après, sir Guy de Gisborne et lord Fitz Alwine, accompagnés d'une centaine d'hommes, prenaient d'un air conquérant le chemin de traverse qui devait les conduire à la forêt de Barnsdale.

Il avait été convenu entre le baron et son nouvel allié que celui-ci laisserait Fitz Alwine diriger sa troupe vers une partie du bois désignée d'avance, et que, protégé contre toute apparence de mauvaise intention par son costume de yeoman, sir Guy prendrait une autre direction, chercherait Robin Hood, et se battrait avec lui de gré ou de force, et bien entendu l'enverrait dans l'autre monde. Le succès du Normand (ajoutons que ce succès n'était pas un doute pour lui) serait annoncé au baron par une fanfare particulière sonnée avec un cor de chasse. à l'appel triomphant de ce cor, le shérif devait proclamer la victoire du Normand et accourir au triple galop des chevaux sur le lieu du combat. La victoire constatée par la vue du cadavre de Robin Hood, les soldats devaient fouiller les taillis, les fourrés, les retraites souterraines et tuer ou faire prisonniers, le choix leur était bénévolement laissé, tous les outlaws assez malheureux pour leur tomber entre les mains.

Tandis que la troupe gagnait avec mystère les abords de la forêt de Barnsdale, Robin Hood, nonchalamment étendu sous l'épais feuillage de l'arbre du Rendez-Vous, dormait d'un profond sommeil.

Petit-Jean, assis aux pieds de son chef, veillait sur son repos tout en pensant aux qualités de cœur et d'esprit de sa charmante femme, la douce Winifred, quand il fut troublé dans cette tendre rêverie par le chant aigu d'une grive qui, perchée sur une basse branche de l'arbre du Rendez-Vous, s'égosillait à siffler en battant des ailes.

Ce ramage strident réveilla brusquement Robin, qui se leva avec un geste d'épouvante.

– Eh bien ! dit Jean, qu'y a-t-il, mon cher Robin ?

– Rien, reprit le jeune homme en se remettant un peu ; j'ai rêvé, et je ne sais si je dois le dire, j'ai eu peur. Je me croyais attaqué par deux yeomen ; ils me battaient à outrance, et je leur rendais les coups avec une générosité sans pareille. Cependant j'allais être vaincu, je voyais la mort me tendre les bras, lorsqu'un oiseau venant je ne sais d'où, me dit dans son langage chanteur : Prends courage, je vais t'envoyer du secours. Je me suis éveillé, je ne vois ni le danger ni l'oiseau ; donc, tout songe est mensonge, ajouta Robin en souriant.

– Je ne suis pas de votre avis, capitaine, répondit Jean d'un air soucieux ; car une partie de votre rêve s'est réalisée. Il y avait là tout à l'heure, sur la branche qui vous touche, une grive qui chantait à tue-tête. Votre réveil l'a mise en fuite. Peut-être vous donnait-elle un avertissement.

– Sommes-nous donc superstitieux, ami Jean ? demanda Robin avec gaieté. Allons, à notre âge ce serait ridicule ; il faut laisser cet enfantillage aux jeunes filles et aux petits garçons, mais nous ! Cependant, continua Robin, il est peut-être sage, dans le cours d'une existence aussi aventureuse que la nôtre, de faire attention à tout ce qui se passe. Qui sait, la grive nous a peut-être dit : Sentinelle, garde à vous ! Et nous sommes les sentinelles avancées d'une troupe de braves gens. En avant donc, un danger prévu est en partie évité.

Robin sonna du cor, et les joyeux hommes, dispersés dans les clairières voisines, accoururent à son appel.

Robin les envoya dans le chemin qui descendait de York, car de ce côté seulement une attaque pouvait être à craindre, et accompagné de Jean, il alla fouiller la partie opposée du bois. William et deux vigoureux forestiers se rendirent sur la route de Mansfeld.

Après avoir parcouru du regard les sentiers et les routes vers lesquels ils s'étaient dirigés, Robin et Jean s'engagèrent dans le chemin suivi par Will écarlate. Là, au détour d'une vallée, ils rencontrèrent un yeoman, le corps enveloppé dans une peau de cheval qui lui servait de manteau. à cette époque, ce bizarre vêtement était en grande faveur près des yeomen de Yorkshire, qui pour la plupart s'occupaient de l'élève des chevaux.

Le nouveau venu portait à ses côtés une épée et une dague, et sa physionomie, à l'expression cruelle, disait assez l'usage homicide qu'il avait l'habitude de faire de ses armes.

– Ah ! ah ! cria Robin en l'apercevant, voici, sur mon âme, un fieffé coquin ; il suinte le crime. Je vais l'interroger, et s'il ne répond pas en honnête homme à ma question, je tenterai de voir la couleur de son sang.

– Il ressemble à un molosse pourvu de bonnes dents, mon cher Robin ; prenez garde, restez sous cet arbre, je me charge de lui demander ses nom, prénoms et qualités.

– Mon cher Jean, repartit vivement Robin, je me sens un caprice pour ce gaillard-là. Laissez-moi l'étriller à ma manière. Il y a longtemps que je me suis battu, et par la sainte Mère, ma bonne protectrice ! je ne pourrais jamais échanger une gourmade avec personne si je prêtais l'oreille à vos prudentes réflexions. Prends garde, ami Jean, ajouta Robin d'une voix empreinte d'affection, il viendra une heure où, à défaut d'adversaire, je serai obligé de te rouer de coups, oh ! seulement pour m'entretenir la main ; mais tu n'en seras pas moins la victime de ta bienveillante générosité. Va rejoindre Will, et ne revenez auprès de moi qu'à l'appel d'une fanfare de triomphe.

– Votre volonté est une loi pour moi, Robin Hood, répondit Jean d'un ton fâché, et je me fais un devoir d'y obéir, quoique ce soit à contrecœur.

Nous laisserons Robin continuer son chemin à la rencontre de l'étranger, et nous suivrons Petit-Jean, qui en esclave fidèle des ordres de son chef, hâtait le pas afin d'atteindre William, lancé avec deux hommes sur la grande route de Mansfeld.

à trois cents mètres environ de l'endroit où Petit-Jean abandonnait Robin en tête à tête avec le yeoman, il trouva Will écarlate et ses deux compagnons occupés à ferrailler de toute la vigueur de leurs muscles contre une dizaine de soldats. Jean jeta un cri, et d'un bond se trouva aux côtés de ses amis. Mais le danger déjà si difficile à combattre le devint bien davantage lorsqu'un cliquetis d'armes et un bruit de pas de chevaux eut attiré l'attention du jeune homme vers l'extrémité de la route.

Au bout du chemin, et dans la demi-pénombre projetée par les arbres parut une compagnie de soldats, et à sa tête, caracolait un cheval richement caparaçonné. Sur ce cheval siégeait, l'air hautain et la lance en arrêt, le shérif de Nottingham.

Jean s'élança à la rencontre des nouveaux venus, prépara son arc et visa le baron. Les mouvements du jeune homme s'étaient succédé avec tant de rapidité et de violence que l'arc trop tendu se brisa comme un fil de verre.

Jean laissa échapper une malédiction sur la flèche inoffensive, et saisit un nouvel arc que venait de lui tendre un proscrit blessé à mort par les soldats que combattait William.

Le baron avait compris le geste et les intentions de l'archer ; il se courba sous son cheval de manière à ne faire qu'un corps avec l'animal, et la flèche destinée à lui donner la mort envoya rouler dans la poussière un homme qui se trouvait derrière lui.

La chute exaspéra la troupe entière, qui fermement décidée à remporter la victoire, et se voyant en nombre, éperonna les chevaux et s'avança rapidement.

Des deux compagnons de William, un était mort, l'autre se battait encore ; mais il était facile de comprendre que le moment de sa défaite était près de sonner. Jean s'aperçut du péril auquel son cousin était exposé ; il tomba sur le groupe des combattants, arracha Will de leurs mains en leur criant de fuir.

– Jamais ! répondit énergiquement Will.

– Par pitié, Will, disait Jean, tout en continuant de frapper ses agresseurs, va chercher Robin Hood, appelle les joyeux hommes. Hélas ! il y aura aujourd'hui sur l'herbe verte des ruisseaux de sang ; le chant de la grive était un avertissement du ciel.

William se rendit à la prière de son cousin ; il était facile d'en comprendre toute la portée en considérant le nombre de soldats qui commençaient à envahir la clairière. Il porta un coup terrible à un homme qui essayait de lui barrer le passage et disparut dans un fourré.

Petit-Jean se battait comme un lion ; mais c'était folie que de vouloir lutter seul contre tant d'ennemis ; Jean fut vaincu ; il tomba, les soldats lui lièrent les pieds et les mains et l'adossèrent contre un arbre.

L'arrivée du baron allait décider du sort de notre pauvre ami. Lord Fitz Alwine, appelé à grands cris, s'empressa d'accourir. à la vue du prisonnier, un sourire de haine satisfaite donna aux traits du baron une expression de férocité.

– Ah ! ah ! dit-il en savourant avec un bonheur indicible la joie de son triomphe, vous voilà donc entre mes mains, grande perche de la forêt ! Je vous ferai payer cher votre insolence avant de vous envoyer dans l'autre monde.

– Ma foi ! dit Jean d'un ton dégagé tout en mordant avec fureur sa lèvre inférieure, quelles que soient les tortures qu'il vous plaira de m'infliger, elles ne pourront vous faire oublier que j'ai tenu votre vie entre mes mains et que si vous avez encore la puissance de martyriser les Saxons, c'est à ma bonté que vous le devez. Maintenant, tenez-vous sur vos gardes : Robin Hood va venir et vous n'aurez pas avec lui la victoire aussi facile que vous l'avez eue avec moi.

– Robin Hood ! reprit le baron en ricanant. Robin Hood va bientôt entendre sonner sa dernière heure. J'ai donné l'ordre de lui couper la tête et de laisser son corps ici afin qu'il serve de pâture aux loups carnassiers. Soldats, ajouta le baron en se tournant vers deux hommes, esclaves serviles de ses commandements, placez ce coquin sur le dos d'un cheval et attendons sans nous écarter de cet endroit le retour de sir Guy ; il est à présumer qu'il nous apportera la tête du misérable Robin Hood.

Les hommes descendus de cheval se tinrent prêts à remonter en selle et le baron, commodément assis sur un tertre de verdure, attendit sans impatience l'appel du cor de sir Guy de Gisborne.

Laissons Sa Seigneurie se reposer de ses fatigues et allons voir ce qui se passait entre Robin Hood et l'homme revêtu d'une peau de cheval.

– Bon matin ! messire, dit Robin en s'approchant de l'étranger. On pourrait croire, à en juger par l'excellent arc que vous tenez à la main, que vous êtes un brave et honnête archer.

– J'ai perdu ma route, repartit le promeneur, dédaignant de répondre à la réflexion interrogatoire qui lui était adressée et je crains fort de m'égarer dans ce dédale de carrefours, de clairières et de sentiers.

– Les chemins de la forêt me sont tous connus, messire, répondit Robin Hood avec politesse et si vous voulez bien me dire à quelle partie du bois vous désirez vous rendre, je vous servirai de guide.

– Je ne vais pas précisément à un endroit déterminé, répondit l'étranger en examinant son interlocuteur avec attention ; je désire me rapprocher du centre de ce bois ; car j'ai lieu d'espérer la rencontre d'un homme avec lequel je serais bien aise de causer un peu.

– Cet homme est sans doute de vos amis ? demanda Robin d'un air aimable.

– Non, repartit vivement l'étranger ; c'est un coquin de la plus dangereuse espèce, un proscrit qui mérite la corde.

– Ah ! ah ! dit Robin toujours souriant et peut-on vous demander sans indiscrétion le nom de ce gibier de potence ?

– Certainement ; il s'appelle Robin Hood, et voyez-vous, jeune homme, je donnerais de grand cœur une dizaine de pièces d'or pour avoir le plaisir de me rencontrer avec lui.

– Mon cher monsieur, dit Robin, félicitez-vous du hasard qui vous a placé sur ma route ; car je puis, sans mettre votre générosité à l'épreuve, vous conduire en présence de Robin Hood. Permettez-moi seulement de vous demander votre nom.

– Je m'appelle sir Guy de Gisborne, je suis riche et je possède un grand nombre de vassaux. Mon costume, comme vous devez bien le comprendre, est un habile déguisement, Robin Hood, ne pouvant se mettre en garde contre un pauvre diable si piètrement accoutré, me laissera arriver jusqu'à lui. La question est donc tout simplement de savoir où il se trouve. Ah ! une fois à portée de ma main, il mourra, je vous le jure, sans avoir ni le temps ni la possibilité de se défendre ; je le tuerai sans miséricorde.

– Robin Hood vous a donc fait beaucoup de mal ?

– à moi ? jamais ? Je ne le connaissais pas même de nom il y a quelques heures et, comme vous le verrez si vous me conduisez auprès de lui, mon visage lui est totalement inconnu.

– Alors pour quelle raison désirez-vous attenter à son existence ?

– Je n'ai pas de raison ; c'est mon plaisir, voilà tout.

– Un plaisir singulier, permettez-moi de vous le dire et, de plus, je vous plains grandement d'avoir les idées aussi sanguinaires.

– Eh bien ! c'est ce qui vous trompe, je ne suis pas méchant et sans cet idiot de Fitz Alwine, je serais, à l'heure où je vous parle, tranquillement en chemin pour rentrer chez moi. C'est lui qui m'a poussé à tenter l'aventure, en me mettant au défi de vaincre Robin Hood. Mon amour-propre est engagé, il faut donc à tout prix que je remporte la victoire. Mais à propos, ajouta sir Guy, maintenant que je vous ai dit mon nom, mes qualités et mes projets, à votre tour de répondre à mes questions. Qui êtes-vous ?

– Qui je suis ? répéta Robin la voix haute et le regard sérieux ; tu vas le savoir : je suis le comte de Huntingdon, le roi de la forêt ; je suis l'homme que tu cherches, je suis Robin Hood !

Le Normand fit un bon en arrière.

– Alors, prépare-toi à recevoir la mort ! cria-t-il en tirant son épée. Sir Guy de Gisborne n'a qu'une parole : il a juré de te tuer, tu vas mourir ! Fais ta prière, Robin Hood, car dans quelques minutes le son de mon cor de chasse annoncera à mes compagnons, qui se trouvent ici près, que le chef des outlaws n'est plus qu'un cadavre informe, un cadavre sans tête.

– Au vainqueur appartiendra le droit et le pouvoir de disposer du corps de son adversaire, répondit froidement Robin Hood. En garde donc ! Tu as juré de ne pas m'épargner, je jure à mon tour, si la sainte Vierge m'accorde la victoire, de te traiter comme tu le mérites. Allons, point de quartier ni pour l'un ni pour l'autre ; la vie et la mort se trouvent en présence.

Cela dit, les deux adversaires croisèrent l'épée. Le Normand était non seulement un véritable hercule, mais encore d'une force supérieure dans l'art de l'escrime. Il attaqua Robin avec tant de fureur que le jeune homme, serré de près, fut contraint de reculer et s'enchevêtra les jambes dans les racines d'un chêne. Sir Guy, l'œil aussi alerte qu'il avait la main prompte, s'aperçut bientôt de l'avantage qu'il venait d'obtenir ; il redoubla ses coups et plusieurs fois Robin sentit son épée vaciller sous la nerveuse étreinte de sa main. La position de Robin devenait inquiétante ; gêné dans ses mouvements par les rugueuses racines de l'arbre qui heurtaient ses chevilles, il ne pouvait ni avancer ni reculer ; il prit alors le parti de bondir hors du cercle où il se trouvait enfermé et, par un élan de cerf aux abois, il franchit le revers du sentier ; mais en faisant ce saut, Robin rencontra une branche rampante qui enlaça son pied gauche et l'envoya rouler dans la poussière.

Sir Guy n'était pas homme à laisser échapper une semblable occasion de vengeance ; il jeta un cri de triomphe et se précipita sur Robin avec la pensée évidente de lui fendre la tête.

Robin vit le danger ; il ferma les yeux et murmura avec une ardente ferveur :

– Sainte mère de Dieu, venez à mon aide ! Chère Dame de Bon Secours, me laisseriez-vous tuer par la main de ce misérable Normand ?

Robin achevait à peine de prononcer ces paroles que sir Guy n'osa interrompre, les prenant sans doute pour un acte de contrition, qu'il sentit une force nouvelle pénétrer dans ses membres ; il tourna vers son ennemi la pointe de son épée et, tandis que celui-ci cherchait à écarter l'arme menaçante, Robin bondissait sur ses pieds et se retrouvait debout, libre et fort, au milieu du chemin. Le combat un instant suspendu recommença avec une nouvelle fureur ; mais la victoire avait changé de face, elle s'était mise avec Robin, Sir Guy, désarmé et atteint en pleine poitrine, tomba sans pousser un cri : il était mort. Après avoir remercié Dieu du succès de ses armes, Robin s'assura que sir Guy avait bien réellement rendu le dernier soupir et, en examinant les traits du Normand, Robin se rappela que cet homme n'était pas venu seul à sa recherche, qu'il avait amené avec lui une troupe de compagnons et que cette troupe, cachée dans quelque partie du bois, attendait l'appel du cor de chasse.

– Je crois qu'il serait sage, se dit mentalement Robin, d'aller voir si ces braves gens ne sont pas les soldats du baron Fitz Alwine et de me rendre personnellement compte de tout le plaisir que pourrait lui donner la nouvelle de ma mort. Je vais revêtir les vêtements de sir Guy, lui couper la tête et attirer ici ses patients compagnons.

Robin Hood dépouilla le corps du Normand des principales pièces de son costume, les endossa, non sans éprouver une sorte de dégoût et, lorsqu'il eut jeté sur ses épaules la peau du cheval, il ressembla à s'y méprendre à sir Guy de Gisborne. Le déguisement opéré, la tête du Normand rendue méconnaissable à première vue, Robin Hood sonna du cor. Un hourra de triomphe répondit à l'appel du jeune homme, qui s'élança en courant vers l'endroit où les voix joyeuses se faisaient entendre.

– écoutez, écoutez encore, cria Fitz Alwine en se levant ; est-ce bien le son du cor du sir Guy ?

– Oui, milord, répondit un homme appartenant au chevalier, il n'y a pas à s'y tromper ; le cor de mon maître possède un son particulier.

– Victoire, alors ! reprit le vieux seigneur ; le brave et digne sir Guy a tué Robin.

– Une centaine de sir Guy ne pourraient réussir à frapper Robin Hood, s'ils l'attaquaient un à un et loyalement ! rugit le pauvre Jean, bien qu'une terrible angoisse lui serrât le cœur.

– Taisez-vous, idiot aux longues jambes ! répondit brutalement le baron et si vous avez de bons yeux, regardez à l'extrémité de la clairière, vous y verrez, se dirigeant vers nous au pas de course, le vainqueur de votre misérable chef, le vaillant sir Guy de Gisborne.

Jean se souleva et vit, ainsi que l'annonçait le baron, un yeoman, le corps à demi enveloppé dans une peau de cheval. Robin imitait si bien la démarche du chevalier que Jean crut reconnaître l'homme qu'il avait laissé en tête à tête avec son ami.

Un cri de rage impuissante s'échappa de la poitrine de Jean.

– Ah ! le bandit ! ah ! le mécréant ! vociféra le jeune homme au désespoir ; il a tué Robin Hood ! il a tué le plus brave Saxon de toute l'Angleterre ! Vengeance ! vengeance ! vengeance ! Robin Hood a des amis et il se trouve dans le comté de Nottingham des milliers de mains qui parviendront à punir son meurtrier.

– Dis tes prières, chien ! cria le baron et laisse-nous en repos ; ton maître est mort et tu vas mourir comme lui. Dis tes prières et tâche de préserver ton âme des tortures qui attendent ton corps. Crois-tu acquérir des droits à notre miséricorde en poursuivant de tes vaines menaces le noble chevalier qui a purgé la terre d'un infâme bandit ? Approche, brave sir Guy, continua lord Fitz Alwine en s'adressant à Robin Hood qui s'avançait avec rapidité ; tu mérites tous nos éloges et toute notre reconnaissance : tu as débarrassé ton pays de l'invasion du brigandage, tu as tué un homme que la terreur populaire avait déclaré invincible, tu as tué le célèbre Robin Hood ! Demande-moi la récompense due à tes bons offices ; je mets à ta disposition ma faveur à la cour, l'appui de mon éternelle amitié ; demande ce que tu désires, noble chevalier, je suis prêt à te satisfaire.

Robin avait jugé la situation d'un coup d'œil et le féroce regard que Jean dardait sur lui révélait mieux encore que les protestations de gratitude du vieux seigneur la réussite de sa métamorphose.

– Je ne mérite pas tant de remerciements, répondit Robin en rendant comme un écho fidèle le son de voix du chevalier. J'ai tué dans un combat loyal celui qui m'avait attaqué et, puisque vous voulez bien me permettre, mon cher baron, de vous réclamer le prix de ma victoire, je vous demande, en récompense du service que je viens de vous rendre, la permission de me battre avec le coquin que vous avez arrêté ; il me dévore des yeux et son regard me fatigue ; je vais l'envoyer tenir compagnie dans l'autre monde à son aimable compagnon.

– à votre aise ! répondit lord Fitz Alwine en se frottant les mains d'un air tout joyeux ; tuez-le si bon vous semble, sa vie vous appartient.

La voix de Robin Hood n'avait pu tromper Petit-Jean et un soupir d'indicible satisfaction avait enlevé de son cœur le poids de la terrible angoisse qu'il venait de ressentir.

Robin s'approcha de Jean, le baron le suivit.

– Milord, dit Robin en riant, veuillez me laisser seul avec ce coquin ; j'ai entière conviction que la peur d'une mort ignominieuse le décidera à me confier le secret de la retraite des hommes qui font partie de la bande. éloignez-vous et faites écarter vos gens, sinon je me charge de traiter les curieux de la même manière que j'ai traité l'homme dont voici la tête.

En achevant ces mots, Robin lança son sanglant trophée dans les bras de lord Fitz Alwine. Le vieillard jeta un cri d'horreur : la tête défigurée de sir Guy roula sur le sol, le front dans la poussière.

Les soldats effrayés s'éloignèrent vivement. Robin Hood, resté seul avec Petit-Jean, s'empressa de couper ses liens, et lui mit entre les mains l'arc et les flèches appartenant à sir Guy ; puis il sonna du cor. à peine le son s'était-il répandu dans les profondeurs du bois qu'une clameur furieuse se fit entendre et les branches des arbres, violemment repoussées, livrèrent passage, d'abord à Will écarlate, dont la figure était d'un rouge si vif que pour le moment elle paraissait de pourpre, puis à un corps de joyeux hommes, l'épée à la main. Cette foudroyante apparition se montra au shérif plutôt semblable à un rêve qu'à une réalité. Il regarda sans voir, il écouta sans entendre, il avait l'esprit et le corps entièrement paralysés par une accablante terreur. Cette minute de suprême angoisse parut avoir la durée d'un siècle ; il fit un pas vers celui qu'il avait pris pour le chevalier normand et se trouva en face de Robin, qui, débarrassé de la peau du cheval et l'épée à la main, tenait en respect les soldats non moins abattus que leur chef.

Le baron, les dents serrées, incapable de prononcer une seule parole, se détourna brusquement, remonta à cheval et, sans donner l'ordre à sa troupe, s'éloigna ventre à terre.

Les soldats, entraînés par un exemple si digne d'éloges, imitèrent leur chef et s'élancèrent à toute bride sur les traces du baron.

– Puisse le démon te tenir bientôt dans ses griffes ! cria Jean d'une voix furieuse, et ta couardise ne te sauvera pas ; mes flèches portent assez loin pour t'atteindre à la tête.

– Ne tire pas, Jean, dit Robin en retenant le bras de son ami ; tu vois bien que, suivant les lois de la nature, cet homme a peu de temps à vivre, pourquoi hâter de quelques jours la mort d'un vieillard ? Laisse-le à ses remords, à son isolement de soutien de famille, à son impuissance haineuse.

– écoutez, Robin, je ne puis laisser le vieux brigand se sauver ainsi ; permettez-moi de lui donner une bonne leçon, un souvenir de son passage dans la forêt ; je ne le tuerai pas, je vous en donne ma parole.

– Soit alors ; tire, mais tire vite, il va disparaître au détour du sentier.

Jean envoya sa flèche et, à en juger par le saut que le baron fit sur sa selle, par l'empressement qu'il mit à la retirer de l'endroit qu'elle avait atteint, il était impossible de mettre en doute que de longtemps le baron ne remonterait à cheval ou ne resterait tranquillement assis sur sa chaise.

Petit-Jean serra avec reconnaissance les mains de son sauveur ; Will demanda à Robin le récit de ses prouesses et les dernières heures de ce jour mémorable s'écoulèrent joyeusement.

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