Les louves de Machecoul Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre XXX
L'alarme

Celui que nous venons d'introduire, ou plutôt qui s'introduisait lui-même dans le salon du marquis de Souday, était le commissaire général de la future armée vendéenne, qui avait changé son nom, fort connu au barreau de Nantes, contre le pseudonyme de Pascal.

Plusieurs fois, il avait été à l'étranger pour y conférer avec Madame et la connaissait parfaitement. Il y avait deux mois à peine qu'il avait fait un dernier voyage de ce genre, et que, portant à Son Altesse royale des nouvelles de la France, il avait, en échange, reçu ses ordres.

C'était lui qui était revenu dire à la Vendée de se tenir prête.

– Ah ! ah ! fit le marquis de Souday avec un certain mouvement des lèvres qui annonçait qu'il n'avait pas les avocats dans une inattaquable admiration, M. le commissaire général Pascal...

– Qui nous apporte des nouvelles, à ce qu'il paraît, dit Petit-Pierre dans l'intention bien visible d'attirer sur lui toute l'attention du nouveau venu.

En effet, au son de la voix qui venait de prononcer ces paroles, le commissaire civil tressaillit, et se retourna du côté de Petit-Pierre, lequel lui fit des yeux et des lèvres un signe imperceptible, mais qui parut suffire à lui indiquer ce qu'il avait à faire.

– Des nouvelles, oui, répéta-t-il.

– Bonnes ou mauvaises ? demanda Louis Renaud.

– Mélangées... Mais commençons par la bonne.

– Dites !

– Son Altesse royale a traversé heureusement le Midi et est arrivée saine et sauve en Vendée.

– êtes-vous sûr de cela ? demandèrent en même temps le marquis de Souday et Louis Renaud.

– Aussi sûr qu'il est sûr que je vous vois tous cinq dans ce salon, et en bonne santé, répondit Pascal. Maintenant, passons aux autres nouvelles.

– Avez-vous appris quelque chose de Montaigu ? demanda Louis Renaud.

– On s'y est battu aujourd'hui, dit Pascal ; quelques coups de fusil ont été tirés par la garde nationale, quelques paysans ont été tués ou blessés.

– Mais à quel propos ? demanda Petit-Pierre.

– à propos d'une rixe survenue à la foire, et qui a dégénéré en émeute.

– Qui commande à Montaigu ? demanda encore Petit-Pierre.

– Un simple capitaine, répondit Pascal ; mais, aujourd'hui, en considération de la foire, le sous-préfet et le général commandant la subdivision militaire s'y étaient rendus.

– Et savez-vous le nom du général ?

– Le général Dermoncourt.

– Qu'est-ce que c'est que cela, le général Dermoncourt ?

– Sous quel rapport voulez-vous le connaître, monsieur ? Est-ce comme homme, comme opinion, comme caractère ?

– Sous ces trois rapports.

– Comme homme, c'est un homme de soixante à soixante-deux ans, de cette race de fer qui a fait toutes les guerres de la Révolution et de l'Empire ; il sera nuit et jour à cheval et ne nous laissera pas un moment de repos.

– C'est bien, repartit en riant Louis Renaud ; on tâchera de le fatiguer, et, comme nous n'avons, en moyenne, que la moitié de son âge, nous serons bien malheureux ou bien maladroits si nous n'y réussissons pas.

– Son opinion ? demanda Petit-Pierre.

– Au fond, répondit Pascal, je le crois républicain.

– Malgré douze ans de service sous l'Empire ? Il était bon teint !

– Il y en a encore comme cela. Vous vous rappelez ce que Henri IV disait des ligueurs : « La caque sent toujours le hareng. »

– Et comme caractère ?

– Oh ! quant à cela, la loyauté même ! Ce n'est ni un Amadis ni un Galaor ; mais c'est un Ferragus, et, si jamais Madame avait le malheur de tomber entre ses mains...

– Eh ! que dites-vous donc là, monsieur Pascal ! fit Petit-Pierre.

– Je suis avocat, monsieur, répondit le commissaire civil, et, en ma qualité d'avocat, je prévois toutes les chances d'un procès. Je répète donc : si jamais Madame avait le malheur de tomber entre les mains du général Dermoncourt, elle pourrait juger de sa courtoisie.

– Alors, dit Petit-Pierre, voilà un ennemi comme Madame l'eût choisi elle-même, vigoureux, brave et loyal. Monsieur, nous avons de la chance... Mais vous parliez de coups de fusil au gué de la Boulogne.

– Je présume, du moins, que ceux que je viens d'entendre sur la route se tirent par là.

– Peut-être, dit le marquis, serait-il bon que Bertha allât à la découverte et écoutât ; elle nous rendrait compte de ce qui se passe.

Bertha se leva.

– Comment ! dit Petit-Pierre, mademoiselle ?

– Pourquoi pas ? demanda le marquis.

– Parce qu'il me semble que c'est la besogne d'un homme, et non celle d'une femme.

– Mon jeune ami, dit le vieux gentilhomme, en pareille matière, je ne m'en rapporte qu'à moi ; après moi, à Jean Oullier, et, après Jean Oullier, à Bertha ou à Mary. Je désire avoir l'honneur de vous tenir compagnie ; mon drôle de Jean Oullier court les champs ; laissez donc faire Bertha.

Bertha, en conséquence, continua son chemin vers la porte ; mais, à la porte, elle rencontra sa sœur, qui échangea tout bas quelques mots avec elle.

– Voilà Mary, dit Bertha.

– Ah ! fit le marquis. As-tu entendu des coups de fusil, petite ?

– Oui, père, dit Mary ; on se bat.

– Et où cela ?

– Au saut de Baugé.

– Tu es sûre ?

– Oui ; seulement, les coups de fusil partent du marais.

– Vous voyez, dit le marquis, c'est précis. Qui garde la porte en ton absence ?

– Rosine Tinguy.

– écoutez, dit Petit-Pierre.

En effet, on frappait à la porte à coups redoublés.

– Diable ! fit le marquis, ce n'est pas un des nôtres.

On écouta avec plus d'attention.

– Ouvrez ! criait une voix, ouvrez ! Il n'y a pas un instant à perdre.

– C'est sa voix ! dit vivement Mary.

– Sa voix ! répéta le marquis ; la voix de qui ?

– Oui, la voix du jeune baron Michel, dit Bertha, qui, comme sa sœur, l'avait reconnue.

– Et que vient faire ici ce pancalier ? dit le marquis en faisant un pas vers la porte comme pour s'opposer à son entrée.

– Laissez-le venir, marquis, laissez-le venir ! s'écria Bonneville. Il n'est point à craindre, et je réponds de lui.

à peine avait-il prononcé ces mots, que l'on entendit le bruit d'un pas rapide, qui se précipitait vers le salon, et que l'on vit paraître le jeune baron, pâle, haletant, couvert de boue, ruisselant de sueur, n'ayant plus de souffle que pour dire :

– Pas un instant à perdre ! fuyez ! Ils viennent !

Et il tomba sur un genou, appuyant une de ses mains contre la terre ; la respiration lui manquait, ses forces étaient épuisées.

Comme il l'avait promis à Jean Oullier, il avait fait plus d'une demi-lieue en six minutes.

Il y eut dans le salon un moment de trouble et de confusion suprêmes.

– Aux armes ! cria le marquis.

Et, sautant sur son fusil, il indiqua du doigt un râtelier placé dans le coin du salon et supportant trois ou quatre carabines et fusils de chasse.

Le comte de Bonneville et Pascal, d'un seul et même mouvement, se jetèrent au-devant de Petit-Pierre pour le défendre.

Mary s'élança vers le jeune baron pour le relever et lui porter secours s'il était besoin.

Bertha courut à la fenêtre qui donnait sur la forêt et l'ouvrit.

On entendit alors quelques coups de fusil plus rapprochés, et cependant à une certaine distance.

– Ils sont à la viette des Biques, dit Bertha.

– Allons donc ! fit le marquis, impossible qu'ils tentent une pareille route.

– Ils y sont, père, dit Bertha.

– Oui, oui, murmura Michel, je les ai vus ; ils avaient des torches ; une femme les guidait, marchant la première ; le général marchait le second.

– Oh ! maudit Jean ! dit le marquis, pourquoi n'es-tu pas ici ?

– Il se bat, monsieur le marquis, dit le jeune baron ; il m'a envoyé, ne pouvant venir.

– Lui ? fit le marquis.

– Mais je venais, mademoiselle, dit-il, je venais de moi-même. Depuis hier, je sais que l'on doit attaquer le château ; mais j'étais prisonnier, je suis descendu par la fenêtre du second...

– Grand Dieu ! fit Mary en pâlissant.

– Bravo ! fit Bertha.

– Messieurs, dit tranquillement Petit-Pierre, je crois qu'il s'agirait de prendre un parti. Combattons-nous ? En ce cas, il faut nous armer, fermer les portes du château et prendre nos postes. Fuyons-nous ? Je crois qu'il y a encore moins de temps à perdre.

– Défendons-nous ! dit le marquis.

– Fuyons ! dit Bonneville. Quand Petit-Pierre sera en sûreté, nous nous défendrons.

– Eh bien, fit Petit-Pierre, que dites-vous là, comte ?

– Je dis que rien n'est prêt et que nous ne pouvons pas nous battre... N'est-ce pas, messieurs ?

– On peut toujours se battre, dit la voix jeune et nonchalante d'un nouveau venu, en s'adressant moitié à ceux qui étaient dans le salon, moitié à deux autres jeunes gens qui le suivaient et que, sans doute, il avait rencontrés à la porte.

– Ah ! Gaspard ! Gaspard ! s'écria Bonneville.

Et, s'élançant à la rencontre du nouvel arrivant, il lui dit quelques mots à l'oreille.

– Messieurs, dit Gaspard, le comte de Bonneville a parfaitement raison : en retraite !

Puis, s'adressant au marquis :

– Y a-t-il à votre château quelque porte, quelque sortie secrète, marquis ? Nous n'avons pas de temps à perdre : les derniers coups de fusil que nous écoutions à la porte, Achille, Cœur-de-Lion et moi, n'étaient pas tirés à plus de cinq cents pas d'ici.

– Messieurs, dit le marquis de Souday, vous êtes chez moi ; c'est à moi de prendre la responsabilité de tout. Silence ! que l'on m'écoute et que l'on m'obéisse aujourd'hui : j'obéirai à mon tour demain.

Il se fit un profond silence.

– Mary, dit le marquis, faites fermer la porte du château, mais sans la barricader, afin qu'on puisse l'ouvrir au premier coup qui sera frappé. Bertha, au souterrain sans perdre un instant ! Moi et mes deux filles, nous recevrons le général et lui ferons les honneurs du château, et, demain, partout où vous serez, nous vous rejoindrons ; seulement, faites-le-nous savoir.

Mary s'élança hors de la chambre pour exécuter l'ordre de son père, tandis que Bertha, faisant signe à Petit-Pierre de la suivre, sortait par la porte opposée, traversait la cour, entrait dans la chapelle, prenait deux cierges sur l'autel, les allumait à une lampe, les mettait aux mains de Bonneville et de Pascal, et, poussant un ressort qui faisait tourner sur lui-même le devant de l'autel, découvrait un escalier conduisant aux caveaux qui servaient autrefois de sépulture aux seigneurs de Souday.

– Il n'y a point à vous égarer, dit Bertha : vous trouverez la porte à l'extrémité, et la clef est en dedans. Cette porte donne sur la campagne.

Petit-Pierre prit la main de Bertha, la serra vivement et s'élança dans le souterrain derrière Bonneville et Pascal, qui éclairaient le chemin.

Louis Renaud, Achille, Cœur-de-Lion et Gaspard suivirent Petit-Pierre.

Bertha referma la porte sur eux.

Elle avait remarqué que le baron Michel n'était point parmi les fugitifs.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente