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Chapitre CXXXI
De quels éléments se composait l'armée catholique de la Sainte-Foi

Nous avons, on se le rappelle, laissé le cardinal Ruffo à Altamura. Après une halte de quatorze jours, le 24 mai, il se remit en marche, passant successivement par Gravina, Paggio, Ursino, Spinazzola, Venosa, la patrie d'Horace, puis Melfi, Ascoli et Bovino.

Que l'on permette à celui qui écrit ces lignes de s'arrêter un instant à un épisode par lequel l'histoire de sa famille se trouve mêlée à l'histoire de Naples.

Pendant son séjour à Altamura, le cardinal reçut du savant Dolomieu une lettre datée de Brindisi ; il était prisonnier dans la forteresse de cette ville, avec le général Manscourt et le général Alexandre Dumas, mon père.

Voici comment la chose était arrivée :

Le général Alexandre Dumas, à la suite de sa brouille avec Bonaparte, avait demandé et obtenu la permission de revenir en France.

En conséquence, le 9 mars 1799, ayant frété un petit bâtiment et y ayant donné passage à ses deux amis, le général Manscourt et le savant Dolomieu, il partit d'Alexandrie.

Le bâtiment s'appelait la Belle-Maltaise ; le capitaine était Maltais, on voyageait sous pavillon neutre.

Le capitaine s'appelait Félix.

Le bâtiment avait besoin de réparations. Il fut convenu que ces réparations seraient faites au nom de celui qui le nolisait. Les experts les estimant à soixante louis, le capitaine Félix en reçut cent, dit qu'il avait fait les réparations, et l'on partit sur cette assurance.

Il ne les avait pas faites.

à quarante lieues d'Alexandrie, le bâtiment avait commencé de faire eau. Par malheur, il était impossible, à cause du vent contraire, de rentrer dans le port dont on venait de sortir. On résolut de continuer la route avec le plus de toile possible ; seulement, plus il allait vite, plus le bâtiment se fatiguait.

Le troisième jour, la situation était presque désespérée.

On commença par jeter à la mer les dix pièces de canon qui faisaient la défense du bâtiment, puis neuf chevaux arabes que le général Dumas ramenait en France, puis un chargement de café, et enfin jusqu'aux malles des passagers.

Malgré cet allégement, le navire s'enfonçait de plus en plus. On prit hauteur, on était à l'entrée du golfe Adriatique. On convint de gagner le port le plus proche, c'était Tarente.

Le dixième jour, on eut connaissance de la terre. Il était temps : vingt-quatre heures de plus, et le navire sombrait sous voiles.

Les passagers, privés de toute nouvelle depuis leur séjour en égypte, ignoraient que Naples fût en guerre avec la France.

On mouilla à une petite île située à une lieue de Tarente, à peu près ; de cette île, le général Dumas avait envoyé le patron au gouverneur de la ville pour exposer la détresse des passagers et réclamer des secours.

Le capitaine rapporta du gouverneur de Tarente une réponse verbale qui invitait les Français à débarquer en toute confiance.

En conséquence, la Belle-Maltaise reprit la mer, et, une demi-heure après, elle entrait dans le port de Tarente.

Les passagers descendirent les uns après les autres, furent fouillés, entassés dans la même chambre, où l'on finit par leur déclarer qu'ils étaient prisonniers de guerre.

Le troisième jour, on donna, aux trois prisonniers principaux, c'est-à-dire au général Manscourt, à Dolomieu et au général Dumas une chambre particulière.

Ce fut alors que Dolomieu, en son nom et en celui de ses compagnons, écrivit au cardinal Ruffo pour se plaindre à lui de la violation du droit des gens et lui apprendre de quelle trahison ils étaient victimes.

Le cardinal répondit à Dolomieu que, sans entrer en discussion sur le droit qu'avait ou n'avait pas le roi de Naples de le retenir prisonnier ainsi que les deux généraux français et ses autres compagnons, il lui faisait seulement connaître qu'il lui était impossible de lui accorder un passage par voie de terre, ne sachant pas d'escorte assez puissante et assez courageuse pour les empêcher d'être massacrés en traversant la Calabre, tout entière insurgée contre les Français ; que, quant à les renvoyer en France par la voie de mer, il ne le pouvait sans la permission des Anglais ; que tout ce qu'il pouvait faire était d'en référer au roi et à la reine.

Il ajoutait, en manière de conseil, qu'il invitait les généraux Manscourt et Alexandre Dumas à traiter avec les généraux en chef des armées de Naples et d'Italie de leur échange avec le colonel Boccheciampe, qui venait d'être fait prisonnier, déclarant que le roi de Naples faisait plus de cas del signor Boccheciampe tout seul que de tous les autres généraux napolitains prisonniers, soit en France, soit en Italie.

Des négociations furent, en conséquence, ouvertes sur cette base ; mais bientôt on apprit que Boccheciampe, blessé dans l'affaire où il avait été fait prisonnier, était mort des suites de ses blessures.

Cette nouvelle coupa court aux négociations.

Un mois après, le général Manscourt et le général Dumas furent transportés au château de Brindisi.

Quant à Dolomieu, il fut, lorsque Naples retomba au pouvoir du roi, transporté dans les prisons de Naples, où il fut traité avec la dernière rigueur.

Un jour qu'il réclamait de son geôlier quelque adoucissement à sa position, le geôlier refusa ce que lui demandait l'illustre savant.

– Prends garde ! lui dit celui-ci : je sens qu'avec de pareils traitements, je n'ai plus que quelques jours à vivre.

– Que m'importe ? lui répondit le geôlier. Je ne dois compte que de vos os.

Les instances de Bonaparte l'arrachèrent de sa captivité après la bataille de Marengo ; mais il ne rentra en France que pour y mourir.

Le surlendemain de son entrée au château de Brindisi, comme le général Dumas reposait sur son lit, sa fenêtre ouverte, un paquet d'un certain volume passa à travers les barreaux de cette fenêtre et vint tomber au milieu de la chambre.

Le prisonnier se leva et ramassa le paquet : il était ficelé ; il coupa les cordelettes qui le ficelaient et reconnut que ce paquet se composait de deux volumes.

Ces deux volumes étaient intitulés le Médecin de campagne, par Tissot.

Un petit papier, plié entre la première et la seconde page, renfermait ces mots : De la part des patriotes calabrais. Voir au mot POISON.

Le général Dumas chercha le mot indiqué ; il était doublement souligné.

Il comprit que sa vie était menacée. Il cacha les deux volumes, de peur qu'ils ne lui fussent enlevés ; mais il lut et relut assez souvent l'article recommandé pour apprendre par cœur les remèdes applicables aux différents genres d'empoisonnement que l'on pouvait tenter sur lui.

Nous avons publié, dans nos Mémoires, un récit de la captivité du général Dumas écrit par lui-même. échangé, après neuf tentatives d'empoisonnement, contre le général Mack, le même que nous avons vu figurer dans cette histoire, il revint mourir en France d'un cancer à l'estomac.

Quant au général Manscourt, empoisonné dans son tabac, il devint fou et mourut dans sa prison.

Quoique cet épisode ne se rattache que faiblement à notre histoire, nous l'avons cité comme digne de figurer au troisième plan de notre tableau.

En arrivant à Spinazzola, le cardinal Ruffo reçut avis que quatre cent cinquante Russes étaient débarqués à Manfredonia, sous les ordres du capitaine Baillie.

Ils avaient avec eux onze pièces de canon.

Le cardinal écrivit à l'instant même pour que cette petite troupe, qui, si faible qu'elle fût, représentait et engageait un grand empire, ne manquât de rien et fût reçue avec tous les égards dus aux soldats du czar Paul Ier.

Le 29 mai, au soir, le cardinal arriva à Melfi, où il s'arrêta pour célébrer la fête de saint Ferdinand et faire reposer un jour son armée.

« La Providence voulut, dit son historien, – tout ce qui arrivait au cardinal Ruffo arrivait naturellement par ordre de la Providence. – la Providence voulut donc que, pour rendre la fête plus brillante, apparût tout à coup à Melfi le capitaine Achmeth, expédié de Corfou par Kadi-Bey, et porteur de lettres du commandant de la flotte ottomane, annonçant que le grand visir avait définitivement donné l'ordre de secourir le roi des Deux-Siciles, allié de la Sublime Porte, avec toutes les forces dont on pourrait disposer. Il venait, en conséquence, demander s'il n'y aurait pas moyen de débarquer dans les Pouilles quelques milliers d'hommes pour les faire marcher, unis aux Russes, contre les patriotes napolitains.

La Providence, à force de faire pour le cardinal, faisait trop. Quoique son éducation romaine l'eût fait exempt de préjugés, ce n'était pas sans une certaine hésitation qu'il faisait marcher côte à côte la croix de Jésus et le croissant de Mahomet, sans compter les Anglais hérétiques et les Russes schismatiques.

Cela ne s'était point vu depuis Manfred, et, on le sait, à Manfred la chose avait assez mal réussi.

Le cardinal répondit donc que ce secours serait utile devant Naples, dans le cas où la cité rebelle s'obstinerait à persister dans sa rébellion ; que le trajet par terre sur la plage de l'Adriatique était long et incommode ; qu'au contraire, tout devenait facile si les Turcs voulaient bien adopter la voie de mer et se rendre de Corfou dans le golfe de Naples ; ce qui était l'affaire de quelques jours, surtout dans le mois de mai, le plus propice de tous à la navigation dans la Méditerranée. La flotte turque, en passant, pourrait s'arrêter à Palerme, et tout y combiner avec l'amiral Nelson et le roi Ferdinand.

Cette réponse fut remise à l'ambassadeur, que le cardinal invita à dîner. Mais là se présenta un autre obstacle, ou plutôt un autre embarras. Les officiers turcs de la suite du capitaine Achmeth ne buvaient ou plutôt ne devaient pas boire de vin. Le cardinal avait eu l'idée de lever la difficulté en leur donnant de l'eau-de-vie ; mais les Turcs, sachant de quoi il s'agissait, levèrent cette difficulté plus simplement encore que ne le faisait le cardinal, en disant que, puisqu'ils venaient défendre des chrétiens, ils pouvaient boire du vin comme eux.

Grâce à cette infraction, nous ne dirons pas aux lois, mais aux conseils de Mahomet, – Mahomet ne défendant pas, mais conseillant seulement de ne pas boire du vin, – le dîner fut des plus gais, et l'on put boire à la fois à la santé du sultan Sélim et du roi Ferdinand.

Le 31 mai, au point du jour, l'armée sanfédiste partit de Melfi, passa l'Ofanto et arriva à Ascoli, où Son éminence reçut le capitaine Baillie, Irlandais commandant les Russes. Quatre cent cinquante Russes étaient arrivés heureusement à Montecalvello, et s'y étaient immédiatement établis dans un camp retranché auquel ils avaient donné le nom de fort Saint-Paul.

On entra aussitôt au conseil et il fut convenu que le commandant Baillie retournerait à l'instant même à Montecalvello, et que le colonel Carbone, avec trois bataillons de ligne et un détachement de chasseurs calabrais, servirait d'avant-garde aux troupes russes. Un commissaire spécial nommé Apa, fut désigné pour veiller au soin des vivres, et reçut les plus pressantes recommandations pour que les bons alliés du roi Ferdinand ne manquassent de rien.

De son côté, le commandant Baillie promit de laisser, et laissa, en effet, au pont de Bovino, où le cardinal devait arriver le 2 juin, une escorte de trente grenadiers russes qui devaient lui servir de garde d'honneur.

Le cardinal descendit au palais du duc de Bovino, où il rencontra le baron don Luis de Riseis, qui venait au-devant de lui en qualité d'aide de camp de Pronio.

C'était pour la première fois que le cardinal avait des nouvelles précises des Abruzzes.

Ce fut alors seulement qu'il apprit les trois victoires remportées par les Français et par la légion napolitaine à San-Severo, à Andria et à Trani ; mais, en même temps, il apprit leur retraite rapide, causée par le rappel de Macdonald dans la haute Italie. Les chefs royalistes opérant dans les Abruzzes, dans les provinces de Chieti et dans celle de Teramo, demandaient les ordres du vicaire général.

Les instructions qu'ils reçurent par l'intermédiaire de don Luis de Riseis furent de bloquer étroitement Pescara, où s'était enfermé le comte de Ruvo. Ce dont ils pourraient disposer de troupes en dehors du blocus marcherait sur Naples et combinerait ses mouvements avec ceux de l'armée sanfédiste.

Quant à la Terre de Labour, elle était entièrement au pouvoir de Mammone, auquel le roi écrivait : « Mon cher général et ami, » et de Fra-Diavolo, auquel la reine envoyait une bague à son chiffre et une boucle de ses cheveux !

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