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2ème partie - 1
Branche cadette

Il arriva pour Côme ce qui arrive pour tous les hommes de génie qu'une révolution porte au pouvoir : sur le premier degré du trône, ils reçoivent des conditions ; sur le dernier, ils en imposent...
La position était difficile : il fallait lutter à la fois contre les ennemis du dedans et les ennemis du dehors ; il fallait substituer un gouvernement ferme, un pouvoir unitaire et une volonté durable à tous ces gouvernements flasques ou tyranniques, à tous ces pouvoirs opposés les uns aux autres, et par conséquent destructifs les uns des autres, et à toutes ces volontés qui, tantôt parties d'en haut, tantôt parties d'en bas, faisaient un flux et un reflux éternel d'aristocratie ou de démocratie, sur lequel il était impossible de rien fonder de solide ou de durable ; et cependant, avec tout cela, il fallait ménager les libertés de tout ce peuple, afin que ni nobles, ni citoyens, ni artisans, ne sentissent le maître ; il fallait gouverner enfin ce cheval encore indocile à la tyrannie, avec une main de fer dans un gant de soie.
Côme était bien de tout point l'homme qu'il fallait pour mener à bout une telle œuvre ; dissimulé comme Louis XI, passionné comme Henri VIII, brave comme François Ier, persévérant comme Charles-Quint, magnifique comme Léon X, il avait tous les vices qui font la vie privée sombre, et toutes les vertus qui font la vie publique éclatante. Aussi sa famille fut-elle malheureuse et son peuple fut-il heureux.
Voici pour le côté sombre : Côme avait cinq fils et quatre filles.
Les fils étaient François, qui régna après lui ; Ferdinand, qui régna après François ; don Pierre, Jean et Garcias. Je ne parle pas d'un autre Pierre qui ne vécut qu'un an.
Les quatre filles étaient Marie, Lucrèce, Isabelle et Virginie.
Disons rapidement comment la mort se mit dans cette riche lignée, où elle entra comme dans la famille primitive : par un fratricide.
Jean et Garcias chassaient dans les Maremmes. Jean, qui n'avait que dix-neuf ans, était déjà cardinal ; Garcias n'était encore rien que le favori de sa mère éléonore de Tolède. Le reste de la cour était à Pise, où Côme, qui avait institué, un mois auparavant, l'ordre de Saint-étienne, était venu se faire reconnaître grand maître.
Les deux frères, qui depuis longtemps gardaient l'un contre l'autre une certaine inimitié (Garcias contre Jean, parce que Jean était le bien-aimé de son père ; Jean contre Garcias, parce que Garcias était le bien-aimé de sa mère), se prirent de dispute à propos d'un chevreuil que chacun des deux prétendait avoir tué.
Au milieu de la discussion, Garcias tira son couteau de chasse et en porta un coup à son frère ; Jean, blessé à la cuisse, tomba en appelant au secours. Les gens de la suite des deux princes arrivèrent, trouvèrent Jean tout seul et baigné dans son sang, le transportèrent à Livourne, et firent prévenir le grand-duc de l'accident qui venait d'arriver. Il accourut à Livourne, pansa lui-même son fils, car le grand-duc avait des connaissances médicales mais, malgré ces soins paternels, Jean expira dans les bras de son père, le 26 novembre 1 562, cinq jours après celui où il avait été blessé.
Côme revint à Pise : à voir ce masque de bronze dont il avait l'habitude de recouvrir son visage, on eût dit que rien ne s'était passé.
Garcias l'y avait précédé, et s'était réfugié dans l'appartement de sa mère, où celle-ci le tenait caché : cependant, au bout de quelques jours, voyant que Côme ne parlait pas plus de son fils mort que s'il n'eût jamais existé, elle encouragea le meurtrier à aller se jeter aux genoux de son père et à lui demander pardon. Mais le jeune homme tremblait de tous ses membres à la seule idée de se trouver en face de son juge ; pour le rassurer, sa mère l'accompagna. Côme était assis et pensif dans un des appartements les plus reculés de son palais.
Le fils et la mère entrèrent : Côme se leva à leur vue ; aussitôt le fils courut à ses pieds, embrassant ses genoux, pleurant et demandant pardon. La mère resta à la porte, étendant les bras vers son mari : Côme avait la main enfoncée dans son pourpoint, il en tira un poignard qu'il avait l'habitude de porter sur sa poitrine, et en frappa don Garcias en disant :
– Je ne veux pas de Caïn dans ma famille.
La pauvre mère avait vu briller la lame, et elle s'était élancée vers Côme ; mais, à moitié du chemin, elle reçut dans ses bras son fils, qui, blessé à mort, s'était relevé en chancelant et en criant :
– Ma mère ! Ma mère ! Le même jour, 6 décembre 1562, don Garcias expira.
Et à compter de l'instant où il était trépassé, éléonore de Tolède se coucha près de son fils, ferma les yeux, et ne voulut plus les rouvrir ; huit jours après, elle expira elle-même, les uns disent de sa seule douleur, les autres de faim.
Les trois cadavres rentrèrent nuitamment et sans pompe dans la ville de Florence ; et l'on dit que les deux fils et la mère avaient été emportés tous trois par le mauvais air des Maremmes.
Le nom d'éléonore de Tolède était un nom qui portait malheur ; la fille de don Garcias, parrain de cette autre éléonore de Tolède dont nous venons de raconter la mort, était venue toute jeune à la cour de sa tante, et là elle avait fleuri, au soleil de Toscane, comme une de ces belles fleurs qui ont donné leur nom à Florence.
On disait tout bas à la cour que le grand-duc Côme s'était pris d'un violent amour pour elle, et, comme on connaissait les amours de Côme, on ajoutait qu'il avait séduit par l'or ou effrayé par les menaces les domestiques de la jeune princesse, avait pénétré dans sa chambre, et n'en était sorti que le lendemain matin ; puis, que les nuits suivantes il était revenu, et que le commerce adultère avait fini par faire un tel bruit, qu'il avait marié sa jeune et belle maîtresse à son fils Pierre. Ce qu'il y avait de plus sûr dans tout cela, c'est qu'au moment où l'on s'y attendait le moins, et sans que don Pierre eût même été consulté, l'union avait été décidée et le mariage avait eu lieu.
Mais, soit l'effet des bruits étranges qui avaient couru sur le compte de sa femme, soit que le plaisir que don Pierre éprouvait dans la compagnie des beaux jeunes gens l'emportât sur les sentiments d'amour que pouvait lui inspirer une belle femme, les nouveaux époux étaient tristes et vivaient à peu près séparés. éléonore était jeune, elle était belle, elle était de ce sang espagnol qui brûle jusqu'au pied des autels dans les veines où il coule, si bien que, délaissée par son mari, elle se prit d'amour pour un jeune homme nommé Alexandre, lequel était fils d'un célèbre capitaine florentin nommé François Gagi ; mais ce premier amour n'eut pas d'autre suite : le jeune homme, prévenu que sa passion était connue du mari de celle qu'il aimait, et pouvait causer à la belle éléonore de grandes douleurs, se retira dans un couvent de capucins, et étouffa ou du moins cacha son amour sous un cilice, et, tandis qu'il priait pour éléonore, éléonore l'oublia.
Celui qui le lui fit oublier, en lui succédant, était un jeune chevalier de Saint-étienne qui, plus indiscret que le pauvre Alexandre, ne laissa bientôt plus aucun doute à toute la ville qu'il ne fût aimé ; aussi, peut-être plus encore pour cet amour que pour la mort de François Ginori, qu'il venait de tuer en duel entre le palais Strozzi et la porte Rouge, avait-il été exilé à l'île d'Elbe ; mais l'exil n'avait point tué l'amour, et, ne pouvant plus se voir, les deux amants s'écrivaient ; une lettre tomba entre les mains du grand-duc François ; l'amant fut ramené secrètement de l'île d'Elbe dans la prison de Bargello ; la nuit même de son arrivée, on fit entrer dans sa prison un confesseur et un bourreau ; puis, lorsque le confesseur eut fini, le bourreau étrangla le prisonnier. Le lendemain éléonore apprit de la bouche même de son beau-frère l'exécution de son amant.
Elle pleurait depuis onze jours, tremblant pour elle-même, lorsqu'elle reçut, le 10 juillet, l'ordre de se rendre au palais de Cafaggiodo, que depuis plusieurs mois son mari habitait : dès lors, elle se douta que tout était fini pour elle ; mais elle ne résolut pas moins d'obéir, car elle ne savait ni où ni de qui obtenir un refuge ; elle demanda jusqu'au lendemain, voilà tout, puis elle alla s'asseoir près du berceau de son fils Côme, et passa la nuit à pleurer et à soupirer, couchée sur son enfant.
Les préparatifs du départ occupèrent une partie de la journée, de sorte qu'éléonore ne partit que vers les trois heures de l'après-midi et encore, comme instinctivement, à chaque minute, elle retenait les chevaux, n'arriva-t-elle qu'à la nuit tombante à Cafaggiodo. A son grand étonnement, la maison était déserte.
Le cocher détela ses chevaux ; et, tandis que les valets et les femmes qui l'avaient accompagnée enlevaient les paquets de la voiture, éléonore de Tolède entra seule dans la belle villa, qui, privée de toute lumière, lui semblait à cette heure triste et sombre comme un tombeau.
Elle monta l'escalier silencieuse comme une ombre, et toute tremblante elle s'avança, toutes portes ouvertes devant elle, vers sa chambre à coucher ; mais, en arrivant sur le seuil, elle vit de derrière la portière sortir un bras et un poignard ; elle se sentit frappée, poussa un cri et tomba : elle était morte. Don Pierre, ne s'en rapportant à personne du soin de sa vengeance, l'avait assassinée lui-même.
Alors, la voyant étendue dans son sang et immobile, il sortit du rideau, qui retomba derrière lui, regarda attentivement celle qu' il venait de frapper, et voyant qu'elle était déjà expirée, tant le coup avait été donné d'une main sûre et habile, il se mit à genoux près du cadavre, leva au ciel ses mains sanglantes, demanda pardon à Dieu du crime qu'il venait de commettre, et jura en expiation de ne jamais se remarier : étrange serment, que, si l'on en croit les bruits scandaleux de l'époque, sa répugnance pour les femmes lui permettait de tenir plus facilement que tout autre.
Puis le bourreau devint ensevelisseur : il mit dans un cercueil tout préparé le corps dont il venait de chasser l'âme, ferma la bière, et l'expédia à Florence, où elle fut enterrée la même nuit et en secret dans l'église de Saint-Laurent.
Au reste, don Pierre ne tint pas même son serment : il épousa, en 1 593, Béatrix de Menesser ; il est vrai que c'était dix-sept ans après l'assassinat d'éléonore, et que Pierre de Médicis, avec son caractère, devait avoir oublié non seulement le serment fait, mais la cause même qui le lui avait fait faire.
Laissons les hommes, auxquels l'empoisonnement de François et de Bianca Capello nous forcera de revenir plus tard, et passons aux femmes.
Marie était l'aînée : c'était à dix-sept ans, comme le dit Shakespeare de Juliette, une des plus belles fleurs du printemps de Florence. Le jeune Malatesti, page du grand-duc Côme, en devint amoureux ; la pauvre enfant, de son côté, l'aima de ce premier amour qui ne sait rien refuser : un vieil Espagnol surprit les deux amants dans un tête-à-tête, et rapporta à Côme de ce qu'il avait vu.
Marie mourut empoisonnée à l'âge de dix-sept ans ; Malatesti fut jeté en prison, et, étant parvenu à s'échapper au bout de dix ou douze ans, gagna l'île de Candie, où son père commandait pour les Vénitiens : deux mois après, on le trouva un matin assassiné au coin d'une rue.
Lucrèce était la seconde : elle avait dix-neuf ans lorsqu'elle épousa le duc de Ferrare ; un jour arriva à la cour de Toscane un courrier annonçant que la jeune princesse était morte subitement. On dit, à la cour, qu'elle avait été enlevée par une fièvre putride : on dit, dans le peuple, que son mari l'avait assassinée dans un moment de jalousie.
Isabelle était la troisième : celle-là était la bien-aimée de son père.
Un jour que Georges Vasari, caché par son échafaudage, peignait le plafond d'une des salles du Palais-Vieux, il vit entrer Isabelle dans cette salle ; c'était vers le midi, l'air était ardent ; ignorant que quelqu'un se trouvait dans la même pièce qu'elle, elle tira les rideaux, se coucha sur un divan, et s'endormit, Côme entra à son tour, et aperçut sa fille ; bientôt Isabelle jeta un cri ; mais, à ce cri, Vasari ne vit plus rien, car, à son tour, il ferma les yeux et fit semblant de dormir.
En ouvrant les rideaux, Côme se rappela que cette salle devait être celle où peignait Vasari : il leva les yeux au plafond et vit l'échafaudage ; une idée lui vint. Il monta doucement à l'échelle ; arrivé à la plate-forme, il trouva Vasari, qui, le nez tourné au mur, dormait dans un coin de son échafaudage ; il marcha vers lui, tira son poignard, et le lui approcha lentement de la poitrine, pour s'assurer s'il dormait réellement ou s'il feignait de dormir. Vasari ne fit pas un mouvement, sa respiration resta calme et égale ; et Côme, convaincu que son peintre favori dormait, remit son poignard au fourreau, et descendit de l'échafaudage.
A l'heure où il avait l'habitude de sortir, Vasari sortit, et revint le lendemain à l'heure à laquelle il avait l'habitude de revenir ; ce sang-froid le sauva ; s'il s'était enfui, il était perdu : partout où il eût fui, le poignard ou le poison des Médicis fût allé le chercher.
Cela se passait vers l'année 1 557.
L'année d'ensuite, comme Isabelle avait seize ans, il fallut songer à la marier ; parmi les prétendants à sa main, Côme fit choix de Paul Giordano Orsini, duc de Bracciano ; mais une des conditions du mariage fut, dit-on, qu'Isabelle continuerait de demeurer en Toscane au moins six mois de l'année.
Le mariage, contre toute attente, fut visiblement froid et contraint : on ne savait comment expliquer cette étrange indifférence d'un jeune mari envers une femme jeune et belle ; mais enfin, quelle qu'en fût la cause, cette répugnance existait, et Paul Giordano Orsini se tenait la plus grande partie de l'année à Rome, laissant, quelles que fussent ses plaintes, sa femme rester de son côté à la cour de Toscane.
Jeune, belle, passionnée, au milieu d'une des cours les plus galantes du monde, Isabelle ne tarda point à faire oublier, sous des accusations nouvelles, la vieille accusation qui l'avait tachée. Cependant Paul Giordano Orsini se taisait, car Côme vivait toujours et, tant que Côme était vivant, il n'eût point osé se venger de sa fille ; mais Côme mourut en 1 574.
Paul Giordano Orsini avait laissé en quelque sorte sa femme sous la garde d'un de ses proches parents nommé Troilo Orsini, et, depuis quelque temps, ce gardien de son honneur lui écrivait qu'Isabelle menait une conduite régulière et telle qu'il la pouvait désirer ; de sorte qu'il avait presque renoncé à ses projets de vengeance, lorsque, dans une querelle particulière et sans témoins, Troilo Orsini tua d'un coup de poignard Lelio Torello, page du grand-duc François, ce qui le força de fuir.
Alors on sut pourquoi Troilo avait tué Lélio ; ils étaient tous deux amants d'Isabelle, et Troilo voulait être seul. Paul Giordano Orsini apprit à la fois la double trahison de son parent et de sa femme : il partit aussitôt pour Florence, et y arriva comme Isabelle (qui craignait le sort de sa belle-sœur éléonore de Tolède, assassinée il y avait cinq jours) se préparait à quitter la Toscane, et à s'enfuir près de Catherine de Médicis, reine de France ; mais cette apparition inattendue l'arrêta court au milieu de ses dispositions.
Cependant, à la première vue, Isabelle se rassura ; son mari paraissait revenir à elle plutôt comme un coupable que comme un juge ; il lui dit qu'il avait compris que tous les torts étaient de son côté, et que, désireux de vivre désormais d'une vie plus heureuse et plus régulière, il venait lui proposer d'oublier les torts qu'il avait eus, comme de son côté il oublierait ceux qu'elle avait pu avoir. Le marché, dans la situation où Isabelle se trouvait, était trop avantageux pour qu'elle n'acceptât point ; cependant, il n'y eut pour ce jour aucun rapprochement entre les deux époux.
Le lendemain, 16 juillet 1 576, Orsini invita sa femme à une grande chasse qu'il devait faire à sa villa di Cerreto ; Isabelle accepta, et y arriva le soir avec ses femmes ; à peine entrée, elle vit venir à elle son mari conduisant en laisse deux magnifiques lévriers qu'il la pria d'accepter, et dont il l'invita à faire usage le lendemain ; puis on se mit à table.
Au souper, Orsini fut plus gai qu'on ne l'avait jamais vu, accablant sa femme de prévenances et de petits soins, comme un amant aurait pu le faire pour sa maîtresse ; si bien que, quelque habituée qu'elle fût à avoir autour d'elle des cœurs dissimulés, Isabelle y fut presque trompée. Cependant, lorsque, après le souper, son mari l'eut invitée à passer dans sa chambre, et, lui donnant l'exemple, l'y eut précédée, elle se sentit instinctivement frissonner et pâlir, et, se retournant vers la Frescobaldi, sa première dame d'honneur :
– Madame Lucrèce, lui demanda-t-elle, irai-je ou n'irai-je pas ? Cependant, à la voix de son mari, qui, revenant sur le seuil, lui demandait en riant si elle ne voulait pas revenir, elle reprit courage et le suivit.
Entrée dans la chambre, elle n'y trouva aucun changement ; son mari avait toujours le même visage, et le tête-à-tête parut même augmenter sa tendresse : Isabelle, trompée, s'y abandonna, et lorsqu'elle fut dans une situation à ne pouvoir plus se défendre, Orsini tira de dessous l'oreiller une corde toute préparée, la passa autour du cou d'Isabelle, et, changeant tout à coup ses embrassements en une étreinte mortelle, il l'étrangla, malgré ses efforts pour se défendre, sans qu'elle eût le temps de jeter un cri.
Ce fut ainsi que mourut Isabelle.
Reste Virginie : celle-là fut mariée à César d'Este, duc de Modène ; voilà tout ce qu'on sait d'elle. Sans doute elle eut un meilleur sort que ses trois sœurs, l'histoire n'oublie que les heureux.
Voilà le côté sombre de la vie de Côme : maintenant voici le côté brillant.
Côme était un des hommes les plus savants de l'époque ; entre autres choses, dit Baccio Baldini, il connaissait une grande quantité de plantes, savait les lieux où elles naissaient, où elles vivaient le plus longtemps, où elles avaient le plus de goût, où elles ouvraient les plus belles fleurs, où elles portaient les plus beaux fruits, et quelle était la vertu de ces fleurs ou de ces fruits pour guérir les maladies ou les blessures des hommes et des animaux puis, comme il était excellent chimiste, il en faisait des eaux, des essences, des huiles, des médicaments, des baumes, qu'il donnait à ceux qui lui en demandaient, qu'ils fussent riches ou pauvres, qu'ils fussent sujets toscans ou citoyens étrangers, qu'ils habitassent Florence ou toute autre partie de l'Europe.
Côme aimait et protégeait les lettres : en 1 541, il fonda l'Académie florentine, qu'il nommait son académie très chère et très heureuse on devait y lire et commenter Dante et Pétrarque ; ses séances se tenaient d'abord au palais de Via Larga ; puis, pour qu'elle fût plus libre et plus à l'aise, il lui donna la grande salle du conseil au Palais-Vieux, qui, depuis la chute de la République, était devenue inutile.
L'université de Pise, déjà protégée par Laurent de Médicis, avait brillé alors d'un certain éclat ; mais, abandonnée par les successeurs du Magnifique, elle était fermée ; Côme la fit rouvrir, lui accorda de grands privilèges pour assurer son existence, et y adjoignit un collège dans lequel il voulut que quarante jeunes gens pauvres, mais ayant des dispositions, fussent élevés à ses propres frais.
Il fit mettre en ordre, et livrer aux savants tous les manuscrits et tous les livres de la bibliothèque Laurenziana que le pape Clément VII avait commencé de réunir.
Il assura, par un fonds destiné à son entretien, l'existence de l'université de Florence et de celle de Sienne.
Il ouvrit une imprimerie, fit venir d'Allemagne Laurent Torrentino, et fit exécuter les plus belles éditions qui portent le nom de ce célèbre typographe.
Il accueillit Paul Jove, qui était errant, et Scipion Ammanato (l'ancien), qui était proscrit : et le premier étant mort à sa cour, il lui fit élever un tombeau avec sa statue.
Il voulait que chacun écrivît librement, selon son goût, son opinion et sa capacité, et il encouragea à faire ainsi Benoît Varchi, Philippe de Nerli, Vincent Borghini, et tant d'autres, que des seuls volumes qui lui furent dédiés par la reconnaissance des historiens, des poètes, ou des savants contemporains ; on pourrait fonder une bibliothèque.
Enfin, il obtint que le Décaméron de Boccace, défendu par le concile de Trente, fût révisé par Pie V, qui mourut en le révisant, et par Grégoire XIII, qui lui succéda : la belle édition de 1 573 est le résultat de la censure pontificale.
Il poursuivit la même restitution pour les œuvres de Machiavel ; mais il mourut avant de l'avoir obtenue.
Côme était artiste ; ce ne fut pas sa faute s'il arriva au moment où les grands hommes s'en allaient : de toute cette brillante pléiade qui avait éclairé les règnes de Jules II et de Léon X, il ne restait plus que Michel-Ange.
Côme fit tout ce qu'il put pour l'avoir : il lui envoya un cardinal en ambassade, lui offrit une somme d'argent qu'il fixerait lui-même, le titre de sénateur et une charge à son choix ; mais Paul III le tenait, et ne le voulut point céder : alors, à défaut du géant florentin, il rassembla tout ce qu'il put trouver de mieux ; l'Ammanato, son ingénieur, lui bâtit, sur les dessins de Michel-Ange, le beau pont de La Trinité, et lui tailla le Neptune en marbre de la place du Grand-Duc.
Il fit faire à Baccio Bandinelli l'Hercule, le Cacus, la statue du pape Léon X, la statue du pape Clément VII, la statue du duc Alexandre, la statue de Jean de Médicis son père, sa propre statue à lui-même, la loge du Marché-Neuf et le chœur du Dôme.
Il rappela de France Benvenuto Cellini, pour lui fondre son Persée en bronze, pour lui tailler des coupes d'agate, et pour lui graver des médailles d'or ; et comme on avait retrouvé dans les environs d'Arezzo, dit Benvenuto dans ses Mémoires, une foule de petites figures de bronze auxquelles il manquait, à celle-ci la tête, à celle-là les mains, et aux autres les pieds, Côme les nettoyait lui-même, et en faisait tomber la rouille avec précaution, pour qu'elles ne fussent pas endommagées si bien qu'un jour Benvenuto Cellini, entrant pour lui faire visite, le trouva avec des marteaux et des ciseaux : après avoir donné le marteau à Cellini, il lui ordonna de frapper, tandis qu'il conduisait le ciseau lui-même ; et ainsi ils n'avaient plus l'air, l'un d'un souverain, l'autre d'un artiste, mais tout simplement de deux ouvriers orfèvres qui travaillaient au même établi.

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