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Scène 7

                              SCENE VII
Adèle, puis la vicomtesse.

                              Adèle.
Ah ! pourquoi suis-je venue, mon Dieu ? Je doutais encore ; tout est donc connu ! tout, non pas, mais bientôt tout... Perdue, perdue à jamais ! Que faire ? Sortir ?... Tous les yeux se fixeront sur moi... Rester ?... Toutes les voix crieront à l'impudence. J'ai pourtant bien souffert depuis trois mois ! ç'aurait dû être une expiation.

                              La vicomtesse, entrant.
Eh bien !... Ah ! je vous cherchais, Adèle !

                              Adèle.
Que vous êtes bonne !

                              La vicomtesse.
Et vous, que vous êtes folle ! Bon Dieu ! je crois que vous pleurez !..


                              Adèle.
Oh ! pensez-vous que ce soit sans motif ?

                              La vicomtesse.
Pour un mot ?

                              Adèle.
Un mot qui tue.

                              La vicomtesse..
Mais cette femme perdrait vingt réputations par jour si on la croyait.

                              Adèle, se levant virement.
On ne la croira point, n'est-ce pas ? Tu ne la crois pas, toi ?Merci ! merci !

                              La vicomtesse.
Mais vous-même, chère Adèle, il faudrait savoir aussi commander un peu à votre visage.


                              Adèle.
Comment et pourquoi l'aurais-je appris ? Oh ! je ne le sais pas, je ne le saurai jamais.

                              La vicomtesse.
Mais si, enfant, je disais comme vous ?... Au milieu de ce monde, on entend une foule de choses qui doivent glisser sans atteindre, ou, si elles atteignent, eh bien, un regard calme, un sourire indifférent...

                              Adèle.
Oh ! voilà qui est affreux, Marie ; c'est que vous-mêmes pensiez déjà ceci de moi, qu'un jour viendra où j'accueillerai l'injure, où je ne reculerai pas devant le mépris, où je verrai devant moi, avec un regard calme, un sourire indifférent, ma réputation de femme et de mère, comme un jouet d'enfant, passer entre des mains qui la briseront. Oh ! mon coeur ! mon coeur ! plutôt qu'on le torture, qu'on le déchire, et je resterai calme, indifférente ; mais ma réputation, mon Dieu !... Marie, vous savez si jusqu'à présent elle était pure, si une voix dans le monde avait osé lui porter atteinte...


                              La vicomtesse.
Eh bien, mais voilà justement ce qu'elles ne vous pardonneront pas, voilà ce qu'à tort ou à raison il faut que la femme expie un jour... Mais que vous importe, si votre conscience vous reste ?

                              Adèle.
Oui, si la conscience reste.

                              La vicomtesse.
Si, en rentrant chez vous, seule avec vous-même, vous pouvez en souriant vous regarder dans votre glace et dire : « Calomnie ! » si vos amis continuent à vous voir...

                              Adèle.
Par égard pour mon rang, pour ma position sociale.

                              La vicomtesse.
S'ils vous tendent la main, vous embrassent... Voyons !


                              Adèle.
Par pitié, peut-être... par pitié ; et c'est une femme qui, en se jouant, le sourire sur les lèvres, laisse tomber sur une autre femme un mot qui déshonore, l'accompagne d'un regard doux et affectueux pour savoir s'il entrera bien au coeur, et si le sang rejaillira,.. Infamie !... Mais je ne lui ai rien fait, à cette femme ?

                              La vicomtesse.
Adèle !

                              Adèle.
Elle va aller répéter cela partout... Elle dira que je n'ai point osé la regarder en face, et qu'elle m'a fait rougir et pleurer... Oh ! cette fois, elle dira vrai, car je rougis et je pleure.

                              La vicomtesse.
Oh ! mon Dieu ! calmez-vous ; et moi qui suis obligée de vous quitter.

                              Adèle.
Oui, votre absence attristerait le bal ; allez, Marie, allez.
                              La vicomtesse.
J'avais promis à Eugène de danser avec lui la première contredanse... Mais, avec lui, je ne me gêne pas, la seconde commence. Ecoutez, chère Adèle, mon amie, vous ne pouvez entrer maintenant ; remettez-vous, et je reviendrai tout à l'heure vous chercher. Puis, après tout, songez que, tout le monde vous abandonnât-il, il vous restera toujours une bonne amie, un peu folle, mais au coeur franc, qui sait qu'elle vaut cent fois moins que vous, mais qui ne vous en aime que cent fois davantage. Allons, embrassez-moi, essuyez vos beaux yeux gonflés de larmes, et revenez vite faire mourir toutes ces femmes de jalousie... Au revoir !... Je vais veiller à ce qu'on ne vienne pas vous troubler.
Elle sort. Antony est entré, pendant les derniers mots de la vicomtesse, par la porte de côté, et s'est tenu au fond.

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