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Scène 6

                              SCENE VI
Les mêmes, Christine, suivie du comte de Brahé, qui porte le globe royal, et du comte de Gorlz, qui porte la main de justice.

                              L’huissier.
La reine !

                              Christine.
          A tous salut ! Que Dieu nous ait en garde ;
Car c'est nous aujourd'hui que le monde regarde.
Il tournera les yeux vers d'autres dès demain.
Prince Charles-Gustave, offrez-moi votre main,
Elle monte quelques marches du trône.
Et restez là. – Messieurs, ce jour aura, j'espère,
Un heureux résultat. – Le croyez-vous, mon père ?

                              La Gardie, s'inclinant.
Reine, nous en avons tous la conviction.


                              Christine.
Comte, nous acceptons votre démission
De grand trésorier.

                              La Gardie.
                    Quoi ! j'aurais pu vous déplaire ?

                              Christine, à Steinberg.
Je vous fais chevalier de l'Etoile polaire,
Steinberg.

                              Steinberg.
          O Majesté !

                              Christine.
                    Vous avez le cordon
De l'Aigle de Suède.

                              Steinberg.
          O madame !
                              Christine, après avoir jeté un regard autour d'elle.
                              Qu'est-ce- donc ?
Dans mon palais d'Upsal, l'envoyé de Bragance !
Comte de Gondemar, c'est par trop d'arrogance.
Bragance se méprend en nous traitant d'égal :
Philippe-Quatre seul est roi de Portugal.
A l'ambassadeur de Cromwell.
Monsieur de Whitelock, dites à votre maître
Que Christine aujourd'hui devant tous fait connaître
L'alliance signée avec lui. – Pour milord,
Vous lui direz, à lui, que je l'estime fort.
Vous le voyez, messieurs, par sa faveur très-haute
Dieu veut qu'en ce moment rien ne nous fasse faute.
D'une durable paix je lui dois la douceur ;
L'Angleterre nous aime et nous nomme sa soeur !
A la Suède la France est toute dévouée ;
Seul, l'empire est fidèle à la haine vouée entre nous...
Mais son aigle est faible et saigne aux flancs,
Car le lion du Nord la secoue en ses dents ;
Et, palpitante encore des dernières défaites,
Un seul coup maintenant tranchera ses deux têtes.
Quand mon père à Lutzen succomba triomphant,
Eveillée en sursaut dans mon berceau d'enfant,
Faible, je me levai ; j'avais quatre ans à peine
Je regardai mon peuple. Il dit : « Voilà la reine ! »
Je grandis vite ; car, avec son bras puissant,
La gloire paternelle était là me berçant ;
Je grandis vite, dis-je, et j'endurcis mon âme
A ces travaux qui font que je ne suis point femme :
Je suis le roi Christine ! – Et, dites moi, plus fort
Mon trône a-t-il pesé sur vous de cet effort ?
Non. Quand le ciel était noir et chargé d'orages,
Quand pâlissaient les fronts, quand pliaient les courages,
Je vous disais : « Enfants, dormez, le ciel est beau »
Et je vous abritais sous mon vaste manteau ;
Mais, comme ce géant qui soutient les deux pôles,
J'ai courbé sous leur poids mon front et mes épaules.
Je voudrais maintenant, pour les jours qui viendront
Relever mon épaule et redresser mon front,
Car je suis fatiguée. Eh bien, qu'un autre porte
La charge qui me lasse et me paraît trop forte.
Mon rôle est achevé.– Le tien commence ; – à toi
La couronne. – Salut, Charles-Gustave roi !
Prenant le globe des mains de Brahé.
Reçois de tes deux mains ce monde que j'y jette ;
Christine n'est plus rien que ton humble sujette.
Monte au trône, Gustave !

                              Oxenstiern, tremblant.
                              O reine ! écoute-nous
Avant que d'abdiquer... Comtes, ducs, à genoux !
Aux vieillards.
A genoux ! vous aussi, pour lui faire comprendre
Qu'aussi bas qu'elle croit elle ne peut descendre ;
Que, malgré son vouloir, tous les genoux plieront,
Et qu'elle doit toujours nous dépasser du front.
Seul je te parlerai debout, car je t'adjure !
Le plus vieux des vieillards, Christine, t'en conjure,
Renonce à ton dessein, c'est un dessein fatal !
Pour quitter tes Suédois, que t'ont-ils fait de mal ?
Crois-moi, plus d'une fois au pied du sanctuaire,
Charles-Quint, regrettant la pourpre sous la haire,
Et pleurant un exil qu'il s'était seul donné,
Sur le marbre frappa son front découronné...
Et tu ferais ainsi ? – Dans ta tête profonde,
Dis-moi, que comptes-tu mettre en place du monde ?
Tu le regretteras.

                              Christine.
          Mon père, embrassez-moi. On se relève.
Merci !... merci !... – Salut, Charles-Gustave roi !
Ce n'est point le projet d'une ardeur insensée ;
C'est un projet longtemps mûri dans ma pensée,
Qui, longtemps combattu, s'accrut par cet effort,
Et qui vient d'en sortir plus constant et plus fort :
Ne m'en parlez donc plus. – Brahé, viens à ta reine
Rendre un dernier devoir, où ta place t'enchaîne ;
Viens, Pierre de Brahé, comte et sujet loyal,
Détacher ma couronne et mon manteau royal.

                              Le comte de Brahé.
Oter votre manteau,... moi ?... – votre diadème ?
Oh ! non, jamais.

                              Christine.
                    Eh bien, je te les rends moi-même.
Des insignes royaux que Charles soit orné.
On présente à Charles-Gustave la couronne sur un coussin de velours ; il l'essaye et la remet sur le coussin ; un grand de l'Etat porte le manteau royal.

                              Un héraut d'armes, au peuple.
Charles-Gustave, roi, vient d'être couronné.
Vive Charles-Gustave !

                              Christine, descendant deux marches et prenant une attitude de suppliante.
                              A mon tour, je désire
Dons et faveur ; veuillez me les octroyer, sire.
De mes vastes Etats, que je quitte si beaux,
Vous plaît-il m'accorder, sire, quelques lambeaux ?

                              Charles-Gustave.
Ordonnez.

                              Christine.
          Comme bien personnel, je demande
Les îles de Gottland, d'Usedom, et d'Olande,
Et d'Osel. – Je voudrais et Pole, et Nyckloster,
Et Wolgast, et que nul ne me les pût ôter,
Pas même vous. – Ces biens me suffiront pour vivre.
                    
                              Charles-Gustave.
Vous les avez.

                              Christine.
                    J'entends que l'on me laisse suivre
Par tous ceux qui voudront s'en aller ou je vais,
Et partager mon sort, qu'il soit bon ou mauvais ;
D'une voix forte.
J'entends avoir sur eux droit de justice haute ;
Et, quel que soit le roi dont je devienne l'hôte,
Il n'aura rien à faire aux gens de ma maison,
Et j'y pourrai punir de mort la trahison.

                              Charles-Gustave.
Vous en aurez le droit.

                              Christine.
                              Maintenant, je désire
Que vous alliez au temple et rendiez grâce sire,
Au Seigneur, qui m'a dit : « Fais de Gustave un roi »
Et que vous y priiez pour l'Etat et pour moi.

                              Charles-Gustave.
Je m'y rends.

                              Christine.
                    Cependant, ceux pour qui la fortune
D'une ex-reine n'est pas tout à fait importune,
Dans un quart d'heure au plus me trouveront ici.
Nous partons aujourd'hui, messieurs.

                              Sentinelli..
                                        Reine, merci.

                              Steinberg, à Ebba ;
Un mot, madame. Auprès de notre souveraine
Restez-vous ?

                              Ebba.
                    Oui, monsieur ; partout je suis la reine.

                              Steinberg.
Bien.

                              Ebba.
          Mais quel intérêt de savoir où j'irai
Avez-vous ?

                              Steinberg.
          Un très grand.

                              Oxenstiern, descendant et baisant la main de Christine.
                              Ma fille, j'en mourrai.
Tout le monde sort. Christine reste en haut des degrés du trône ; Monaldeschi, en bas. On entend au dehors la foule crier.

                              Le peuple.
Vive le roi !

                              Christine.
          La foule à son tour l'environne.
On dit : « Vive le roi ! » C'est « Vive la couronne ! »
Qu'il faudrait dire. – Eh bien, à quoi donc pensons-nous ?
C'est Christine, marquis ; la reconnaissez-vous ?

                              Monaldeschi.
Oh ! madame...
                              Christine.
                    La reine aux cieux est remontée ;
Mais la femme qui t'aime est près de toi restée.
Mon diadème d'or contrariait tes voeux,
Quand tu voulais passer ta main dans mes cheveux.

                              Monaldeschi.
Oui, vous m'avez compris, et je vous en rends grâce...
                    A part.
Qui m'eût dit que j'aurais envié ta disgrâce,
Magnus de la Gardie !

                              Christine.
                    Allons, marquis, adieu !
Vous savez que se vont rassembler en ce lieu
Ceux qui suivent mon sort malheureux ou prospère ;
Je n'aurai pas besoin de vous presser, j'espère !
Christine sort ; Monaldeschi lui baise la main, et, en se retournant,
aperçoit Paula.

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