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Scène 1

                              ACTE PREMIER
                              Paula.
Un appartement du palais de Stockholm. Au fond, une porte qui, en s'ouvrant laisse découvrir la mer.

                              SCENE PREMIERE
Monaldeschi, Sentinelli, Guême, Pimentel, Fleming, Magnus de la Gardie, le baron de Steinberg, Steinberg, Descartes ; puis Christine, le page ; courtisans.

                              Le baron de Steinberg, faisant ranger les courtisans, qui se pressent en foule à l'entrée de l'appartement de la reine.
La reine va venir, et l'étiquette exige
Que vous vous écartiez. – Ecartez-vous, vous dis-je ?

                              Deux pages, entrant, se rangent de chaque côté de la porte.
La reine !


                              Fleming, s'avançant au-devant de Christine, qui entre avec Ebba.
Oh ! Majesté, que d'éternels regrets...

                              Christine, continuant la conversation commencée sur les vaisseaux.
Je disais donc, monsieur, que les vaisseaux anglais,
Bien plus que nos vaisseaux, mettent au vent leurs voiles,
Et sur l'eau portent moins de bois et plus de toiles.

                              Le page, entrant pâle, et fendant la foule.
Monaldeschi !

                              Descartes, à demi-voix.
          Sauvé.

                              Le page.
                    Mais où donc est-il ?


                              Descartes, lui montrant le marquis.
                                                  Là.

                              Le page, courant à Monaldeschi.
Marquis !...

                              Monaldeschi, tressaillant.
Que faites-vous ? Vous me perdez, Paula.
Pourquoi venir ici ?...

                              Paula.
                    Monseigneur !

                              Christine, se retournant.
                                        Quel tapage !...
Je ne vous savais pas, marquis, ce jeune page ;
Par un roi cependant il serait avoué...

                              Monaldeschi, passant devant Paula.
C'est un jeune Romain qui m'est tout dévoué,
Et qui, voyant en moi son seul appui sur terre,
N'a pas su contenir sa joie involontaire
Grâce...

                              Christine.
          Mais vous prenez un inutile soin.
Grâce pour lui, marquis ? Il n'en est pas besoin.
Parmi vous serviteurs j'aime à voir qu'on vous aime.
Pour vous comme pour moi, le danger fut extrême :
Heureusement qu'à moi vous avez eu recours,
Et n'avez point lâché ma robe de velours ;
Vous saviez que jamais ne se noie une reine...

                              Sentinelli.
Et nous savons aussi qu'à notre souveraine
A la vie, à la mort il était attaché...

                              Christine.
On a des concetti, monsieur, à bon marché ;
Les amis sont plus chers.
                              La Gardie, s'approchant.
                              Mais cette catastrophe...

                              Christine, sèchement et l'interrompant.
Vous avez un pourpoint d'une admirable étoffe,
Qui vous sied à ravir, mais qu'un rien doit souiller,
Vous avez fort bien fait de ne le pas mouiller,
Comte Magnus. – Mais Dieu m'aurait-il par un ange
Fait tirer du péril ?... car ce sauveur étrange
Est invisible. – Oh ! si c'était quelqu'un de vous,
J'aurais déjà heurté son front de mes genoux.

                              Le baron de Steinberg.
Ne vous étonnez pas, Majesté. – Je soupçonne
Que mon neveu, sachant que près votre personne
Je suis l'introducteur de tout noble étranger,
A la formalité ne veut pas déroger.

                              Christine.
Quoi ! c'est votre neveu qui m'a sauvé la vie ?
                              Le baron de Steinberg, embarrassé.
L'étiquette par lui n'a pas été suivie
En cette occasion ; mon neveu, Majesté,
Vous vit et vous parla sans être présenté ;
Mais vous pardonnerez : dans ce péril extrême,
Il a cru qu'il pouvait se présenter lui-même.

                              Christine.
Et je l'en remercie. – Où donc est-il ? – Eh bien,
Beau cavalier, venez ! vous me craignez donc bien ?
Votre témérité de faiblesse est suivie ;
Vous étiez plus hardi pour me sauver la vie.

                              Steinberg.
Madame, pardonnez ; mais, tremblant et surpris,
Il me semble qu'un rêve agite mes esprits ;
Et je crains que soudain ce rêve ne s'envole
Si je quitte ma place, ou dis une parole.
Je doute, je me touche...

                              Christine.
                              Après cet examen,
De vos lèvres, monsieur, touchez aussi ma main ;
Vous ne douterez plus. – A votre accent, je pense
Que vous êtes Français. Cà, quelle récompense
A mérité l'enfant d'un pays si lointain,
Qui vient au nôtre exprès pour heurter le destin ?
Sans lui, c'en était fait, vous n'aviez plus de reine,
Entendez-vous, messieurs ?

                              Monaldeschi.
                    Oh ! notre souveraine
Avec lui ne doit pas s'acquitter à demi,

                              La Gardie.
Des titres...

                              Sentinelli.
          Des honneurs...

                              Christine.
                              Il sera notre ami,
D'abord ;... puis, s'il veut moins, il pourra prendre ensuite
Tel rang qu'il lui plaira parmi vous, à ma suite...
Donc, vous venez de France ?

                              Steinberg.
                                        Oui, reine.

                              Christine.
                                                  Voulez-vous
Nous dire en ce pays ce qu'on pense de nous ?

                              Steinberg.
Que votre règne est beau, sublime, grandiose.

                              Christine.
Oh ! que c'est fatigant, toujours la même chose !
Il semble pour louer qu'ils ont tous même voix.
Descartes, asseyez-vous ; vous souffrez, je le vois.
Et notre frère Louis ?

                              Steinberg.
                    Oh ! contre la régence
D'Anne d'Autriche, tout paraît d'intelligence ;
Par qui doit l'étouffer le trouble est fécondé.
C'est toujours Mazarin, et c'est toujours Condé,
Disputant le pouvoir aux deux côtés du trône
Et sur le front de Louis tiraillant sa couronne.
Contre le Mazarin aujourd'hui de retour,
Condé, le roi d'hier, et l'exilé du jour,
Ramène l'Espagnol, qu'il combattit naguère.

                              Christine.
Condé fait une tache à son harnois de guerre,
Ah ! que si la régente avait, en temps et lieu,
Su frapper et punir... ! – Et pourtant Richelieu,
Ministre à robe rouge et prêtre au coeur de bronze,
Pour Louis-Quatorze avait continué Louis-Onze.
Il comprenait le trône, et que, ses quatre pieds,
Au front des grands vassaux se trouvant appuyés,
Mal assortir leur taille était. puissantes fautes ;
C'est pour ce qu'il passa sur les têtes trop hautes
La hache du bourreau comme un niveau de plomb.
Il fit gîter le trône en le mettant d'aplomb.
          Se levant.
Que si j'avais été la régente de France,
Dès que j'eusse des grands soupçonné l'espérance,
En appelant contre eux à mon peuple loyal,
J'aurais conduit le roi sur son balcon royal ;
Puis, ramenant à moi ma puissance usurpée,
Couvrant mon noble enfant d'une lame d'épée,
En nous montrant tous deux, j'aurais dit sans effroi :
« Celle-ci, c'est la reine, et celui-là, le roi. »
          S'asseyant.
A tout prendre, échappant à la guerre civile,
Quand le bruit du tocsin décroît dans chaque ville,
Un peuple est bien heureux ; – car, après cet effort,
Son siècle va marcher et plus large et plus fort.
Le baptême de pleurs a rajeuni sa tête :
C'est pour épurer l'air que gronde la tempête,
Et quelque homme toujours magnifique et puissant
Naît sur un sol fumé par un engrais de sang.
Continuez, monsieur ; mais changeons la nature
De l'entretien. – Que fait votre littérature ?

                              Steinberg.
Les comédiens du roi donnaient, le mois dernier,
                                        Cherchant.
Un drame de Corneille – Ou, je crois, de Garnier ;
Non, c'était de Corneille.

                              Christine.
                              Et son titre est ?...

                              Steinberg.
                                                  Horace.

                              Christine.
Qu'en dit-on ?
                              Steinberg, avec conviction.
Que l'auteur n'a pas suivi la trace
Des grands maîtres ; qu'il est et trivial et bas ;
Que ce n'est point ainsi que parlent Dubartas,
Desmarets, Saint-Sorlin, Bois-Robert et Jodelle,
Qui du suprême goût ont offert le modèle.
                              Christine.
Et qui donc dit cela ?

                              Steinberg.
                    L'Académie.

                              Christine.
                                        Encore !

                              Steinberg.
Oui, Votre Majesté ; ses membres sont d'accord
Que c'est un novateur dont le culte idolâtre
Sacrifie à Baal et perd le beau théâtre ;
Qu'eux seuls sont du bon goût arbitres signalés,
Et que Cid, et qu’Horace à bon droit sont sifflés.

                              Christine.
Au bruit de ces sifflets d'une troupe ennemie,
Que fait Paris ?
                              Steinberg.
                    Paris siffle l'Académie.

                              Christine.
Oui ! lorsqu'il est écrit sur le livre du sort
Qu'un homme vient de naître au front large, au coeur fort,
Et que Dieu sur son front, qu'il a pris pour victime,
A mis du bout du doigt une flamme sublime,
Au-dessous de ces mots, la même main écrit :
« Tu seras malheureux si tu n'es pas proscrit ! »
Car à ses premiers pas sur la terre où nous sommes,
Son regard dédaigneux prend en mépris les hommes ;
Comme il est plus grand qu'eux, il voit avec ennui
Qu'il faut vers eux descendre, ou les hausser vers lui.
Alors, dans son sentier profond et solitaire,
Passant sans se mêler aux enfants de la terre,
Il dit aux vents, aux flots, aux étoiles, aux bois,
Les chants de sa grande âme avec sa forte voix ;
La foule entend ces chants, elle crie au délire,
Et, ne comprenant pas, elle se prend à rire.
Mais, à pas de géant sur un pic élevé,
Après de longs efforts, lorsqu'il est arrivé,
Reconnaissant sa sphère en ces zones nouvelles,
Et sentant assez d'air pour ses puissantes ailles,
Il part majestueux, et qui le voit d'en bas,
Qui tente de le suivre, et qui ne le peut pas,
Le voyant à ses yeux échapper comme un rêve,
Pense qu'il diminue à cause qu'il s'élève,
Croit qu'il doit s'arrêter où le perd son adieu,
Cherche dans la nuée... Il est aux pieds de Dieu !
Notre terre du Nord est une rude mère,
Steinberg, et nous n'avons point encore eu d'Homère,
De Virgile. – Pour nous, à peine l'alphabet
De science est ouvert. – Ma soeur Elisabeth
Put plus grande que moi, non pas que je la craigne !
Mais elle avait Shakespeare pour élargir son règne ;
Les heureux Médicis ont eu Machiavel ;
Corneille est près de Louis, Milton près de Cromwell.
Se retournant et apercevant les quatre vieillards tuteurs du royaume.
Mais ce que n'ont point France, Italie, Angleterre,
Voyez, Steinberg, ce sont, à la démarche austère,
Ces quatre grands vieillards qui s'avancent vers moi,
Qui me prirent enfant et me laissèrent roi,
A qui le sol du Nord a cédé de sa force,
Et dont le coeur est beau sous cette rude écorce
Regardez-les, Steinberg ; ne penseriez-vous pas
Voir s'avancer les dieux de nos âpres climats ?
Comme nos vieux cyprès que la tempête assiège,
Les ouragans des cours les ont couverts de neige,
Et, sans cesse contre eux déchaînés et soufflants,
Ont fait leur barbe grise et puis leurs cheveux blancs !

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