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Scène 3

                              SCENE III
Christine, Sentinelli.

                              Christine.
D'exilé le titre est donc bien doux,
Comte ?

                              Sentinelli.
          Pourquoi ?

                              Christine.
                    Dès lors qu'on offre de le prendre,
C'est qu'en sa conscience on a droit d'y prétendre,
Et que, d'un jugement calculant le péril,
Ainsi qu'une faveur on recevrait l'exil.

                              Sentinelli.
J'ai droit, quelle que soit la faveur qu'on m'impose,
Ayant de l'accepter, d'en connaître la cause,
Madame ; et dans mon coeur je sens trop de fierté
Pour que j'accepte moins que je n'ai mérité.

                              Christine.
Nous serons juste alors ; mais je ne sais encore
Tout le prix que je dois à des soins que j'ignore.
Ce courrier seulement, en mes mains parvenu,
Me fixerait sur lui, si de son contenu
Vous vouliez bien, monsieur, me faire confidence.

                              Sentinelli.
Eh ! pourquoi donc la reine, en sa haute prudence,
De mon consentement tiendrait-elle à savoir
Ce que d'apprendre seule elle avait le pouvoir ?
Cette lettre par elle avait été surprise :
Il lui fallait l'ouvrir.

                              Christine.
                    Vous m'avez mal comprise,
Monsieur, si vous pensez que mes yeux indiscrets
Sous le cachet sacré poursuivaient vos secrets.
Vainement mon regard avec quelques alarmes
Du traître la Gardie a reconnu les armes ;
Vainement mon esprit se dit, non sans raison,
Que cette seule lettre est une trahison :
C'était par vous, dussé-je en attendre ma perte,
Que j'avais décidé qu'elle serait ouverte.
Ouvrez-la donc, monsieur, et lisez à loisir ;
Puis, en nous la passant, vous nous ferez plaisir.

                              Sentinelli, après avoir lu.
En effet, elle annonce une étrange nouvelle ;
Vous ne vous trompiez pas, madame ; on y révèle
Un complot contre vous ; – mais votre jugement,
Au nom de son auteur s'est mépris seulement.
Lisez.

                              Christine.
          Monaldeschi !... – N'est-ce point une ruse
Que, pour perdre un rival...?

                              Sentinelli.
                    Lisez : lui seul s'accuse :
« Au comte la Gardie. »

                              Christine, lisant.
« Monsieur le comte,
D'impérieux motifs me forcent à quitter le service de la reine Christine, et à me retirer en Suède sous la protection du roi Charles-Gustave ; j'ai pensé que le meilleur moyen de me l'assurer était de lui révéler le complot qu'elle trame contre lui ; veuillez mettre sous ses yeux, les lettres ci-jointes : ce sont des copies de celles qu'elle a écrites aux différents princes qui doivent la seconder dans ce projet. – Si je connaissais un homme qui eût plus à se plaindre d'elle que vous c'est à lui que je me serais adressé.
Comme un courrier peut être indiscret ou une lettre décachetée, je crois que le moyen le plus sûr est d'écrire à Christine pour accuser de la révélation que je vous fais, notre ennemi commun, le comte Sentinelli. – Au premier mot que m'en dira la reine, je saurai qu'il est temps de me retirer sous la protection de notre auguste maître le roi Charles-Gustave.
                                        Le marquis Jean de Monaldeschi.
                    Fontainebleau, 5 octobre 1657. »
                                        Et c'est mon ennemi
Qui me livre un complot tramé par mon ami !
Celui que j'exilai me sauve !... – Ce mystère,
Il avait intérêt pourtant à me le taire :
Charles-Gustave auprès de lui l'avait placé.

                              Sentinelli.
Mais Gustave se meurt, madame : il s'est blessé,
En tombant de cheval. – Cette lettre l'annonce ;
A celle du marquis c'est, je crois, la réponse
Elle m'est adressée.
          Lisant.
« Je vous envoie, monsieur le comte, la preuve d'un horrible complot ourdi contre notre reine et contre vous, qui êtes un de ses plus fidèles serviteurs. Je ne réclame de vous pour seule récompense que de lui faire connaître que c'est à moi qu'elle doit cette révélation ; peut-être y puisera-t-elle la conviction de l'éternel regret que j'ai d'avoir encouru sa disgrâce. – Quant au moment, elle n'en pouvait choisir un plus favorable. Le roi s'est cassé la jambe en tombant de cheval, et les médecins désespèrent de sa vie.
                                        Le comte Magnus de La Gardie.
                              20 octobre 1657 ».
Ah ! je comprends enfin :
Magnus du roi qu'il sert voit approcher la fin !
Mais, en bon courtisan soutenant l'aventure,
Il est déjà fidèle à sa reine future.
Le soleil de Gustave atteint son horizon ;
Du soleil de Christine il espère un rayon.
Favori par état, flatteur par habitude,
Il ne peut respirer qu'un air de servitude.
Quant à Monaldeschi, renfermant le secret
De son crime, je veux qu'il dicte son arrêt ;
A cet arrêt suprême il lui faudra souscrire,
Nous n'exécuterons que ce qu'il va prescrire.
Montrant à Sentinelli son cabinet.
De cet appartement suivez notre entretien,
N'en perdez pas un mot et n'en oubliez rien.
Sa bouche n'aura pas rendu de sons frivoles,
Et le vent n'aura pas emporté ses paroles.
Sentinelli entre dans le cabinet.
Holà ! quelqu'un !
Un valet paraît.
                    Allez leur dire qu'à l'instant,
Tous trois dans ce salon la reine les attend.

                              Le valet.
Mais qui ?

                              Christine.
          C'est juste ! Etrange effet de la pensée,
Qui d'arriver au but est toujours trop pressée,
Et par quelque vain mot veut au premier venu
Faire comprendre un sens d'elle seule connu !
Qui ? – Ma dame d'honneur ; mon premier gentilhomme ;
Puis cet Italien qui prend le titre d'homme,
Que j'ai fait tour à tour marquis, grand écuyer...
Le valet sort.
Et qui de mes bienfaits m'a si bien su payer !
Quelqu'un encore.
Un autre valet entre.
                    Gulrick, courez à l'abbaye,
Et songez qu'à l'instant je veux être obéie.
Demandez à parler à son supérieur :
C'est le père Lebel, le révérend prieur
Des Trinitaires.

                              Gulrick.
                    Oui.

                              Christine.
                              Dites-lui qu'on l'invite
A se rendre au palais, à s'y rendre au plus vite.
On voudrait confier un secret à sa foi.
Qu'il soit, en arrivant, introduit près de moi.
Allez !
Gulrick sort.
          Sentinelli, vous pouvez tout entendre,
N'est- ce pas ?

                              Sentinelli.
          Oui, madame.
                              Christine.
                              Ils se font bien attendre !
Faut-il donc tant de temps, bon Dieu, pour prévenir
Trois personnes ? – Enfin ! je les entends venir.

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