Christine Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer


Scène 8

                              SCENE VIII
Sentinelli, Monaldeschi ; Clauter et Landini, au fond.

                              Monaldeschi, entrant.
Sentinelli.

                              Sentinelli, allant à lui.
          C'est vous enfin ! – Tant de lenteur
M'étonnait de la part de mon accusateur ;
Car, dans son zèle ardent, sans retard, je dus croire
Qu'il allait procéder à l'interrogatoire.

                              Monaldeschi, à part.
Sentinelli tout seul, gardé par deux-soldats.
Serait-il arrêté ?

                              Sentinelli.
                    Vous ne répondez pas,
Marquis.

                              Monaldeschi.
Que voulez-vous que je réponde, comte ?
Que je ne savais pas qu'une rigueur si prompte
Devait... Mais ces soldats ?...

                              Sentinelli.
                              Je ne puis le nier,
Ces soldats en ces lieux gardent un prisonnier.

                              Monaldeschi, à part.
J'avais deviné juste.

                              Sentinelli.
                    On vous a fait connaître
Que la reine cherchait à découvrir un traître.
Ses voeux, vous le savez, viennent d'être exaucés ;
Un homme est arrêté.

                              Monaldeschi.
                    Oui, comte, je le sais.
                              Sentinelli.
Je viens en ce moment d'apprendre de la reine
Qu'elle vous consulta sur le choix de la peine,
Et qu'à votre indulgence imposant un effort,
Vous seul avez voté pour la mort.

                              Monaldeschi.
                              Pour la mort. Sentinelli.
Elle m'a dit aussi que votre amour pour elle
En cette occasion portait si loin le zèle,
Que, dès que du complot l'on connaîtrait l'auteur,
Vous vous étiez chargé d'être l'exécuteur.

                              Monaldeschi.
Je l'ai fait.

                              Sentinelli.
          Maintenant, alors que le coupable
Doit, repoussant en vain le soupçon qui l'accable,
Avant la fin du jour subir son châtiment,
Vous conservez encore le même sentiment ?

                              Monaldeschi.
Je n'en ai point changé.

                              Sentinelli.
                    Mais cet arrêt suprême,
Quel que soit l'accusé, resterait-il le même ?

                              Monaldeschi.
Oui, monsieur.

                              Sentinelli.
                    Cependant, si dans cet ennemi
Votre coeur étonné trouvait un vieil ami
Que l'un de ces complots dont les cours font étude
Eût éloigne de vous, plus que l'ingratitude,
Pourrait-il espérer qu'un ancien souvenir
Arrêterait le fer levé pour le punir ?

                              Monaldeschi.
Non.

                              Sentinelli.
          Mais, dans son espoir, s'il essayait lui-même
De fléchir la rigueur de cet arrêt suprême ;
Si, dans votre âme émue éveillant la pitié,
Il rappelait ces jours d'une ancienne amitié ;
D'après son propre coeur, si, comprenant le vôtre,
Il évoquait ces temps où, vivant l'un par l'autre,
Vous trouviez le bonheur dans le bonheur d'autrui ;
Si, te tendant la main, il te disait : « C'est lui ! »

                              Monaldeschi.
Je la repousserais.

                              Sentinelli.
                    A son heure dernière,
S'il employait l'accent de la sainte prière ;
S'il te disait : « Ami, tu ne frapperas pas
L'homme auquel tant de fois se sont ouverts tes bras,
L'homme que tu voyais, avant nos jours de haine,
Heureux de ton bonheur, et triste de ta peine,
Qui, d'un songe d'espoir prompt à te soutenir,
A te sourire encore contraignait l'avenir... »
S'il opposait soudain, aux jours d'adolescence,
Les jours plus éloignés et plus purs de l'enfance
Qui s'envolaient exempts d'amertume et de fiel,
Sur une même terre et sous un même ciel ;
S'il jetait au-devant de ta haine fatale
Ces souvenirs puissants de la terre natale,
Où chaque jour se lève et plus pur et plus beau,
Où le sol qui le couvre est léger au tombeau ;
S'il te prouvait qu'il peut, par une adroite fuite,
Des bourreaux, sans te perdre, éviter la poursuite,
Et, dans un coin du monde, ignoré pour toujours,
Aller mourir au lieu qui vit ses premiers jours ;
S'il offrait à ton coeur, dans sa douleur amère
Son rêve de vieillesse et les- pleurs de sa mère ;
Cédant à la pitié lorsque tu le verrais
Tomber à tes genoux ?...
Il se jette aux pieds de Monaldeschi.

                              Monaldeschi, portant la main à son poignard.
                    Je l'y poignarderais.

                              Sentinelli, se relevant.
Au nom de notre reine, indignement trompée,
Jean de Monaldeschi, rendez-moi votre épée !
Les deux gardes arrêtent Monaldeschi.
A cet homme, accusé de haute trahison
Je veux bien accorder sa chambre pour prison.
Veillez sur lui, tandis que son trépas s'apprête.
Allez ! chacun de vous m'en répond sur sa tête.
Les deux gardes entraînent Monaldeschi d'un côté, et Sentinelli sort de
l'autre. – Paula paraît au fond
.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente