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Scène 6

                              SCENE VI
Christine, Monaldeschi, le père Lebel.

                              Monaldeschi.
                                        Madame,
Je ne suis point coupable, et contre moi l'on trame
Quelque complot affreux ; je dois...

                              Christine.
                                        Le meurtrier,
Marquis, lui-même a droit à se justifier ;
Le juge du coupable écoute la défense,
Avant que de la mort il signe la sentence.
Parlez... De quelques pas, mon père éloignez-vous.

                              Le père Lebel.
Puisse ce malheureux fléchir votre courroux,
Madame !
                              Christine.
          Que j'absolve ou bien que je punisse,
Dans tous les cas, mon père, il sera fait justice ;
Reposez-vous sur moi... Nous voilà seuls, parlez,
Marquis.

                              Monaldeschi.
          Je ne le puis, si vous ne rappelez
De quel crime aujourd'hui j'ai mérité la peine.

                              Christine.
Ah ! votre mémoire est à ce point incertaine ;
Eh bien, nous l'aiderons... Marquis, veuillez ouvrir
Cette lettre, et lisez... Vous avez cru couvrir
D'un éternel secret votre crime, peut-être ?
Insensé ! vous tremblez ? Ouvrez donc cette lettre,
Vous êtes innocent ? Lisez !

                              Monaldeschi, tombant à genoux.
                              Je suis perdu !


                              Christine, au père Lebel.
Vous le voyez, mon père, il est là, confondu,
Ecrasé sous le poids de son propre anathème,
Méprisable pour tous, et surtout pour lui-même ;
Car, excepté lui seul, nul ne saura jamais,
Avant sa trahison, à quel point je l'aimais.
Maintenant, le voilà suppliant et coupable !
A défaut du remords, l'épouvante l'accable.
Entre vos saintes mains je le remets... Adieu !
Préparez-le, mon père, à répondre à son Dieu.

                              Monaldeschi.
Oh ! je n'ai plus d'espoir que dans votre clémence ;
Comme votre pouvoir, madame, elle est immense.
Eh bien, oui, je l'avoue, oui, je fus égaré.
Par un doute cruel constamment dévoré,
J'ai, devant ce complot, senti faiblir mon âme,
Malgré dévouement, je prévoyais, madame,
Combien ce grand complot, ramenant de malheurs,
Pourrait faire verser et de sang et de pleurs ;
Et, devant Dieu, les pleurs et le sang d'un seul homme
Sont précieux, madame, à l'égal d'un royaume !...
Et moi, j'ai cru devoir alors, comme chrétien,
Pour le bonheur de tous sacrifier le mien ;
Jugez-moi maintenant.

                              Christine.
                              Vous avez l'âme grande,
Marquis ! cela me touche... Il faut que je vous rende
Quelque tranquillité pour vos derniers moments ;
Nul sang ne coulera dans ces grands changements.
Charles-Gustave, aux coups de la fortune en butte,
Ne meurt pas d'un complot tramé, mais d'une chute.
Le trône où je remonte est pur de sang versé :
C'est pourquoi la Gardie...

                              Monaldeschi.
                              Oh ! je suis insensé !...
Je suis un malheureux qui, tremblant, vous conjure,
En voyant ses remords, d'oublier son injure.
Commandez des tourments, je suis prêt à souffrir ;
Mais je ne me suis pas préparé pour mourir.

                              Christine.
Comme je le devais, vous le voyez, mon père
Je viens de l'écouter sans haine et sans colère.
Pour la seconde fois, je le condamne... Adieu !
Préparez-le, mon père, à répondre à son Dieu.

                              Monaldeschi.
Je n'ai pas tout dit ! Non, madame ; oh ! pas encore !
C'est pour vous maintenant que ma voix vous implore.
Vous voulez remonter au trône ? Mais du sang
En rendra sous vos pieds le chemin plus glissant.
On dira, vous voyant assise sur ce trône,
Qu'une tache de sang rouille votre couronne.
Et puis pour vous aussi le jour se lèvera
Où, comme vous jugez, le Seigneur jugera.
Quand aux portes du ciel, par votre ange entrouvertes,
Vous vous présenterez les mains de sang couvertes,
Que direz-vous à Dieu, reine ?

                              Christine.
                                        Je lui dirai :
« J'ai détendu des rois de principe sacré ;
Mon Père, un homme fut : cet homme était perfide ;
Sa seule trahison m'a rendue homicide.
Dans mes royales mains j'ai pesé son forfait,
Et j'ai jugé, mon Dieu, comme vous l'eussiez fait. »
Voilà tout.

                              Monaldeschi.
          Je le vois avec douleur, votre âme
De reine est inflexible... Oh ! Celle de la femme
Le sera-t-elle aussi ? Je veux à vos genoux
Rappeler ces moments disparus et si doux...
Ces moments où, pour moi quittant le diadème,
Vous redeveniez femme, et me disiez : « Je t'aime. »
A vos genoux alors j'étais comme à présent,
Non pas pour implorer la vie en gémissant,
Mais pour prendre en mes mains cette main que je touche,
La poser sur mon coeur, la presser sur ma bouche,
Vous dire un mot d'amour auquel vous répondiez...

                              Christine.
Marquis !

                              Monaldeschi.
          Oh ! regardez !... à genoux, – à vos pieds,
Je suis comme autrefois, oubliant qu'à cette heure
Votre royale voix dit qu'il faut que je meure,
Et ne me rappelant ce que dit votre voix,
Que pour me souvenir des accents d'autrefois.
Sur mon front incliné portez l'arrêt suprême ;
Je veux le repousser avec un mot : Je t'aime ! Je t'aime !...
Frappe-moi... Je t'aime !... Tiens, voilà
Mon poignard... Entends-tu ? je t'aime !... Frappe là !
C'est mon coeur ; frappe donc, et venge-toi-même...
Ou je vais te redire encore que je t'aime !

                              Christine.
Laissez-moi laissez-moi. – Mon père !

                              Monaldeschi.
                                                  Oh ! calmez-vous.
Est-ce la seule fois qu'apaisant ton courroux,
Me voyant à tes pieds, ta rigueur qui se lasse
Permet que près de toi je reprenne ma place ?...
Tu le sais, que jamais un autre sentiment
Ne fit battre ce coeur qui t'aima constamment !
Regarde-moi... L'on dit, par une pure flamme,
Que toujours dans nos yeux. se reflète notre âme :
Tourne donc vers les miens tes regards soucieux,
Car je n'ai pas besoin de te cacher mes yeux !...

                              Christine.
Oh ! que c'est de mon coeur une indigne faiblesse !
Je voudrais résiste, – et pourtant je me laisse
Entraîner malgré moi... – Je change votre sort :
Qu'un exil éternel..
                              Monaldeschi.
                    Oh ! j'aime mieux la mort !
Et, si c'est à ce prix que Christine pardonne,
Je refuse à mon tour. les jours qu'elle me donne.
Ne te revoir jamais ? Non, j'aime mieux. souffrir
Un instant que toujours....Je suis prêt à mourir.

                              Christine.
Eh bien, Monaldeschi, le jour encore peut naître
Où votre repentir me touchera peut-être.
Espérez... Sur le trône où m'appellent mes droits,
Si je reviens m'asseoir reine au milieu des rois ;
Parmi ces courtisans empressés sur ma trace,
Mon oeil avidement cherchera votre place,
Et la première alors je vous rappellerai.
Mais, vous, que ferez-vous d'ici là ?

                              Monaldeschi.
                                        J'attendrai.

                              Christine.
Mais je garde quelqu'un.

                              Monaldeschi.
                              Qui ?

                              Christine.
                                        Paulo, ce jeune homme
Qui jadis à ma cour vous a suivi de Rome
Nous parlerons de vous quelquefois...

                              Monaldeschi, à part.
                                                  J'oubliais
Qu'un mot d'elle me perd... Ah ! Paula, je te hais !
Toujours sur mon chemin je t'aurai donc trouvée
Pour faire évanouir ma fortune rêvée !...
Tu seras à Stockholm, comme à Fontainebleau,
Mon génie infernal... – Cet anneau, cet anneau...
          Haut.
Madame, permettez que, comme un témoignage
D'amitié, comme ancien souvenir, à ce page
Je renvoie un anneau longtemps par moi porté,
lit qu'il me demanda souvent.

                              Christine.
                                        En vérité,
Marquis, ce souvenir est celui d'un bon maître.
A qui vous désirez, je le ferai remettre.

                              Monaldeschi.
A l'instant ?

                              Christine.
          A l'instant... Adieu, marquis !... Sortez
Par cette galerie... Aux deux autres côtés
Vous ne trouveriez pas une si sûre voie.
Le comte vous attend et réclame sa proie.
          Au père Lebel.
Mon père en ce moment vos devoirs sont changés :
Vous deviez préparer à la mort... Protégez
Sa vie... Adieu !

                              Monaldeschi, lui baisant la main.
                    Bientôt !..

                              Christine, ouvrant la porte.
                              Oui !... – Gulrick, qu'on appelle
Paulo ; – je veux le voir.

                              Gulrick.
                              Il est dans la chapelle,
Ici tout près... Il prie.

                              Christine.
                              Allez... – Oui, j'ai mieux fait ;
Pourquoi punir de mort un crime sans effet ;
Quand ce crime, m'eût-il ravi le diadème,
Ne me faisait qu'un tort que je me fais moi-même.
Ce pouvoir qui de loin brille de tant d'appas,
Quand je le possédais, pour moi n'en avait pas ;
Et, sitôt que j'aurai ressaisi ma couronne,
Le dégoût sera là pour partager mon trône.
          A Paula, qui entre.
Venez.

                              Paula.
          Vous êtes seule ?

                              Christine.
                              Oui.

                              Paula, cherchant des yeux.
                                        Seule ?...

                              Christine.
                                                  Regardez.

                              Paula.
Un prêtre est avec lui... Madame, vous gardez
Parfois à qui vous sert de sublimes spectacles.
Vous avez, je le vois, triomphé des obstacles ;
C'est grand et beau.

                              Christine.
                    Paulo, le marquis m'a remis
Cette bague pour vous.

                              Paula, avec joie.
                              Ah ! donnez...

                              Christine.
                                        J'ai promis
De vous le rendre... C'est l'anneau de votre maître.

                              Paula.
Et vous avez voulu vous-mêmes le remettre,
N'est-ce pas ? Je rends grâce à vos soins empressés ;
Oui, cet anneau m'est cher !


                              Christine.
                                        Paulo, vous pâlissez ?
          
                              Paula, portant l'anneau à ses lèvres.
Non. – Sois le bienvenu, messager de la tombe.
          A Christine.
Et maintenant, sur vous que notre mort retombe !

                              Christine.
Sur moi !... votre mort ?... Oh ! vous perdez la raison
Qu'enfermait cet anneau, dites-moi ?

                              Paula.
                                        Du poison.
Le marquis en mourant promit de me le rendre !
Cet anneau, grâce à vous, ne s'est pas fait attendre.

                              Christine.
Mais le marquis n'est point à la mort condamné,
A l'exil seulement... Paulo, j'ai pardonné !
Et bientôt sur le trône auprès de moi...

                              Paula.
                                        L'infâme
Nous trahit toutes deux !

                              Christine.
                              Toutes deux ?
                    
                              Paula.
                                                  Je suis femme !

                              Christine.
Vous !... Oh ! malheur à lui, car je devine tout !
          Ouvrant la porte du fond.
Ici, comte ! venez, venez ; courez au bout
De cette galerie... et joignez-y le traître...
Frappez !... Pour vous tromper, il vous dira peut-être
Que j'ai tout pardonné !... mais non ;... frappez toujours.
Il dira que c'est moi qui conservai ses jours ;
Non, non... Que par ses pleurs ma colère abattue
Avait tout oublié. Non, non, non... Frappe et tue
          Le poussant.
A l'oeuvre !
          A Paula.
          Pour ton mal, enfant, nous trouverons
Des secours, sois tranquille, et nous te sauverons.
Qu'on cherche des secours partout,... à l'instant même !
          Revenant à Paula.
Mais déjà le poison la dévore. Anathème !
          Allant à la porte de la galerie.
S'il échappait !... Mais non... il n'échappera pas ;
La justice de Dieu ralentira ses pas...
          Revenant à Paula.
Oh ! ne meurs pas, enfant !.. Si jeune, si jolie !...
Voyant les progrès du poison.
Je vous reconnais bien, poisons de l'Italie !
Mortels !... Enfant !...Mon Dieu !... Quelqu'un accourt... Non, rien ;
          Elle va à la porte.
Si !... c'est un bruit de pas.
          Au père Lebel, qui entre.
                              Eh bien, mon père, eh bien,
Est-ce fini ?

                              Le père Lebel.
          Fini !... C'est donc vous ? O madame !
Après avoir promis de le sauver !...

                              Christine.
                                        L'infâme !
Le sauver, lui ? Non, non... Voyons, est-il puni ?
On tarde bien où tout devait être fini.

                              Le père Lebel.
J'espérais donc à tort ?

                              Christine.
                    Mon père, il vous réclame !
J'ai condamné son corps,... allez sauver son âme,
Allez !
                              Le père Lebel.
          Adieu, madame !

                              Christine.
                              Adieu, mon père, adieu...
Puissiez-vous arriver encore à temps.

                              Monaldeschi, en dehors.
                                                  Ah !...

                              Le père Lebel.
                                                            Dieu !...
Mais non, du meurtrier la vengeance est trompée ;
Le marquis de son sein vient d'écarter l'épée.
Il fuit... Il vient à nous... La présence des rois,
Madame, sauve ceux que condamnent les lois.

                              Christine, voulant se retirer.
Il ne me verra pas.

                              Le père Lebel, l'arrêtant de force.
                    Il vous verra, madame.

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© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
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