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Scène 6

                              SCENE VI
Christine, le vieillard.

                              Christine.
Vous à qui le Seigneur a remis sa parole,
Vous dont la main bénit et dont la voix console,
Saint homme qui foulez d'un pied tranquille et sûr
Le sentier de la foi, qui pour nous est obscur ;
Qui voyez les pécheurs courbés sur votre voie,
Et qui pouvez d'un mot rendre un coeur à sa joie !
Quelque temps près de moi, marchez d'un pas plus lent,
Saint homme qui passez priant et consolant...

                              Le vieillard.
Ne dites pas cela, femme... Je suis moi-même
Un malheureux, marqué du sceau de l'anathème !
Et celui qui m'entend venir avec effroi,
Si condamné qu'il soit, l'est encore moins que moi ;
Mais le Seigneur permet que souvent le coupable,
Cachant à tous les yeux le remords qui l'accable,
Donne, tant qu'il lui reste une voix pour bénir
Un pardon que lui-même il ne peut obtenir...

                              Christine.
Est-il donc un forfait que Dieu, dans sa colère,
Exclut de son pardon ?...

                              Le vieillard.
                              Il en est un !

                              Christine.
                                        Mon père !...
Il en est un ?...

                              Le vieillard.
Un seul... Mais pourquoi tremblez-vous ?
Votre sexe, ma fille, est consolant et doux.
Seuls, nous sommes méchants, nous... Dieu créa la femme
Comme un ange, chargé de veiller sur notre âme !
Il nous donna la force, il lui donna les pleurs
Pour qu'elle pût porter moitié de nos douleurs ;
Et, si nous l'entraînons avec nous dans l'abîme,
Dieu sait faire deux parts, de l'erreur et du crime ;
Car le Seigneur est juste,

                              Christine.
                              Oh ! n'avez-vous pas dit
Qu'il est un crime, un seul, pour lequel Dieu maudit ?

                              Le vieillard.
Mais, pour un qu'il maudit, combien il en excuse,
Quand un vrai repentir s'humilie et s'accuse !...

                              Christine.
Que m'importe, à moitié couchée en mon linceul,
Qu'il les pardonne tous, s'il en punit un seul ?

                              Le vieillard, la regardant.
Il pardonne... l'oubli,... la colère,... l'injure,
L'adultère,... le vol,... l'envie... et le parjure !
Voilà les noms de ceux qu'à l'heure du trépas
Il pardonne.

                              Christine.
          Et celui qu'il ne pardonne pas !
Son nom ?... Que de mon sort un mot enfin décide ;
Vous hésitez ?... Son nom ?... Je le veux.

                              Le vieillard.
                                                  L'homicide.

                              Christine, tombant à genoux.
Pardon !...

                              Le vieillard.
          A cette voix, malgré moi j'ai pâli...
Prenant la lampe et la regardant.
Ah !...vous êtes Christine...
Il laisse tomber la lampe. Obscurité.

                              Christine.
                              Et vous ?

                              Le vieillard.
                                        Sentinelli,

                              Christine, se dressant.
Arrière, meurtrier !...

                              Sentinelli.
                    Moi meurtrier, madame ?
Oh ! si vous descendiez dans le fond de votre âme,
Là, vous entendriez la voix qui doit crier
Qui de nous deux, ô reine ! est le vrai meurtrier.

                              Christine.
De nous deux ?... Et qui donc a frappé la victime ?
L'avez-vous oublié ?...


                              Sentinelli.
                    Qui commanda le crime ?
L'oubliez-vous aussi ?... Madame, le forfait
N'est pas toujours compté pour celui qui le fait.
Que si vous l'espériez, vous vous êtes trompée,
Car vous fûtes le bras ; je ne fus que l'épée !...

                              Christine.
C'est juste, et nous pouvons, meurtriers chancelants,
Toucher nos froides mains, mêler nos cheveux blancs ;
Car le même forfait rend nos têtes tremblantes,
Et c'est du même sang que nos mains sont sanglantes...
Eh bien, qu'avez-vous fait depuis ce jour fatal ?

                              Sentinelli.
Moi ?... J'ai voulu d'abord revoir le sol natal ;
D'oublier le passé j'avais quelque espérance :
Insensé !... Nous étions tous les deux de Florence ;
Là, sa jeunesse avec la mienne avait passé,
Nous nous étions aimés à Florence... Insensé !...
                              Christine.
Et vous l'avez quittée ?...

                              Sentinelli.
                              Oui, je crus que peut-être
Le repos dans mon coeur à Stockholm pouvait naître ;
J'arrivai... De nouveau mes voeux furent trahis.
Le repos !... A Stockholm, nous nous étions haïs !...

                              Christine.
Vous partîtes bientôt ?...

                              Sentinelli.
                              Oui, je revins en France
Nul ne m'y reconnut, tant deux ans de souffrance
M'avaient changé... J'allai droit à Fontainebleau
Et me dis étranger, voulant voir le château.
Mon guide froidement me raconta le crime,
Le nom de l'assassin,... celui de la victime ;...
Je vis la galerie aux Cerfs,... le corridor,
Et le parquet, de sang humide et rouge encore,

                              Christine.
Et vous avez osé, sans craindre que ses voûtes,
Reconnaissant vos pas, ne s'écroulassent toutes
Sur vous ?... et d'un oeil sec vous avez pu souffrir
Cet aspect ?

                              Sentinelli.
          D'un oeil sec ?... J'espérais en mourir.

                              Christine.
Continuez...

                              Sentinelli.
          Ma vie est un pénible rêve
Depuis lors... Un instant Dieu ne m'a point fait trêve ;
Je portais le remords !... sous son poids j'ai fléchi,
Et puis rapidement mes cheveux ont blanchi,

                              Christine.
C'est comme moi...

                              Sentinelli.
                    Souvent j'avais entendu dire
Que celui qu'à bon droit le monde peut maudire,
La prière, au jeûne, alors qu'il a recours,
En eux contre ses maux peut trouver un secours.
J'essayai... Chaque jour, j'invente des supplices,
Je déchire mon corps sous le crin des cilices
Dans mes brûlantes nuits, de mon lit élancé,
Je cherche le repos sur le marbre glace ;
Puis je veux retrouver ma chambre solitaire,
Et j'y frappe mon front meurtri contre la terre.

                              Christine.
Et, dans la solitude, à chaque bruit trompeur,
Lorsque revient la nuit, qu'éprouvez-vous ?


                              Sentinelli.
                                                  J'ai peur.

                              Christine, se rapprochant.
C'est comme moi...

                              Sentinelli.
                    Je vis, silencieuse et sombre,
Une novice, un jour, passer ainsi qu'une ombre,
Je la suivis des yeux en me disant : « Voilà
Que du tombeau vengeur sort l'ombre de Paula !... »
La pauvre enfant ! son âge était si loin du nôtre...
S'il vivait, il serait de notre âge.

                              Christine.
                                        Qui ?...

                              Sentinelli.
                                                  L’autre !...
Maintenant qu'en nos coeurs, qui vont refroidissant,
Le feu des passions n'allume plus le sang,
Que de l'autre horizon nous regardons la vie,
Comme notre amitié de haine fut suivie,
Peut-être que, de nous le ciel ayant pitié,
A notre haine eût fait succéder l'amitié.
Peut-être, au lieu de deux que le hasard rassemble,
Dans ce même palais serions-nous trois ensemble :
A cette même place, où sans lui nous voilà ;
Vous, où vous êtes ; moi, comme je suis ;... lui, là !...
Lui, serrant votre main, et moi, serrant la sienne.

                              Christine.
O vous qui l'appelez, tremblez-vous pas qu'il vienne ?
Que son ombre levant la pierre des tombeaux... ?
          Avec effroi.
Sentinelli !

                              Sentinelli.
          Christine...

                              Christine, tombant sur la chaise.
                              Apportez des flambeaux...
Je me meurs...
Steinberg et Ebba entrent, portant des flambeaux.

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