Henri III et sa cour Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer


Scène 5

                              SCENE V
Henri, Catherine.

                              Henri.
Eh bien, ma mère, vous devez être contente, vos deux grands ennemis vont se détruire eux-mêmes, et vous devez m'en remercier ; car j'ai autorisé un combat que j'aurais pu empêcher.

                              Catherine.
Auriez-vous agi ainsi, mon fils, si vous eussiez su qu'une des conditions de ce combat serait de nommer un chef à la Ligue ?

                              Henri.
Non, sur mon âme, ma mère ; je comptais sur une diversion.

                              Catherine.
Et vous avez résolu ?...

                              Henri.
Rien encore, car les chances du combat sont incertaines... Si M. de Guise était tué,.. eh bien, on enterrerait la Ligue avec son chef ; s'il ne l'était pas,... alors je prierais Dieu de m'éclairer... Mais, en tout cas, ma résolution une fois prise, je vous en avertis, rien ne m'en fera changer... La vue de mon trône me donne de temps en temps des envies d'être roi, ma mère, et je suis dans un de ces moments-là.

                              Catherine.
Eh ! mon fils, qui plus que moi désire vous voir une volonté ferme et puissante ?...
Miron me recommande le repos. Et, plus que jamais, je désire n'avoir aucune part du fardeau de l'Etat.

                              Henri.
Si je ne m'abuse, ma mère, j'ai vu s'étendre aujourd'hui vers mon trône un bras bardé de fer qui avait volonté de me débarrasser d'une partie, si ce n'est du tout.
                              Catherine.
Et probablement vous lui accorderez ce qu'il demande, car ce chef que la Ligue exige par sa voix...

                              Henri.
Oui, oui, j'ai bien vu qu'il plaidait pour lui-même ; et peut-être, ma mère, m'épargnerais-je bien des tourments en m'abandonnant à lui... comme l'a fait mon frère François II, après la conjuration d'Amboise... Et cependant, je n'aime pas qu'on vienne me prier armé comme l'était mon cousin de Guise ; les genoux plient mal dans des cuissards d'acier.

                              Catherine.
Et jamais votre cousin de Guise n'a plié le genou devant vous, qu'il n'ait, en se relevant, emporté un morceau de votre manteau royal.

                              Henri.
Par la mort-Dieu ! il n'a jamais forcé notre volonté, cependant... Ce que nous lui avons accordé a toujours été de notre plein gré... et, cette fois encore, si nous le nommons chef de la Ligue, ce sera un devoir que nous lui imposerons comme son maître.

                              Catherine.
Tous ces devoirs le rapprochent du trône, mon fils !... et malheur... malheur à vous, s'il met jamais le pied sur le velours de la première marche !
                              Henri.
Ce que vous dites là, ma mère, l'appuieriez-vous sur quelques raisons ?

                              Catherine.
Cette Ligue, que vous allez autoriser, savez-vous quel est son but ?...

                              Henri.
De soutenir l'autel et le trône.

                              Catherine.
C'est du moins ce que dit votre cousin de Guise ; mais, du moment qu'un sujet se constitue, de sa propre autorité, défenseur de son roi, mon fils,...il n'est pas loin d'être un rebelle.

                              Henri.
M. le duc aurait-il de si coupables desseins ?

                              Catherine.
Les circonstances l'accusent du moins... Hélas ! mon fils, je ne puis plus veiller sur vous comme je le faisais autrefois, et cependant, peut-être aurai-je encore le bonheur de déjouer un grand complot.

                              Henri.
Un complot ! on conspirerait contre moi ?... Dites, dites, ma mère... Quel est ce papier ?...

                              Catherine.
Un agent du duc de Guise, l'avocat Jean David, est mort à Lyon... Son valet était un homme à moi ; tous ses papiers m'ont été envoyés, celui-ci en faisait partie.

                              Henri.
Voyons, ma mère, voyons...Après avoir jeté un coup d'oeil sur le papier. Comment ! un traité entre don Juan d'Autriche et le duc de Guise !... un traité par lequel ils s'engagent à s'aider mutuellement à monter, l'un sur le trône des Pays-Bas, l'autre sur le trône de France ! Sur le trône de France ? que comptaient-ils donc faire de moi, ma mère ?..

                              Catherine.
Voyez le dernier article de l'acte d'association des ligueurs, car le voici tel... non pas que vous le connaissez, mon cher Henri, mais tel qu'il a été présenté à la sanction du Saint-Père, qui a refusé de l'approuver.

                              Henri, lisant.
« Puis, quand le duc de Guise aura exterminé les huguenots, se sera rendu maître des principales villes du royaume, et que tout pliera sous la puissance de la Ligue, il fera faire le procès à Monsieur, comme à un fauteur manifeste des hérétiques, et, après avoir rasé le roi et l'avoir confiné dans un couvent.. » Dans un couvent !...ils veulent m'ensevelir dans un cloître !...

                              Catherine.
Oui, mon fils ; ils disent que c'est là que votre dernière couronne vous attend...

                              Henri.
Ma mère, est-ce que M. le duc l'oserait ?

                              Catherine.
Pépin a fondé une dynastie, mon fils : et qu'a donné Pépin à Childéric, en échange de son manteau royal ?...

                              Henri.
Un cilice, ma mère ; un cilice, je le sais ; mais les temps sont changés ; pour arriver au trône de France, il faut que la naissance y donne des droits.

                              Catherine.
Ne peut-on en supposer ?... Voyez cette généalogie.

                              Henri.
La maison de Lorraine remonterait à Charlemagne ? Cela n'est pas, vous savez bien que cela n'est pas.

                              Catherine.
Vous voyez que les mesures sont prises pour qu'on croie que cela est.

                              Henri.
Ah ! notre cousin de Guise, vous en voulez terriblement à notre belle couronne de France... Ma mère, ne pourrait-on pas le punir d'oser y prétendre sans notre permission ?


                              Catherine.
Je vous comprends, mon fils ; mais ce n'est pas le tout de couper, il faut recoudre.
                              Henri.
Mais il se bat demain avec Saint-Mégrin. Saint-Mégrin est brave et adroit.

                              Catherine.
Et croyez-vous que le duc de Guise soit moins brave et moins adroit que lui ?

                              Henri.
Ma mère, si nous faisions bénir l'épée de Saint-Mégrin...

                              Catherine.
Mon fils, si le duc de Guise fait bénir la sienne..

                              Henri.
Vous avez raison... Mais qui m'empêche de nommer Saint-Mégrin chef de la Ligue ?


                              Catherine.
Et qui voudra le reconnaître ? a-t-il un parti ?... Peut-être y aurait-il un moyen de tout conjurer, mon fils ; mais il faudrait de la résolution.

                              Henri, hésitant.
De la résolution !

                              Catherine.
Oui ; soyez roi, M. de Guise deviendra sujet soumis, sinon respectueux. Je le connais mieux que vous, Henri ; il n'est fort que parce que vous êtes faible ; sous son énergie apparente, il cache un caractère irrésolu... C'est un roseau peint en fer... Appuyez, il pliera.

                              Henri.
Oui, oui, il pliera. Mais quel est ce moyen ? Voyons !... faut-il les exiler tous deux ? Je suis prêt à signer leur exil.

                              Catherine.
Non ; peut-être ai-je un autre moyen... Mais jurez-moi qu'à l'avenir vous me consulterez avant eux sur tout ce que vous voudrez faire.
                              Henri.
N'est-ce que cela, ma mère ? Je vous le jure.

                              Catherine.
Mon fils, les serments prononcés devant l'autel sont plus agréables à Dieu.

                              Henri.
Et lient mieux les hommes, n'est-ce pas ? Eh bien, venez, ma mère, je m'abandonne entièrement à vous.

                              Catherine.
Oui, mon fils, passons dans votre oratoire.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente