Henri III et sa cour Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer


Scène 7

                              SCENE VII
Henri, Saint-Mégrin.

                              Henri.
Eh bien, Saint-Mégrin, j'ai profité, je l'espère, de tes conseils ; j'ai détrôné mon cousin de Guise, et me voilà roi des ligueurs, à sa place.

                              Saint-Mégrin.
Puissiez-vous ne pas vous en repentir, Sire ! mais cette idée n'est pas de vous. J'y ai reconnu...

                              Henri.
Eh bien, quoi ?... Parle...

                              Saint-Mégrin.
La politique cauteleuse de votre mère... Elle croit avoir tout gagné, lorsqu'elle a gagné du temps. Je me doutais qu'elle machinait quelque chose contre le duc de Guise... Je l'avais entendue, en lui parlant, l'appeler son ami. Quant à vous, sire, c'est à regret que je vous ai vu signer cet acte. Vous étiez roi, vous n'êtes plus qu'un chef de parti.
                              Henri.
Et que fallait-il donc faire ?

                              Saint-Mégrin.
Repousser la politique florentine, et agir franchement.

                              Henri.
De quelle manière ?

                              Saint-Mégrin.
En roi... Vive Dieu ! les preuves de la rébellion de M. le duc de Guise ne vous auraient pas manqué.

                              Henri.
Je les avais.

                              Saint-Mégrin.
Il fallait donc vous en servir et le faire juger.


                              Henri.
Les parlements sont pour lui.

                              Saint-Mégrin.
Il fallait imposer aux parlements la puissance de votre volonté. La Bastille a de bonnes murailles, de larges fossés, un gouverneur fidèle ; et M. de Guise, en s'y rendant, n'aurait eu qu'à suivre les traces des maréchaux de Montmorency et de Cossé.

                              Henri.
Mon ami, il n'y a pas de murailles assez solides pour enfermer un tel prisonnier... Je ne connais qu'un cercueil de plomb et un tombeau de marbre qui puissent m'en répondre... Mets-le seulement en état d'y entrer, Saint Mégrin,... et je me charge de faire fondre l'un et d'élever l'autre.

                              Saint-Mégrin.
Et, cela étant, sire, il sera puni, il est vrai, mais non pas comme il l'aura mérité.


                              Henri.
Peu m'importe la différence des moyens, quand le résultat est le même... J'espère, Saint-Mégrin, que tu n'as rien négligé pour te préparer à ce combat ?

                              Saint-Mégrin.
Non, sire ; mais je n'ai pas encore eu le temps d'accomplir mes devoirs religieux.

                              Henri.
Comment, tu n'en a pas eu le temps ?... As-tu donc oublié le duel de Jarnac et de la Chataigneraie ?... Il avait été fixé à quinze jours de celui du défi... Eh bien, ces quinze jours, Jarnac les a passés en prières, tandis que la Chataigneraie courait de plaisirs en plaisirs, sans penser autrement à Dieu... Aussi, Dieu l'a puni, Saint-Mégrin.

                              Saint-Mégrin.
Sire, mon intention est d'accomplir tous mes devoirs de chrétien ; mais, auparavant, il en est d'autres qui m'appellent... Permettez...


                              Henri.
Comment, d'autres ?

                              Saint-Mégrin.
Sire, ma vie est entre les mains de Dieu... et, s'il a décidé ma mort, sa volonté soit faite !

                              Henri.
Eh !... que dites-vous là ?... Votre existence vous appartient-elle, monsieur, pour en faire si peu de cas ?... Non, par la mort-Dieu ! elle est à nous qui sommes votre roi et votre ami. Quand il s'agira de vos affaires, vous vous laisserez tuer, si tel est votre bon plaisir ; mais, quand il s'agira des nôtres, monsieur le comte, nous vous prions d'y regarder à deux fois.

                              Saint-Mégrin.
Vrai Dieu ! sire, je ferai de mon mieux ; soyez tranquille.

                              Henri.
Tu feras de ton mieux ?... Ce n'est point assez : fais-lui jurer qu'il n'a ni plastron, ni talisman, ni armes cachées ; et, quand il l'aura fait, alors rappelle toute ta force, tout ton courage ; pousse vivement à lui.

                              Saint-Mégrin.
Oui, sire.

                              Henri.
Une fois délivré de lui, vois-tu, nous ne sommes plus deux en France, je suis vraiment roi,... vraiment libre... Ma mère va être fière du conseil qu'elle m'a donné ; car, tu avais raison, il vient d'elle, et il faudra que je le paye en obéissance...

                              Saint-Mégrin.
Sire, Dieu et mon épée me seront en aide.

                              Henri.
Ton épée, je veux en juger par moi-même... Il appelle. Du Halde ! apporte des épées émoussées.



                              Saint-Mégrin.
Sire, est-ce à une pareille heure, quand Votre Majesté doit avoir besoin de repos ?...

                              Henri.
Du repos !... du repos !... Ils sont tous à me parler de repos !.. Crois-tu qu'il dorme, lui ?... ou, s'il dort, que rêve-t-il ? Qu'il commande insolemment sur le trône de France, et que moi... moi, son roi... je prie humblement dans un cloître... Un roi ne dort pas, Saint-Mégrin. Appelant. Du Halde ! donne nous ces épées.

                              Saint-Mégrin, à part.
L'heure s'envole ; elle m'attend. Haut. Sire, il m'est impossible ; vous m'avez rappelé des devoirs sacrés, il faut que je les accomplisse.

                              Henri.
Eh bien, écoute, demain... L'heure sonne. Attends ; c'est minuit, je crois ?

                              Saint-Mégrin.
Oui, sire, c'est minuit.
                              Henri.
Chaque fois que sonne cette heure, je prie Dieu de bénir le jour où je vais entrer... Il faut que je te quitte ; mais viens me trouver demain avant le combat. Du Halde, porte ces épées dans ma chambre.

                              Saint-Mégrin.
J'irai, sire, j'irai.

                              Henri.
Bien ! je compte sur toi.

                              Saint-Mégrin.
Maintenant, je puis me retirer. Votre Majesté est satisfaite.

                              Henri.
Oui, le roi est si content, que l'ami veut faire quelque chose pour toi... Tiens, voici un talisman sur lequel Ruggieri a prononcé des charmes ; celui qui le porte ne peut mourir, ni par le fer, ni par le feu. Je te le prête ; tu me le rendras, au moins, après le combat ?

                              Saint-Mégrin.
Oui, sire...

                              Henri.
Adieu, Saint-Mégrin.

                              Saint-Mégrin.
Adieu, sire, adieu !...
                                                                      Le roi sort.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente