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Acte quatrième, onzième tableau


Une salle de l'hôtel de ville de Paris. Au fond, une galerie séparée de la salle par une large portière, échevins, Dames, Gens de la cour dans la galerie.

SCèNE PREMIèRE

TRéVILLE, JUSSAC.

TRéVILLE
Un mousquetaire à cette porte ! (Un Mousquetaire va prendre sa faction.) Un garde française à celle ci. (Un Garde se place.)

JUSSAC
Et maintenant, un garde de Son éminence à cette porte.

TRéVILLE
Plaît-il, monsieur ? que faites vous ?

JUSSAC
Monsieur, je place un de mes gardes ici.

TRéVILLE
Pardon, où sommes nous, monsieur, s'il vous plaît ?

JUSSAC
Mais à l'hôtel de ville, monsieur.

TRéVILLE
Et pour quoi faire ?

JUSSAC
Nous y sommes venus au bal, monsieur, à un fort beau bal que les échevins donnent au roi.

TRéVILLE
Et le roi y vient, n'est ce pas ?

JUSSAC
Certes, oui, monseigneur, puisque c'est à lui qu'on donne le bal.

TRéVILLE
Eh bien, monsieur, partout où le roi vient, le roi est chez lui, et, chez le roi, il n'y a d'autre garde que sa garde... C'est-à-dire les mousquetaires, les gardes françaises et les gardes suisses... Un garde suisse à la troisième porte.
(Un Suisse prend sa faction.)

JUSSAC
Monsieur, je me plaindrai à Son Eminence.

TRéVILLE
Comme il vous plaira, monsieur de Jussac.

SCèNE II

Les mêmes, ROCHEFORT.

ROCHEFORT, à Jussac.
Et Son Eminence vous donnera tort, monsieur, puisque M. de Tréville a raison. (A Tréville.) Monsieur, je suis votre humble serviteur.

TRéVILLE
Et moi le vôtre, monsieur de Rochefort.

ROCHEFORT
Belle fête, monsieur le capitaine ! belle assemblée ! Que de fleurs, que d'or et de buffets ! On a bien raison de dire: La bonne ville de Paris; ah ! c'est bien une ville de confitures !

TRéVILLE
Quelle est cette belle dame à qui l'on fait une entrée royale ?

ROCHEFORT
Madame la première présidente, monsieur, la maîtresse du logis, celle qui fera les honneurs à Sa Majesté la reine.

TRéVILLE
M. le cardinal viendra, je suppose ?

ROCHEFORT
Son éminence est invitée, monsieur.
(Rumeurs au loin.)

ATHOS, à Tréville.
Pardon, monsieur, la consigne ?

TRéVILLE
Ne laisser entrer dans cette salle que le roi, la reine, M. le cardinal et les grands officiers (montrant une porte latérale), et, dans ce cabinet où s'habillera la reine, personne que la reine et ses dames.

ATHOS
Bien !

TRéVILLE
Messieurs les gardes ! messieurs les mousquetaires voici le roi qui monte.
(Tambours éloignés, musique, acclamations.)

SCèNE III

Les mêmes, LE ROI, venant du fond; LE CARDINAL, entrant d'un autre côté, avec ROCHEFORT.

ROCHEFORT, au Cardinal.
Venez par ici, monseigneur.

LE CARDINAL
Combien avons nous de temps avant l'ouverture du ballet ?

ROCHEFORT
Le temps nécessaire pour que le roi et la reine prennent leur costume de danseurs.

LE CARDINAL
Et ils s'habilleront ici ?

ROCHEFORT
Le roi, dans son cabinet au bout de la galerie; la reine, dans cette chambre en face de Votre Eminence.

UN HUISSIER
Le roi.

LE ROI, au fond.
Messieurs les échevins de ma bonne ville de Paris, j'arrive un peu tard; excusez moi, c'est la faute de M. le cardinal, qui m'a retenu.

LE CARDINAL, à Rochefort.
C'est toujours ma faute !

ROCHEFORT
Pas pour cette fois, je crois...

LE ROI, inquiet.
Est ce que M. le cardinal n'est pas arrivé ?

LE CARDINAL
Sire, j'attendais le moment de présenter mes respects à Votre Majesté.

LE ROI
Ah ! monsieur le duc, je vous accusais pour m'excuser; le fait est, messieurs, que Son Eminence aime mieux le travail que le bal... A quelle heure commence le ballet, messieurs ?

UN éCHEVIN
Sitôt que Sa Majesté la reine sera arrivée, sire, et dès que Votre Majesté donnera ses ordres.

LE ROI
Mes ordres ? Oh ! vous êtes ici chez vous, messieurs. La reine doit être en chemin pour venir.

LE CARDINAL
Sa Majesté la reine va t elle mieux, sire ?

LE ROI
La reine est toujours malade quand on la croit en bonne santé, en bonne santé quand on la croit malade.

LE CARDINAL
Mais Sa Majesté vient au bal ?

LE ROI
J'y compte bien.

LE CARDINAL
Elle ne viendra pas.
(Bruit, acclamations.)

LE ROI
Ce doit être la reine.

UN HUISSIER
La reine !
(Mouvement.)

SCèNE IV

Les mêmes, ANNE D'AUTRICHE.

ANNE
Bonjour, messieurs, (Elle regarde autour d'elle.) Rien ! rien ! personne... Plus d'espoir!... Le cardinal !

LE ROI
Madame, je me suis excusé par le travail, moi; mais vous, quelle excuse aurez vous d'avoir tardé ?

LE CARDINAL
Madame ! (Il salue; à part.) Elle n'a pas les ferrets ! (Haut.) Madame peut donner une excuse bien naturelle: sa beauté, le soin de sa toilette, le temps qu'il a fallu pour lacer les manches avec ces ferrets.

ANNE
Implacable comme l'enfer !

LE ROI
Mais non... ils n'y sont pas ! Madame, pourquoi donc, s'il vous plaît, n'avez vous point vos ferrets de diamants, quand vous saviez qu'il m'eût été agréable de vous les voir ?

ANNE
Sire...

LE ROI
C'est moi qui vous ai fait ce cadeau, madame; je comptais vous en voir parée... Vous avez tort.

LE CARDINAL
On peut les envoyer chercher; où sont ils ?

LE ROI
Oui, où sont ils ?

ANNE
Mais au Louvre. (A part.) Un peu de temps, un peu de temps, mon Dieu ! (Haut.) Votre Majesté veut elle...?

LE ROI
Oui, je le veux ! car le ballet va commencer aussitôt que les danseurs seront habillés, aussitôt que vous serez prête vous même.

LE CARDINAL, à part
D'ici à ce temps là, elle prétextera un malaise, un évanouissement.

LE ROI
Envoyez vous au Louvre, madame ?

ANNE
Je vais envoyer; oui, sire.

LE CARDINAL
Et moi aussi.
(Il salue et sort.)

SCèNE V

Les mêmes, hors LE CARDINAL.

ANNE
Vous n'avez pas eu pitié de moi, mon Dieu ! je suis perdue.

TRéVILLE
Si je pouvais quelque chose pour le service de Votre Majesté.

ANNE
Vous ne pouvez rien, monsieur... rien.

TRéVILLE
Ah ! madame !

ANNE
Attendez!... connaissez vous... un garde, un jeune homme ?

TRéVILLE
Un jeune homme ?

ANNE
Qui s'appelle d'Artagnan.

TRéVILLE
Qui m'a demandé un congé ?

ANNE
Vous ne l'avez pas revu ? il n'est pas de retour ?

TRéVILLE
Non, madame. Athos, vous n'avez pas revu M. d'Artagnan ?

ATHOS
M. d'Artagnan ?... Non.

ANNE
C'est fini!... c'est fini !

UNE CAMéRISTE
Le service de Sa Majesté.
(La Reine se dirige vers la droite, les Dames la suivent.)

SCèNE VI

Les mêmes, ROCHEFORT

ROCHEFORT, au fond.
Messieurs, messieurs, un homme vient de monter par le petit escalier; il a forcé le poste, renversé les factionnaires... On lui a crié de s'arrêter, il a poursuivi son chemin... Alarme ! alarme !

TRéVILLE
Un homme ?

ATHOS
Un homme ? Nous le verrons.

SCèNE VII

Les mêmes, D'ARTAGNAN, couvert de sueur et de poussière.

D'ARTAGNAN, entrant, bas, à un Garde.
Camarade... camarade, votre mousquet !

ATHOS
D'Artagnan !

TRéVILLE
D'Artagnan !

LA REINE, s'arrêtant sur le seuil du cabinet.
D'Artagnan !... Mon Dieu ! mon Dieu !

ROCHEFORT
Mon Gascon!... Ah ! C'est vous qui renversez les sentinelles ?

D'ARTAGNAN
Mon voleur!... Moi ! quelles sentinelles ? Je n'ai rien renversé du tout.

ROCHEFORT
Alors, que faites vous ici ?

D'ARTAGNAN
C'est mon tour de faction, je prends mon tour.

ROCHEFORT
En cet état ? poudreux, ruisselant de sueur ? Nous allons voir si c'est une tenue de bal !

LA REINE, bas, à Tréville.
Oh ! monsieur de Tréville !

TRéVILLE, à Rochefort.
Monsieur, de quoi vous mêlez vous ? M. d'Artagnan est il des vôtres ?

ROCHEFORT
Non; mais...

TRéVILLE
Il me plaît, à moi, qu'un garde de Sa Majesté soit couvert de poussière et de sueur, quand il a couru pour le roi. Je crois que c'est moi qui commande ici !

ROCHEFORT
C'est bien, monsieur, c'est bien. (A part.) Oh ! Gascon maudit !
(Il regarde d'Artagnan.)

ATHOS, à Rochefort
Eh bien, quoi ?

D'ARTAGNAN
Laissez donc, Athos, j'ai un compte ouvert avec monsieur.

TRéVILLE
Votre poste est ici, d'Artagnan.

D'ARTAGNAN, bas, à Tréville.
Il va tout conter au cardinal.

TRéVILLE
Je vous accompagne, monsieur de Rochefort.
(Il l'emmène.)

SCèNE VIII

Les mêmes, hors TRéVILLE et ROCHEFORT.

ANNE
Eh bien ?

D'ARTAGNAN
Voici le coffret, madame.

ANNE
Ah ! je suis sauvée!... mes ferrets!... Merci ! merci!... Un poignard!... Ciel ! il y a du sang sur ce poignard,

D'ARTAGNAN
Le sang de Georges Villiers, duc de Buckingham, qui m'a chargé de vous dire, en mourant...

ANNE
Il est mort ?

D'ARTAGNAN
En prononçant le nom de Votre Majesté.

ANNE
Georges ! que c'est cher, l'amour d'une reine !

UN HUISSIER, dans la coulisse.
Le roi!...

ANNE
Les ferrets... vite!... Estefana, gardez-moi ce coffre !


SCèNE IX

Les mêmes, LE ROI, LE CARDINAL, TRéVILLE, ROCHEFORT.

LE ROI
Eh bien, madame, est on revenu du Louvre ?

LE CARDINAL
On n'y a même pas été.

LE ROI
Vous êtes prête, madame ?

ANNE
Aux ordres de Votre Majesté.

LE CARDINAL, stupéfait.
Les ferrets !

LE ROI
Ah ! vous avez les ferrets ? Merci. Que vouliez vous donc me dire, monsieur le cardinal, au sujet de ces ferrets ?

LE CARDINAL
Rien, sire, rien. (A part.) Comment lui sont ils revenus ?

ROCHEFORT
Regardez la poussière qui couvre les habits de ce garde... derrière moi, monseigneur.

LE CARDINAL
Ah ! c'est bien... Venez.

LE ROI, à Tréville
Le cardinal est tout pâle; savez vous pourquoi ?

TRéVILLE
Je crois que oui, sire; c'est une espièglerie de la reine. Votre Majesté veut elle le savoir ?

LE ROI
Ah ! dites !

ANNE, à d'Artagnan.
Comment remercier mon sauveur... mon héros, mon ami ?

D'ARTAGNAN
D'un seul mot, madame: Constance a disparu; où est Constance ?

ANNE
Pour la soustraire à la vengeance du cardinal, je l'ai envoyée aux Carmélites de Béthune.

D'ARTAGNAN
Merci, je suis payé.

ANNE
Ah ! pas encore.

LE ROI, à Tréville.
De sorte que le cardinal a été attrapé et qu'il enrage ? C'est fort réjouissant. (A la Reine.) J'espère que vous me pardonnerez la plaisanterie des ferrets, n'est ce pas ?

ANNE, à part.
La plaisanterie ! (Haut.) Oui, sire.

LE ROI
Venez vous, madame ? Le ballet commence, l'air en est joyeux.

ANNE, appuyant la main sur son cœur,
Très joyeux, oui, sire.
(Elle étouffe un sanglot et tend la main au Roi.)

D'ARTAGNAN
Le mort est plus heureux !

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