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Acte cinquième, douzième tableau


Une chambre dans le couvent des Carmélites, à Béthune

SCèNE PREMIèRE

ROCHEFORT, LA SUPéRIEURE.

LA SUPéRIEURE
Vous avez fait demander la supérieure du couvent des Carmélites de Béthune, monsieur; me voici.

ROCHEFORT
En effet, madame, j'ai à vous demander un renseignement.

LA SUPéRIEURE
Faites, monsieur.

ROCHEFORT
Une femme de vingt quatre à vingt cinq ans, arrivant par la mute de Boulogne, ne s'est elle pas arrêtée dans votre couvent ?

LA SUPéRIEURE
Mais, monsieur, je ne sais si je dois répondre à une pareille question.

ROCHEFORT, tirant un papier de sa poche.
Ordre du cardinal.

LA SUPéRIEURE
J'obéis... Interrogez, monsieur.

ROCHEFORT
Avez vous reçu, oui ou non, madame, au couvent des Carmélites de Béthune, une femme de vingt quatre à vingt cinq ans, arrivant par la route de Boulogne ?

LA SUPéRIEURE
Oui, monsieur.

ROCHEFORT
Quand cela ?

LA SUPéRIEURE
Hier.

ROCHEFORT
Faites la prévenir qu'un messager de Son Eminence veut lui parler.

LA SUPéRIEURE
Dans un instant, elle sera près de vous, monsieur.

ROCHEFORT
Merci.

SCèNE II

ROCHEFORT, puis MILADY.

ROCHEFORT
Quel diable d'intérêt a t elle à venir s'enfermer dans ce couvent de Béthune ? Sans doute pour être près de là frontière; c'est une lemme prudente que Milady de Winter.

MILADY
Ah ! c'est vous, comte ? Eh bien, qu'a dit le cardinal de la mort de Buckingham ?

ROCHEFORT
Oh ! il en est désespéré, comme chrétien; il est vrai que, comme politique, il ne peut pas s'empêcher de dire que c'est un grand bonheur.

MILADY
Et qu'ordonne t il à mon égard ?

ROCHEFORT
Il approuve votre projet, et m'envoie vers vous, pensant que vous aurez bien des choses à me dire, que vous ne voudriez pas confier au papier.

MILADY
Et il a raison.

ROCHEFORT
Eh bien, dites...

MILADY
La première, c'est que, comme je m'y attendais, j'ai retrouvé dans ce couvent la petite Bonacieux.

ROCHEFORT
Vous vous êtes bien gardée de vous montrer à elle, je suppose ?

MILADY
Elle ne me connaît pas.

ROCHEFORT
En ce cas, vous devez déjà être sa meilleure amie ?

MILADY
Justement.

ROCHEFORT
Et comment vous y êtes vous prise ?

MILADY
Je me suis présentée ici comme une victime du cardinal.

ROCHEFORT
Et la conformité de position...

MILADY
Vous comprenez.

ROCHEFORT
Si je comprends, je crois bien !

MILADY
Au reste, votre visite va faire merveille.

ROCHEFORT
En quoi ?

MILADY
En ce que vous allez dire que vous avez découvert ma retraite et qu'on me viendra chercher demain ou après demain; j'ai des raisons pour ne pas rester à Béthune.

ROCHEFORT
Diable ! mais où vous retrouverai je, si j'ai besoin de vous ?

MILADY
Attendez... à Armentières.

ROCHEFORT
Bien ! Vous n'avez pas autre chose à faire dire au cardinal ?

MILADY
Dîtes lui que notre conversation du Colombier rouge avait été entendue par trois mousquetaires du roi; qu'après son départ, un de ces trois hommes, nommé Athos, est monté près de moi et m'a arraché le sauf conduit qu'il m'avait donné; que ces mousquetaires sont à craindre, puisqu'ils savent notre secret et qu'il faut s'en débarrasser.

ROCHEFORT
Ces trois hommes ne sont ils pas les amis de notre Gascon ?

MILADY
Les inséparables.

ROCHEFORT
Alors ce sont ceux que j'ai rencontrés à dix lieues d'ici, faisant halte dans une auberge.

MILADY
Que viennent ils faire de ce côté ?

ROCHEFORT
N'avez vous pas dit que l'un d'eux est l'amant de la petite Bonacieux ?

MILADY
C'est d'Artagnan.

ROCHEFORT
Eh bien, sans doute, ils viennent la chercher.

MILADY
La chercher ?

ROCHEFORT
Oui, après le service que d'Artagnan a rendu à la reine, la reine n'aura rien eu à lui refuser.

MILADY
Vous avez raison, Rochefort; ce n'est point à Paris, qu'il faut que vous retourniez, c'est à Lille que vous allez m'attendre.

ROCHEFORT
Vous attendre ?

MILADY
Croyez vous que M. le cardinal ne serait pas bien aise d'avoir la petite Bonacieux sous sa main ?

ROCHEFORT
Oui; mais les Carmélites de Béthune sont sous la protection de la reine.

MILADY
Et si je conduis la petite à Lille ?

ROCHEFORT
Oh ! ceci, c'est autre chose.

MILADY
Alors, ce n'est pas demain, ce n'est pas après demain qu'il faut que je parte, c'est aujourd'hui même.

ROCHEFORT
En effet, nos hommes peuvent arriver d'un moment à l'autre.

MILADY
Vous avez une chaise de poste et un domestique ?

ROCHEFORT
Oui.

MILADY
Mettez les à ma disposition.

ROCHEFORT
Et moi ?

MILADY
Vous vous en irez à cheval, de manière à me précéder à l'hôtel de l'Ours noir.

ROCHEFORT
C'est là qu'il faut vous attendre ?

MILADY
Oui.

ROCHEFORT
A Lille, à l'hôtel de l'Ours noir ?

MILADY
A Lille, à l'hôtel de l'Ours noir.
(Il sort.)

SCèNE III

MILADY, puis MADAME BONACIEUX.

MILADY
Est ce pour elle, est ce contre moi que ces quatre hommes sont en campagne ?... Je n'en sais rien; mais, en tout cas, ils ne trouveront ni elle ni moi... Voyons, passons chez elle, et tâchons de bien jouer notre rôle de femme persécutée... Ah ! la voici.

MADAME BONACIEUX
Eh bien, ce que vous craigniez est donc arrivé, madame ?
Ce soir, peut être même auparavant, le cardinal vous envoie prendre !

MILADY
Qui vous a dit cela, ma chère et belle enfant ?

MADAME BONACIEUX
Mais je l'ai entendu de la bouche même du messager.

MILADY
Venez vous asseoir, ici, près de moi.

MADAME BONACIEUX
Me voici.

MILADY
Attendez que je m'assure si personne ne nous écoute.

MADAME BONACIEUX
Pourquoi toutes ces précautions ?

MILADY
Vous allez le savoir. (Revenant s'asseoir.) Alors, il a bien joué son rôle ?

MADAME BONACIEUX
Qui cela ?

MILADY
Celui qui s'est présenté à la supérieure, au nom du cardinal.

MADAME BONACIEUX
Comment ! cet homme n'est donc pas...?

MILADY
Cet homme est mon frère.

MADAME BONACIEUX
Votre frère ?

MILADY
Chut ! il n'y a que vous qui sachiez ce secret, mon enfant; ne le confiez à personne au monde, ou je serais perdue, et vous aussi peut être.

MADAME BONACIEUX
Mon Dieu !

MILADY
écoutez, voici ce qui s'est passé: mon frère, qui savait que j'étais en hutte à la vengeance du cardinal, venait ici pour me servir de défenseur, quand il a rencontré l'émissaire du cardinal qui venait me chercher; il l'a suivi, a mis l'épée à la main en sommant le messager de lui remettre les papiers dont il était porteur; le messager a voulu se défendre, mon frère l'a tué.

MADAME BONACIEUX
Oh !

MILADY
Alors, mon frère a pris les papiers, s'est présenté ici comme l'envoyé du cardinal, et, dans une heure, une voiture doit venir me prendre de la part de Son Eminence,

MADAME BONACIEUX
Alors, nous allons nous quitter ?

MILADY
Attendez... Il me reste à vous apprendre une nouvelle qui répondra à cette question.

MADAME BONACIEUX
Laquelle ?

MILADY
Mon frère a, en outre, découvert un complot contre vous !

MADAME BONACIEUX
Contre moi ?

MILADY
Oui; le cardinal veut vous faire prendre.

MADAME BONACIEUX
Oh ! dans ce couvent, placé sous la protection immédiate de la reine, il n'oserait employer la violence.

MILADY
Non, mais la ruse.

MADAME BONACIEUX
La ruse ?

MILADY
Quatre émissaires du cardinal sont en route à votre intention.

MADAME BONACIEUX
Que me dites vous ?

MILADY
Déguisés en mousquetaires.

MADAME BONACIEUX
En mousquetaires ?

MILADY
Pendant que vous étiez au service de la reine, n'avez vous pas connu un jeune garde, ou un jeune mousquetaire, M. d'Artagnan ?

MADAME BONACIEUX
Oui, sans doute; eh bien ?

MILADY
Ils doivent vous faire demander à la porte du couvent, au nom de M. d'Artagnan, et, quand vous aurez franchi le seuil du couvent, ils vous enlèveront.

MADAME BONACIEUX
Oh!... Que me conseillez vous de faire ?

MILADY
Il y aurait un moyen bien simple.

MADAME BONACIEUX
Lequel ?

MILADY
Ce serait de vous cacher dans les environs et de s'assurer ainsi quels sont les hommes qui viennent vous chercher.

MADAME BONACIEUX
Mais je suis reçue ici sur un ordre de la reine, on ne me laissera pas partir.

MILADY
Oh ! la belle difficulté !

MADAME BONACIEUX
Comment ?

MILADY
La voiture est à la porte, vous me dites adieu, vous montez sur le marchepied pour me serrer une dernière fois dans vos bras, le domestique de mon frère qui vient me prendre est prévenu, il fait un signe au postillon et nous partons au galop.

MADAME BONACIEUX
Oui, oui, vous avez raison; ainsi tout va bien, tout est pour le mieux... Mais ne nous éloignons pas d'ici...

MILADY
Oui, je comprends.

MADAME BONACIEUX
Si c'étaient d'Artagnan et ses amis... par hasard ?

MILADY
Pauvre petite ! (Approchant une table servie.) Vous excusez ?

MADAME BONACIEUX
Oh ! je vous prie...

MILADY
Vous comprenez, la voiture peut arriver d'un moment à l'autre.

MADAME BONACIEUX
Oh ! comme je tremble !

MILADY, trempant un biscuit dans un verre de vin d'Espagne.
Folle!... Oh ! entendez vous ?

MADAME BONACIEUX
Quoi ?

MILADY
C'est la chaise de poste que mon frère m'envoie.

MADAME BONACIEUX
On sonne à la porte du couvent.

MILADY
Montez dans votre chambre... Avez vous quelques bijoux que vous vouliez emporter ?

MADAME BONACIEUX
J'ai deux lettres de lui !

MILADY
Eh bien, allez les chercher et venez me rejoindre.

MADAME BONACIEUX
Mon cœur m'étouffe, je ne puis marcher.

MILADY
Vous aimez ce M. d'Artagnan ?

MADAME BONACIEUX
Oh ! de toute mon âme.

MILADY
Eh bien, songez qu'en fuyant, vous vous conservez à lui.

MADAME BONACIEUX
Ah ! vous me rendez mon courage... (La porte s'ouvre, un domestique paraît) Qui va là ?

MILADY
Ne craignez rien, c'est le valet de chambre de mon frère... Allez.

MADAME BONACIEUX
J'y vais.

SCèNE IV

MILADY, LE DOMESTIQUE.

LE DOMESTIQUE
Les ordres de Milady ?

MILADY
Aussitôt que cette jeune femme qui vient de sortir sera près de moi dans la voiture, vous partirez au galop dans la direction de Lille.

LE DOMESTIQUE
Est ce tout ?

MILADY
Attendez... Si, pendant nos préparatifs de départ, vous voyez apparaître trois ou quatre cavaliers, fouettez les chevaux, faites tourner la voiture autour du couvent, et allez nous attendre à la porte du jardin. C'est tout... Allez...
(Le Domestique sort.)

SCèNE V

MILADY, à la fenêtre, puis MADAME BONACIEUX.

MILADY
Il m'avait semblé... Non, rien.

MADAME BONACIEUX
Me voilà...

MILADY
Eh bien, tout est prêt, chère enfant; la supérieure ne se doute de rien... Cet homme va donner les derniers ordres. Voulez vous faire comme moi, manger un biscuit et boire un verre de vin ?

MADAME BONACIEUX
Non, merci, je n'ai besoin de rien.

MILADY
Alors, ne perdons pas un instant... ! Partons !

MADAME BONACIEUX, irrésolue.
Oui, partons !

MILADY
Voyez, tout nous seconde, voilà la nuit qui vient.

MADAME BONACIEUX
Oh ! quel est ce bruit ?

MILADY
En effet...

MADAME BONACIEUX
On dirait le galop de plusieurs chevaux.

MILADY
Ce sont nos amis ou nos ennemis; restez où vous êtes... je vais vous le dire.

MADAME BONACIEUX, chancelant.
Oh ! mon Dieu ! mon Dieu !

MILADY
C'est l'uniforme des gardes de M. de le cardinal... Pas un instant à perdre... Fuyons ! fuyons!...

MADAME BONACIEUX
Oui, oui.

MILADY
Venez donc; mais venez donc !
(On entend la voiture qui s'éloigne.)

MADAME BONACIEUX
Il est trop tard !
(On entend les cris « Arrêtez, arrêtez ! » puis deux ou trois coups de feu.)

MILADY
Non; nous pouvons fuir par la porte du jardin; venez, venez !... (Madame Bonacieux tombe sur ses genoux.) Oh ! elle va me perdre!... Venez!... C'est elle qui m'y force. (Elle va à la table, vide le chaton de sa bague dans le verre, le prend et revient à madame Bonacieux.) Buvez, cela vous donnera des forces, buvez. (Madame Bonacieux boit machinalement. Milady, à part.) Ce n'est pas ainsi que j'aurais voulu me venger... On fait ce qu'on peut !
(Elle s'élance dans l'appartement.)

MADAME BONACIEUX, se relevant.
Attendez, me voilà...

D'ARTAGNAN, dans la rue.
Ordre de la reine...

MADAME BONACIEUX, vivement.
Sa voix, c'est sa voix ! (Courant à la porte.) D'Artagnan ! d'Artagnan ! par ici ! est ce vous, mon Dieu ?

D'ARTAGNAN
Constance ! Constance ! où êtes vous ?

SCèNE VI

MADAME BONACIEUX. D'ARTAGNAN, ATHOS, PORTHOS,

ARAMIS, puis LA SUPéRIEURE.

MADAME BONACIEUX
Ah ! d'Artagnan, je ne l'espérais pas, c'est donc vous !

ARTAGNAN
Oui, oui, c'est moi !

MADAME BONACIEUX
Ah ! que j'ai bien fait de ne pas fuir avec elle !

D'ARTAGNAN
Avec elle ?

ATHOS
Qui, elle ?

MADAME BONACIEUX
Mais cette femme, celle qui, par intérêt pour moi, voulait m'emmener, celle qui vous prenait pour des gardes du cardinal et qui vient de s'enfuir.

D'ARTAGNAN
Celle qui vient de s'enfuir ! que dites vous ? Mon Dieu ! une femme vient de s'enfuir ?

MADAME BONACIEUX
Qu'ai je donc ?... Ma tête se trouble, je n'y vois plus.

D'ARTAGNAN
A moi ! Ses mains sont froides, elle se trouve mal ! Mon Dieu ! elle perd connaissance.

ATHOS, examinant le verre dans lequel Milady a vidé la bague.
Oh ! non ! c'est impossible, Dieu ne permettrait pas un pareil crime.

MADAME BONACIEUX
De l'eau !

D'ARTAGNAN
De l'eau ! de l'eau !

PORTHOS et ARAMIS
De l'eau ! un médecin !

ATHOS
Ah ! pauvre femme ! pauvre femme !

D'ARTAGNAN
La voilà qui revient à elle.

ATHOS
Madame, au nom du ciel, qui a bu dans ce verre ?

MADAME BONACIEUX
Moi.

ATHOS
Mais qui a versé le vin qui y était ?

MADAME BONACIEUX
Elle !

ATHOS
La comtesse de Winter, n'est ce pas ?

TOUS
Oh !

D'ARTAGNAN, saisissant la main d'Athos.
Comment, tu crois...?

ATHOS
Elle savait la retraite de cette femme par le cardinal, et elle est venue.

MADAME BONACIEUX
D'Artagnan ! d'Artagnan ! ne me quittez pas, vous voyez bien que je vais mourir.

D'ARTAGNAN
Au nom du ciel ! courez, appelez, demandez du secours.

ATHOS
Inutile ! Au poison qu'elle verse, il n'y a pas de contrepoison.

MADAME BONACIEUX
Au secours ! (Se raidissant.) Ah ! (Se jetant au cou de d'Artagnan.) Je t'aime !
(Elle meurt. Porthos éclate en sanglots.)

D'ARTAGNAN
Morte ! morte !

ARAMIS
Vengeance !

ATHOS
Mon Dieu, ayez pitié de nous !

D'ARTAGNAN, tombant près d'elle,
Morte ! morte !

SCèNE VII
Les mêmes, DE WINTER.

DE WINTER
Je ne m'étais pas trompé, voici M. d'Artagnan et ses trois amis.

TOUS, moins d'Artagnan.
Quel est cet homme ?

DE WINTER
Messieurs, vous êtes, comme moi, à la poursuite d'une femme, n'est ce pas ?

ATHOS
Oui.

DE WINTER
D'une femme qui a dû passer par ici, puisque voilà un cadavre.

ATHOS
Qui êtes vous ?

DE WINTER
Je suis lord de Winter, le beau frère de cette femme.

ATHOS
Ah ! c'est vrai, je vous reconnais maintenant; vous êtes le bienvenu, milord... Soyez des nôtres!... Mais comment..

DE WINTER
Je suis parti cinq heures après elle de Portsmouth; je suis arrivé trois heures après elle à Boulogne; je l'ai manquée de cinq minutes à Saint Orner; enfin, à Lillers, j'ai perdu sa trace; j'allais au hasard, m'informant à tout le monde quand je vous ai vus passer au galop. J'ai voulu vous suivre; mais mon cheval était trop fatigué pour aller du même train que les vôtres et, cependant, malgré la diligence que vous avez faite, vous êtes arrivés trop tard.

ATHOS, à la Supérieure.
Madame, nous abandonnons à vos soins pieux le corps de cette malheureuse femme; ce fut un ange sur la terre avant d'être un ange au ciel. Traitez la comme une de vos sœurs; nous reviendrons un jour pleurer sur sa tombe.

D'ARTAGNAN, baisant au front madame Bonacieux.
Constance !... Constance!...

ATHOS
Pleure ! pleure ! cœur plein d'amour, de jeunesse et de vie, pleure ! je voudrais bien pleurer comme toi.

D'ARTAGNAN
Maintenant, voyons, ne poursuivons nous pas cette femme ?

ATHOS
Oui, tout à l'heure; j'ai une dernière mesure à prendre.

D'ARTAGNAN
Oh ! elle nous échappera, Athos, et ce sera ta faute.

ATHOS
Je réponds d'elle.

DE WINTER
Mais il semble, messieurs, que, s'il y a quelque mesure à prendre contre la comtesse de Winter, cela me regarde.

ATHOS
Pourquoi ?

DE WINTER
C'est ma belle sœur.

ATHOS
Et moi, messieurs, c'est ma femme !

TOUS, moins d'Artagnan.
Sa femme ?

D'ARTAGNAN
Oh ! du moment que tu avoues qu'elle est ta femme, c'est que tu es sûr qu'elle mourra... Merci !

ATHOS
Tenez vous prêts à me suivre... Dans dix minutes, je suis ici.

D'ARTAGNAN
Et nous partons ?

ATHOS
Oui; mais il nous manque un compagnon de route.et je vais le chercher.

SCèNE VIII
Les mêmes, UN HOMME MASQUE, apparaissant à la porte

L'HOMME
Un meurtre ?... Elle était ici !

ATHOS
Que voulez vous ?

L'HOMME
Je cherche une femme qui doit être arrivée hier et que j'ai cru reconnaître comme elle passait devant ma maison.

ATHOS
Cette femme est partie.

L'HOMME, faisant un mouvement pour s'éloigner.
C'est bien.
(Porthos et Aramis sont devant la porte.)

ATHOS
Que lui voulez vous ?

L'HOMME
Cela ne regarde que moi.

ATHOS
Pardon, monsieur; mais, comme cette femme vient de commettre un crime, il est bon que nous nous assurions de ceux qu'elle connaît et qui la connaissent; la connaissez-vous ?

L'HOMME
Oui.

ATHOS
Alors vous me direz qui vous êtes.

L'HOMME
Vous le voulez ?

ATHOS
Absolument.

L'HOMME
Soit, approchez vous.
(Il lui parle bas à l'oreille.)

ATHOS
Oh ! alors, soyez le bienvenu.

L'HOMME
Comment cela ?

ATHOS
Vous allez nous accompagner.

L'HOMME
Impossible.

ATHOS
Et pourquoi ?

L'HOMME
Je ne puis quitter la ville qu'avec un congé ou un ordre.

ATHOS
Eh bien, voici un ordre.

L'HOMME
Signé: Richelieu ?

ATHOS
Oui.

L'HOMME
Commandez, j'obéis.

ATHOS, à d'Artagnan.
Ami, sois homme... Les femmes pleurent les morts ! les hommes les vengent. Viens !

D'ARTAGNAN
Et ce compagnon de route qui te manquait ?

ATHOS
Je l'ai trouvé.

D'ARTAGNAN
Alors, rien ne s'oppose plus à ce que nous poursuivions cette femme ?

ATHOS
Rien.

D'ARTAGNAN, embrassant une dernière fois madame Bonacieux.
Partons !

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