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Chapitre XXXIV
Le golfe de Baïa

Agrippine emporta ce qu'elle était venue demander à l'empoisonneuse Locuste : c'était une espèce de pâte qu'on pouvait parfaitement délayer dans une sauce. Le lendemain, on servit à l'empereur Claude des champignons farcis ; Claude adorait les champignons, il dévora le plat tout entier. Il n'y avait rien d'étonnant que Claude mourut d'indigestion après avoir avalé à lui seul un plat de champignons qui eût pu suffire à six personnes. Mais Claude ne mourait pas ; Claude sentait une grande pesanteur à l'estomac. Il fit venir son médecin, un médecin grec fort habile, ma foi, nommé Xénophon. Ce médecin lui ordonna d'ouvrir la bouche et lui frotta la gorge avec les barbes d'une plume empoisonnée. Claude mourut.
On annonça à Rome que Claude allait mieux.
Après avoir fait de Claude un Dieu, il fallait faire de Néron un empereur. Voici ce que c'était que Néron : c'était, à cette époque, un enfant de quinze ans, né, au dire de Pline, les pieds en avant, ce qui était un signe de malheur ; mais, signe de malheur plus certain encore, né de Domitius et d'Agrippine : c'était l'avis de son père lui-même. Comme on le félicitait de la naissance du jeune Lucius et que les courtisans voyaient d'avance en lui d'heureuses destinées pour le monde : « Vous êtes bien aimables, dit Domitius, mais je doute fort qu'il puisse naître quelque chose de bon d'Agrippine et de moi. »
Domitius ne s'était pas trompé : c'était un terrible enfant que ce jeune Néron. L'éducation ne lui avait pas manqué : au contraire, il avait près de lui Sénèque, qui lui avait appris le grec et le latin ; Burrhus, qui lui avait appris la tactique militaire et l'escrime. Il chantait comme l'histrion Diodore, dansait comme le mime Pâris, conduisait un char comme Apollon. Aussi avait-il, avant toute chose, la prétention d'être artiste. Néron chanteur, Néron danseur, Néron cocher d'abord, Néron empereur ensuite.
Cela n'empêcha pas qu'il n'accueillît avec une grande joie la mort de Claude et qu'il ne fît tout ce qu'il fallait pour souffler le monde à son cousin Britannicus. Il est vrai que pour cela il n'avait pas grand-chose à faire, il n'avait qu'à laisser agir Agrippine ; il se contenta, quand il apprit que le dernier plat qu'avait mangé Claude était un plat de champignons, de dire que les champignons étaient le mets des dieux. Le mot n'était pas tendre pour son père adoptif, mais il était joli ; il fit fortune.
Cependant Néron n'était pas monté sur le trône pour faire des mots : il avait près de lui Narcisse et Tigellus, qui le poussaient à faire autre chose. Puis les passions commençaient à fermenter dans cette jeune tête, car pour son coeur elles n'en approchèrent jamais. Il avait des amours cachées pour lesquelles Sénèque, son précepteur, lui prêtait le nom d'un de ses beaux- frères. Agrippine le sut, et cela lui donna fort à penser. Elle commençait à comprendre que la lutte serait plus opiniâtre qu'elle ne s'y était attendue d'abord ; elle voulait effrayer Néron par un jeu de bascule, elle se retourna vers Britannicus.
Alors ce fut Néron qui sortit un soir du Palatin. Avec qui ? on ne sait pas ; avec son ami Othon, peut-être, ce futur empereur de Rome, avec lequel, dans ses orgies nocturnes, Néron allait frapper aux portes et battre les passants. Et, à son tour, il se rendit chez Locuste. Il trouva la pauvre femme toute tremblante : l'avis lui avait été donné qu'elle devait être arrêtée le lendemain. On commençait à la soupçonner de vendre du poison ; et à qui ce soupçon était-il venu ? A Agrippine !
Néron la rassura et lui promit sa protection ; mais à la condition qu'elle lui donnerait une eau qui tuerait à l'instant même.
La nuit se passa à faire bouillir des herbes ; le matin, on eut deux petites fioles d'eau claire et limpide comme de l'eau de roche. Locuste proposa d'en faire l'essai sur un esclave, mais Néron fit observer qu'un homme n'avait pas la vie assez dure, et qu'il fallait chercher quelque animal de résistance. Un sanglier barbotait dans la cour : Locuste le montra à Néron. On versa une des deux fioles dans une assiette pleine de son, et l'on fit manger ce son au sanglier qui mourut comme s'il était frappé de la foudre.
Néron rentra au palais. Il mangeait ordinairement dans la même chambre que Britannicus, mais non à la même table. Chacun des deux jeunes gens avait un dégustateur qui buvait avant eux de chaque liqueur qu'on leur offrait, qui mangeait avant eux de chaque plat qui leur était servi. Britannicus buvait tiède ; il était un peu souffrant. Son dégustateur, après en avoir bu le tiers à peu près, lui présenta à dessein une boisson que le jeune homme trouva trop chaude. « Remettez-moi de l'eau froide là-dedans, » dit Britannicus en tendant son verre. On lui versa l'eau préparée par Locuste. Britannicus but sans défiance. Son dégustateur ne venait-il pas de boire devant lui ? Mais à peine avait-il bu qu'il poussa un cri et tomba à la renverse.
Agrippine jeta un coup d'oeil rapide sur Néron, en même temps que Néron, de son côté, jetait un coup d'oeil sur elle : ces deux regards se croisèrent comme deux glaives. La mère et le fils n'avaient plus rien à s'apprendre, la mère et le fils n'avaient plus rien à se reprocher ; la mère et le fils étaient dignes l'un de l'autre.
Maintenant tout était dans cette question : Serait-ce la mère qui oserait tuer le fils ? Serait-ce le fils qui oserait tuer la mère ?
Ni l'un ni l'autre ne l'eût osé peut-être si une troisième femme ne fût venue se mêler à cette haine.
Cette femme, c'était Sabina Poppea, la plus belle femme de Rome depuis qu'Agrippine avait fait tuer Lollia Paulina ; et avec cela coquette, comme si elle eût eu besoin de coquetterie ; ne sortant jamais sans voile, ne levant jamais son voile qu'à demi, et, lorsqu'elle quittait Rome pour aller à Tivoli ou Baïa, se faisant suivre par un troupeau de quatre cents ânesses, lesquelles lui fournissaient les trois bains de lait qu'elle prenait chaque jour.
Sabina Poppea avait eu ce que nous appellerions, nous autres, une jeunesse orageuse. Othon la trouva momentanément mariée, dit Tacite, à un chevalier romain nommé Rufius Crispinius ; Othon l'enleva à ce mari provisoire, la fit divorcer et l'épousa. Othon, nous l'avons dit, était le camarade de Néron. Celui-ci, en allant chez Othon, vit sa femme ; alors il envoya Othon en Espagne. Othon partit sans regimber : il connaissait son ami Néron.
Mais ce n'était pas tout que d'éloigner Othon pour devenir l'amant de Poppée. Poppée savait être sage quand son profit y était. Lorsque Othon l'avait aimée, Othon l'avait épousée. César l'aimait, eh bien ! que César en fît autant. César était marié avec Octavie : il fallait donc éloigner Octavie. Agrippine s'opposerait à cette nouvelle union : il fallait donc aussi se débarrasser d'Agrippine. D'ailleurs Poppée ne comprenait pas comment César pouvait garder Octavie, cette pleureuse éternelle, qui ne faisait que gémir sur la mort de Claude et de Britannicus. Poppée ne comprenait pas non plus comment César supportait la domination de sa mère, qui écoutait les délibérations du sénat derrière un rideau, et continuait de régner comme si César était encore un enfant. Cela ne pouvait durer ainsi.
Agrippine était à Antium, elle reçut une lettre de son fils qui l'invitait à venir la rejoindre à Baïa. Il ne pouvait, disait-il, rester plus longtemps loin d'une si bonne mère : il avait des torts envers elle, il voulait les lui faire oublier.
Un devin avait prédit à Agrippine que, si son fils devenait empereur, son fils la tuerait. Agrippine avait méprisé la prophétie du devin, et Néron régnait. Elle méprisa de même les conseils de Pallas, qui lui disait de ne pas aller à Baïa elle y vint. Elle y trouva Néron plus tendre, plus respectueux, plus soumis que jamais. Elle se reprit à cette idée qu'elle pourrait peut-être l'emporter sur Poppée. C'était chez elle une idée fixe. Agrippine soupa avec Néron. Tous deux avaient bien pensé au poison, mais tous deux aussi avaient pensé au contrepoison.
Le souper fini, Néron dit à Agrippine qu'il ne voulait pas qu'elle retournât à Antium. Elle avait une villa à trois milles de là, près de Bauli ; c'était là que Néron voulait qu'elle allât pour n'être plus éloignée de lui. Ce point était si bien arrêté dans son esprit qu'il avait fait préparer une galère pour l'y transporter. Agrippine accepta.
A dix heures, le fils et la mère se séparèrent ; Néron conduisit Agrippine jusqu'au bord de la mer ; des esclaves portaient des torches ; les musiciens qui avaient joué pendant le souper venaient derrière eux. Arrivé sur le rivage, Néron embrassa sa mère sur les mains et sur les yeux ; puis il resta non seulement jusqu'à ce qu'il l'eût vue descendre dans l'intérieur de la galère, mais encore jusqu'à ce que la galère eût levé l'ancre et fût déjà loin.
Agrippine était assise dans la cabine : Crépéréius, son serviteur favori, était debout devant elle : Aurronie, son affranchie, était à ses pieds. Le ciel était tout scintillant d'étoiles, la mer était calme comme un miroir. Tout à coup le pont s'écroule : Crépéréius est écrasé, mais une poutre soutient les débris au- dessus de la tête d'Agrippine et d'Aurronie ; au même moment, Agrippine sent que le plancher manque sous ses pieds, elle saute à la mer suivie d'Aurronie, criant pour qu'on la sauve : « Je suis Agrippine ! Sauvez la mère de César ! » A peine a-t-elle dit, qu'une rame se lève et en retombant lui fend la tête. Agrippine a tout deviné : elle plonge sans prononcer une parole, ne reparaît à la surface que pour respirer, replonge encore, et, tandis que les assassins la cherchent, vivante pour l'achever, morte pour reporter son cadavre à Néron, elle nage vigoureusement vers la terre, aborde le rivage, gagne à pied sa villa, se fait reconnaître à ses esclaves, et se jette sur son lit.
Pendant ce temps, on la cherche, on l'appelle de la galère ; les gens qui habitent le rivage apprennent qu'Agrippine est tombée à la mer et n'est point reparue, bientôt toute la population est sur la côte avec des flambeaux ; des barques sont poussées dans le golfe pour aller au secours de la mère de César ; des hommes se jettent à la nage en l'appelant ; d'autres, qui ne savent pas nager, descendent dans l'eau jusqu'à la poitrine ; ils jettent des cordes, ils tendent les mains. Dans ce moment de danger, on s'est souvenu qu'Agrippine est la fille de Germanicus.
Agrippine voit ces témoignages d'amour ; elle se rassure en se sentant au milieu d'une population dévouée ; elle comprend qu'elle ne pourra longtemps cacher sa présence, elle fait dire qu'elle est sauvée ; la foule entoure alors la villa avec des cris de joie ; Agrippine se montre, le peuple rend grâces aux dieux.
Néron a tout su presque à l'instant même ; un messager d'Agrippine est venu lui dire de la part de sa maîtresse qu'elle était sauvée. Agrippine a voulu, aux yeux de son fils, avoir l'air de croire que tout cela n'était qu'un accident auquel la volonté de Néron n'avait eu aucune part.
Que fera Néron ? Néron conçoit et dirige assez bien un crime ; mais si, par une circonstance quelconque, le crime avorte, Néron perd facilement la tête et il ne sait pas faire face au danger. Agrippine, les vêtements ruisselants, les cheveux collés au visage, Agrippine racontant le meurtre auquel elle n'est échappée que par miracle, peut soulever le peuple, entraîner les prétoriens, marcher contre Néron. Au moindre bruit, Néron tremble. Seul, il ne prendra aucune décision, il ne saura qu'attendre et trembler. Il envoie chercher Sénèque et Burrhus. A eux deux, le guerrier et le philosophe lui donneront peut-être un bon conseil.
- Qui a conseillé le crime ? demandent-ils après s'être consultés.
- Anicetus, le commandant de la flotte de Misène, répond Néron.
- Qu'Anicetus achève donc ce qu'il a commencé, disent Sénèque et Burrhus.
Anicetus ne se le fait pas redire deux fois ; il part avec une douzaine de soldats.
Que vous semble de ces deux braves pédagogues ? Tels que vous les voyez pourtant, c'étaient, après Thraséas, les deux plus honnêtes gens de l'époque. Comment donc ! on avait voulu faire Sénèque empereur – à cause de ses hautes vertus ! Voyez Tacite et Juvénal.
Cependant Agrippine s'est recouchée ; elle a une seule esclave près d'elle. Tout à coup les cris de la foule cessent, le bruit des armes retentit dans les escaliers, l'esclave qui est près d'Agrippine va la suivre, quand la porte de la chambre s'ouvre. Agrippine se retourne et aperçoit Anicetus.
A sa vue et à la manière dont il entre dans la chambre de son impératrice, Agrippine a tout deviné. Toutefois elle feint de ne rien craindre.
- Si tu viens pour savoir de mes nouvelles de la part de mon fils, retourne vers lui et dis-lui que je suis sauvée.
Un des soldats s'avance alors, et, tandis qu'Agrippine parle encore, la frappe d'un coup de bâton à la tête.
- Oh !dit Agrippine en levant les mains au ciel, oh ! je ne croirai jamais que Néron soit un parricide.
Pour toute réponse Anicetus tire son épée.
Alors Agrippine, d'un geste sublime d'impudeur, jette loin d'elle sa couverture, et montrant ses flancs nus, ces flancs qu'elle veut punir d'avoir porté Néron :
- Feri ventrem ! Frappe au ventre ! dit-elle.
Et elle reçoit aussitôt quatre ou cinq coups d'épée dont elle meurt sans pousser un cri.
N'est-ce pas bien jusqu'au bout la femme que je vous ai dite, et n'est-elle pas morte comme elle a vécu.
Quant à Néron, attendez un moment encore. Néron est incomplet : il n'a encore tué que Britannicus et Agrippine ; il faut qu'il tue Octavie. Mais Octavie était difficile à tuer à cause de sa faiblesse même. Agrippine luttait contre Néron ; pendant la lutte, son pied a glissé dans le sang de Claude, et elle est tombée, c'est bien. Mais Octavie ! comment égorgera-t-on cette douce brebis ? comment étouffera-t-on cette blanche colombe ? C'est la seule femme de Rome dont la calomnie n'ait jamais pu approcher.
On mit ses esclaves à la torture pour savoir si elle n'aurait pas commis quelque crime inconnu dont on pût la punir. Ses esclaves moururent sans oser l'accuser. Il fallut encore recourir à Anicetus. Au milieu d'un dîner, comme Néron, couronné de roses, marquait de la tête la mesure aux musiciens qui chantaient, Anicetus entra, se jeta aux pieds de Néron et s'écria que, vaincu par ses remords, il venait avouer à l'empereur qu'il était l'amant d'Octavie.
Octavie, cette chaste créature, la maîtresse d'un Anicetus !
Personne ne crut à cette monstrueuse accusation ; mais qu'importait à César ? Il voulait un prétexte, voilà tout. Anicetus fut exilé en Sardaigne, et Octavie à Pandataria.
Puis, quelques jours après, on fit dire à Octavie qu'il fallait mourir.
La pauvre enfant, qui avait eu si peu de jours heureux dans la vie, s'effrayait cependant de la mort ; elle se prit à pleurer, tendant les mains aux soldats, implorant Néron, non plus comme sa femme, mais comme sa soeur, adjurant sa clémence au nom de Germanicus. Mais les ordres étaient positifs : ni prières ni larmes ne pouvaient la sauver de ce crime énorme d'être coupable de trop de vertu. On lui prit les bras, on les lui raidit de force, on lui ouvrit les veines avec une lancette : puis, comme le sang, figé par la peur, ne voulait pas couler, on les lui trancha avec un rasoir. Enfin, comme le sang ne coulait pas encore, on l'étouffa dans la vapeur d'un bain bouillant.
Poppée, de son côté, avait donné ses ordres aux meurtriers, elle voulait être sûre qu'Octavie était bien morte : on lui apporta sa tête.
Alors elle épousa tranquillement Néron.
Néron, dans un moment d'humeur, la tuera quelque jour d'un coup de pied.
Nous étions sur le lieu même où le drame terrible que nous venons de raconter s'était accompli. Ces ruines, c'étaient celles qui avaient vu Agrippine assise à la même table que Néron ; ce rivage, c'était celui jusqu'où César avait reconduit sa mère. Nous montâmes dans la barque : nous étions sur le golfe où Agrippine avait été précipitée, et nous suivions la route qu'elle avait suivie à la nage pour aborder à Bauli.
On montre un prétendu tombeau qui passe pour le tombeau d'Agrippine. N'en croyez rien : ce n'était pas de ce côté-ci de Bauli qu'était situé le tombeau d'Agrippine ; c'était sur le chemin de Misène, près de la villa de César. Puis le tombeau d'Agrippine n'avait pas cette dimension. Ses affranchis l'enterrèrent en secret et, après la mort de Néron lui élevèrent un monument. Or ce monument de tardive piété était un tout petit tombeau, leven tumulum, dit Tacite.
Le golfe de Baïa devait être une miraculeuse chose quand ses rives étaient couvertes de maisons ; ses collines, d'arbres ; ses eaux, de navires ; puisque, aujourd'hui que ces maisons ne sont plus que des ruines, que ses collines, bouleversées par des tremblements de terre, sont arides et brûlées, que ses eaux sont silencieuses et désertes, Baïa est encore un des plus délicieux points du monde.
La soirée était splendide. Nous nous fîmes descendre à l'endroit même ou était la villa d'Agrippine. La mer l'a recouverte ; on en chercherait donc inutilement les ruines. Puis, à la lueur de la lune qui se levait derrière Sorrente, située en face de nous, de l'autre côté du golfe de Naples, nous nous engageâmes dans le chemin bordé de tombeaux qui conduit des bords de la mer au village de Boccola, l'ancienne Bauli. C'était fête, et tout ce pauvre village était en joie ; on chantait, on dansait, et tout cela au milieu des ruines, au milieu des monuments funéraires d'un peuple disparu, sur cette même terre qu'avaient foulée Manlius, César, Agrippine, Néron, sur ce sol où était venu mourir Tibère.
Oui, le vieux Tibère était sorti de son île ; il visitait Baïa, où peut-être il était venu prendre les eaux, lorsque le bruit lui revint que des accusés, dénoncés par lui-même, avaient été renvoyés sans même avoir été entendus. Cela sentait effroyablement la révolte. Aussi Tibère se hâta-t-il de regagner Misène, d'où il comptait s'embarquer pour Caprée, sa chère île, sa fidèle retraite, son imprenable forteresse. Mais à Misène les forces lui manquèrent, et il ne put aller plus loin. L'agonie fut longue et terrible. Le moribond se cramponnait à la vie, le vieil empereur ne voulait absolument point passer dieu. Un instant Caligula le crut mort : il lui avait déjà tiré son anneau du doigt. Tibère se redresse et demande son anneau. Caligula se sauve effaré, tremblant. Tibère descend de son lit, veut le poursuivre, chancelle, appelle, et, comme personne ne répond, tombe sur le pavé. Alors Macron entre, le regarde ; et comme Caligula demande à travers la porte ce qu'il faut faire :
- C'est bien simple, répondit-il, jetez-moi un matelas sur cette vieille carcasse, et que tout soit dit.
Ce fut l'oraison funèbre de Tibère.
Comme nous l'avons dit, c'était dans le port de Misène qu'était la flotte romaine. Pline commandait cette flotte lors du tremblement de terre de 79. Ce fut de Misène qu'il partit pour aller étudier le phénomène arrivé à Stabie ; il y mourut étouffé.

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