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Brochet


On ne trouve nulle part le mot brochet ni son équivalent dans l'Antiquité ; c'est le requin des eaux douces, aussi rusé, aussi carnassier, aussi dévastateur que le requin de mer. Dans le lac de ?irkmitz, en Carniole, il y a des brochets de 20 et 25 kilogrammes, dans l'estomac desquels on trouve des canards entiers. Ce poisson peut arriver, si on le laisse vivre, à toutes les grosseurs et à tous les âges. En 1749, on en prit un, à Kaiserslautern, long de plus de 6 mètres et pesant 175 kilogrammes ; on conservait son squelette à Mannheim. Olagnier, Dictionnaire des aliments et des boissons.
La fécondité du brochet, sans être comparée à celle du hareng et à celle de la morue, est assez grande pour que dans une femelle d'un mètre de longueur on trouve jusqu'à 180 000 oeufs.
Du temps du roi Charles IX, il y avait dans le vivier du Louvre un brochet qui arrivait lorsqu'on l'appelait Lupul ; il sortait la tête de l'eau pour recevoir le pain qu'on lui jetait. L'empereur Frédéric II en avait mis un dans un étang le 5 octobre 1230, il fut pris dans le même étang deux cent soixante-sept ans après. Les brochets de Châlons étaient ceux qui, au XIIIème siècle, jouissaient comme finesse de la meilleure réputation.
Se garder de ses oeufs qui, cuisant avec sa chair, peuvent communiquer à cette chair la faculté d'exciter les nausées et les vomissements.
Quelques journaux qui s'occupent de l'élevage du poisson protestent contre la trop grande multiplication du brochet dans les étangs. M. Sauvadon, dans le Bulletin de la Société zoologique, est au nombre des opposants et fournit à l'appui de sa thèse des chiffres intéressants. Chacun connaît la voracité du brochet, c'est même cette qualité qui rend la présence de ce poisson nécessaire dans les pièces d'eau trop abondamment peuplées, mais on a peut-être rarement calculé par une règle de proportion combien un brochet de six ans a dévoré de kilogrammes de fretin et comparé son prix de vente à celui de la masse alimentaire qu'il a dévorée. C'est ce qu'a fait M. Sauvadon, et il est arrivé au résultat suivant :
Un brochet qui, en six ans, a absorbé 252 kilogrammes de nourriture, revient, en ne comptant le poisson qu'à un franc le kilogramme, à 252 francs ; nous ne tenons pas compte de la plus-value qu'aurait acquise en six ans le poisson victime, qui aurait doublé plusieurs fois de poids dans ce laps de temps. Admettons que le brochet pèse 100 grammes à la fin de la première année ; qu'il triple de la seconde à la quatrième et double de la quatrième à la sixième, ce qui est en rapport avec l'observation, car il est avéré que, quand le poisson vieillit, il grossit moins vite que dans les premières années ; il pèsera dix kilogrammes la sixième année. Ainsi ce poisson, qui ne se vend en moyenne que deux francs le kilogramme, vaut en réalité à l'éleveur vingt-cinq francs deux centimes le kilogramme, ce que nous ne croyons pas possible, car le brochet que nous avons vu profiter le plus pesait 500 grammes au moment où on le mit dans une pièce d'eau abondamment pourvue de poissons ; cinq ans après, il ne pesait que 5 kilogrammes ; par contre, le produit de la pêche fut moindre d'un tiers que les autres fois. Nous ne demandons pas, ajoute l'auteur, qu'on supprime l'éducation de ce poisson, mais nous désirons qu'on mette une certaine mesure dans sa propagation, convaincu que nous sommes que la culture du poisson deviendrait impossible si on laissait se propager sur une trop vaste échelle un poisson qu'à juste titre on a nommé le requin d'eau douce.

Brochet à la Chambord.
Prenez un beau brochet, échardez-le, videz-le, ouvrez-lui le ventre pour qu'il n'y reste ni oeufs ni laitances, et ôtez-lui les ouïes ; la peau levée sans avoir affecté les chairs, levez le nerf de la queue et piquez-le en totalité avec de l'anguille taillée en petits lardons, ou moitié avec des truffes et des carottes coupées de même ; si vous servez votre brochet au gras, piquez-le de lard, de truffes ou de carottes, mettez-le dans une poissonnière, mouillez-le d'une braise maigre et faites-le cuire ; mettez dans une casserole trois baquetées d'espagnole maigre et une demi-bouteille de vin blanc de Champagne ; faites réduire votre sauce et dégraissez-la, mettez-y des champignons retournés, des fonds d'artichauts, des truffes, des laitances de carpes, de l'anguille coupée par tronçons, faites mijoter un quart d'heure votre ragoût et finissez-le avec un beurre d'anchois ; égouttez votre brochet, pressez-le, mettez vos garnitures autour et joignez-y des écrevisses, décorez-le, saucez-le, glacez-le et servez. Si c'est au gras, ajoutez-y des ris de veau piqués, des pigeons ou des cailles, si c'est la saison, puis des crêtes et des rognons de coq.

Brochet au bleu ou au court-bouillon
Videz votre brochet, éventrez-le sans lui crever l'amer et sans endommager ses écailles, ôtez-lui ses ouïes sans lui gâter le palais, placez-le dans une poissonnière de capacité suffisante pour le contenir, faites bouillir un quart de litre de vinaigre rouge, arrosez-en votre brochet pour lui donner une couleur azurée, servez-vous-en tout bouillant ; mouillez-le d'une braise maigre ou grasse, enveloppez-le dans un papier beurré, faites-le cuire à petit feu ; sa cuisson achevée, égouttez-le, dressez une serviette sur votre plat, posez-le dessus, entourez-le de persil et servez.

Brochet à la Chambord
Recette de M. de Courchamps.
Pour bien exécuter ce beau relevé qu'on sert en grosse pièce au premier service, et qui est un des mets les plus somptueux de la cuisine moderne, il faut d'abord être en possession d'un très fort et très beau brochet ; d'où vient que c'est un plat dispendieux à Paris où un brochet de belle taille avec sa garniture à la Chambord ne saurait coûter moins de quatre-vingts francs, et peut, quelquefois, revenir au triple de la même somme. Après en avoir ôté les écailles et enlevé toute la peau, vous le piquerez par bandes ou raies transversales, larges chacune comme trois doigts ; savoir, une bande avec de fins lardons épicés ; la seconde avec des truffes bien noires coupées en forme de clous de girofles ; la troisième, avec des filets de carottes et la dernière avec des filets de cornichons bien verts et pareillement coupés en forme de clous. Vous farcissez ce gros poisson avec un hachis pour quenelles aux truffes émincées voir Quenelles. Cette opération terminée, faites cuire le brochet dans une poissonnière avec un court-bouillon dont le mouillement soit du vin de Champagne blanc et mousseux, mais qui soit assaisonné d'épices, de racines et d'un bouquet garni, comme pour un autre court-bouillon. Le poisson cuit, retirez assez de son fond de cuisson pour que le côté piqué, c'est- à-dire le dessus du brochet, s'en trouve à découvert, et mettez-le au four afin que les sucs se concentrent et que les parties piquées au lard y prennent une belle couleur dorée. Procédez maintenant au ragoût qui doit former la garniture de ce mets superbe.
Mettez dans une bassine ou grande casserole une demi-bouteille de vin de Sillery, d'Aï ou autre bon vin de Champagne non mousseux, ajoutez-y un demi-litre de blond de veau ou de consommé réduit, des quatre épices et le jus de quatre bigarades, dans lequel vous aurez délayé deux fortes pincées de poudre de Kari ; faites réduire et passez ensuite au tamis de soie ; remettez sur le feu et faites-y prendre sauce à des fonds d'artichauts braisés, des mousserons blancs et des champignons cuits à la moelle, de grosses truffes au vin de Bordeaux, des laitances et des langues de carpes, des foies de lottes et des quenelles de turbot à la crème et aux truffes, des tronçons d'anguilles piqués et des filets d'olives cuits au vin de Madère, des écrevisses d'Alsace au vin blanc, des ris de veau piqués et glacés, des ris d'agneau pralinés au vert- pré, des becfigues ou des râles de genêts et des cailles sautées, enfin des crêtes et des rognons de coq, et, si l'on veut, quelques pigeonneaux de l'espèce dite à la Gauthier. On terminera cet appareil splendide en y mêlant du beurre d'anchois avec quelques cuillerées de glacis de viande, et l'on passera ce mélange avant de le placer au fond du plat. On arrangera le tout avec ordre et symétrie autour du brochet, dans le corps duquel on piquera quelques longs hâtelets d'argent, bien garnis de rissoles et autres substances variées, telles que belles truffes noires, grandes oranges ou ceps du Midi, jaunes d'oeufs de pintade, ortolans rôtis, gros fruits d'Italie marinés au vinaigre. Comme pour un plat d'une telle importance on ne saurait être trop bien renseigné, nous devons équitablement ajouter à la recette de M. de Courchamps les critiques qu'un autre maître, M. Vuillemot, lui oppose :
« A l'article Brochet à la Chambord, de M. de Courchamps, j'accueille favorablement le brochet farci, les garnitures au maigre, mais ce qui est de ses ris de veau, pigeons à la Gauthier, je ne puis les accepter.
« Couronnez votre brochet par les quenelles de poisson, champignons, truffes, écrevisses, queues de crevettes, huîtres, moules et autres. Cela me représente un beau relevé maigre. Bien croûtonné, et une bonne sauce genevoise avec beurre d'anchois. »

Brochet en dauphin
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Prenez un gros brochet, écaillez-le, videz-le par les ouïes, retroussez-lui la queue ; à cet effet, passez-lui un hâtelet dans les yeux et une ficelle dans la queue il faut que les deux bouts se joignent de chaque côté du hâtelet ; posez votre brochet sur le ventre et faites qu'il s'y maintienne, mouillez-le d'une braise maigre, et si c'est au gras, d'une bonne mirepoix ; mettez-le dans un four, retirez-le de temps en temps pour l'arroser de son assaisonnement ; sa cuisson faite, égouttez-le et saucez-le d'une italienne rousse et grasse ou d'une maigre. Méthode Beauvilliers.

Brochet à la broche.
Ecaillez, incisez légèrement votre brochet, lardez-le avec des filets d'anguille salés, poivrés ; embrochez-le et arrosez-le, en cuisant, avec du vin blanc, de l'huile fine et du jus de citron vert. Dès qu'il est cuit, faites fondre des anchois dans ce qui est tombé dans la lèchefrite, ajoutez-y des huîtres que vous faites chauffer sans bouillir, des câpres, du sel et du poivre, liez cette sauce avec un peu de jus ou avec un roux, et servez.
La sauce Pluche ou verte convient très bien à ce brochet en raison des anchois. – Les huîtres sont très nécessaires.

Brochet à la tartare
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Coupez votre brochet par tronçons et faites-les mariner tout écaillés avec de l'huile, sel, gros poivre, persil, ciboules, échalotes et champignons hachés très fin ; saucez-les dans la marinade et panez-les avec de la mie de pain, mettez- les sur le gril et faites cuire en arrosant avec le reste de la marinade, faites-les prendre belle couleur et servez à sec avec une rémoulade dans une saucière.
M. le comte de Courchamps a payé sa dette à la marquise de Créquy, dont il a écrit les mémoires, en donnant le nom de Créquy à un brochet, c'était bien de l'honneur pour ce poisson ; on sait que la devise des barons de Créquy était : Créquy haut baron, Créquy haut renom. Voyons ce qu'il fallait que fit un brochet ou ce qu'il fallait qu'on lui fît pour le conduire à un si grand honneur.

Brochet à la Créquy.
Après avoir enlevé la peau qui supporte les écailles d'un gros brochet, mortifié depuis quelques jours, on le pique jusqu'à la quatrième partie des côtes avec des anchois, l'autre quart avec des cornichons, puis des carottes et enfin des truffes, on le remplit avec farce au poisson, pour le placer dans une poissonnière, de manière à laisser en dehors tout ce qui a été piqué et qui doit être arrosé aussi souvent que possible, avec le mouillement qui se trouve dans l'intérieur ; on le couvre pour continuer, le feu par-dessus ; sa cuisson terminée, on le retire et lorsqu'il est égoutté on verse dessous une sauce à la crème et au jus de poisson bien réduit. C'est un des plus beaux relevés maigres, dit le Cuisinier de la cour et de la ville.

Brochet à l'allemande. Recette de Beauvilliers.
Ayez un beau brochet, faites attention qu'il ne sente pas la vase, laissez-le mortifier deux ou trois jours et davantage, s'il fait froid ; lorsque vous voudrez vous en servir, videz-le, ôtez-lui les ouïes, supprimez-en les nageoires et le petit bout de la queue, lavez-le et nettoyez bien le dedans, faites une eau de sel, mettez votre brochet dans une casserole avec quelques branches de persil, une feuille de laurier et quelques carottes coupées en lames, mouillez-le avec moitié eau de sel et moitié eau de rivière, faites-le cuire ; sa cuisson faite, égouttez-le, ôtez-en la peau, mettez-le dans une casserole et versez dessus de son assaisonnement, tenez-le chaudement, posez une serviette sur un plat, remplissez le vide des tronçons avec du raifort râpé, dressez-les et servez à côte une saucière remplie d'une sauce au beurre ou de toute autre sauce.

Brochet à l'allemande. Recette de M. de Courchamps.
Pour le préparer de cette manière, on le choisit de grosseur moyenne ; après l'avoir coupé en trois ou quatre parties égales, on le met dans une casserole avec de l'oignon, du persil, du laurier, de la ciboule, du sel et du poivre ; on mouille avec du vin blanc, et après une demi-heure on le retire ; après l'avoir paré on le met dans une casserole, on verse dessus le court-bouillon passé au tamis ; après avoir égoutté et mis sur un plat le brochet, on prend une autre casserole avec du beurre, un peu de fécule, de la muscade râpée, du poivre, un verre de court-bouillon, et l'on agite, en tournant sur le feu, jusqu'à ce que le tout soit bouillant ; après avoir lié cette sauce avec les jaunes d'oeufs, on continue de tourner sans pousser à l'ébullition, on la passe au tamis en la versant sur le poisson.

Brochet à la genevoise.
Prenez un brochet que vous ficellerez de distance en distance, de la largeur de deux doigts, et mettez-le dans une poissonnière avec sel, poivre, un oignon piqué de deux clous de girofle et un bouquet garni ; mouillez avec un demi- litre de vin moitié blanc moitié rouge par 500 grammes de poisson. Mettez votre poissonnière sur un feu très vif et poussez assez vivement pour que les vapeurs vineuses qui s'élèvent s'enflamment. Quand le feu a ainsi fait son effet, mettez 250 grammes de beurre dans la poissonnière, ajoutez-y des épices mélangées et laissez cuire doucement environ une heure. Quand le court-bouillon sera assez réduit, jetez-y quelques morceaux de beurre en remuant la poissonnière, retirez ensuite le poisson, égouttez-le et liez la sauce.

Brochet en fricandeau.
Après avoir écaillé, vidé et lavé votre brochet, coupez-le en tronçons, piquez ces tronçons en dessus avec du petit lard, versez dans une casserole un verre de vin blanc, du bouillon ; ajoutez-y un bouquet garni, des rouelles de veau coupées en dés, du sel, du gros poivre, de la muscade, et mettez vos tronçons de brochet tremper dans cet assaisonnement, puis faites-les cuire ; la cuisson achevée, tamisez la sauce, faites-la réduire presque complètement et passez-y les tronçons de votre brochet du côté du lard pour les glacer ; cette opération deviendra plus facile en ajoutant un peu de caramel à la sauce.
Dressez le poisson glacé sur un plat chaud et détachez avec un peu de bouillon ce qui reste au fond de la casserole.

Grenadins de brochet, lisez : Fricandeau de brochet.
Si vous voulez les manger gras, piquez-les de lard ; si vous voulez les manger au maigre, piquez-les de lardons d'anguille et de filets d'anchois, servez dessous soit une sauce tomate, soit une purée de champignons, soit toute autre sauce ou toute autre purée.

Côtelettes de brochet.
Apprêtez et lavez les chairs d'un brochet, supprimez-en la peau, donnez à ces chairs, en les coupant, la forme de côtelettes de veau ou de mouton, faites-les cuire dans une enveloppe de papier huilé avec des fines herbes hachées, tel que vous feriez pour des côtelettes de veau ; procédez en tout comme pour ces côtelettes, c'est-à-dire faites-les griller en prenant garde que le papier ne brûle, et laissez-les cuire jusqu'à ce qu'elles aient atteint une belle couleur.

Filets de brochet à la béchamel
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Mettez dans une béchamel réduite les restes de votre brochet, dressez-les ensuite sur un plat arrosé d'un peu de beurre fondu, entourez-le de bouchons de pain trempés dans une omelette ; mettez-les au four, laissez-les jusqu'à ce qu'ils aient belle couleur et servez.

Salade de brochet.
Coupez votre brochet froid par morceaux et assaisonnez-le en y ajoutant câpres, anchois et cornichons coupés en filets, ainsi que de la fourniture hachée ; dressez-la sur un plat sans y comprendre les anchois, les cornichons et les câpres, garnissez le bord de votre plat de laitues fraîches coupées par quartiers et d'oeufs durs coupés de même, décorez votre salade de filets d'anchois et de câpres, saucez-la avec son assaisonnement et servez.

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