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Carême


Nous avons à choisir, en écrivant carême, entre le nom d'une époque qui représente le jeûne et le nom d'un homme qui représente l'art culinaire arrivé à sa perfection. Commençons par la prescription religieuse qui d'ailleurs a un droit chronologique.
On appelle Carême le jeûne annuel en usage dans l'Eglise catholique et qui commence le mercredi des cendres, et finit à Pâques, excepté dans l'Eglise de Milan, où il ne part que du dimanche de la Quadragésime et chez les Grecs, qui le commençant le même jour, s'abstiennent de viande le lundi d'après la Quinquagésime, jusqu'au dimanche suivant, sans jeûner toutefois, mais en observant un Carême plus rigoureux, puisqu'ils se privent non seulement de laitages et d'oeufs, mais encore de poisson et de viande. On n'est point d'accord sur l'époque de l'institution du Carême, quelques-uns l'attribuent à Moïse, d'autres prétendent qu'il était observé en Egypte longtemps avant Moïse et que ce fut l'un des usages que les Israélites rapportèrent de ce pays ; toutes les nations qui ont des lois ont aussi leur carême. On doit en conclure que ce n'est point uniquement pour plaire à Dieu que le Carême fut institué, mais aussi pour la santé en prévenant la transition des saisons, toujours funeste aux tempéraments non préparés par un régime convenable.
Dans l'enfance des nations, les peuples ignorants n'eussent point suivi un conseil d'hygiène, on en fit un précepte religieux, la superstition l'adopta.
La rigueur du Carême, aussi bien que sa durée, a varié selon les pays ; dans l'Eglise d'Occident, on ne faisait qu'un repas vers le soir, et on ne mangeait que des légumes et des fruits ; le laitage, les oeufs, les viandes et le vin étaient défendus ; le poisson était permis, mais la plupart des fidèles s'en abstenaient ; il parait que le jeûne était encore plus rigoureux en Orient, où presque tous les chrétiens ne vivaient que de pain et d'eau et de quelques légumes ; les Latins, au rapport de Bède, avaient d'autres carêmes, celui de Nol et celui de la Pentecôte, et tous deux, comme celui de Pâques, étaient de quarante jours. Les Grecs ont encore quatre carêmes outre celui de Pâques ; ce sont ceux de Nol, des Apôtres, de la Transfiguration et de l'Assomption, mais ils ne sont que de sept jours chacun. La France est peut-être aujourd'hui le pays du monde où le Carême est le moins observé ; il n'en était pas de même autrefois. Quand le clergé fut devenu riche et puissant, son influence fit rendre sur l'abstinence les lois les plus rigoureuses, et tandis qu'il contentait sa sensualité en rompant l'uniformité des viandes par les poissons les plus exquis, que son insatiable cupidité entassait l'or en vendant des dispenses aux riches, le misérable qui n'avait pas d'or pour racheter son malheureux péché était pendu pour avoir mangé de la viande une fois en Carême ; le boucher qui en avait vendu était fouetté et mis au carcan ; on lit dans les Capitulaires année 780 que Charlemagne, voulant forcer les Saxons d'adopter le christianisme, déclara que les Saxons qui ne voudraient pas se faire baptiser et qui mangeraient de la viande en Carême seraient punis de mort.
En 1522, on fouetta par sentence du prévôt de Sens, et l'on condamna à l'amende honorable, devant la porte de l'église cathédrale le nommé Passeigne pour avoir mangé en Carême des haricots au lard. Sous Henri III, la peine de mort fut abolie, mais celle du fouet fut maintenue contre les délinquants. Voltaire rapporte un fait à l'appui des précédents, arrivé près de Saint-Claude. L'an de grâce 1729, le 28 juillet, eut lieu l'exécution d'un nommé Claude Guillon, qui eut la tête tranchée pour avoir, étant dans la plus affreuse misère, et pressé d'une faim dévorante, emporté, fait cuire et mangé de la viande d'un cheval tué et abandonné dans un pré, et cela le 31 mars.
Voici textuellement le prononcé de la sentence du juge : « Nous, etc., après avoir vu les pièces du procès, et ouï l'avis des docteurs en droit, déclarons le dit Claude Guillon dûment atteint et convaincu d'avoir emporté de la viande d'un cheval tué dans les prés de cette ville ; d'avoir fait cuire ladite viande le 31 mars, jour du samedi, et d'en avoir mangé, etc. »
A quels déplorables et ridicules excès ne poussait pas l'engeance monacale si nombreuse et si influente dans ces siècles de ténèbres, lorsque nous voyons encore, en 1791, à Rava en Pologne, des juges condamner et faire brûler par la main du bourreau une poupée coupable de sacrilège, parce que les enfants d'une luthérienne lui avaient attaché au cou l'image de la Vierge. Et la même année, en Espagne, furent jugés et condamnés à périr au milieu des flammes, comme atteints et convaincus d'hérésie et de blasphème, un perroquet et un singe, appartenant à un Français. Le perroquet pour avoir crié : « Au feu le bref Margot ! » et le singe, parce qu'il semblait applaudir par ses sauts et ses gambades. Ces deux grands criminels furent renfermés et brûlés dans une cage de fer, sur laquelle étaient deux écriteaux ; l'un portait : Blasphémateur, impie, sacrilège, traître à Dieu et à N. S. P. le pape ; et l'autre : Complice de sacrilège par gestes, signes et autres preuves non équivoques.
Un autre fait rapporté par M. B. Saint-Edme, dans son Traité de législation historique du sacrilège, chez tous les peuples du monde, est bien plus récent. L'an 1823, un samedi, quatre individus de la commune de Saint-Laurent de Cerdans, arrondissement de Céret, département des Pyrénées, vinrent pour leurs affaires à Céret ; ils entrèrent dans une auberge pour dîner et se firent servir des côtelettes. Cette auberge étant située sur la place, ils furent aperçus faisant gras ; rapport au maire ; citation devant le procureur du roi ; et condamnation, comme prévenus du délit d'outrage à la morale religieuse, à une année d'emprisonnement et 300 fr. d'amende. Bien leur en prit d'en appeler, car le jugement fut cassé le 9 juillet par le tribunal de Perpignan. A la même époque, un boucher de Rome fut arrêté, conduit sur la place Fontana di Travi, et marqué par le bourreau ; un écriteau annonçait son crime, qui était d'avoir mangé de la viande un vendredi dans une auberge, avec quelques-uns de ses amis.

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