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Caviar


Sorte d'esturgeons.
J'ai assisté pendant un mois à la pêche du caviar sur les bords de la mer Caspienne, dans toute la longueur de son rivage, qui s'étend de l'Oural à la Volga. Rien de plus curieux que cette pêche, où l'on détruit en six semaines ou deux mois des milliers de poissons du poids de 300 livres, et de la taille de douze à quinze pieds ; on en trouve dans le Danube qui ont jusqu'à vingt pieds de long ; ils viennent de la mer Noire, et remontent pour frayer jusqu'à Bade.
La chair du caviar a une saveur délicate, qualité fort rare dans les poissons cartilagineux ; il est facile de la faire prendre pour de la chair de veau ; mais nous devons avouer que les nations modernes n'ont pas pour cette chair l'enthousiasme qu'avaient les peuples anciens, qui non seulement couronnaient ce poisson de fleurs, mais encore qui le servaient, et qui l'apportaient sur la table au son des flûtes. Au rapport d'Athénée on regardait en Grèce l'esturgeon comme le meilleur plat du festin. Ovide a dit de lui :
          Esturgeon, pèlerin des plus illustres ondes.
On le trouve dans l'Océan, dans la Méditerranée, dans la mer Rouge, dans tous les grands fleuves. Au XVIe siècle, il était si commun en Provence, qu'il ne valait qu'un sou la livre. L'esturgeon grandit et s'engraisse dans les fleuves, où il trouve la tranquillité, la température et les aliments qui lui conviennent. En Russie, ou on en fait les pêches les plus nombreuses, on les prend au moment où ils essayent de remonter la Volga et l'Oural.
D'après la manière dont on prend ce poisson, on peut se faire une haute idée de son intelligence : on ferme les fleuves avec des barricades, ce qui est d'autant plus facile que les fleuves n'ont pas de profondeur. Les esturgeons viennent par troupes de mille ou deux mille pour remonter les fleuves ; ne pouvant y réussir, ils se promènent de long en large devant l'embouchure, où l'on a tendu des espèces de gros hameçons suspendus à des traverses et flottant à deux pieds, trois pieds, quatre pieds sous l'eau. Quelques-uns de ces hameçons sont amorcés, mais cela ne m'a jamais paru nécessaire ; les esturgeons, en allant et en venant, s'accrochent à un obstacle qu'ils veulent forcer, l'obstacle leur entre dans la chair et ils sont pris. Des hommes qui se promènent en bateau entre les sillons que forment les poutres placées transversalement sur le fleuve, recueillent les esturgeons qui sont pris. Quand la barque est pleine, on la conduit à l'abattoir, véritable abattoir, où l'on assomme à coups de marteau, à coups de masse, deux ou trois mille esturgeons par jour. L'animal, quoique très fort et pouvant renverser d'un coup de queue l'homme le plus robuste, ne fait aucune résistance ; il pousse seulement un cri lorsqu'on lui arrache la moelle épinière ; il fait un bond de quatre ou cinq pieds de haut et retombe mort. Avec cette moelle épinière, que l'on appelle visigha, on fait des pâtés fort estimés. Mais ce qui est plus estimé que le pâté à la moelle épinière, ce sont les milliers d'oeufs que l'on recueille pour faire le caviar car on appelle particulièrement caviar une préparation d'oeufs d'esturgeon ; privés d'air, les oeufs se conservent quelque temps dans leur fraîcheur. Outre ceux-là, que l'on expédie le jour même où ils ont été enfermés dans des barils pareils à nos barils de poudre de huit, de quinze et vingt livres, il y en a encore qu'on prépare à demi-sel et à sel entier, qu'on envoie à leur heure.
Les esturgeons arrivent à un développement énorme. En 1796 on pêcha un de ces poissons qui avait 20 mètres de long, qui pesait 1 155 kilogrammes et l'on en tira 3 030 kilogrammes d'oeufs ; le calcul fait, on suppose qu'il y en avait 30 412 860. Henri Cloquet dit qu'on en pêche souvent du poids de 1 400 kilogrammes et pouvant atteindre une longueur de 13 mètres.
La pêche d'hiver a lieu en janvier, et se fait avec un grand cérémonial ; c'est celle-là que j'ai vue ; le jour en est fixé à l'assemblée publique. Des lettres de convocation sont adressées, on se réunit sur la place avant le jour ; on nomme un chef qui, avant le départ, passe les pêcheurs en revue, ainsi que leur armement, qui consiste en un crochet d'acier fixé à une longue perche ; au lever du soleil, deux coups de canon donnent le signal de se mettre en route. C'est à qui arrivera le premier à la meilleure place ; une décharge de mousqueterie annonce le commencement de la pêche. Mais, à notre grand étonnement et à celui des pêcheurs, nous ne trouvâmes, en arrivant au rivage, ni la Volga ni la mer Caspienne pris ; mais au contraire toutes les préparations de la pêche d'été, qui avait continué, quand on avait vu que le froid ne prenait pas. C'est donc une pêche d'été que j'ai racontée, parce que c'est une pêche d'été que j'ai vue.

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