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Cuisinier


Monsieur de Courchamps donne dans son Dictionnaire de la cuisine, le titre de : Cuisinier du roi de Sidon, à Cadmus, que nous ne connaissions que comme le fils d'Agénor, le frère d'Europe, le fondateur de la ville de Thèbes et l'inventeur de l'écriture.
Ces titres nous semblaient suffisants pour illustrer Cadmus ; M. de Courchamps y joint celui de cuisinier, nous ne le contesterons pas. La fonction de cuisinier au Moyen-âge n'était point incompatible avec la noblesse, et ne fût-ce que par Vatel, ils auraient au moins droit à l'illustration ; et en effet on voit par les annales de Saint-Denis que Thibaut de Montmorency, chevalier de l'ordre et seigneur de Boury, avait été grand queux, c'est-à-dire chef de cuisine ou premier cuisinier du roi Philippe de Valois.
Nous n'hésitons pas à donner un démenti à cette seconde assertion de notre confrère Courchamps, attendu que Philippe de Valois était mort depuis plus de deux cents ans lorsque l'ordre fut fondé en 1578 par Henri III ; ce qu'il y a de certain au moins, c'est qu'il existe sous le règne de Louis XI un arrêt du conseil d'en haut, lequel arrêt maintient dans sa noblesse et tous les privilèges d'icelle, un ancien cuisinier de madame de Beaujeu, nommé Cyrant de Bartas, attendu que ladite charge de maître queux n'a jamais fait ni dû faire encourir nulle déchéance en maison noble. Le célèbre Montesquieu descendait de Robin, second cuisinier du connétable de Bourbon et anobli par ce prince ; il est curieux que cet homme, nous parlons du connétable de Bourbon, que Bayard dégradait de son titre de noblesse, pût faire de son cuisinier un noble. Henri IV anoblit Nicolas Fouquet, seigneur de la Varenne, et maître cuisinier de la reine Marguerite, pour services rendus dans l'exercice dudit office ; en outre il avait trouvé moyen d'acquérir soixante-dix mille livres de rentes, non pas en piquant ses poulets, dit cette bonne langue de Margot, mais en piquant ceux du roi.
Selon Brillat-Savarin on peut devenir bon cuisinier, mais rester mauvais rôtisseur ; on naît rôtisseur comme on naît poète.
Carême et Beauvilliers nous prouvent péremptoirement, Carême surtout, qu'on peut être à la fois écrivain archéologue et cuisinier.
Quelques gourmands, bien connus et à qui l'on ne peut disputer le titre de gastronomes, préfèrent les cuisinières aux cuisiniers ; ils prétendent que ces dames ont la main plus savante et plus légère dans la distribution des épices ; il est vrai que comme les anciennes bacchantes de Thrace, elles sont rancunières en diable ; je me rappelle que deux vaudevillistes de beaucoup d'esprit ont fait, il y a trente cinq ou quarante ans, une petite pièce qui fut jouée aux Variétés sous le titre des Cuisinières, et sous les noms de Brasier et de Demersan.
Messieurs les auteurs n'avaient point gardé vis-à-vis les artistes femelles tous les ménagements qui étaient dus à leur talent et à leur sexe ; le lendemain les deux auteurs eurent à régler leurs comptes avec leurs cuisinières qui les quittèrent en les vouant à la haine de toutes les corporations. Ce ne fut pas le tout, les cordons bleus de Paris se réunirent en une assemblée générale ; dans cette assemblée on montra les intentions les plus sinistres, et on fulmina les plus atroces malédictions contre les auteurs de la pièce. une d'elles les attendit même à la sortie du théâtre des Variétés, et, de même que l'on dénonce la vendetta en Corse, elle lui cria : « Garde-toi, et nous nous garderons. » Pendant plusieurs années, Brasier et Demersan racontaient qu'il avaient été forcés de se passer de cuisinières, d'abord parce qu'ils n'en pouvaient pas trouver, et ensuite parce qu'ils craignaient de confier leurs jours précieux à un membre quelconque de cette vindicative corporation ; quand ils ne dînaient pas ou ne déjeunaient pas chez leurs amis, les deux malheureux parias vivaient d'oeufs frais et de saucisson de Lyon.
Aussi se vengèrent-ils d'elles dans un couplet de leur prochain vaudeville qui se terminait par ces deux vers :

                    Et j'dis qu'celles qui sont les meilleures
                    Sont les cuisinières en fer-blanc.
Le président Hénault, paraît-il, n'avait pas non plus les cuisinières et surtout les mauvaises cuisinières en grande odeur de sainteté, puisqu'il disait de la cuisinière de madame du Deffant, qui était véritablement par trop bourgeoisement mauvaise, surtout pour un gastronome tel que lui chez lequel était le meilleur cuisinier de l'époque : « Entre elle et la Brinvilliers, il n'y a de différence que dans l'intention. »
Comme c'était aimable et comme c'était rassurant !
Malherbe, qui se piquait aussi d'être gourmand et qui surtout aimait voir les cuisiniers à l'oeuvre, disait qu'il fallait, pour qu'un dîner fût bon, qu'il ait été combiné et préparé longtemps à l'avance.
Aussi, allant un jour dîner chez un de ses amis, il trouva à la porte de cet ami un valet qui avait des gants aux mains ; il était midi, et on devait, suivant l'usage du temps, dîner à une heure. « Qui êtes-vous, mon ami ? demanda Malherbe au valet.
« Monsieur, je suis le cuisinier !
- Vertudieu ! reprit l'invité en s'éloignant au plus vite, je ne dîne pas chez un homme dont le cuisinier à midi à des gants aux mains ; la cuisine doit être bien faite, je m'en moque.
- Ce gigot est incuit, disait à son hôte un homme qui faisait le beau parleur.
- Monsieur, répondit l'autre piqué, c'est par l'insoin de la cuisinière. »
Finissons par un mot fort spirituel du marquis de Bièvre. Le marquis de Bièvre, regardant deux marmitons qui se boxaient et quelqu'un lui ayant demandé ce que c'était que ce bruit :
« Ce n'est rien, répondit-il, ce n'est qu'une batterie de cuisine. »

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