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Ambre


Son origine, ses qualités, par M. A. F. Olagnier.
Nous allons laisser parler le célèbre professeur, puis, bon gré, mal gré, nous le forcerons de passer la main à un autre professeur non moins illustre que lui, à M. Brillat-Savarin. Nous rappellerons seulement qu'on trouve l'ambre sur le bord des rivières ou sur le rivage de la mer, mais qu'on ignore encore comment il se trouve là plutôt qu'ailleurs.
« Ambre ; substance cireuse ou huile concrète, tenace, molle, fusible, très aromatique, légère, surnageant sur l'eau, de couleur cendrée, opaque, tachetée ordinairement de points noirs ou blancs, se ramollissant et se fondant à la chaleur, insipide et adhérente aux dents quand on la mâche.
« En 1783, le docteur Swediaur, mon ami, publia dans les transactions philosophiques, un mémoire dans lequel il établit par des inductions et par des faits, que l'ambre gris n'est autre chose que l'excrément durci du cachalot à grosse tête ou de l'animal qui produit le blanc de baleine. Les pêcheurs en trouvent dans le ventre de ces cétacés depuis 100 grammes jusqu'à 50 kilos ; cette substance est placée dans un sac qu'on croit être l'intestin coecum. Les baleines à ambre sont maigres, engourdies et languissantes, il est probable que cette matière est une cause de maladie. « M. Dandrada, de Lisbonne, prétendit que l'ambre n'était pas un excrément, parce qu'on l'avait assuré qu'on en avait retiré de l'estomac des baleines. Quoi qu'il en soit il est considéré comme une substance animale, à cause de son odeur urineuse lorsqu'il est fraîchement rejeté sur le rivage, et de l'avidité avec laquelle le recherchent les oiseaux de mer qui ne vivent que de poissons. Aujourd'hui l'opinion de Swediaur paraît être généralement adoptée.
« Il y a deux sortes d'ambre, le cendré et le noir. Le meilleur est le cendré ou gris. Il doit être propre, odoriférant et léger. Le noir est peu estimé. Les Orientaux usent beaucoup de l'ambre comme d'un aphrodisiaque. Il est plus certain qu'il fortifie et qu'il ranime l'esprit ; les femmes hystériques n'en supportent pas l'odeur. Il sert aussi comme parfum. La plus odorante de ses préparations est sa dissolution dans l'alcool et, selon Berzélius, c'est sous cette forme qu'on doit l'employer.
« L'ambre est composé, selon le même chimiste, d'ambéine, d'un extrait alcoolique rougissant le tournesol et de saveur douceâtre, d'un extrait aqueux avec acide benzoïque et de chlorure sodique.
« Pour savoir s'il est falsifié, il faut le percer avec une aiguille chauffée, et s'il en sort un suc gras et odoriférant, il est naturel. Jeté sur des charbons ardents, il exhale une odeur très pénétrante et agréable, enfin il surnage sur l'eau et n'adhère point au fer chaud.
« L'ambre frotté fortement a la propriété de l'aimant.
Les huiles d'olive, de colza, celle de térébenthine à chaud le dissolvent. L'éther le dissout à froid. » A. F. Olagnier. Passons maintenant à Brillat-Savarin. Nous laissons la parole à l'illustre professeur, pour ne rien ôter ni ajouter à son style :
« Il est bien que tout le monde sache que si l'ambre, considéré comme parfum, peut être nuisible aux profanes qui ont les nerfs délicats, pris intérieurement il est souverainement tonique et exhilarant ; nos aïeux en faisaient grand usage dans leur cuisine et ne s'en portaient pas plus mal.
« J'ai su que le maréchal de Richelieu, de glorieuse mémoire, mâchait habituellement des pastilles ambrées, et pour moi, quand je me trouve dans quelqu'un de ces jours où le poids de l'âge se fait sentir, où l'on pense avec peine et où l'on se sent opprimé par une puissance inconnue, je mêle avec une forte tasse de chocolat, gros comme une fève d'ambre pilé avec du sucre, et je m'en suis toujours trouvé à merveille. Au moyen de ce tonique, l'action de la vie devient aisée, la pensée se dégage avec facilité et je n'éprouve pas l'insomnie qui serait la suite infaillible d'une tasse de café à l'eau prise avec l'intention de produire le même effet.
« J'allai un jour faire une visite à un de mes meilleurs amis M. Rubat ; on me dit qu'il était malade et effectivement je le trouvai en robe de chambre auprès de son feu, et en attitude d'affaissement.
« Sa physionomie m'effraya ; il avait le visage pâle, les yeux brillants et sa lèvre tombait de manière à laisser voir les dents de la mâchoire inférieure, ce qui avait quelque chose de hideux.
« Je m'enquis avec intérêt de la cause de ce changement subit ; il hésita, je le pressai et après quelque résistance : " Mon ami, dit-il en rougissant, tu sais que ma femme est jalouse et que cette manie m'a fait passer bien des mauvais moments. Depuis quelques jours, il lui en a pris une crise effroyable et c'est en voulant lui prouver qu'elle n'a rien perdu de mon affection et qu'il ne se fait à son préjudice aucune dérivation du tribut conjugal que je me suis mis en cet état. – Tu as donc oublié, lui dis-je, et que tu as quarante-cinq ans, et que la jalousie est un mal sans remède ? Ne sais tu pas furens quid faemina possit ?" Je tins encore quelques autres propos peu galants, car j'étais en colère.
« Voyons, au surplus, continuai-je : ton pouls est petit, dur, concentré ; que vas-tu faire ? " – Le docteur, me dit-il, sort d'ici, il a pensé que j'avais une fièvre nerveuse, et a ordonné une saignée pour laquelle il doit incessamment m'envoyer le chirurgien". – Le chirurgien ! m'écriai-je, garde t'en bien, ou tu es mort ; chasse-le comme un meurtrier, et dis-lui que je me suis emparé de toi, corps et âme. Au surplus, ton médecin connaît-il la cause occasionnelle de ton mal ? – Hélas ! non, une mauvaise honte m'a empêché de lui faire une confession entière." – Eh bien ! il faut le prier de passer chez toi. Je vais te faire une potion appropriée à ton état ; en attendant prends ceci. » Je lui présentai un verre d'eau saturée de sucre qu'il avala avec la confiance d'Alexandre et la foi du charbonnier.
« Alors je le quittai et courus chez moi pour y mixtionner, fonctionner et élaborer un magistère préparateur qu'on trouvera dans les Variétés avec les divers modes que j'adoptai pour me hâter ; car, en pareil cas, quelques heures de retard peuvent donner lieu à des accidents irréparables. Je revins bientôt armé de ma potion et déjà je trouvai du mieux, la couleur reparaissait aux joues, l'oeil était détendu, mais la lèvre pendait toujours avec une effrayante difformité.
« Le médecin ne tarda pas à reparaître ; je l'instruisis de ce que j'avais fait et le malade fit ses aveux. Son front doctoral prit d'abord un aspect sévère ; mais bientôt, nous regardant avec un air où il y avait un peu d'ironie : - « Vous ne devez pas être étonné, dit-il à mon ami, que je n'aie pas deviné une maladie qui ne convient ni à votre âge, ni à votre état, et il y a de votre part trop de modestie à en cacher la cause, qui ne pouvait que vous faire honneur. J'ai encore à vous gronder de ce que vous m'avez exposé à une erreur qui aurait pu vous être funeste. Au surplus, mon confrère, ajouta-t-il en me faisant un salut que je lui rendis avec usure, vous a indiqué la bonne route ; prenez son potage, quel que soit le nom qu'il y donne, et si la fièvre vous quitte, comme je le crois, déjeunez demain avec une tasse de chocolat dans laquelle vous ferez délayer deux jaunes d'oeufs frais. »
« A ces mots, il prit sa canne, son chapeau, et nous quitta, nous laissant fort tentés de nous égayer à ses dépens.
« Bientôt je fis prendre à mon malade une forte tasse de mon élixir de vie, il le but avec avidité et voulait renouveler mais j'exigeai un ajournement de deux heures, et lui servis une seconde dose avant de me retirer.
« Le lendemain, il était sans fièvre et presque bien portant ; il déjeuna suivant l'ordonnance, continua la potion et put vaquer dès le surlendemain à ses occupations ordinaires, mais la lèvre rebelle ne se releva qu'après le troisième jour. Peu de temps après l'affaire transpira, et toutes les dames en chuchotaient entre elles.
« Quelques-unes admiraient mon ami, presque toutes le plaignaient et le professeur gastronome fut glorifié.
« Voici la recette de cet élixir qu'il serait dommage de ne pas livrer à la postérité :
« Prenez six gros oignons, trois racines de carottes, une poignée de persil, hachez le tout et le jetez dans une casserole, où vous le ferez chauffer et roussir au moyen d'un morceau de bon beurre frais.
« Quand ce mélange est bien à point, jetez-y 180 grammes de sucre candi, 1 gramme d'ambre pilé, avec une croûte de pain grillée et 3 litres d'eau, que vous ferez bouillir pendant trois quarts d'heure en y ajoutant de nouvelle eau pour compenser la perte qui se fait par l'ébullition, de manière qu'il y ait toujours 3 litres de liquide.
« Pendant que ces choses se passent, tuez, plumez et videz un vieux coq, que vous pilerez, chair et os dans un mortier avec le pilon de fer ; hachez également 1 kilogramme de chair de boeuf bien choisie.
« Cela fait, on mêle ensemble ces deux chairs, auxquelles on ajoute suffisante quantité de sel et de poivre.
« On les met dans une casserole, sur un feu bien vif, de manière à les pénétrer de calorique, et on y jette de temps en temps un peu de beurre frais, afin de pouvoir bien sauter ce mélange sans qu'il s'attache.
« Quand on voit qu'il a roussi, c'est-à-dire que l'osmazôme est rissolée, on passe le bouillon qui est dans la première casserole. On en mouille peu à peu la seconde et quand tout y est entré, on fait bouillir à grandes vagues pendant trois quarts d'heure en ayant toujours soin d'ajouter de l'eau chaude pour conserver la même quantité de liquide.
« Au bout de ce temps, l'opération est finie, et on a une potion dont l'effet est certain toutes les fois que le malade quoique épuisé par quelqu'une des causes que nous avons indiquées, a cependant conservé un estomac faisant ses fonctions.
« Pour en faire usage, on en donne le premier jour, une tasse toutes les trois heures jusqu'à l'heure du sommeil de la nuit ; les jours suivants, une forte tasse seulement le matin, pareille quantité le soir, jusqu'à l'épuisement de trois bouteilles. On tient le malade à un régime diététique léger, mais cependant nourrissant, comme des cuisses de volaille, du poisson, des fruits doux, des confitures ; il n'arrive presque jamais qu'on soit obligé de recommencer une nouvelle confection. Vers le quatrième jour, il peut reprendre ses occupations ordinaires et doit s'efforcer d'être sage à l'avenir, s'il est possible.
« En supprimant l'ambre et le sucre candi, on peut par cette méthode improviser un potage de haut goût et digne de figurer à un dîner de connaisseur ; on peut remplacer le vieux coq par quatre vieilles perdrix et le boeuf par un morceau de gigot de mouton, la préparation n'en sera ni moins efficace, ni moins agréable.
« La méthode de hacher la viande et de la roussir avant que de la mouiller peut être généralisée pour tous les cas où l'on est pressé ; elle est fondée sur ce que les viandes traitées ainsi se chargent de beaucoup plus de calorique que quand elles sont dans l'eau ; on s'en pourra donc servir toutes les fois qu'on aura besoin d'un bon potage gras, sans être obligé de l'attendre cinq ou six heures, ce qui peut arriver très souvent surtout à la campagne. Bien entendu que ceux qui s'en serviront glorifieront le professeur. » Brillat-Savarin.

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