Le 11 octobre 2003 a été inaugurée dans le port
de Poti la première statue d'Alexandre Dumas hors de France. À
cette occasion, j'ai eu le plaisir et l'honneur de représenter
notre Société. Le voyage avait été organisé
par M. Jemal Inaishvili, directeur du port de Poti, et par Mme Mireille
Musso, ambassadeur de France en Géorgie.
Ce
voyage a été pour moi l'occasion de constater que notre
Alexandre était non seulement un conteur hors pair, mais un observateur
remarquable, et force est de constater que son
témoignage sur la Géorgie est plus proche de ce que
j'y ai vu que ce que raconte le guide touristique.
Bien sûr, Poti, "ville et port par oukase impérial",
est maintenant une vraie ville, et son port s'enorgueillit d'un yacht-club.
Mais, devant l'hôtel Anchor, bâtisse moderne, poules et cochons
se faufilent entre les voitures. Et, s'il n'est pas nécessaire
de se munir d'un fusil pour assurer son ordinaire, il faut bien dire que
la gastronomie géorgienne, du moins à Poti, a beaucoup à
apprendre du Grand
dictionnaire de cuisine. Les menus des trois repas pris à l'hôtel
étaient désespérément uniformes, même
pour le banquet officiel réunissant les plus hautes autorités
de l'État, et, sur la table, un seul plat chaud, le khatchapouri,
une pâte à pain garnie de fromage, difficilement consommable
en grande quantité. D'ailleurs, en Géorgie, il semble que
les repas soient une nécessité, sans plus. On mange à
n'importe quelle heure, un peu toujours la même chose. Les convives
entrent, se mettent à table, se lèvent, s'en vont, laissent
la place à un nouvel arrivant.
La
statue d'Alexandre Dumas a été érigée dans
un square, à quelques mètres de l'effigie colossale de Niko
Nokoladze, qui fut le maire de Poti, et le premier jeune géorgien
à avoir fait ses études à la Sorbonne. L'écrivain
a été représenté assis sur sa malle, appuyé
sur un bâton, attendant sans doute le bateau qui devait le ramener
en Occident. On se souvient en effet qu'Alexandre Dumas rata son bateau,
arrivant à Poti le lendemain du départ, et dut attendre
une semaine le prochain passage du Grand-duc Constantin. Mais ce séjour
forcé lui permit de rencontrer Vassili, qu'il embaucha comme domestique,
et qui lui demeura fidèle jusqu'au bout, et même après
la mort de l'écrivain, puisqu'il aurait protégé l'appartement
de son maître contre les pillages de la Commune!
En tout cas, cette semaine à Poti a laissé des souvenirs
chez les Géorgiens, puisque c'est là, tout près du
port, qu'est dressée la statue. Donc, samedi 11 octobre, cette
statue a été inaugurée, en présence des plus
hautes autorités du pays : le président Chevardnadze et
plusieurs membres de son gouvernement, le maire de Poti, le directeur
du port, du corps diplomatique, d'une délégation des enfants
des écoles, dont les uns ont prononcé un compliment en français,
et ont dit combien ils avaient aimé Les
Trois Mousquetaires et Le
Comte de Monte-Cristo, tandis que les autres, dans cet habit géorgien
qu'Alexandre Dumas aimait tant, ont défilé devant la statue
pour y déposer des fleurs.
J'ai
été très impressionnée par la maîtrise
de la langue française par ces adolescents, d'autant que le géorgien
est une langue qui n'appartient pas au groupe indo-européen, et
que je suis tout à fait incapable non seulement d'en comprendre
un mot, mais même de déchiffrer son alphabet !
Le retour sur Tbilissi s'est effectué le lendemain, dimanche. Nous
avions fait le trajet aller en pleine nuit, et c'était très
impressionnant de traverser des villes plongées dans l'obscurité
: la Géorgie connaît de fréquentes coupures d'électricité,
et seuls les hôtels et restaurants, équipés de groupes
électrogènes restent éclairés—, où
l'on devinait des bougies et des lampes à pétrole derrière
les fenêtres. Mais le voyage de jour est tout aussi impressionnant,
pour d'autres raisons : le code de la route semble être lettre morte
en Géorgie. Il y a bien des panneaux routiers, mais nul ne semble
s'en préoccuper. Dans un virage en côte, on franchit allègrement
la ligne blanche, pour doubler une file de véhicules : horreur!
une voiture arrive en face ! Comme par enchantement, la file de droite
se distend pour laisser une place où s'intercaler. Ouf ! sauvés
pour cette fois. Les chauffeurs de l'ambassade de France sont, il est
vrai, des virtuoses du volant, et, ce qui, ajouté à leur
gentillesse et à leur prévenance, en fait des compagnons
de route très agréables.
De
Poti à Tbilissi, nous faisons le trajet inverse d'Alexandre Dumas,
qui allait de Tiflis à Poti. C'est l'occasion d'aller en pèlerinage
sur les lieux qu'il signale dans son Voyage
au Caucase. Claude Schopp nous sert de guide et nous voici au confluent
du Phase et de l'Hippus. Il n'y a plus de scopsis dans la région,
mais le paysage n'a pas dû beaucoup changer. Le monastère
de Guelati — que Dumas appelle Gaëlaëth — n'a pas
changé non plus, dans son immuable majesté. Mais l'icône
précieuse de la Vierge décrite dans le Voyage
au Caucase n'est plus sur place, et se trouve au Musée des
Arts Géorgiens, à Tbilissi, où nous pourrons la voir.
Notre séjour à Tbilissi a été trop court,
pour que nous puissions en voir beaucoup. Pourtant, je suis contente d'avoir
pu voir l'endroit où Alexandre Dumas a habité, et les fameux
établissements de bains turcs et persans, même si, malheureusement,
nous n'avons pu en expérimenter les charmes.
Là
encore, nous avons été émerveillés de l'accueil
que nous avons reçu : le Centre Culturel Français (qui porte
le nom de Centre Culturel Alexandre Dumas!) fait un travail extraordinaire
auprès des Géorgiens. Nous avons eu le privilège
d'inaugurer la semaine «Lire en fête» en parlant d'Alexandre
Dumas, et la salle était pleine d'auditeurs, dont deux ou trois
seulement n'étaient pas francophones. Et ils connaissent et aiment
Dumas. Les livres que j'avais emportés ont tout de suite trouvé
leur place dans la superbe médiathèque. J'avais pu avoir
aussi quelques affiches évoquant le château de Monte-Cristo
et les spectacles dumasiens, et ces affiches, maintenant, ornent le hall
d'entrée, autour d'une réduction de la statue d'Alexandre
Dumas.
Je voudrais, en terminant, remercier encore tous ceux qui nous ont reçus
avec tant de gentillesse et de générosité, en particulier
Mme Mireille Musso, ambassadeur de France en Géorgie, pour qui
ces célébrations autour d'Alexandre Dumas ont été
la dernière manifestation de sa mission en Géorgie, et qui,
par son enthousiasme et son énergie a rendu les choses possibles.
Et aussi M. François Laurent, conseiller culturel à l'ambassade
de France, qui nous a offert sans compter son temps et sa gentillesse,
qui a su tout organiser, nous ménager des rencontres passionnantes,
et qui est devenu en quelques jours un véritable ami. Merci à
eux et à tous leurs collaborateurs, qui ont fait de ce séjour
un moment d'échanges chaleureux.
Chantal Chemla
Secrétaire générale de la Société des
Amis d'Alexandre Dumas
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