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Chapitre V
Les Etoiles commis voyageurs V

Pendant que l'on conduisait traîtreusement la santé à l'hôpital, où elle fût morte, bien certainement, si elle n'eût pas été immortelle, un cri qui n'était pas sans analogie avec celui qui venait de lui si mal réussir, se faisait entendre dans un autre quartier de la ville.
C'était la quatrième étoile qui essayait de débiter sa marchandise, et qui criait :
- Qui veut vivre longtemps ? qui veut vivre toujours ? Achetez de longues années ! achetez, achetez !
A ce cri, toute la ville fut sens dessus dessous.
Un riche banquier, qui avait maison à Paris, à Francfort, à New-York, à Vienne et à Londres, ordonna à son agent de change de réaliser autant de millions qu'il en faudrait pour acheter la boîte à lui tout seul.
Les grands seigneurs requirent la garde, afin d'empêcher les manants d'acheter la précieuse denrée.
Le clergé se rassembla. L'archevêque prévint le pape par le télégraphe électrique ; le pape répondit :
- Ceux qui achèteront de longues années devront payer une dîme d'une année sur chaque dix années qu'ils achèteront.
La chambre législative décréta que celui qui achèterait de longues années payerait l'impôt progressif.
Le banquier vint avec ses millions pour tout acheter ; mais il y eut émeute, on cria à l'accapareur et l'on pendit le banquier.
Alors, le roi, qui était un bon roi, abolit tous les monopoles proposés, et déclara par un édit que les longues années se vendraient publiquement et que chacun, excepté les condamnés à mort, aurait le droit d'en acheter selon ses moyens.
Aussitôt, chacun s'approcha de l'étoile, une main pleine d'argent et une main vide.
- De longues années ! de longues années ! disaient les acheteurs ; voilà de l'argent ; acceptez mon argent ; mais prenez donc mon argent !
Et chacun criait :
- A moi, de longues années ! de longues années, à moi, à moi, à moi !
- A votre service, messieurs et mesdames, répondait l'étoile ; mais avez vous fait provision de la marchandise que vendaient mes trois soeurs ?
- Et que vendaient vos trois soeurs ? demandaient les acheteurs, pressés de tenir la précieuse marchandise.
- La première vendait de l'esprit.
- Nous n'en avons pas acheté.
- La seconde vendait de la vertu.
- Nous n'en avons pas acheté.
- La troisième vendait de la santé.
- Nous n'en avons pas acheté.
- Alors, répondit la marchande de longues années, j'en suis fâchée, mais, sans esprit, sans vertu et sans santé, les longues années n'ont aucune valeur.
Et la marchande de longues années referma sa malle, refusant de vendre sa marchandise à des gens qui n'avaient pas eu l'intelligence d'acheter celle de ses trois soeurs.
Sa malle refermée, il se trouva qu'elle avait, sans y faire attention, gardé à la main un échantillon de sa marchandise.
C'était un petit bout de longue vie. Il y en avait pour trois siècles.
Un perroquet était là sur son perchoir.
- As-tu déjeuné, Jacquot ? lui demanda-t-elle.
- Non, Margot, répondit la perroquet.
L'étoile se mit à rire et lui donna l'échantillon.
Le perroquet le mangea jusqu'à la dernière miette.
C'est depuis ce temps-là que les perroquets vivent trois cents ans.

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