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Chapitre VII
La Figurine de César II

Deux chemins conduisent à Bourg, quand on vient de Paris, bien entendu : on peut quitter le chemin de fer à Mâcon, et prendre une diligence qui conduit de Mâcon à Bourg ; on peut continuer jusqu'à Lyon, et prendre le chemin de fer de Bourg à Lyon.
J'hésitais entre ces deux voies, lorsque je fus déterminé par un des voyageurs qui habitaient momentanément le même wagon que moi. Il allait à Bourg, où il avait, me dit-il, de fréquentes relations ; il y allait par Lyon ; donc, la route de Lyon était la meilleure.
Je résolus d'aller par la même route que lui.
Je couchai à Lyon, et, le lendemain, à dix heures du matin, j'étais à Bourg.
Un journal de la seconde capitale du royaume m'y rejoignit. Il contenait un article aigre-doux sur moi.
Lyon n'a pas pu me pardonner depuis 1833, je crois, il y a de cela vingt quatre ans, d'avoir dit qu'il n'était pas littéraire.
Hélas ! j'ai encore sur Lyon, en 1857, la même opinion que j'avais sur lui en 1833. Je ne change pas facilement d'opinion.
Il y a en France une seconde ville qui m'en veut presque autant que Lyon : c'est Rouen.
Rouen a sifflé toutes mes pièces, y compris le Comte Hermann.
Un jour, un Napolitain se vantait à moi d'avoir sifflé Rossini et la Malibran, le Barbier et la Desdemona.
- Cela doit être vrai lui répondis-je, car Rossini et la Malibran, de leur côté, se vantent d'avoir été sifflés par les Napolitains.
Je me vante donc d'avoir été sifflé par les Rouennais.
Cependant, un jour que j'avais un Rouennais pur sang sous la main, je résolus de savoir pourquoi on me sifflait à Rouen. Que voulez-vous ! j'aime à me rendre compte des plus petites choses. Le Rouennais me répondit :
- Nous vous sifflons, parce que nous vous en voulons.
Pourquoi pas ? Rouen en avait bien voulu à Jeanne d'Arc.
Cependant, ce ne pouvait pas être pour le même motif.
Je demandai au Rouennais pourquoi lui et ses compatriotes m'en voulaient : je n'avais jamais dit de mal du sucre de pomme ; j'avais respecté M. Barbet tout le temps qu'il avait été maire, et, délégué par la Société des gens de lettres à l'inauguration de la statue du grand Corneille, j'étais le seul qui eût pensé à saluer avant de prononcer son discours.
Il n'y avait rien dans tout cela qui dût raisonnablement me mériter la haine des Rouennais.
Aussi, à cette fière réponse : « Nous vous sifflons parce que nous vous en voulons, » fis-je humblement cette demande :
- Et pourquoi m'en voulez-vous, mon Dieu ?
- Oh ! vous le savez bien, répondit le Rouennais.
- Moi ? fis je.
- Oui, vous.
- N'importe, faites comme si je ne le savais pas.
- Vous vous rappelez le dîner que vous a donné la ville, à propos de la statue de Corneille ?
- Parfaitement. M'en voudrait-elle de ne pas le lui avoir rendu ?
- Non, ce n'est pas cela.
- Qu'est-ce ?
- Eh bien, à ce dîner, on vous a dit : a Monsieur Dumas, vous devriez bien faire une pièce pour la ville de Rouen, sur un sujet tiré de son histoire.
- Ce à quoi j'ai répondu : « Rien de plus facile ; je viendrai, à votre première sommation, passer quinze jours à Rouen. On me donnera un sujet, et, pendant ces quinze jours, je ferai la pièce, dont les droits d'auteur seront pour les pauvres.
- C'est vrai, vous avez dit cela.
- Je ne vois rien de si blessant là dedans pour les Rouennais, que j'aie encouru leur haine.
- Oui ; mais l'on a ajouté : « La ferez-vous en prose ? » ce à quoi vous avez répondu... Vous rappelez vous ce que vous avez répondu ?
- Ma foi, non.
- Vous avez répondu : » Je la ferai en vers, ce sera plus tôt fait. »
- J'en suis bien capable.
- Eh bien !
- Après ?
- Après, c'était une insulte pour Corneille, monsieur Dumas ; voilà pourquoi les Rouennais vous en veulent, et vous en voudront encore longtemps.

Textuel !
O dignes Rouennais ! j'espère bien que vous ne me ferez jamais le mauvais tour de me pardonner et de m'applaudir.
Le journal disait que M. Dumas n'était resté qu'une nuit à Lyon, sans doute parce qu'une ville si peu littéraire n'était pas digne de le garder plus longtemps.
M. Dumas n'avait pas songé le moins du monde à cela. Il n'était resté qu'une nuit à Lyon, parce qu'il était pressé d'arriver à Bourg ; aussi, à peine arrivé à Bourg, M. Dumas se fit-il conduire au journal du département.
Je savais qu'il était dirigé par un archéologue distingué, éditeur de l'ouvrage de mon ami Baux sur l'église de Brou.
Je demandai M. Milliet. – M. Milliet accourut.
Nous échangeâmes une poignée de main, et je lui exposai le but de mon voyage.
- J'ai votre affaire, me dit-il ; je vais vous conduire chez un magistrat de notre pays qui écrit l'histoire de la province.
- Mais où en est-il de votre histoire ?
- Il en est à 1822.
- Tout va bien, alors. Comme les événements que j'ai à raconter datent de 1799, et que mes héros ont été exécutés en 1800, il aura passé l'époque, et pourra me renseigner. Allons chez votre magistrat.
En route, M. Milliet m'apprit que ce même magistrat historien était en même temps un gourmet distingué.
Depuis Brillat-Savarin, c'est une mode que les magistrats soient gourmets. Par malheur, beaucoup se contentent d'être gourmands ; ce qui n'est pas du tout la même chose.
On nous introduisit dans le cabinet du magistrat.
Je trouvai un homme à la figure luisante et au sourire goguenard.
Il m'accueillit avec cet air protecteur que les historiens daignent avoir pour les poètes.
- Eh bien, monsieur, me demanda-t-il, vous venez donc chercher des sujets de roman dans notre pauvre pays ?
- Non, monsieur : mon sujet est tout trouvé ; je viens seulement consulter les pièces historiques.
- Bon ! je ne croyais pas que, pour faire des romans, il fût besoin de se donner tant de peine.
- Vous êtes dans l'erreur, monsieur, à mon endroit du moins. J'ai l'habitude de faire des recherches très sérieuses sur les sujets historiques que je traite.
- Vous auriez pu tout au moins envoyer quelqu'un.
- La personne que j'eusse envoyée, monsieur, n'étant point pénétrée de mon sujet, eût pu passer près de faits très importants sans les voir ; puis je m'aide beaucoup des localités, je ne sais pas décrire sans avoir vu.
- Alors, c'est un roman que vous comptez faire vous-même ?
- Eh ! oui, monsieur. J'avais fait faire le dernier par mon valet de chambre ; mais, comme il a eu un grand succès, le drôle m'a demandé des gages si exorbitants, qu'à mon grand regret je n'ai pu le garder.
Le magistrat se mordit les lèvres. Puis, après un instant de silence :
- Vous voudrez bien m'apprendre, monsieur, me dit-il, à quoi je puis vous être bon dans cet important travail.
- Vous pouvez me diriger dans mes recherches, monsieur. Ayant fait une histoire du département, aucun des événements importants qui se sont passés dans le chef-lieu ne doit vous être inconnu.
- En effet, monsieur, je crois, sous ce rapport, être assez bien renseigné.
- Eh bien, monsieur, d'abord votre département a été le centre des opérations des compagnons de Jéhu.
O Monsieur, j'ai entendu parler des compagnons de Jésus, répondit le magistrat en retrouvant son sourire gouailleur.
- C'est-à-dire des jésuites, n'est-ce pas ? Ce n'est pas cela que je cherche, monsieur.
- Ce n'est pas de cela que je parle non plus ; je parle des voleurs de diligence qui infestèrent les routes de 1797 à 1800.
- Eh bien, monsieur, permettez-moi de vous dire que ceux-là justement sur lesquels je viens chercher des renseignements à Bourg s'appelaient les compagnons de Jéhu et non les compagnons de Jésus.
- Mais qu'aurait voulu dire ce titre de compagnons de Jéhu ? J'aime à me rendre compte de tout.
- Moi aussi, monsieur ; voilà pourquoi je n'ai pas voulu confondre des voleurs de grands chemins avec les apôtres.
- En effet, ce ne serait pas très orthodoxe.
- C'est ce que vous faisiez cependant, monsieur, si je ne fusse pas venu tout exprès pour rectifier, moi, poète, votre jugement, à vous, historien !
- J'attends l'explication, monsieur, reprit le magistrat en se pinçant les lèvres.
- Elle sera courte et simple. Jéhu était un roi d'lsral sacré par Elisée pour l'extermination de la maison d'Achab. Elisée, c'était Louis XVIII ; Jéhu, c'était Cadoudal ; la maison d'Achab, c'était la Révolution. Voilà pourquoi les détrousseurs de diligences qui pillaient l'argent du gouvernement pour entretenir la guerre de la Vendée s'appelaient les compagnons de Jéhu.
- Monsieur, je suis heureux d'apprendre quelque chose à mon âge.
- Oh ! monsieur, on apprend toujours, en tout temps ; à tout âge : pendant la vie, on apprend l'homme ; pendant la mort, on apprend Dieu.
- Mais, enfin, me dit mon interlocuteur avec un mouvement d'impatience, puis-je savoir à quoi je puis vous être bon ?
- Voici, monsieur. Quatre de ces jeunes gens, les principaux parmi les compagnons de Jéhu, ont été exécutés à Bourg, sur la place du Bastion.
- D'abord, monsieur, à Bourg, on n'exécute pas sur la place du Bastion ; on exécute au champ de foire.
- Maintenant, monsieur... depuis quinze ou vingt ans, c'est vrai... depuis Peytel. Mais, auparavant, et du temps de la Révolution surtout, on exécutait sur la place du Bastion.
- C'est possible..
- C'est ainsi... Ces quatre jeunes gens se nommaient Guyon, Leprêtre, Amiet et Hyvert.
- C'est la première fois que j'entends prononcer ces noms-là.
- Ils ont pourtant eu un certain retentissement, à Bourg surtout.
- Et vous êtes sur, monsieur, que ces gens-là ont été exécutés ici ?
- J'en suis sûr.
- De qui tenez-vous le renseignement ?
- D'un homme dont l'oncle ; commandant de gendarmerie, assistait à l'exécution.
- Vous nommez cet homme ?
- Charles Nodier.
- Charles Nodier, le romancier, le poète ?
- Si c'était un historien, je n'insisterais pas, monsieur. J'ai appris dernièrement, dans un voyage à Varennes, le cas qu'il faut faire des historiens. Mais justement parce que c'était un poète, un romancier, j'insiste.
- Libre à vous, mais je ne sais rien de ce que vous désirez savoir, et j'ose même dire que, si vous n'êtes venu à Bourg que pour avoir des renseignements sur l'exécution de MM... Comment les appelez-vous ?
- Guyon, Leprêtre, Amiet et Hyvert.
- Vous avez fait un voyage inutile. Il y a vingt ans, monsieur, que je compulse les archives de la ville, et je n'ai rien vu de pareil à ce que vous me dites là.
- Les archives de la ville ne sont pas celles du greffe, monsieur ; peut-être, dans celles du greffe, trouverai-je ce que je cherche.
- Ah ! monsieur, si vous trouvez quelque chose dans les archives du greffe, vous serez bien malin ! c'est un chaos, monsieur, que les archives du greffe, un vrai chaos ; il vous faudrait rester ici un mois, et encore... encore...
- Je compte n'y rester qu'un jour, monsieur ; mais, si, dans ce jour, je trouve ce que je cherche, me permettrez-vous de vous en faire part ?...
- Oui, monsieur, oui, monsieur, oui, et vous me rendrez un très grand service.
- Pas plus grand que celui que je venais vous demander ; je vous apprendrai une chose que vous ne saviez pas, voilà tout.
Je me levais pour prendre congé de mon historien, lorsqu'en me retournant pour regagner la porte, mes yeux s'arrêtèrent sur une statuette antique.
Je fus émerveillé.
- Oh ! m'écriai-je, le charmant petit César !
- Oh ! oh ! vous êtes donc archéologue aussi ?
- Moi, je ne suis absolument rien.
- Cependant, à la première vue, vous avez reconnu que cette statuette était un buste de César ?
- Il n'y a pas là une grande malice : César est un type connu.
- Oui, et puis la fameuse couronne de lauriers qu'il avait obtenu de porter toujours, pour cacher sa calvitie...
- Oh ! cela n'est point une raison : le décret sur la couronne de lauriers date des derniers temps de sa vie, de l'an 46 ou 47 avant Jésus-Christ, quand César avait cinquante-deux ou cinquante-trois ans ; ici, voyez, il en a de quarante à quarante-cinq et voyez encore, il n'est pas chauve, car cette place pelée, c'est une lime ou le temps qui a fait cela ; non, il a tout simplement la couronne de lauriers de l'imperator, du général, du vainqueur. Cette petite statuette a dû être trouvée en France ; elle aura été faite lors de la première expédition des Gaules, cinquante-six ou cinquante-sept ans avant Jésus Christ.
- Elle a été retrouvée aux environs de Besançon, monsieur.
- C'est cela, Besançon avait été menacée par la migration des Helvétiens, qui avait failli lui passer sur le corps. Les Helvétiens refoulés dans leurs montagnes, César dut apparaître en sauveur à Vesuntio ou à Chrysopolis, comme vous voudrez, César lui donne ces deux noms. D'ailleurs, il en parle avec le plus grand éloge, je me le rappelle parfaitement ; si vous aviez là ses Commentaires, je vous trouverais la page en cinq minutes ; ce doit être dans le livre Ier. Vous chercherez cela quand je serai parti. Besançon est devenu depuis une grande capitale, la métropole de la Séquanie ; mais il est vrai que c'est sous Auguste. Il lui reste des vestiges d'antiquités qui datent d'Aurélien, je crois : la porte Noire, des ruines de théâtre, d'aqueduc.
- Vous avez été à Besançon ?
- Jamais.
- Comment savez-vous cela, alors ?
- Comme je sais une foule d'autres choses, par circonstance. Besançon est la ville natale de Nodier et d'Hugo, dont l'un a été, dont l'autre est encore et sera toujours mon ami. Il en résulte que j'ai beaucoup causé de Besançon avec Hugo et Nodier, et que je connais Besançon comme ma poche. D'où vous vient cette statuette ?
- C'est le musée de Besançon qui m'en a fait cadeau.
- Il faudra que je la demande.
- Je crois qu'elle n'a été tirée qu'à vingt-cinq exemplaires ?
- On en tirera un vingt sixième pour moi, on me doit bien cela.
- A quel titre ?
- Mais comme historien de César.
- Vous avez fait une histoire de César ?
- Oui.
- Vous ?
- Pourquoi pas moi ? Vous voyez bien que je connais César, aussi bien que... que beaucoup de gens, et même mieux.
- Quand avez-vous fait cette histoire de César ?
- Dame, il y a un an.
- Excusez ; c'est que, comme on n'en a point parlé dans le monde savant...
- Oh ! le monde savant ne parle jamais de moi.
- Une histoire de César doit cependant faire une certaine sensation ?
- Celle-là n'en a fait aucune ; on l'a lue, voilà tout ; ce sont les histoires illisibles qui font sensation ; c'est comme les dîners qu'on ne digère pas ; les dîners que l'on digère, on n'y pense plus le lendemain. On devrait proposer un prix sur cette question : « Lequel est le plus ingrat de l'estomac ou de la mémoire des hommes ? »
Et, sur ce voeu philanthropique, je saluai mon magistrat et sortis non sans jeter un dernier regard de convoitise au petit César.

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