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Chapitre VII
La Figurine de César IV

Rien ne me retenant plus à Bourg, le lendemain matin je quittai la capitale de la Bresse.
Le même soir, j'étais à Paris.
Une fois à Paris, le désir du César me revint en tête, ou plutôt, pour être vrai, le désir du César ne m'ayant pas quitté, une fois à Paris, je me préoccupai d'obtenir du musée de Besançon la même faveur qu'en avait obtenu mon magistrat.
Mais, à Besançon, je ne connaissais personne.
Ah ! si Nodier n'était pas mort !
D'ailleurs, si Nodier n'était pas mort, c'eût été chez lui que j'eusse vu la statuette de César, et non chez mon magistrat.
Je rassemblai tous mes souvenirs. Alors, il me revint à l'esprit que je devais avoir une connaissance à Besançon ; mais j'hésitai fort. A cette connaissance, j'avais rendu un service. Or, il y a une chose que j'ai expérimentée, c'est qu'il n'y a pires ennemis que ceux à qui l'on a rendu des services.
Si l'homme se contentait d'être ingrat, il serait dans son droit.
J'écrivis en tremblant à ma connaissance de Besançon, et j'attendis, je l'avoue, sans grand espoir.
J'étais injuste envers Ayasse. – Bon ! voilà que j'ai laissé échapper son nom ! – Par bonheur, je ne fais d'ordinaire ces sortes d'indiscrétions que pour ceux dont j'ai du bien à dire.
Reprenons donc.
J'étais injuste : Ayasse n'avait jamais laissé échapper une occasion de me donner de ses nouvelles et de me remercier en même temps. Aussi, je dois le dire, chacune de ses lettres m'avait toujours produit une sensation d'étonnement qui dénote que je fusse devenu un terrible misanthrope, si Dieu né m'eût point donné un si bon estomac.
Ayasse me répondit poste pour poste.
Il avait, ma lettre à la main, été trouver M. Vuilleret. Ma demande m'était accordée. Dans trois jours, je recevrais mon petit César avec une notice sur sa mutilation et sur la manière dont il était passé de la boutique d'un maréchal ferrant au musée de Besançon.
En effet, la statuette n'avait ni bras ni jambes ; en outre, à plusieurs endroits, la dent du temps ou de la lime avait laissé sa trace.
Ces mutilations lui donnaient, au reste, un air d'antiquité qui lui allait à merveille. Je les avais donc facilement laissées sur le compte du temps ; – je me trompais : je devais les mettre sur celui des hommes.
Le temps n'est qu'inflexible ; les hommes sont... Qui ne donnera un mot pour dire ce que sont les hommes ?
Je le mets au concours.
Voici ce qui était arrivé au petit César :
Il y a une vingtaine d'années, un paysan possédait deux ou trois arpents de terre et deux ou trois vaches au village de Voray.
Ne me demandez pas le nom de ce digne homme ; il est resté inconnu.
Vous allez voir que le malheur n'est pas grand.
Le susdit paysan venait tous les jours à Besançon vendre son lait.
Un jour, en bêchant son champ, sa pioche heurta un corps dur.
Plus le champ est petit, plus son propriétaire le caresse.
Le véritable enfant du paysan, c'est son champ : il laisse partir son fils pour l'armée plutôt que de vendre son champ ; il y a plus, si son fils a pris un bon numéro, il le laisse se vendre à celui qui en a pris un mauvais, pour arrondir son champ.
J'ai fait là-dessus un roman qui n'est pas le plus mauvais de mes romans : Conscience l'innocent.
Notre paysan heurta donc quelque chose de dur. Il fut étonné ! il ne croyait pas avoir laissé dans son champ une seule pierre.
Il fouilla du bec de sa pioche et fit si bien qu'il déracina une espèce de chose ayant forme humaine ; seulement, cette forme humaine était réduite à une hauteur de douze à quatorze pouces.
C'était notre César.
L'homme, qui ne savait pas ce que c'était que César, tira sa figurine de terre, comme il eut fait d'une rave, et la rapporta à la maison après s'être assuré que c'était du cuivre.
Le lendemain, il prit son seau à lait d'une main, son César de l'autre, et, comme d'habitude, s'en alla à Besançon.
En passant à Moires devant la boutique d'un maréchal ferrant, il entendit son nom prononcé.
Il se retourna.
Le maréchal ferrant, qui était un de ses amis, l'appelait.
Il était tout simplement question de boire un verre de vin.
Mais, pour boire un verre de vin, il fallait que notre homme rentrât dans la libre disposition de ses mains.
C'était chose facile : il posa son seau sous l'établi, son César dessus.
Tout en trinquant, le maréchal ferrant vit le César.
- Tiens, qu'as-tu donc là ? demanda-t-il.
- Un bonhomme en cuivre que j'ai trouvé en bêchant ma terre et que je vais vendre à la ville.
- Si c'est du bon cuivre, il est inutile de le porter plus loin, dit le maréchal ferrant. Je te l'achèterai aussi bien que le premier quincaillier venu.
- Oh ! je ne demande pas mieux ; ce ne sera pas plus cher pour un ami, – le cuivre est du cuivre.
- Seulement, reste à savoir s'il est bon.
- Eprouve.
Le maréchal ferrant prit une lime de la main droite, le César de la main gauche, et lui donna cinq ou six coups de lime derrière la tête et autant sur la poitrine, pour s'assurer de la qualité du cuivre d'abord et savoir si le cuivre était du même aloi dans toute la longueur de la statuette.
- Eh bien ? fit le paysan en voyant voler sous la lime la poussière dorée.
- C'est du cuivre, tout de même, fit le maréchal ferrant.
- Et du bon, hein ?
- Du cuivre est du cuivre.
- Allons, voilà monsieur qui va marchander.
- Non, et la preuve, tiens, combien peut-il y avoir de cuivre là dedans ? Deux livres, peut-être ?...
- Oh ! il y a plus que cela.
- La preuve, c'est que je t'en donne, du premier coup, trente sous.
- Tu en mettras bien quarante.
Et, en effet, après une discussion d'un instant, le maréchal en mit quarante.
Le paysan, enchanté de sa journée, s'en alla vendre son lait à Besançon, priant le bon Dieu de lui envoyer souvent de pareilles aubaines.
Le maréchal ferrant avait son plan : c'était de faire du César de la soudure ! En conséquence, chaque fois que le brave homme avait besoin de limaille de cuivre, il prenait à même.
Il lui lima d'abord une jambe, puis l'autre ; un bras, puis l'autre.
Quant à celui-là, l'histoire a conservé son nom. Léguons ce nom à la postérité : il s'appelle Viry.
Il était en train d'attaquer le corps, lorsqu'un antiquaire de Besançon, nommé M. Reduet, passa par hasard.
De temps en temps, il faisait une tournée par la ville, glanant tout ce qui lui paraissait avoir une valeur artistique.
- Avez-vous quelque chose pour moi, Viry ? demanda-t-il en passant.
- Non, monsieur Reduet, non.
- Comment, pas la plus petite chose ?
- Pas la plus petite.
Et il continuait de limer la cuirasse du vainqueur de Pharsale et de Munda.
- Rien ?
- Absolument rien.
- Mais que diable tenez-vous donc là, à la main ?
- A la main ?... Ma lime.
- Non, à l'autre ?
- Une bamboche.
- Montrez-moi la bamboche, Viry.
- Oh ! la voilà, monsieur Reduet. Ca n'en a pas l'air au premier abord, mais c'est du fameux cuivre, allez.
L'antiquaire, avec cette intuition de l'archéologue, tressaillit en touchant le bronze sacré.
Il reconnut une merveille d'art tronquée, mutilée, mais gardant la marque indélébile du chef-d'oeuvre.
- Combien voulez-vous de ce morceau de cuivre ? demanda M. Reduet.
- Ah ! je vous préviens qu'il faudra le payer cher, car c'est du fameux cuivre.
- Je vous demande combien vous en voulez ?
- J'en veux six francs.
- Les voilà.
M. Reduet jeta les six francs sur l'établi et se sauva avec son César.
M. Reduet mourut quelque temps après cette acquisition, il avait un très beau cabinet de curiosités qui fut vendu à M. Champy, de Dijon.
Il y a quatre ans, M. Champy fit, à son tour, annoncer la vente de son cabinet.
M. Vuilleret, de Besançon, qui savait que le torse du César se trouvait dans le cabinet de M. Champy, partit pour Dijon, et fit l'acquisition de ce charmant antique pour cent cinquante francs.
Hors de toute atteinte profane, grâce à cette dernière mutation de mains, la merveilleuse figurine se trouve maintenant sous vitrine au musée de Besançon.
C'est ainsi que, grâce à la reconnaissance d'Ayasse, et grâce à la courtoisie de M. Vuilleret, je me trouve propriétaire d'une épreuve du torse de César, épreuve d'autant plus précieuse qu'il n'a été tiré qu'à soixante exemplaires.
Que cela ne vous entraîne pas à rendre service, chers lecteurs, et laissez-moi ces sortes de sottises. Vous ne tomberez peut-être pas toujours sur un coeur aussi reconnaissant qu'Ayasse et sur un homme aussi courtois que M. Vuilleret.

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