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Chapitre I
Les trois dames II

Franchissons d'un bond trois ou quatre années, sautons par-dessus la révolution de 1848, comme si, au lieu d'être un abîme, ce n'était qu'un simple fossé, et entrons dans une chambre à coucher d'un garçon de la rue de la Ville-l'Evêque.
La chambre est entièrement couverte en perse mauve, avec de gros bouquets de lilas et de roses trémières ; des canapés font le tour des murailles ; des coussins sont entassés en pile sur le parquet ; le tapis est moelleux.
A la chambre attient une petite serre, à laquelle on monte par deux marches.
Les murailles en sont tapissées de camélias qui s'étagent jusqu'au plafond.
Elle est éclairée seulement par une lampe à verre dépoli.
En hommes, il y a le maître de la maison, un jeune Russe, nommé Vladimir, Méry, le comte Dorset, Clésinger, mon fils et moi.
En femmes, il y a... de charmantes femmes.
Une belle enfant, aux cheveux blonds, aux yeux bleus, à la taille frêle, tout étonnée de se trouver noyée au milieu d'une conversation dont, la plupart du temps, elle ne comprend pas les ondoyants contours, pose à la fois pour Clésinger et Dorset, qui, chacun à son point de vue, font d'elle un portrait aux trois crayons.
Sous le crayon de Dorset, elle se poétise, et s'amincit encore.
C'est une de ces frêles Anglaises comme on on voit dans les vignettes du Strand, assise au bord de la mer, et laissant, pensive, enlever à la brise de l'Océan la fleur attachée dans ses cheveux.
Sous le crayon de Clésinger, elle s'accentue, prend des formes arrêtées, puissantes, vigoureuses ; la chair se fait marbre, l'ondine devient statue.
Etrange façon dont apparaît la même femme aux regards de deux artistes, quand l'un cherche la grâce, l'autre la force ; l'un le joli, l'autre le beau.
On fumait ; on prenait le thé.
Il va sans dire que je prenais du thé, mais que je ne fumais pas.
Méry était, comme toujours, éblouissant d'esprit, Dorset était gentilhomme jusqu'au bout des ongles, Clésinger rêvait à son Andromède ; j'étais triste ; Alexandre était préoccupé.
De temps en temps, mais comme par accident, son esprit, ordinairement si vif, un peu languissant ce soir là, allait heurter celui de Méry, et, alors, du choc, jaillissaient des étincelles qui, tombant sur l'esprit rêveur des autres, y allumait une flamme passagère.
A onze heures, Alexandre s'approcha de moi.
- Est-ce que la fumée des cigares ne te fait point mal ce soir ? me dit-il.
- Elle me fait toujours mal, ce soir comme les autres jours. Mais, que voulez-vous ! puisque votre génération ne peut plus vivre que dans les tabagies, il faut bien que les autres s'habituent à respirer de la fumée, au lieu de respirer de l'air.
- Voyons, j'ai pitié de toi, veux-tu que nous nous en allions ?
- Je ne demande pas mieux.
- Viens, alors.
Nous nous levâmes, nous prîmes nos chapeaux, et, au milieu des instances du maître de la maison pour nous faire rester, nous donnâmes la main aux hommes, baisâmes les femmes au front, et sortîmes.
- Pouah ! fis-je en secouant mon paletot pour en faire sortir l'odeur de la fumée, et aspirant l'air de la rue à pleins poumons, qui m'aurait jamais dit que je trouverais un jour que cela sentait bon, dans les rues de Paris !
- Allons ! te voilà à cheval sur ton dada, me dit Alexandre. Comment donc faisais-tu pour fumer en Afrique ?
- En Afrique, mon cher, je fumais du tabac du Sinaï, dans lequel je râpais de l'aloès. Je le fumais dans une chibouque à tuyau de cerisier et à bouquin d'ambre, circonstances qui faisaient de la fumée un parfum, au lieu d'en faire une infection. Oh ! les Orientaux sont une race trop sensuelle pour se noyer, comme nous, dans la nicotine pure. Par bonheur, et comme compensation, il y avait chez Vladimir d'excellent thé.
- Tu aimes donc toujours le thé ?
- Autant que je déteste le tabac.
- Veux-tu que je t'en fasse prendre de meilleur encore que chez Vladimir ?
- C'est difficile.
- Pourvu que ce soit possible, c'est tout ce qu'il faut.
- Quand ?
- Ce soir.
- Où ?
- Dis oui ou non.
- Oui !
- Viens, alors.
- Chez qui ?
- Ne t'inquiète pas, c'est moi qui te présente.
- Alors c'est chez une femme.
- Qui désire te connaître.
- Soit !
- Allons.
Nous nous sommes habitués, Alexandre et moi, à ces mutuelles et fréquentes présentations à des inconnus sur lesquels nous ne nous demandons jamais d'autres renseignements que ceux que nous jugeons à propos de donner sans qu'on nous les demande.
Je le suivis donc aveuglément, aussi aveuglément que, trois ou quatre ans auparavant, j'avais, dans un couloir du Théâtre-Français, passé ma tête par l'entrebâillement de la porte d'une baignoire.
Nous arrivâmes...
A quoi bon dire où nous arrivâmes ?
La maison, aux sculptures artistiques, ne m'était point étrangère, et, une fois entré sous la grande porte, c'est moi qui eusse pu servir de guide à un étranger.
- Tiens ! dis-je, je connais cela.
- C'est possible, répondit Alexandre, c'est une de ces élégantes maisons parisiennes qu'on loue toutes garnies à des étrangers. Peut-être y es-tu venu voir quelque ami étranger ou quelque amie étrangère.
- Montons !
Nous montâmes.
Alexandre s'arrêta devant la porte du premier étage et sonna.
Une espèce de chasseur vint ouvrir.
- La comtesse y est-elle ? demanda Alexandre.
- Oui, monsieur.
- C'est bien. Il ôta son paletot et me fit signe d'en faire autant. Je jetai mon paletot sur celui d'Alexandre.
- Qui annoncerai-je ? demanda le chasseur en me regardant.
- N'annoncez pas.
Le chasseur se rangea, nous passâmes.
Nous traversâmes deux pièces mollement éclairées, et dans lesquelles était répandue une vague odeur de benjoin.
Je connaissais l'appartement à l'intérieur comme j'avais reconnu la maison à l'extérieur. Alexandre entrebâilla une porte.
- Visible ? demanda-t-il.
- Oui ; pourquoi me demandez-vous cela ?
- Parce que je ne suis pas seul.
- Qui donc m'amenez-vous, quand je n'attendais que vous ?
- Un autre que moi, mais qui est toujours un peu moi.
- Ah ! votre père... Qu'il entre !
- Entre et embrasse.
J'entrai.
Une femme de vingt-quatre à vingt-cinq ans, vêtue d'un peignoir de mousseline brodée, chaussée de bais de soie rose et de pantoufles de Kasan ; ses longs et magnifiques cheveux noirs dénoués et s'écoulant en ondes de ses épaules à ses hanches et de ses hanches à ses genoux, était couchée sur une causeuse de damas, couleur paille.
Je m'approchai du canapé, je mis un genou en terre et je baisai la main qu'on m'offrait.
- Te voilà présenté, dit Alexandre.
Je voulus me retirer.
- Non ! restez là, dit-elle. Je sais que vous aimez la vie horizontale. – Passez des coussins à votre père.
Alexandre me passa des coussins.
La comtesse se rangea un peu pour que je pusse appuyer mon coude sur le bord de son canapé.
Alexandre s'appuya au dossier, et se mit à jouer avec les cheveux de la comtesse.
Elle jouait elle-même avec un magnifique collier.
- Tu sais comment je l'appelle ? me demanda Alexandre.
- Non. Comment l'appelles-tu ?
- La dame aux perles.
En effet, la comtesse avait au cou un triple fil de perles. Elle avait des perles aux bras, elle en avait dans les cheveux ; Je regardai si elle n'en avait pas aux pieds.
- Oui, dit-elle, j'avoue que c'est la parure que je préfère. On peut la porter toujours, en robe de bal comme en peignoir. Des diamants, ce sont des bijoux ; des perles, ce sont des amies.
Elle avait pour deux cent mille francs de perles roulées autour d'elle.
- Vous savez que mon père adore le thé, et je lui ai promis chez vous du thé comme il n'en a jamais pris.
La comtesse sonna. Une femme de chambre anglaise parut.
- Henriette, du thé jaune.
La femme de chambre referma la porte.
- Tu vas voir, dit Alexandre, tout se fait par enchantement ici.
En effet, la porte se rouvrit. La femme de chambre entra, posa un plateau tout garni sur la table ronde, approcha la table du canapé et se retira de nouveau.
La comtesse se souleva indolemment sur le coude. Il était facile de voir à ses mouvements onduleux qu'elle n'avait point de corset.
Elle versa le thé, y laissa tomber la crème et le sucre.
A la seconde tasse, elle resta un instant la théière suspendue, immobile et écoutant.
Alexandre la regardait.
Ils échangèrent un sourire.
- C'est lui ? demanda Alexandre.
- Je le présume.
- Il rentre ?
- Probablement.
- Et il se couche ?
- Mais il me semble que c'est ce qu'il a de mieux faire. Prenez-vous du thé ?
- Non ; je cède ma part à mon père.
- Connaissez-vous les vers qu'Alexandre m'a faits hier ? me demanda la comtesse.
- Non, il n'a pas encore eu le temps de me les dire.
- Ils sont charmants !
- Bon ! dit Alexandre, on sait cela, allez ! les femmes trouvent toujours charmants les vers que l'on fait pour elles.
- Dites-les, il jugera.
- Je n'aime pas dire des vers à mon père, cela n'intimide.
- Dites toujours ; votre père boit son thé et ne vous regardera pas.
- J'aimerais mieux qu'il n'écoutât point.
- Allons, va donc, fis-je à mon tour en haussant les épaules.
Alexandre, avec une voix en effet légèrement tremblante, commença :

          Hier, nous sommes partis au fond d'une voiture,
          Enlacés l'un à l'autre ainsi que deux frileux,
          Emportant, à travers une sombre nature,
          Le printemps éternel qui suit les amoureux.

          Nous avions confié le sort de la journée
          Au cocher, qui devait nous mener au hasard,
          Où bon lui semblerait, et notre destinée
          Reposait dans ses mains à compter du départ.

          Cet homme, pour Saint-Cloud avait des préférences.
          Eh bien, va pour Saint-Cloud ; c'est un charmant pays !
          D'ailleurs, quand nous mêlons nos douces confidences,
          Peu m'importe l'endroit, je suis bien où je suis.

          A la grille du parc, il nous fit donc descendre :
          Le parc était désert, triste et silencieux ;
          Le vent roulait au ciel des nuages de cendre,
          Les arbres étaient noirs et les chemins boueux.

          Nous nous mîmes à rire. En vérité, madame,
          C'était risible à voir ; mais on ne voyait pas,
          Et j'en suis enchanté, la belle et noble dame
          Qui relevait sa robe et découvrait ses bas.

          Vous aviez l'embarras, embarras plein de grâce,
          Des femmes comme il faut, qui marchent, n'ayant pas
          L'habitude d'aller à pied, et votre race
          Aurait pu se prouver rien que par vos faux pas.

          Vous teniez d'une main votre robe de soie
          Relevée en deux plis par devant : vos jupons,
          Dentelés et brodés, se donnaient cette joie
          De rire avec la boue, en battant vos talons.

          Vos pieds, à chaque instant, s'enfonçaient dans la terre,
          Comme si cette terre eût voulu vous garder.
          Pour les en retirer, c'était toute une affaire,
          Et vous n'aviez pas trop de moi pour vous aider.

          La belle promenade et la charmante chose
          Que l'amour dans un bois par un temps pluvieux !
          La bise vous faisait un petit nez tout rose,
          Empourprait votre joue et mouillait vos grands yeux.

          Eh bien, c'était charmant plus qu'en la saison verte.
          Le parc était à nous, à nous seuls, à nous deux !
          Pas un visage humain sur la route déserte,
          Pas d'importun témoin qui nous cherchât des yeux !

          Nous avons traversé les longues avenues,
          Que terminait toujours le même horizon gris,
          Sans même regarder les déesses connues
          Posant en marbre blanc sous les arbres maigris.

          Nous sommes arrivés près d'un bassin où rode
          Un cygne encor plus blanc que le lait, et nageant
          Silencieusement : et, comme une émeraude,
          L'eau verte reflétait le bel oiseau d'argent.

          Il vint nous demander quelque chose, une miette
          De pain, et, pour nous plaire, il tordait son long cou.
          Vous lui dites alors : « Pauvre petite bête !
          Je ne le savais pas, et je n'ai rien du tout. »

          Si bien qu'il nous quitta, nous méprisant sans doute,
          Et s'en alla, rayant le miroir du bassin,
          A côté du jet d'eau, qui, tombant goutte à goutte,
          Faisait à lui tout seul tout le bruit du jardin.

          Nous restâmes alors appuyés l'un à l'autre,
          Regardant le beau cygne, écoutant le jet d'eau.
          La tristesse du bois faisait cadre à la nôtre,
          Et le soir commença d'étendre son rideau.

          Dans ma poche, je pris une clef de ma chambre,
          Et sur un piédestal, plein de mots au crayon
          A mon tour, j'incrustai ces mots : « Trente décembre »
          Puis, auprès de ces mots, je gravai votre nom.

          Maintenant, quand l'été va rire dans les arbres,
          Quand les gais promeneurs repeupleront le bois,
          Quand les feuilles auront leurs reflets sur le marbre,
          Quand le parc sera plein de lumière et de voix,

          A la saison des fleurs enfin, j'irai, madame,
          Revoir le piédestal portant le nom tracé,
          Ce doux nom dans lequel j'emprisonne mon âme,
          Et que le vent d'hier a peut-être effacé.

          Qui sait où vous serez alors, ma voyageuse !
          Je serai seul peut-être, et vous m'aurez quitté.
          Aurez-vous donc repris votre route joyeuse,
          En me laissant l'hiver au milieu de l'été ?

          Car l'hiver, ce n'est point la bise et la froidure,
          Et les chemins déserts qu'hier nous avons vus ;
          C'est le coeur sans rayons, c'est l'âme sans verdure,
          C'est ce que je serai, quand vous n'y serez plus.

Je quittai les deux beaux et insoucieux enfants à deux heures de la nuit, priant le dieu des amants de veiller sur eux ; car eux, comme on le voit, n'y veillaient guère.
Quinze jours après, Alexandre entrait, à six heures du matin, dans ma chambre.
- Tu es là, père ? me demanda-t-il.
- Oui ; qu'as-tu ?
Sa voix était altérée ; il ouvrit les rideaux : je vis qu'il était pâle.
- As-tu de l'argent ? me demanda-t-il à son tour sans répondre à la question.
- Trois ou quatre cents francs, peut-être ; ouvre le tiroir, et vois toi-même.
Il ouvrit le tiroir.
- Trois cent vingt francs ; avec ce que j'avais chez moi, cela fait six cents francs ; c'est plus qu'il ne me faut pour partir. Peux-tu me donner un crédit quelconque sur l'Allemagne ?
- Mille francs, si tu veux, à Bruxelles, sur Meline et Cans. Ce sont des amis à moi, qui ne te laisseront pas dans l'embarras.
- C'est bien ! d'ailleurs, si j'en ai besoin, tu me feras passer de l'argent en Allemagne. Je t'écrirai dès que je m'arrêterai quelque part.
- Et tu vas ?
- Je te le dirai en revenant. Nous nous embrassâmes, et il partit.
Prenez maintenant, chères lectrices, la Dame aux Perles, édition in-8°, page 82, ligne 16, lisez jusqu'à la fin, et vous aurez l'histoire tout entière, sauf cette légère variante, que la dame aux perles ne mourut pas.
L'absence d'Alexandre dura près d'un an.
Un jour, j'étais assis, ou plutôt couché sur l'herbe, regardant, des hauteurs de Monte-Cristo, flamboyer dans la Seine, qui semblait rouler du feu, les derniers rayons du soleil couchant, lorsque je vis apparaître, montant une pente rapide, un jeune homme barbu, dont je ne distinguais pas bien les traits.
A dix pas de moi, il s'arrêta.
- Eh bien, tu ne me reconnais pas ? me demanda-t-il.
C'était Alexandre.
- Ah ! sacrebleu ! c'est toi ! m'écriai-je en bondissant vers lui ; tu as donc changé de figure ?
- Non ; mais je m'ennuyais tant à Mistovitz, que j'ai, pour me distraire, laissé pousser ma barbe et mes moustaches. Bonjour, papa !
Nous nous embrassâmes, il s'assit sur l'herbe près de moi, et me raconta tout son voyage.
Le lendemain, après le déjeuner, il me quitta pour aller à Saint-Cloud.
Puis, le soir, il revint.
- Tiens, me dit-il en me donnant un papier tout crayonné, voici le pendant des vers que je t'ai lus il y a un an.
Je lus :

          Un an s'est accompli depuis cette journée,
          Où nous fûmes, au bois, nous promener tous deux.
          Hélas ! j'avais prévu la triste destinée,
          Qui devait succéder à quelques jours heureux.

          Notre amour ne vit pas la saison près de naître !
          A peine un doux rayon de soleil luisait-il,
          Que l'on nous séparait ; et pour toujours, peut-être,
          A commencé le double et douloureux exil.

          Moi, j'ai vu ce printemps sur la terre lointaine,
          Sans parents, sans amis, sans espoir, sans amour,
          Les yeux toujours fixés sur la route prochaine,
          Par où tu m'avais dit que tu viendrais un jour.

          Que de fois mon regard a sondé cette route
          Qui se perdait parmi des forêts de sapins
          Moins obscurs, moins épais, moins tristes que le doute
          Qui m'escortait depuis un mois sur les chemins !

          A quoi bon ce soleil qui fleurissait les branches,
          Réchauffait la nature et les champs assoupis ?
          Marguerites, à quoi servaient vos têtes blanches,
          Plus hautes en avril que les jeunes épis ?

          A quoi bon les senteurs de la colline grasse ?
          A quoi bon ces oiseaux caquetant leurs chansons ?
          Que me faisaient, à moi, le coeur pris sous la glace,
          La chaleur de la terre et les nids des buissons ?

          Qu'à jamais le soleil se voile s'il éclaire
          En vain le long chemin au bout duquel j'attends ;
          S'il ne ramène pas ce que mon âme espère,
          Il n'est pas le soleil, il n'est pas le printemps !

          Marguerites, tombez et mourez dans la plaine,
          Perdez vos doux parfums et vos tendres couleurs,
          Si celle que j'attends n'aspire votre haleine :
          Vous n'êtes pas l'été, vous n'êtes pas les fleurs !

          Oh ! je préfère à vous l'hiver morose et sombre,
          Avec ses arbres noirs et ses sentiers déserts,
          Avec son oeil éteint qui s'entrouvre dans l'ombre,
          Et qui, sans nous toucher, expire dans les airs.

          C'est là le vrai soleil des âmes désolées ;
          Rendez-moi donc l'hiver, nous nous connaissons bien :
          Ma tristesse est la soeur de ses longues allées,
          Et le feu de mon coeur est froid comme le sien.

          C'est ainsi que, dès l'aube, assis à ma fenêtre,
          Je parlais, maudissant et le soleil et Dieu ;
          Puis le jour commençait, j'espérais une lettre
          Qui m'eût fait pardonner au ciel d'être si bleu.

          Et le jour s'enfuyait comme avait fui la veille.
          Rien ! – Pas un mot de vous ! – L'horizon, bien fermé,
          Ne laissait même pas venir à mon oreille
          L'écho doux et lointain de votre nom aimé.

          Seul pendant six longs mois, le jour, le soir, dans l'ombre,
          Sans écho que mon coeur, ma bouche vous nomma,
          Entrant à chaque pas dans une nuit plus sombre,
          Et, plus triste, disant sans cesse : « O mon Emma ! »

          Un morceau de papier, c'est pourtant peu de chose ;
          Quatre lignes dessus, ce n'est pourtant pas long.
          Si l'on ne veut écrire, on peut prendre une rose
          Eclose, le matin dans un pli du vallon ;

          On la peut effeuiller au fond d'une enveloppe,
          La jeter à la poste, et l'exilé venu
          Du fond de son pays presqu'au bout de l'Europe,
          Peut sourire, en voyant que l'on s'est souvenu !

          Que de fois vous avez oublié de le faire !
          Et, chaque jour, c'était un désespoir nouveau.
          Mon coeur se desséchait comme ces fruits qu'on serre,
          A la fin de l'été, dans l'ombre d'un caveau.

          Si l'on pressait ce coeur aujourd'hui, c'est à peine
          S'il en pourrait jaillir une goutte de sang.
          Il n'y reste plus rien ; c'était la coupe pleine
          Qu'un enfant maladroit fait tomber en passant.

          Nous voici revenus à la fin de l'année,
          Et le temps patient, qui ne s'arrête à rien,
          Nous rend le même mois et la même journée,
          Où vous parliez d'amour, votre front près du mien.

          C'est bien le même aspect : les routes sont désertes,
          Le givre, de nouveau, gerce les étangs bleus,
          Les arbres ont usé leurs belles robes vertes,
          Le cygne rode encor, triste et silencieux.

          Voilà votre doux nom que ma main vient d'écrire ;
          Il est là qui sourit, dans le marbre incrusté !
          Allons ! j'ai fait un rêve, et j'étais en délire ;
          Allons ! j'étais un fou ! tu ne m'as pas quitté.

          La voiture, là-bas, nous attend à la grille :
          Partons ! et, s'il fait beau, nous reviendrons demain.
          Baisse ce voile noir sur ton regard qui brille :
          Prends garde de glisser, et donne-moi la main ;

          Car il a plu ; la pluie a détrempé les terres.
          Approche donc !... Hélas ! mes sens sont égarés ;
          Les feuilles que je foule, aux chemins solitaires,
          Sont celles du printemps qui nous a séparés.

          Non, non, tu n'es plus là, toi que j'appelle et j'aime ;
          J'ai pris le souvenir pour la réalité !
          Et, loin de cet amour, encor, toujours le même,
          J'ai vécu deux hivers de suite sans été.

          Car, l'été, ce n'est pas cette saison qui dure
          Six mois, et que novembre éteint d'un pied transi :
          C'est du coeur rayonnant l'éternelle verdure ;
          C'est ce que je serai quand tu seras ici.

Six mois après, vers le commencement de 1853, paraissait le roman de la Dame aux Perles.
Le 15 novembre 1853, on représentait sur le théâtre du Gymnase le drame de Diane de Lys.
Le roman réussit, le drame eut un grand succès. Voilà l'histoire de la création, gestation et naissance de Diane de Lys, aussi fidèlement racontée que celle de la Dame aux Camélias. Passons à celle de Suzanne d'Ange, la principale héroïne du Demi-Monde.

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